Aimée
Marie Alexandrine Pagès est née à Paris, le 25 août 1803. Elle est la fille de
Jean-François Pagès et de sa femme née Marie-Angélique Sanctus. On ne sait rien
de son enfance ni des activités de ses parents.
Elle entre, probablement à la fin des années 1810, dans l’atelier de Charles Meynier, un peintre néoclassique qui a été l’élève de François-André Vincent (1748-1816). Charles Meynier avait rencontré le succès au Salon de 1814 en présentant une peinture d’histoire, Le Berger Phorbas présente Œdipe enfant à la reine de Corinthe, un tableau acquis par l’Etat mais qui a disparu pendant la Première Guerre mondiale. Il n’est connu aujourd’hui que grâce à la gravure publiée par Charles Landon dans ses Annales.
Le Berger Phorbas présente Œdipe enfant à la reine de Corinthe – Salon de 1814
« Parmi les ouvrages nouvellement exposés au Salon, celui-ci ne peut manquer d’être considéré comme l’un des plus dignes d’éloges pour l’abondance, la sagesse et la grâce de la composition, et pour l’intelligence avec laquelle les différentes parties en sont exécutées. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1814, Paris, Bureau des Annales du musée, p.23)
Pour se faire une idée
plus précise de son style de l’époque, voici un dessus de porte qui fut
commandé par l’Etat pour le château des Tuileries, la même année 1814.
La Justice - 1814
Huile sur toile – 140 x 122 cm
Musée du Louvre, Paris
La Revue de l’art
français ancien et moderne évoque cet atelier à l’occasion du décès d’une
des condisciples d’Aimée, Jenny Thorel (1801-1885).
« Un pareil milieu ne pouvait manquer d’être propice au talent. Meynier avait son atelier à la Sorbonne. Prud’hon travaillait à l’étage supérieur. Les élèves de Meynier portaient envie au rare talent d’une femme qui avait reçu les conseils de Suvée, de Greuze, et que son pinceau plein de souplesse faisait à certaines heures l’émule de Prud’hon. Nous avons nommé Mlle Mayer. Le suicide de la malheureuse artiste frappa douloureusement les jeunes filles réunies chez Meynier. » (Revue de l’art français ancien et moderne, 1er janvier 1886, p.46 et 47)
Constance Mayer est morte en 1821 (voir sa notice). On peut donc considérer qu’Aimée fréquentait encore l’atelier de Meynier cette année-là.
L’année suivante, Aimée apparaît pour la première fois au Salon avec un portrait et une peinture d’histoire, Psyché enlevée par Zéphyr, un thème déjà traité par de nombreux peintres dont, justement, Prud’hon, quelques années auparavant.
Le
tableau d’Aimée, lui, semble avoir été perdu…
Deux ans plus tard, elle expose au Salon deux portraits et deux autres toiles que Charles Landon évoque dans la rubrique des peintures d’histoire (Salon de 1824, p.88). Il s'agit de :
Clotilde et Aurélien, dont l’explication figure au catalogue : « Clovis ayant entendu parler des vertus et de la beauté de Clotilde, éprouve pour elle un intérêt qui bientôt se change en amour. Il remet à son fidèle Aurélien un anneau pour cette aimable princesse. Aurélien arrive à Genève, et, pour tromper les regards du soupçonneux Gondebaud, oncle de la princesse, il se déguise sous les habits d'un pauvre, se prosterne à ses pieds et lui présente l'anneau royal. », un texte probablement tiré de La Gaule poétique, ou l'Histoire de France considérée dans ses rapports avec la poésie, de Louis-Antoine-François de Marchangy (1782-1826) dont les deux premiers tomes ont été publié en 1813.
