dimanche 30 avril 2023

Renée Sintenis (1888-1965)

 

Photographe inconnu
Renée Sintenis et un Autoportrait, dans les années 20
Source : Georg-Kolbe Museum, Berlin

Issue d’une famille de huguenots français immigrés au XVIIe siècle, dont le nom d’origine était Saint-Denis, Renate Alice Sintenis est née à Glatz (aujourd’hui Kłodzko), en Silésie, le 20 mars 1888. 

Fille d’un avocat prospère, elle grandit dans la ville de Neuruppin, en Prusse, entourée d’animaux qu’elle dessine dès son plus jeune âge. Elle déménage à Berlin avec ses parents en 1905, lorsque son père est nommé à la cour d’appel. Elle s’inscrit à la Kunstgewerbeschule (École des arts appliqués) de Berlin, où elle étudie le dessin et la peinture auprès de Leo von König, activité que ses parents considèrent comme un passe-temps plaisant, en attendant son mariage.

 

Leo von König (1871-1944)
A la table du petit déjeuner – 1907
Huile sur toile, 101,5 x 117,5 cm
Alte Nationalgalerie, Berlin


En 1907, elle commence à étudier la sculpture avec Wilhelm Haverkamp.


Wilhelm Haverkamp (1864-1929)
Saute-mouton - 1891
Bronze, H : 54 cm
Collection particulière

Mais, trois ans plus tard, son père, désapprouvant la persistance de ses penchants artistiques, annonce qu’il ne paiera plus ses études et lui demande de devenir secrétaire dans son cabinet. Elle refuse, quitte la maison familiale, s’installe dans une chambre minuscule et adopte un nouveau prénom, Renée.

Pour vivre, elle devient modèle pour le sculpteur Georg Kolbe dont le style l’influence à ses débuts.

 

Georg Kolbe (1877-1947)
Le danseur Nijinsky – 1913/1919
Bronze patiné, H : 65 cm
Collection particulière

En 1913, elle convainc son grand-père de lui faire crédit pour fondre quelques sculptures qu’elle expose à la Freie Berlin Secession. Ce sont des figures de femmes, qui se caractérisent par des surfaces lisses et des formes stylisées, expérimentation de thèmes classiques de sculpture.

Mais dès cette époque, Renée se singularise par ses très petits formats.

 

Danseuse – 1913
Bronze patiné, H : 19 x L : 4 cm
Collection particulière (vente 2021)


Torse – 1914
Bronze, 30,8 x 7,7 x 5,3 cm
A gauche, collection particulière
A droite : Neue Nationalgalerie, Berlin


Ses images féminines sont plutôt statiques… 


Debout – 1915
Bronze, H : 25,8 x L : 5 x l : 4,8 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin


… généralement occupées à des activités quotidiennes, comme faire leur toilette.


Baigneuse – 1917
Bronze, 9,7 x 7 x 6,6 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin


Au bain – 1915
Bronze, H : 23,2 x L : 6,6 x l : 6,3 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin

Très vite, elle commence à modeler toutes sortes de jeunes animaux, toujours dans le format minuscule qui deviendra sa marque. Elle les représente toujours en mouvement mais encore indécis, comme s'ils expérimentaient la coordination de leurs membres.

 

Faon agenouillé – vers 1915
Pointe sèche, 39,5 x 29,8 cm
Museum of Modern Art, New York


Faon agenouillé – 1915
Bronze, H : 7,6 cm
Georg-Kolbe Museum, Berlin


Petit chevreau – 1915
Bronze patiné, H : 9,5 cm
Collection particulière

Elle bénéficie d’une première exposition personnelle dès 1915. Elle y montre notamment un Autoportrait qui va taper dans l’œil de Rainer Maria Rilke. Ils se lient d’amitié et cette relation accélère sa carrière car il la présente aux personnalités influentes de son cercle artistique et littéraire ; et aussi au banquier Karl von der Heydt, qui devient son premier acheteur.

 

Autoportrait – 1916
Bronze, H : 7,3 x 5,2 x 6 cm (sans socle)
Collection particulière

En décembre 1917, Renée épouse le peintre et graveur Emil Rudolf Weiẞ, son aîné de treize ans, qui fera d’elle de nombreux portraits.

