Née le 9 mars 1775, dans un milieu aisé et cultivé, Marie Françoise Constance Mayer-La Martinière a décidé de se consacrer à la peinture avec l’approbation de son père, un aristocrate anglo-saxon naturalisé, sur la profession duquel il existe plusieurs hypothèses : celle de Charles Gueullette qui indique qu’il était « employé supérieur des douanes de Paris » et celle, envisagée par plusieurs études, selon laquelle il aurait été « négociant et ambassadeur du prince Louis-Léopold de Hohenloe-Waldenburg ».
Constance était probablement une enfant illégitime. Bien que baptisée comme l’enfant du couple La Martinière, elle fut reconnue par son père biologique, en 1789, lorsque ce dernier épousa sa mère, née Françoise Lenoir. Ceci explique qu’elle porte deux noms, celui de son père, Mayer, et celui du premier mari de sa mère, La Martinière.
Selon Charles Gueullette, qui écrit un siècle plus tard (voir réf. en fin de notice), Françoise était la cousine d’Alexandre Lenoir, illustre conservateur du musée des Monuments français. Bien évidemment, Gueullette, reste d’une parfaite discrétion sur les conditions de la naissance de Constance !
Constance est élevée « dans un excellent couvent de la capitale » et s’y lie d’amitié avec Prudence Fourrier qui épousera ensuite Pierre-Jérôme Lordon (1779-1838), polytechnicien et peintre, élève et ami de Prud’hon.
Constance est d’abord l’élève de J.B. Suvée (1743-1807) et parait précoce puisqu’elle expose à 17 ans quatre portraits dont on n’a plus trace, à l’Exposition de la Jeunesse de 1791.
Dès 1796, à 21 ans, Constance présente au Salon du Louvre deux portraits et un autoportrait La citoyenne Mayer, peinte par elle-même, montrant une esquisse du portrait de sa mère, ainsi qu’un portrait de son père en médaillon, parmi d’autres miniatures. Elle s’y présente comme élève de Suvée et elle est domiciliée au 65 rue Meslée, probablement chez son père.
Les avis divergent quant à l’année où elle rejoint l’atelier de Greuze (1725-1805). Ce qui est sûr, c’est qu’au Salon suivant de 1798, elle ne se déclare l’élève d’aucun professeur. Elle y présente deux portraits d’enfants et un de son père. On sait que Greuze enseignait à un nombre important de jeunes filles qui participaient à la production du maître, au point que, selon une amie de Constance, Amable Tastu, plusieurs portraits signés du peintre étaient, en fait, de la main de ses élèves féminines…
Dès
1799, Constance habite rue de la Loi (aujourd’hui rue de Richelieu) et, sans se déclarer
l’élève de quiconque, elle montre au Salon une miniature et trois tableaux dont
un portrait d’enfant qui pourrait être celui-ci, daté de la même année, où
l’influence de Greuze paraît assez évidente.
En 1800, elle présente notamment deux dessins « à la manière noire », technique de gravure en creux, connue également sous le terme mezzotinto, ce qui nous apprend qu’elle pratiquait la taille-douce.
Ce n’est qu’en 1801 qu’elle apparaît au Salon comme élève « de Suvée et de Greuze » : elle s’y représente dans son atelier, avec son père, dans une attitude un peu étonnante d’élève vis-à-vis d’un maître, placé au centre du tableau. On peut y voir l’expression d’une gratitude à l’égard d’un père qui a soutenu sa carrière artistique ou, plus simplement une manifestation de son amour filial, Constance ayant « idolâtré » son père qui mourut brutalement peu de temps avant l’installation de Constance à la Sorbonne (vers 1809) en lui laissant une confortable fortune.