Daphnis et Chloé, dans la scène du Livre I des Pastorales, quand une cigale se réfugie « dedans le sein de Chloé » pour échapper à une hirondelle, ce qui fournit l’occasion à Daphnis d’une petite exploration… Thème également largement traité : François Gérard avait annoncé le sien pour le même Salon de 1824 où il ne fut finalement pas montré…
A
nouveau, nous n’avons plus trace des deux tableaux d’Aimée.
Pas de trace non plus d’une lithographie, annoncée dans la presse : « Tandis que les honneurs de la sculpture étaient rendus par M. David au Vénérable Jérémie Bentham, dont la figure offre une si étonnante ressemblance avec celle de Francklin, Mlle Aimée Pagès, élève de M. Meynier, faisait le portrait de ce publiciste ; elle vient de le lithographier et il a paru chez tous les marchands d'estampes. » (Le Constitutionnel, 6 novembre 1825, p.4)
Et simplement des évocations des deux œuvres qu’elle a exposées à la galerie Lebrun en 1829, pour plaider en faveur des « miséreux », La pauvre fille et Une grand-mère, d’après un poème de Victor Hugo.
Il
faut attendre le Salon de 1831 pour voir enfin trois des cinq œuvres qui y ont été exposées
par Aimée.
Dans sa rubrique « Scènes familières », Landon les présente avec une pointe d’ironie et la légère condescendance qu’il adopte souvent à l’égard des peintres féminines : « Mlle Pagès a fait parler d'elle et attiré l'attention du public comme un homme de talent : imitatrice gracieuse de M. Dubufe, dans Le Sommeil et Le Réveil, elle a su être originale, et plaire, dans son tableau tiré du roman d'Ondine, ainsi que dans l'Enlèvement, jolie composition dont la morale est : qu'un jeune homme qui enlève une jeune fille doit toujours être préféré par elle à un vieux père qui la chérit et mourra de douleur de son cruel abandon. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1831 Paris, Bureau des Annales du musée, p.228)
L’Enlèvement paraît avoir rencontré assez de succès pour avoir été reproduit en gravure, sous le titre Le Départ.
Et
voici probablement les « imitations gracieuses de M. Dubufe » :
Enfin, Aimée a présenté un portrait de femme : « Mlle Pagès, dont le talent
gracieux se déploie dans de charmantes compositions aimées du public, peint
aussi le portrait d'une manière remarquable ; celui d'une dame blonde, qu'elle
a exposé, est ajusté avec un goût exquis, et se distingue par une fraîcheur de
coloris artistement approprié au teint délicat de son modèle. » (Landon, Ibid.,
p.217)
Pour ses travaux, Aimée reçoit cette année-là sa première médaille d’or de seconde classe, dans la catégorie « peintre de genre, de paysage et de marine » et L’Enlèvement est acquis par l’Etat.
Au Salon de 1833, Aimée présente plusieurs portraits dont celui de M. Jullien, un journaliste membre fondateur du journal Le Constitutionnel. Un portrait qui « joint au mérite de la ressemblance celui d’une exécution franche et brillante », selon Landon.
Elle
présente aussi un tableau d’histoire, La condamnation d’Anne de Boulen
(Anne Boleyn). Il est gravé et reproduit dans les Annales de
Landon :
Pour Landon, l’innocence d’Anne Boleyn ne fait pas de doute (encore que…) « il paraît qu'à la cour de François Ier la licence des mœurs de la dame avait été extrême, et peut-être Henri VIII, si sévère, comme on le sait, sur la pureté de celles de ses fiancées, voulut-il venger sur la reine d'Angleterre les désordres de la fille d'honneur de Claude de France et de la duchesse d'Alençon. »
Mais l’attitude calme et retenue de la reine, face à sa petite fille,
ne lui paraît visiblement pas crédible :
Huile sur toile, 100,5 x 82 cm
Musée de Picardie, Amiens
« Le
moment choisi par Mlle Pagès […] est celui où, renfermée dans la Tour de
Londres, et ayant entendu sa sentence, elle dit au lieutenant (gouverneur) de
la Tour, avec sérénité et gaité : L'exécuteur est très-expert, à ce que j'ai
appris, et j'ai le cou très-mince. Elle en prend la mesure et sourit ; ses
regards se portent sur sa fille Elisabeth d'Angleterre.