 

Emil Rudolf Weiß (1875-1942)
Portrait de Renée Sintenis – 1915
Huile sur panneau, 34,5 x 28,5 cm
Collection particulière

Il la met en contact avec son propre galeriste, le marchand d’art Alfred Flechtheim, celui dont Marie Vassilieff a fait un portrait-poupée à la même époque (voir sa notice).

Flechtheim est séduit par ses créations qu'il trouve ganz entzückend (absolument enchanteresses) et assure à son public que ses petits bronzes délicats sont la parure indispensable d’un intérieur élégant !

 

Gazelle – vers 1920
Bronze patiné, H : 12, L : 13,5 cm
Collection particulière



Harpie – 1919
Bronze, H : 4, L : 5 cm
Collection particulière


Flechtheim est un maître de la publicité et du marketing : il voit immédiatement le parti qu’il peut tirer du personnage. Elle mesure 1,80, elle s’est coupé les cheveux, monte son cheval au triple galop à travers le Tiergarten, adore les matchs de boxe et conduit seule sa propre voiture, une Studebaker américaine, bref, elle est l’image parfaite de la Neue Frau.

C’est cette image que Flechtheim met en valeur, notamment dans son magazine Der Querschnitt (La Coupe transversale), l'une des publications culturelles les plus célèbres de la République de Weimar.

 

Renée est lancée, elle va devenir « La Sintenis » et bénéficier d’expositions dans toute l’Allemagne tandis que sa personnalité est commentée dans les journaux à la mode, comme Vogue ou Die Dame.

Photo : Rieẞ
Renée Sintenis en 1925
Tirage gélatino-argentique, 22,6 x 17,3 cm
Publié dans Der Querschnitt n°10 (octobre 1925), p.865
Source : Museum of Modern Art, New York


A la même époque, Renée choisit un nouveau terrain d’expression et travaille l’image humaine en mouvement. Elle modèle notamment le danseur Jean Börlin, un des fondateurs du Ballet suédois qu’elle a probablement rencontré chez Flechtheim. Il ne s’agit plus, comme dans ses précédentes études de figures féminines, de visualiser un idéal mais de saisir la puissance, le rythme et la posture expressive du danseur.


Le danseur Jean Börlin – 1921
Bronze, H :23,7 x L : 11 x l : 9 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin


Ou de jeunes enfants dans leurs jeux : 

 

Fritz – 1923
Bronze, H. 11,3 cm
Collection particulière

Leur texture de surface devient moins lisse, comme celles de ses petits animaux…

 

Ânon – 1923
Bronze, H : 13 cm
Österreichische Galerie Belvedere, Vienne


… qu'elle va croquer régulièrement au zoo de Berlin.


Jeune dromadaire – 1927
Bronze patiné, H : 14 cm
Collection particulière (vente 2023)

Et elle multiplie les autoportraits.

 

A gauche : Autoportrait 1923, Bronze, H : 28 cm
Österreichische Galerie Belvedere, Vienne

A droite : Autoportrait – 1924, Argent patiné, H : 27,5 cm



Autoportrait – 1926
Bronze, 37 x 17 x 21 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin


Elle réalise aussi les portraits d'écrivains et poètes :

 

Le poète Joachim Ringelnatz (1883-1934) – 1923
Matériaux non précisé, 33 x 21 x 23 cm
Österreichische Galerie Belvedere, Vienne



Portrait d’André Gide (1869-1951) – 1926
Plâtre, 35 x 17 x 21 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin


On commence à parler d’elle en France dans ces années-là : le Bulletin de la vie artistique du 1er juin 1925 signale, dans son « Prospectus de la quinzaine », une exposition de Renée Sintenis et Marie Laurencin chez Flechtheim à Berlin (p.245)

Mais c’est surtout son Coureur Nurmi qui va capter l’attention de la critique.

 

Le coureur Nurmi - 1926
Bronze, H : 42 x L : 34 x l : 16 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin

Paavo Nurmi (1897-1973), coureur de demi-fond finlandais, a remporté neuf médailles d’or aux Jeux olympiques entre 1920 et 1928 et, en 1931, il avait établi un total de 24 records du monde sur 1.500 mètres. Symbole de l’attitude rapide et sportive que veut donner de la jeunesse la République de Weimar, Nurmi correspond aussi parfaitement au personnage de Renée.

