Née dans une famille protestante d’artistes parisiens, Louyse Moillon a été formée par son père, Nicolas Moillon, portraitiste, puis par le second mari de sa mère, François Garnier, marchand de tableaux et lui-même peintre de natures mortes, dont le titre de « bourgeois de Paris » laisse supposer une situation prospère.
Nature morte aux fruits – sans date
Huile sur toile - 45 x 66 cm
Musée du Grand Siècle, Saint-Cloud
Garnier aurait signé avec Louyse un contrat qu’on qualifierait aujourd’hui de léonin : elle n’avait alors que dix ans et les stipulations du contrat étaient pour le moins sévères : elle devrait partager avec lui le fruit de la vente de son travail, sans détermination de durée.
J’orthographie son prénom avec un « y » car sa signature apparaît plusieurs fois avec cette graphie. Seconde petite information pratique : il faut cliquer sur les images, faute de quoi vous ne verrez pas les petites gouttes d’eau qui apparaissent au premier plan, dans la plupart de ses tableaux !
Louyse a peint exclusivement des natures mortes et au moins une scène accompagnée d’un personnage. J’ai tiré le détail qui fait ici office d’autoportrait de la Marchande de fruits et légumes (1630) bien que la tenue de la dame soit sans doute bien trop élégante (et décolletée !) pour imaginer qu’il s’agisse d’un autoportrait. Je dois aussi préciser que ce tableau, présenté comme une œuvre de Louyse sur le site Joconde, ne lui est pas attribué sur celui du Louvre qui n’en précise par l’auteur.
Le fait que Louyse était protestante laisse penser qu’elle pouvait avoir un lien avec des spécialistes flamands de la nature morte dont une petite « colonie » vivait à Paris.
Louyse ne travaillait pas forcément sous l’égide de la corporation des peintres parisiens puisqu’elle pouvait vendre sa production directement ou dans l’enceinte de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, comme le faisaient alors les membres de la communauté flamande de Paris.
Et,
à la même époque, le superbe camaïeux de brun au jaune du Bol de citrons et
d’oranges :
La plupart de ses tableaux sont composés de la même façon : un légère plongée afin d’embrasser l’ensemble de la scène, un cadrage resserré, un éclairage venant de la gauche et, souvent, la présence de quelques petites gouttes de rosée, comme pour attester la fraîcheur des fruits.
Huile sur panneau, 46,4 x 64,7 cm
Norton Simon Museum, Pasadena, Californie
Toutes
les œuvres de Louyse n’étant pas signées, leur identification se base aussi sur les
correspondances entre les tableaux. On peut ainsi remarquer que la Nature
morte de cédrats et bigarades ci-dessous, dans son plat de porcelaine
blanche, se retrouve presque à l’identique au premier plan de la Marchande
de fruits juste en dessous.
Huile sur panneau, 49 x 64 cm
Toledo Museum of Art, Toledo,
A contrario, on peut aussi remarquer que l’étal de la Marchande de fruits et légumes du Louvre se prête plus difficilement au jeu des comparaisons. Si on excepte le panier d’osier ajouré qu’on retrouve dans d’autres compositions mais sous forme de corbeille, rien dans la présentation de l’étal ne fait immédiatement penser à Louyse : ni le zest de citron, qu’elle ne pratique pas quand elle peint des agrumes, ni les pyramides de fruits sans feuilles, ni même le charmant petit chat…
Quoi
qu’il en soit, ce sont les natures mortes stricto sensu qui constituent la
dominante de son travail, essentiellement la présentation de fruits, disposés
en pyramide, entourés de feuilles, dans un contenant qui occupe le centre de la
composition. Autour de cet élément qui appelle le regard, d’autres fruits
isolés, voire quelques légumes, dont la présentation contraste avec l’élément
central : d’une autre variété, parfois ouverts, sans grande attention à la
coïncidence des deux ou trois morceaux entre eux. En revanche, l’effet de l’air
assèche leur contours.
Le fond, généralement sombre, accentue par contraste la couleur des fruits et souligne la virtuosité de l’artiste à rendre la brillance, le velouté, le lisse et le grumeleux. Les pêches, les abricots et les prunes sont omniprésents.
C’est, finalement, le fait de regrouper toutes ces images qui permet d’en saisir les correspondances. Et, de ce fait, on regrette qu’il ne soit pas possible de les voir toutes rassemblées !