Cet épisode extraordinaire fût-il vrai, et l'on peut en douter, ne devait pas
être pris pour sujet d'un tableau d'histoire : d'abord, parce qu'il n'honore point la princesse, et que le but où
doit tendre toute peinture qui met en scène un personnage célèbre dont on ne prétend pas rabaisser le mérite, doit
être honorable ; ensuite, parce qu'il n'est pas de ceux que le pinceau peut faire comprendre. Du moins, nous ne
voyons pas que Mlle Pagès ait rendu ces paroles d'Anne de Boulen : « J'ai le cou mince. » Peu de
personnes supposeront que la main de la princesse, portée vers cette partie, ait pour objet d'en faire remarquer le
peu d'épaisseur, et beaucoup lui prêteront une intention bien différente. Quant
à l'air serein et enjoué de la princesse, en regardant pour la dernière fois sa
fille Elisabeth, et lorsque tout ce qui l'environne fond en larmes, elle
pourrait être l'expression de la vérité si les historiens s'accordent à
rapporter le fait, mais elle n'en est pas moins hors de nature, et ce n'est
point à une femme artiste qu'il appartenait de si mal comprendre une telle
situation. Pour que l'héroïne intéressât, il fallait la montrer calme,
mais grave, lui donner une tenue ferme et courageuse, et non la mollesse et
l'abandon prétentieux d'une femme entourée d'admirateurs. » (Landon, Ibid.,
p.138)
La dernière toile du Salon est une scène de genre, tirée d’un roman de James Fenimore Cooper, Le Bravo, histoire vénitienne qui venait d’être traduit en français. « Bravo » est le nom donné à un tueur à gages, en argot vénitien…
Une scène romantique où une jeune femme plaide auprès du Doge la libération de son amant.
L’année suivante, c’est une Mme Brune qui apparaît au Salon. Aimée a épousé, le 25 juin (ou juillet) 1833, à Saint-Germain-des-Prés, le peintre Christian Brune, professeur de dessin topographique et de paysage à l’Ecole polytechnique. Il expose au Salon depuis 1819.
Ils habitent 8 rue des Beaux-Arts, où ils resteront toute leur vie.
En
1834, Aimée peint cet Ermite sur lequel je n’ai pas trouvé la moindre
information…
… et présente au Salon un Portrait de Mme R… dont cette Dame au turban vert, datée de la même année, peut donner une idée.
Elle y expose aussi Une jeune femme, près de son père et de ses enfans [sic], vient d’apprendre la mort de son mari. Le musée de Quimper conserve une toile d’Aimée qui évoque le même thème et date de la même année. Je n’en montre qu’un détail à peu près lisible. A gauche, est assis un vieil homme serrant un enfant contre lui et un jeune homme se tient debout, sur la droite.
Le
Salon de l’année suivante est consacré aux scènes de genre : une jeune
mère qui demande l’aumône à un militaire invalide, lequel donne sa pièce au
fils aîné de la dame…
…
et l’évocation d’un homme de lettres italien, Silvio Pellico, auteur de
tragédies appréciées de ses contemporains et qui militait plutôt tranquillement
contre la tyrannie autrichienne. Arrêté en 1820, il est condamné à mort en 1822
puis sa peine est commuée en quinze ans de « carcere dure ». Il
connut la terrible prison des Plombs de Venise puis la prison de Spielberg, en
Moravie. Après sa libération, il publia un récit, Mes Prisons, énorme
succès.