La Renaissance de l’Art français, signale immédiatement sa présence à la Nationalgalerie de Berlin : « la statuette Nurmi, de Renée Sintenis, attire par sa légèreté pleine d'énergie : cette œuvre est ce que jusqu'à présent l'artiste a fait de mieux. » (Anton Mayer, « A l’étranger, Allemagne », 1er juillet 1926, p.647)

Et les commentaires deviennent rapidement dithyrambiques : « Mme Renée Sintenis a modelé surtout des adolescents et des animaux familiers, libres d’entraves. Ses animaux sont aussi nus que ses minces athlètes et que ses jeunes filles.

 

Pentathlon (Le Cavalier) – 1925
Bronze à patine mordorée, H : 43, L : 13,5
Collection particulière

Son chef-d’œuvre, c’est le poulain en liberté, l’être bondissant que sa jeunesse protège assez contre aucun asservissement. Hé ! Toute ma critique ne devrait-elle pas tenir en ces seules lignes ? Cette critique qui serait une apologie devrait, si brève, être assez parfaite pour recéler tout le sentiment qui s’élève de l’œuvre tendre et forte. […] Ses adolescents s’ébattent au bord du Rhin, modèles que Mme Renée Sintenis dispute aux photographes sur-moralistes de l’insidieux et charmant Querschnitt. Cependant, si aucune statuaire accomplie dans les conditions de notre civilisation n’est parfaitement indépendante du beau antique, pour user toujours des ingénues délices des critiques de Stendhal, c’est encore au Mercure nu attachant sa sandale, dit le Jason du Louvre ainsi qu’au jeune Héros combattant ou Gladiateur Borghèse d’Agasias d’Ephèse, qu’il se faudrait référer pour mesurer toute la part d’éternité incluse dans une œuvre aussi fraîche, à la fois spontanée et réfléchie, que celle de Mme Renée Sintenis, artiste dont on exigera tant qu’à cet instant de sa carrière on voudrait parler de ses "promesses" en lui accordant tout l’honneur dû. » (André Salmon, « Importation, Mme Renée Sintenis », L’Art vivant ,année 1927, p.125)

 

Poulain galopant – 1929
Bronze, H : 15 cm
Collection particulière

« La conversation fut interrompue à ce moment par l'entrée de Renée Sintenis et les chaleureuses accolades que Flechtheim s'est mis à lui prodiguer. Renée Sintenis a un chien et des mains remarquables. » (Christian Zervos, « Entretien avec Alfred Flechtheim », Cahier d’Art, 1er janvier 1927, p.1)

Effectivement, Renée a un chien et il lui sert régulièrement de modèle…

 

Photo : Jaro von Tucholka
Renée Sintenis et son chien (détail)
Source : Archives du Georg Kolbe Museum



Terrier s’étirant – 1929/1930
Bronze, H : 5,5 x L : 12,5 x l : 4,5 cm
Neue Nationalgalerie, Berlin



Scotch Terrier – 1928
Pointe sèche, 36,5 x 28 cm
Museum of Modern Art, New York


 

La première exposition parisienne de Renée a lieu en 1928, c’est un succès.

L’exposition de Renée Sintenis chez Hodebert, Paris, 1928 (Cliché G. Thiriet)
Les Chroniques du jour n°4, janvier 1930, n.p.

« Soupault a préfacé l'exposition de Renée Sintenis par un portrait. II a bien fait, car cette tête est pleine de démonstrations. Par elle-même, Renée Sintenis, prouve les possibilités du corps à dépasser les dimensions de la statue. Je l'ai vue droite comme une antenne T. S. F., pareillement chargée d'invisibles fils. Et cette araignée, dans le volant secret de sa toile, immobile, se déchargeait électriquement, — cela, je ne dis point que tout son entourage l'entendait, mais que tout son butin en était marqué. Araignée ? Cette femme belle avec force ! C'est, qu'en toute femme créatrice, l'insecte parait toujours (penser à Louise Hervieu), l'insecte plus gros, dévorateur de son mâle. […] Telle femme n'entend rien à mettre les corps dans les écrins statiques de la grande sculpture architecturale. Elle est sur le pied des échanges et reconnaît le point de liaison au choc ressenti en elle. La vie en création, tirant de son passé un horoscope déjà latent, seule procure des émotions à Renée Sintenis. » (Monpar, La Semaine à Paris, 20 janvier 1928, p.83)