Dans le livret du Salon, le titre du tableau est accompagné d’une phrase explicative : « il lui indique le buste de Raphaël en l’invitant à prendre pour modèle ce peintre célèbre. »
La même année, ou à peu près car la datation de l’œuvre est imprécise, même si la robe de mousseline blanche est clairement de style Directoire ou du début du Consulat, elle peint l’Autoportrait qui se trouve à présent à la Bibliothèque Marmottant. Constance paraît légèrement plus âgée que dans l’autoportrait avec son père, la main qui tient le châle est représentée de façon assez maladroite (ceci étant, les bras sont très semblables à ceux de l’autre autoportrait de 1801) et sa pose, comme son regard, évoquent une sorte d’accablement.
En 1802, elle présente au Salon une seule œuvre, remarquée, Une mère et ses enfants au tombeau de leur père et lui rendant hommage. Je n’ai pas pu trouver si elle était conservée quelque part…
Elle ne cite aucun de ses maîtres et habite à présent au 20, rue de la Jussienne, à l’angle de la rue Montmartre.
Edmond de Goncourt s’autorisera à déclarer plus tard que le tableau datait de 1804 et était de la main de Prud’hon, ce qui est faux, au moins en ce qui concerne la date d’exécution du tableau. Selon Gueullette, c’est parce qu’elle a rencontré Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) et commencé à travailler avec lui qu’elle ne se réclame plus de ses anciens maîtres à partir de 1802. Mais pourquoi, alors, s’est-elle abstenue de les citer les trois années précédentes ?
Tel
qu’il est décrit par Charles Gueullette, Prud’hon est un homme hypersensible, mal
marié, « abreuvé de soucis dans son ménage », père d’une fille et de deux
garçons et dont l’épouse a été internée après avoir insulté l’Impératrice
Marie-Louise. Situation compliquée, pour un homme « qui avait besoin d’une
personne qui s’occupât, pour lui, du matériel de la vie ».
La collaboration entre Constance et Prud’hon commence, et on peut dire que Constance va sérieusement s’occuper du « matériel de la vie » de son compagnon de travail. Mais n’anticipons pas.
En 1804, Constance, toujours sans maître déclaré, présente au Salon une peinture d’histoire allégorique, Le mépris des richesses, ou l'Innocence entre l'Amour et la Fortune.
Il
existe plusieurs esquisses et dessins préparatoires de cette œuvre, tous
attribués à Prud’hon :
Neil Jeffares, le spécialiste incontesté du pastel des XVIIe et XVIIIe siècles, donne ces deux dessins à Prud’hon sans l’ombre d’un doute. (Neil Jeffares, Dictionary of pastellists before 1800, édition en ligne)
Quant au Louvre : « Prud'hon avait exécuté l'essentiel de ses pastels entre
1794 et 1796 lorsque, après avoir dû quitter Paris en raison de la disette, il
s'était installé avec sa famille à Rigny, en Haute-Saône. […] Après son
retour à Paris, l'artiste avait continué à utiliser le pastel pour peindre
certains portraits, […] et quelques études de figures allégoriques. Plusieurs de
ces dernières, dont celles conservées au Louvre préparatoires à la Richesse
et à l'Innocence, étaient destinées à aider son élève Constance Mayer
(1774-1821). En 1803, certains des amis de Prud'hon l'avait convaincu
d'accueillir la demoiselle dans son atelier. Déjà formée par Joseph Benoît
Suvée et Jean-Baptiste Greuze, la jeune femme présentait de nombreuses qualités
artistiques qui conduisirent Prud'hon à travailler avec elle en étroite
collaboration. Lors de la rétrospective dédiée au maître en 1997-1998, il a
semblé à Sylvain Laveissière que ce travail conduit en commun l'avait été dans
une convenance mutuelle, Prud'hon peignant ses propres œuvres avec lenteur,
après avoir multiplié les croquis et les dessins, et parfois peint une
esquisse, ébauchant sa toile, la laissant en repos, la corrigeant à maintes
reprises après avoir fait de nouvelles études de détails, Constance recevant la
mission de peindre l'œuvre définitive dans des délais plus courts et sans
hésitation grâce à l'ensemble des études mises à sa disposition. Le résultat de
cet heureux arrangement fut pour la première fois exposé sous le nom de Mlle
Mayer au Salon de l'an XII, ouvert le 2 septembre 1804. Il s'agissait d'une
grande toile signée et datée par Constance dont le livret (no 319) révélait le
sujet : ‘’Le mépris des richesses’’ ou ‘’L'Innocence entre l'Amour et la
Fortune’’. Acquise par le prince Youssoupov en 1810 à la fin de son séjour
parisien, l'œuvre est conservée depuis 1925 au musée de l'Ermitage à
Saint-Pétersbourg. […] »
On ne peut que s’émerveiller de la grandeur d’âme d’un peintre qui, après avoir été persuadé par des amis d’accueillir une élève douée, déjà formée par deux maîtres et disposant donc déjà d’une expérience d’atelier, consent à l’autoriser à signer elle-même une œuvre qu’il a entièrement élaborée. Voilà une bien édifiante histoire !