Le tableau d’Aimée est accompagné d’un commentaire : « Il est visité dans sa prison par la fille du geôlier. "Lorsque nous avons parlé ensemble de religion, me disait-elle, je prie plus volontiers et avec une foi plus vive" ». Une scène à nouveau moulte fois représentée, comme dans cette gravure qui illustre une des très nombreuses éditions de ce texte dont pas moins de 22.000 exemplaires ont été vendus entre 1831 et 1835 !
Landon apprécie : « Comme toujours, les ouvrages de cette dame ont été remarqués par une facilité, un charme de pinceau, une couleur dignes d'éloges ; son Silvio Pellico à Venise, et l'Aumône de l'Invalide, se distinguaient par ces qualités précieuses. » ((Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1835, Paris, Bureau des Annales du musée, p.59)
Aimée reçoit aussi des commandes de l’Etat, ce qui constitue un signe de sa notoriété. Ce portrait, probable copie d’un tableau intitulé Dame portant une coiffe de veuve, lui est commandé par Louis-Philippe…
…
comme cette autre copie, commandée pour le musée de l’histoire de France de
Versailles, d’après un original de 1729.
L’original avait été peint devant le pavillon des eaux thermales de Chantilly, construit en 1725 après la découverte d'une source ferrugineuse et qui fut détruit pendant la Révolution.
Aimée ne paraît pas au
Salon de 1836. Peut-être est-ce lié au fait qu’elle a eu
deux enfants, Louise Angélique, née en 1835 et Emmanuel Jules, né en 1836…
Elle y revient en 1837, avec un portrait et deux scènes de genre : Une naissance dans une famille de pêcheurs à Honfleur et Un Vœu, celui d’une mère implorant pour son fils malade :
En
1839 et 1840, Aimée ne figure pas au catalogue du Salon parisien mais expose en province.
C’est à Orléans qu’elle aurait montré une de ses toiles les plus attachantes,
cette Jeune fille à genoux, immédiatement achetée par le musée des beaux-arts de la
ville où elle a été fort appréciée du public.
Il nous reste aussi de la période, le portrait d’un homme politique, Louis-Antoine
Garnier-Pagès, très actif pendant les Trois Glorieuses de 1830 et qui sera élu
député en 1842. Je n'ai pas trouvé s'il était apparenté à Aimée. En revanche,
il est possible que ce portrait lui ait été commandé à la suite de la mort
d’Etienne Garnier-Pagès, demi-frère du modèle, qui était le plus engagé des deux en
politique et dont Louis-Antoine a pris la suite après son décès, le 23 juin
1841. Ce qui serait compatible avec la datation retenue par le musée.
Aimée
exécute aussi ce portrait d’un général d’Empire, commandé par l’Etat en 1840,
pour le musée de Versailles. Il est probablement réalisé aussi d’après un
modèle puisque le général est mort en 1835.
Aimée revient au Salon en1841 avec Moïse sauvé des eaux qui lui vaut une médaille d’or de 1ère classe. Le tableau est acquis par l’Etat la même année et déposé l’année suivante au musée des beaux-arts de Bordeaux où il sera détruit par un incendie en 1870.
Les catalogues du Salon n'en ont pas conservé l'image mais on en trouve une description enthousiaste dans la Revue
poétique :
« De Pharaon voyez ici la fille ! / Grâce, candeur, aisance, majesté, / Tous les attraits dont la jeunesse brille, / Tous les trésors qui parent la beauté, / BRUNE-PAGÈS a bien su tout comprendre. / Jamais pinceau plus suave et plus tendre / N'enfanta rien d'aussi délicieux ! Jamais poëte, emporté sur ses ailes, / Ne rencontra de femmes aussi belles, / Sur la terre ni dans les cieux !
Sans déflorer cette chaste nature, / Si j'esquissais tant de charmes divers ! / Groupe élégant, délicate peinture, / Œuvre magique, électrisez mes vers ! / De Thermutis j'admire l'attitude ; / Ce corps si souple et si voluptueux / Est un chef-d'œuvre et de pose et d'étude. / Son abandon est si majestueux ! / J'aime le corps de cette femme assise, / Qui, d'une main, découvre ici Moïse, / Et le présente à la fille du Roi. / Dans son être il n'est rien qui blesse notre vue, / L'artiste nous la fit décente quoique nue, / Pudique dans son désarroi !