Autoportrait – 1925
Pointe sèche, 47,4 x 34,8 cm
Museum of Modern Art, New York


A partir de cette date, elle figure chaque année dans une exposition relayée par la presse française :

« Mais, de tous les genres de sujets représentés à l'Exposition des Peintres-Graveurs allemands, il en est un qui se trouve particulièrement favorisé. C'est le portrait. En plus des œuvres magistrales que sont les figures de Liebermann et celles de Nolde, études de physionomie d'après nature sinon portraits à proprement parler, on le rencontre dans l'œuvre d'artistes d'âges, de tendances, de talents très différents : une Tête de femme, de Käthe Kollwitz, un Portrait d'homme, de Hans Purrmann, Conrad Felixmuller, Renée Sintenis, gravés par eux-mêmes. » (Eugène Bouvy, « Exposition des peintres et graveurs allemands à la bibliothèque nationale, juin-juillet 1929 », L’amateur d’estampes, 1929, p.139)

Et elle fait l’objet du même engouement un peu partout en Europe et même aux Etats-Unis :

« La première exposition des œuvres de Renée Sintenis à Paris a eu lieu à la Galerie Hodebert-Barbazanges en janvier 1928, suivie d’une deuxième exposition chez George Bernheim en décembre de l’année dernière. Aux États-Unis, son travail a été exposé à la Weyhe Gallery de New York, et des œuvres représentatives ont été acquises par les musées de Chicago et de Détroit.  Lors de son exposition à New York, Vanity Fair l’a saluée avec les mots suivants: "Nous nommons pour le temple de la renommée Renée Sintenis, parce qu’elle est la plus intéressante des femmes sculpteurs et parce que son travail devient de plus en plus important, parce qu’elle a développé une technique qui lui est propre et parce que sa sculpture animalière est distinctive et moderne sans être outrée ; et enfin parce qu’elle vient d’avoir sa première exposition personnelle américaine avec un énorme succès." Un autre critique américain, écrivant dans le Survey Graphic, a fait remarquer : "Parmi les jeunes sculpteurs, Renée Sintenis a une place distinguée pour ses animaux et ses belles figures athlétiques en bronze. Elle est elle-même un exemple de la femme allemande moderne qui aime l’extérieur, comme l’indique son autoportrait puissant de la collection d’Otto Lambert, New York." » (B.J. Kospoth, « La sculpture de Renée Sintenis », The Chicago tribune and the Daily News, 24 août 1930, p.9, traduction par mes soins)

 

Exposition « Peinture et sculpture allemande », MOMA, mars/avril 1931
(où l’on voit à droite, près de la porte, l’Autoportrait de 1926)



Joueur de polo II – 1929
Bronze, H : 43 cm
Collection particulière


Le boxeur Paul Wallner – 1933
Bronze, H. 35,5 cm
Collection particulière


La même année, René Crevel écrit sur elle un opuscule au texte un peu étrange qui reçoit un accueil mitigé : « Le texte de René Crevel est un poème en prose qui se laisse lire avec agrément ; l’auteur y parle de toutes sortes de choses et consacre, par-ci, par-là, quelques lignes à Renée Sintenis et à son art » (François Fosca, « Renée Sintenis par René Crevel », La Quinzaine critique des livres & des revues, 25 décembre 1930, p.802)

« Celui de M. René Crevel constitue une aimable fantaisie sur une œuvre que nous nous refusons à prendre au sérieux et que les archéologues des temps futurs, s'ils la découvrent, croiront à bon escient extraite d'une chambre d'enfants. Mme Renée Sintenis doit s'amuser beaucoup en modelant avec agilité ses jeunes animaux qui ruent et gambadent à qui mieux mieux. Elle nous attriste lorsqu'elle tente une académie. Car là sa méthode qui consiste à étirer les membres de ses animaux et à les désosser en quelque sorte afin qu'ils jouent mieux, ne parvient plus à faire illusion. Et toute son habileté ne peut dissimuler son absence de sens plastique, de force et de science. » (Gaston Poulain, Comœdia, 8 août 1930, p.2) On ne peut s'empêcher de se demander si le nom du journaliste n'est pas un peu en cause dans cette acrimonie… 