Ainsi, le musée des Augustins de Toulouse en possède trois mais n’en publie qu’une seule sur son site. Elles sont toutes trois intéressantes et l’une a même été publiée. On aimerait qu’un petit effort de présentation soit fait…
« Moillon est particulièrement attentive à un rendu sensible de la peau et de la chair. Les multiples taches ajoutent au réalisme, symbolisant aussi toutes les étapes de la maturation du fruit. Toutefois on ne constate aucune insistance sur les effets du temps (point ici de vers ou de mouches !) et rien n'autorise à interpréter l'image comme une Vanitas. Il s'agit avant tout d'un tableau pour amateur, dont la principale préoccupation est la beauté. Le sentiment diffus de poésie naît d'un décalage subtil entre le réalisme exacerbé du détail et le caractère artificiel et construit de la composition. » (Ombres et lumières. Quatre siècles de peinture française. RMN 2005, p. 100.)
Il existe aussi trois autres œuvres de Louyse dans les collections du Louvre :
« Louise Moillon, une des femmes peintres les plus talentueuses du XVIIe siècle, affirme ici sa science virtuose du coloris. Le rouge intense des cerises éclate contre le vert foncé des feuilles, les touches bleutées des prunes et le jaune oranger du melon lui font écho. Dans cette composition ordonnée et équilibrée, tous les éléments, les cerises surtout, gagnent une force plastique singulière, de sorte que le tableau engage à méditer calmement sur la beauté simple des choses. » (Commentaire du l’œuvre dans l’exposition « Les Choses », Le Louvre, décembre 2022.)
Et d’autres dans les collections des musées du monde entier :
Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
branche de groseilles à maquereaux - 1631
Huile sur panneau, 36 x 50 cm
Kimbell Museum of Art, Fort Worth, Texas
County Museum of Art, Los Angeles, Californie
Ici s’arrête la liste des tableaux de Louyse dont l’attribution est attestée par les musées. On en trouve beaucoup sur le Net appartenant à des collections privées. J’ai privilégié ceux qui me paraissent tenir la comparaison, notamment en raison des correspondances qu’on peut faire entre les objets représentés, la texture des fruits et le travail de la lumière.
Huile sur toile - 66 x 99,5 cm
Collection particulière (vente 2021)
*
La plupart de des œuvres de Louyse ont été peintes entre 1630 et 1640 environ, même si certaines ventes récentes en situent quelques-unes « après 1641 ».
Que s’est-il passé ensuite ?
La fin de son activité s’explique sans doute par son mariage, en novembre 1640, avec Etienne Girardot de Chancourt, un riche marchand de bois et peut-être aussi par le souhait d'échapper au contrat de son beau-père… mais l’histoire n’est pas encore finie.
Sa famille a été frappée par la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Son mari est emprisonné et, semble-t-il, n’abjure pas ses convictions religieuses, comme le révèle une déclaration de Colbert de Seigneulay, en 1686 : « On a donné avis au roi que les marchands de bois (…) nouveaux convertis ne font point leur devoir de catholiques et qu’il y a trois hommes prisonniers au Fort l’Evêque, nommés La Chapelle, Girardot et Louis Le Verroux qui se fortifient l’un l’autre et empêchent la conversion de ceux que l’on met dans cette prison. »
Un des enfants de Louyse est converti de force, deux autres s’enfuient en Angleterre.
Louyse meurt en 1696 et elle aurait été inhumée selon le rite catholique. Je n’en sais pas davantage…
*
Louyse Moillon aura été une des femmes peintres de nature mortes les plus talentueuses de son époque, au style d’un grand classicisme et démontrant un évident talent de coloriste.
Un texte de l’un de ses contemporains, Georges de Scudéry (1601-1667) place Pieter Van Boucle (mort en 1676), Jacques Linard (1597-1645) et Louyse Moillon au même rang que le mythique Zeuxis - celui dont les raisins peints trompaient les oiseaux – et imagine un tableau « à trois mains » :
"Un grand tableau de fruits et de fleurs.
Fait par Vanboude, Linard & Louise Moillon.
Celui qui trompoit les oyseaux,
S’il vivoit au siecle ou nous sommes,
Verroit effacer ses Tableaux,
Par trois mains qui trompent les hommes."
Le cabinet de M. de Scudéry (Paris,
Courbé, 1646, p.150).
Pas d’erreur possible : en son temps, le talent de Louyse était reconnu !
*
J’ajoute, parce qu’il est presque aussi méconnu que sa sœur, deux œuvres du frère cadet de Louyse, Isaac Moillon (1614-1673), dont on connaît aujourd’hui une quarantaine de compositions. Il a notamment décoré l’une des salles des malades de l’Hôtel-Dieu de Beaune, a été membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture et a réalisé de superbes cartons de tapisserie pour la manufacture d’Aubusson.
Ménélas retrouvant Hélène lors de l’incendie de Troie - XVIIe siècle
Laine et soie, 300,5 x 335 cm
Cité internationale de la Tapisserie, Aubusson
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