Que
le style de Constance soit à présent fortement influencé par Prud’hon est une
évidence, qu’ils aient élaboré ensemble ce premier tableau d’un genre prestigieux
n’aurait rien d’étonnant. Mais pourquoi attribuer à Constance un rôle de simple
exécutant, destiné à pallier la lenteur d’exécution du maître ?
Et pourquoi, dans une telle situation, Constance aurait-elle omis de se déclarer l’élève de Prud’hon ?
Ce n'est qu'en 1806 que Constance déclare être son élève lorsqu'elle s'inscrit au Salon.
L’explication selon laquelle elle aurait eu, cette année-là, l'obligation de déclarer son maître ne tient pas. Tous les exposants ne le font pas, ni même toutes les exposantes : ainsi, ni Geneviève Brossard de Baulieu (1755-1832) ni Aimée Duvivier (1756-1862), toutes deux élèves de Greuze, ne le mentionnent au Salon.
Il faut donc qu’il y ait eu une autre raison qui ait tenu, soit à l’admiration que Constance porte à Prud’hon, soit au souhait de préciser les conditions de leur collaboration : un homme et une femme travaillant ensemble sont forcément maître et élève, sinon, quoi d'autre ?
Constance expose alors deux portraits et une peinture d’histoire mythologique, Venus et l’Amour endormis, caressés et réveillés par les zéphyrs.
Devinons
la suite ?
Il
existe bien sûr un document préparatoire, à nouveau attribué à Prud’hon et le
Louvre laisse même entendre que le tableau lui-même a été « retouché par le
maître ».
« Vénus et l'Amour endormis caressés et réveillés par les Zéphyrs, ou Le Sommeil de Vénus (étude pour le tableau de Constance Mayer, Salon de 1806), dit à tort Le Sommeil de Psyché. Constance Mayer […] exposa au Salon de 1806 le tableau de ce titre. Acquis par l'impératrice Joséphine […], il reçut un pendant, Le Flambeau de Vénus, exposé au Salon suivant, celui de 1808 et les deux ornèrent la galerie de Malmaison » (catalogue 1811, publié par Lescure, 1867, p. 279, n° 184).