Cette page dénote une riche science, / Un dessin ferme et pur, un coloris puissant ; / Et si vous persistez à peindre en conscience, / Votre talent, Madame, ira toujours croissant. / Vous avez dans la touche une grâce infinie ; / Vous possédez le goût, l'entente, l'harmonie ; / Chez vous enfin le cœur anime le pinceau. / Allons, persévérez ! de plus belle en plus belle ! / Tâchez que, dans un an, quelque palme nouvelle / De votre gloire soit le sceau ! » (J.F. Destigny, Revue poétique du Salon de 1841, Paris, Bureau central, 1841, p. 53-55)
En 1842, nouvelle scène d'inspiration religieuse, tirée cette fois de l’Evangile de Luc :
« Jaïre,
qui était un chef de synagogue, et se prosternant aux pieds de Jésus, il le
suppliait de venir en sa maison, / Parce qu'il avait une fille unique, âgée
d'environ douze ans, qui se mourait. / Comme il parlait encore, quelqu'un vint
dire au chef de synagogue : Votre fille est morte, ne donnez point davantage de
peine au maître. / Mais Jésus ayant entendu cette parole, dit au père de la
fille : Ne craignez point, croyez seulement, elle vivra. / Etant arrivé au
logis, il ne laissa entrer personne que Pierre, Jacques et Jean, avec le père
et la mère de la fille. / Et comme tous ceux de la maison la pleuraient, en se
frappant la poitrine, il leur dit : Ne pleurez point, cette fille n'est pas
morte, mais seulement endormie. / Et ils se moquaient de lui, sachant bien
qu'elle était morte. / Jésus la prenant donc par la main, lui cria : Ma fille,
levez-vous. / Et son âme étant retournée dans son corps, elle se leva à
l’instant. »
Le tableau suscite un commentaire plutôt aigre dans l’Album du Salon : « Mentionnons la Fille de Jaïre, par madame Brune Pagès. La tête de la jeune fille est fort belle ; on sent la pesanteur de la mort sur ces paupières qui se rouvrent à la vie et l'étonnement du réveil. La tête du Christ est vulgaire, et son auréole semble de cendre. Les draperies sont de bon goût, mais lourdement traitées. » (Wilhelm Ténint, Album du Salon de 1842, Paris, Chalamel, 1842, p.45)
Aimée expose à nouveau au Salon de 1844, le portrait d’un conseiller d’Etat. La même année, elle peint ce tableau d’histoire, peut-être commandé par l’Etat :
Et c'est à nouveau un tableau d’histoire qu’Aimée présente au Salon l’année suivante. Elle
l’intitule, Leonard de Vinci peignant le portrait de la Joconde ;
Bramante présente Raphaël au grand artiste. Et elle fait ajouter au
catalogue « Vasari assure que Léonard, pour conserver la grâce
d’expression de son modèle, lui faisait donner des récréations
musicales. »
Le tableau lui-même semble avoir disparu mais il en reste l’image gravée, ce qui tend à démontrer qu’il avait été bien reçu du public.