Ledit texte était accompagné de nombreuses illustrations qu’on peut voir en ligne sur Gallica :


Poulain ruant - 1924
Reproduit in René Crevel, « Sculpteurs allemands, Renée Sintenis »,
Paris, NRF, Gallimard 1930, p.23
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Jeune éléphant – 1926
Reproduit in René Crevel, « Sculpteurs allemands, Renée Sintenis »,
Paris, NRF, Gallimard 1930, p.31
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France
(On peut le voir aujourd’hui à la Neue Nationalgalerie de Berlin)


Le Joueur de Football – 1927
Reproduit in René Crevel, « Sculpteurs allemands, Renée Sintenis »,
Paris, NRF, Gallimard 1930, p.53
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France
(On peut voir aujourd’hui ce Fussballspieler à la Kunsthalle de Brème)


Les petites œuvres de Renée, modernes sans être révolutionnaires, sont aussi peu onéreuses et donc abordables pour la classe moyenne ; Renée en tire un revenu substantiel.

Mais surtout, la récompense académique arrive : après Käthe Kollwitz, Renée Sintenis est la seconde femme à entrer à la prestigieuse Académie des Arts de Berlin.

 

Emil Rudolf Weiß (1875-1942)
Portrait de Renée Sintenis – 1930
Huile sur toile, 87,5 x 63 cm


« Un jour qu'à Berlin chez Flechtheim je regardais des statuettes, je vis entrer une femme très grande, avec beaucoup de sourires autour d'elle, sans auréole mais très jeune, très jolie, très terrestre. Ses yeux souriaient encore davantage et son regard était fort comme une liqueur. Derrière elle un chien gris, un chien nageur sautait. On pensait au fameux barbet, au diable à quatre pattes, mais la grande femme le calmait aisément en le regardant de temps en temps et en lui confiant ses mains. C'est ainsi que je vis les mains de Mme Renée Sintenis.

Mme René Sintenis ne découpe pas dans une quelconque matière une forme définie, absolue, décisive. Elle retrouve ce qui pour nous est invisible et ces longues mains qui cherchent comme des insectes captent ce qui échappe et fuit, ce qui tourne et s'éloigne. […]

Mme Renée Sintenis s'est lancée à la poursuite du vent. La petite statue qu'elle a intitulé Nurmi et qui est le portrait d'un coureur peut au premier abord sembler bien loin de ce que nous avons coutume d'admirer. Mais les yeux de Mme Renée Sintenis ont su mieux que les nôtres distinguer dans ce grand mouvement du coureur, l'élan et que ce qui importait était moins l'homme que la course, le bond et surtout ce vent que le coureur a vaincu. C'est le portrait de la lutte de l'homme et du vent que ce Nurmi. Le grand ennemi de la vitesse, ce vent plus dur que l'acier, Mme Sintenis l'a tout à coup placé sous nos yeux. On le voit, on l'écoute. Car le sculpteur n'a pas voulu nous laisser attendre, elle veut qu'à cette lutte nous participions. (Philippe Soupault, « Chroniques de l’Allemagne, Renée Sintenis », Les Chroniques du jour n°4, janvier 1930)


Daphnée – 1930
Bronze, 143,5 x 30,2 x 25,1 cm
Museum of Modern Art, New York
Une version « grandeur nature » est visible dans le
jardin des sculptures du MOMA.


« Le mouvement plus récent de la "Neue Sachlichkeit" (Nouvelle Objectivité) correspond par certains de ses aspects au surréalisme. Il est représenté par Otto Dix, Georg Grosz, Max Beckmann. Les œuvres les plus marquantes restent néanmoins le fait d'individualités isolées, telles que Cari Hofer et l'Autrichien Kokoschka.  Citons, parmi les sculpteurs, René Sintenis, Lehmbruck, de Fiori, Barlach, Belling. (Georges Marlier, « Une exposition internationale à Bruxelles, l’art vivant en Europe », Formes, revue internationale des arts plastiques, 1er janvier 1931, p.71)


Formes, revue internationale des arts plastiques, 1er janvier 1931


En 1931, elle participe aussi à un ouvrage collectif sur les femmes et la culture, auquel ont notamment collaboré plusieurs femmes députées au Reichstag. Renée écrit le chapitre intitulé « La femme et les arts plastiques » (Ada Schmidt-Beil, Die Kultur der Frau, Berlin Frohnau, 1931, p. 274-281)

 

C’est alors qu’elle crée un petit ours, peut-être parce que cet animal est le symbole de Berlin.


Bébé ours debout - sans date
Pointe sèche sur papier vélin, 22,2 x 16,8 cm


 

Jeune ours – 1932
Bronze, H : 13,5, L : 7,7 cm
Collection particulière

Vous l’avez évidemment reconnu : en 1951, il deviendra le symbole du Festival international du film de Berlin et sa version en or récompensera le meilleur film de l’année… et il a même été offert à John F. Kennedy lors de sa visite à Berlin en 1963. 

Elle reçoit pour cet ours le prix Olympia 1932.

Il est resté le logo de la « Berlinale » du XXIe siècle.


 

Bélier en marche – 1937
Bronze, H : 10,5 cm
Collection particulière


Renée et son mari sont à cette époque des antinazis déclarés. Elle est considérée par eux comme « non allemande » en raison de ses relations « cosmopolites », à commencer par celle qu'elle entretient avec son marchand Alfred Flechtheim, juif et promoteur de l’art moderne. En outre, Renée fréquente « L’Eldorado », lieu de prédilection de la communauté gay berlinoise. 

A la prise de pouvoir des nazis, son mari est démis de ses fonctions à l’Ecole des arts appliqués de Berlin et elle-même, après avoir refusé de quitter son poste à l’Académie, en est expulsée pour « raison raciale » bien que les rumeurs concernant sa judaïté n’aient jamais été prouvées. Toutefois, sa popularité en Allemagne était telle qu’après avoir classé ses œuvres dans « l’art dégénéré » et les avoir retirées des musées, les nazis semblent avoir choisi de l’ignorer, ce qui a évité la confiscation de ses œuvres détenues par des particuliers et lui a permis de continuer à vendre sur le marché privé.

Son mari meurt brutalement en 1942 et son atelier est bombardé en 1945. Mais c’est une femme déterminée qui sort de la guerre : elle reprend l’enseignement à l’Ecole des arts appliqués et retrouve sa place sur la nouvelle scène artistique allemande.

 

 

Autoportrait - vers 1945
Bronze patiné, H : 22 L : 11 cm
Collection particulière

 

« Voici deux mois, la première exposition de peinture organisée depuis la chute de Hitler […] avait lieu à Uberlingen. On y retrouvait les œuvres des artistes repliés, et certaines toiles "défendues" des collections privées, il y avait là des œuvres de Hofer, Nolde, Beaumeister, Maketang, de Kokoschka, du dessinateur K. Kollwitz, du sculpteur animalier Renée Sintenis. Les anciens nazis durent se voiler la face : un amateur avait prêté un magnifique Klee. » (Augustin Fontaine, « Le Groupe de Constance », Les Lettres françaises, 8 février 1946, p.5)

 

Poney – 1947
Bronze, H : 18,5 cm
Collection particulière


Joueur de flûte – 1951
Bronze, H. 14 cm
Collection particulière

 

Elle deviendra professeur titulaire en 1955, après avoir reçu, en 1953, la « Croix fédérale du mérite » de la République fédérale d’Allemagne.

 

Jeune éléphant courant – 1954
Bronze, H : 10,6, L : 15,6
Collection particulière



Chevreau – sans date
Bronze patiné, H : 15, L : 15 cm
Collection particulière



Renée Sintenis est décédée à Berlin le 22 avril 1965. Après sa mort, la ville de Berlin l’a honorée d’une place à son nom et décerne chaque année un prix Renée-Sintenis aux sculpteurs talentueux.

Si son nom n’est plus aussi célèbre aujourd’hui, on raconte toujours une jolie histoire sur une de ses œuvres : son petit Âne en bronze du musée des beaux-arts de Détroit a été tellement caressé par les gamins qu’il est devenu doré comme un sou neuf !

 


Âne – 1927
Bronze, H : 77,5 × L : 67,3 x l : 22,9 cm
Detroit Institut of Art, Detroit, Michigan






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