J’espérais
vaguement que Charles Baudelaire, qui a visité et publié, sous le pseudonyme de
Baudelaire Dufaÿs, le Salon de 1845, aurait vu le tableau d’Aimée. Mais Baudelaire
cherchait « l'avènement du neuf » et ne l’a trouvé que chez Delacroix,
Haussoullier et Decamps…
Baudelaire ne voit pas non plus, au Salon suivant, la Fille de Jephté. Jephté est un personnage du Livre des Juges qui, à la suite du vœu qu'il formule d'offrir « en holocauste au Seigneur le premier qui sortira de la porte de ma maison, et qui viendra au-devant de moi », se voit contraint d’exécuter cette promesse à l’encontre de sa propre fille, car « lorsque Jephté revenait dans sa maison, sa fille qui était unique, car il n'avait point d'autres enfants qu'elle, vint au-devant de lui en dansant au son des tambours. » Sa fille ne le détourne pas de son devoir mais lui demande : « Accordez-moi seulement la prière que je vous fais, laissez-moi aller sur les montagnes pendant ces deux mois. Elle s'en alla donc avec ses compagnes et ses amies, et elle pleurait sa virginité sur les montagnes. » (Juges. Chap. XI, § 4 et 5)
C’est la scène choisie par Aimée…
Huile sur toile, 147,5 x 196 cm
… pour,
semble-t-il, sa dernière œuvre importante.
L’année suivante, elle expose au Salon une probable scène de genre intitulée Doux passe-temps de l’enfance. Ni Gustave Planche dans la Revue des Deux Mondes, ni Théophile Gautier, qui signe cette année-là un compte rendu du Salon, ne l’évoquent dans leurs textes. Seul Delaunay, le rédacteur en chef du Journal des Artistes la commente d’un bref « de l’éclat, de la fraîcheur » (Catalogue complet du Salon de 1847, p.27).
Christian Brune meurt en 1849. Aimée répond en 1850 à une dernière commande de l’Etat avec Le Farniente, un tableau déposé au musée Granet deux ans plus tard. Le musée ne l’expose pas mais m’en a très obligeamment transmis cette photographie :
Aimée n’apparaît plus que deux fois dans les catalogues que j’ai pu consulter. Au
Salon de Marseille de 1851, elle expose trois toiles dont Une jeune femme
à sa toilette. Ce n’est pas celle-ci, datée et signée en 1853.
Elle
montre aussi une Tête de jeune fille, peut-être était-ce celle du musée de
Quimper, aujourd’hui dans un bien triste état…
Puis Aimée participe une dernière fois au Salon en 1853 avec une Jeune fille peignant et La Sainte Vierge offrant des fleurs dans un temple, dont je n'ai pas trouvé trace…
Aimée
Brune-Pagès est morte à Paris le 11 août 1866.
*
En
dépit d’une carrière soutenue par des récompenses régulières et des commandes de l'Etat, Aimée Brune-Pagès est tombée rapidement dans l’oubli. Je n’ai trouvé aucune notice
nécrologique la concernant ni aucune étude postérieure.
Les collections en ligne du Centre national d’art plastique m’ont permis d’identifier et de localiser sept œuvres d’Aimée. Quatre d’entre elles correspondent à des commandes de l’Etat : Charles X (en 1826), Louis-Philippe (en 1832), Sainte Famille (en 1846) et Le Farniente (en 1849). Trois œuvres ont été déposées dans des mairies, Marvejols, Dijon et Laval, sans qu’on sache si elles sont susceptibles d’être vues par le public. Quant à la base Joconde, elle ne montre même pas l'œuvre conservée au Louvre… Comme beaucoup de ses collègues masculins, Aimée a été victime du mépris dont l'art du XIXe siècle a fait l'objet au cours des décennies suivantes.
Cependant, on constate un léger frémissement : la « redécouverte » de la Jeune fille à genoux, dont le charme a été révélé par une belle restauration et qui a été installée dans le parcours des collections du musée d’Orléans, le fait que le musée du Colombier d'Alès ait prévu d'exposer son Henri IV à la cour de Catherine de Médicis au printemps prochain, comme l’achat récent d’Anne Boleyn par le musée de Picardie, laissent espérer qu’Aimée puisse progressivement retrouver la place qu’elle mérite dans l’histoire de l’art français du début du XIXe siècle : celle d'une artiste qui cheminait honorablement au sein du groupe très masculin des peintres d’histoire et qui était reconnue comme telle par ses contemporains.
*
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