Donnée
jusqu'en 1911 à Prud'hon lui-même, l'œuvre fut sans doute, comme beaucoup de
celles exécutée par Constance, retouchée par son maître. (…) » (Extrait
de la notice du Louvre)
C’est à ce stade que je m’interroge car voici ce que j’ai trouvé :
Le
commentaire qui accompagne cette reproduction ne manque pas d’intérêt (et de
sel !) :
« L'idée de ce tableau est riante et gracieuse. Des compositions de ce genre conviennent mieux au talent des femmes, que des conceptions fortes, pathétiques, et souvent terribles, pour lesquelles la vigueur d'un génie mâle et exercé suffit à peine ; et cependant combien de jeunes artistes se sont hasardées à en traiter de semblables. Plusieurs à la vérité y ont fait preuve de talent, mais épuisées par de trop longs efforts, elles ont atteint rarement la hauteur de leur sujet. Mademoiselle Mayer a eu la prudence de consulter ses forces, et ses essais donnent d'heureuses espérances. Elle possède un dessin coulant, un pinceau facile. Elève de M. Prud'hon, elle a mis à profit l'exemple et les conseils de ce peintre aimable, et s'est tellement identifiée avec ses principes, que son tableau offre une imitation exacte de la manière du maître. Mais bientôt devenue plus confiante en elle-même, plus attachée à l'étude de la nature qu'à celle des ouvrages de l'art, elle ne tardera pas sans doute à se former un goût particulier, un faire original. Le tableau de Vénus et l'Amour endormis, a été exposé au salon de 1807. Les figures sont de proportion demi-nature. » (Charles Landon, Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts, 1807, Tome XV, p.33)
Je
veux bien admettre que le tableau ait été par erreur reproduit à l’envers mais le
graveur aurait-il imaginé les arbres et le fond de forêt, à peine suggérés dans
le tableau de la Wallace collection ?
Quoi qu’il en soit, c’est bien Constance qui reçoit pour cette œuvre une médaille de première classe du Salon !
Le
pendant de Vénus et l’Amour endormis, intitulé Le Flambeau de Vénus,
a été présenté au Salon deux ans plus tard.
Et, bien
sûr, l’esquisse du Flambeau est attribuée à Prud’hon. Pourtant, selon la
notice de l’exposition susmentionnée, il existerait au musée Condé une lettre
de Prud’hon certifiant que seule Constance a travaillé à cette œuvre
En 1810, Constance présente deux tableaux sur le thème de la maternité, L’heureuse mère et La mère infortunée. Dans les deux cas, les notices du Louvre indiquent « peint d’après des dessins et des esquisses de Prud’hon. »
Constance, qui peint depuis plus de vingt ans, ne peut donc pas élaborer seule une scène à deux personnages…
Cette
année-là, selon le livret du Salon, Constance est domiciliée à la Sorbonne.
Prud’hon est installé dans un atelier de la Sorbonne nommé le « musée des artistes ». Constance y a obtenu également un atelier. Leur collaboration est décrite par Charles Gueulette en ces termes :
« Elle avait, comme son maître, en qualité d’artiste, un logement à la Sorbonne. Celui de Prud’hon ne se composait que de son atelier où était son lit ; celui de Mlle Mayer, dans un autre corps de logis, était un appartement de plusieurs pièces, petites mais commodes. Elle travaillait dans l’atelier de son maître ; il mangeait chez elle, et, absorbé qu’il était par son art, il laissait à son amie le soin de tout le reste. Elle s’en acquitta avec la passion qu’elle mettait à toutes choses. […] Quant à [Prud’hon], c’était un grand enfant ; il fallait qu’on pensât, qu’on vécût à sa place : absorbé dans son art, il ne s’inquiétait ni de faire connaître ses tableaux ni du profit qu’il pouvait en tirer. C’est Mlle Mayer qui se chargea de l’administration de sa maison, qui soigna ses enfants, qui stimula son zèle et lui conquit la renommée. En un mot, elle s’identifia à lui, elle lui consacra sa fortune, toutes les forces de son cœur, de son intelligence […]. »
Est-ce là ce qu’on pourrait attendre d’une simple élève ?
En 1810, elle peint aussi cette belle tête d’ange, que j’ai trouvée par hasard au musée Pouchkine. Elle est issue des collections du prince Nicolaï Borissovitch Ioussoupov.
En 1812, elle expose Une jeune naïade veut éloigner d’elle une troupe d’Amours qui cherchent à la troubler dans sa retraite. Le Louvre n’en possède qu’une esquisse, non signée, qu’il attribue sobrement à « l’Ecole de Pierre Prud’hon », en ajoutant : « Esquisse d’un tableau présenté par Constance Mayer au Salon de 1812. »
Quant au tableau original, il semble bien qu'on n'en ait pas gardé trace…
En revanche, nous pouvons encore lire ce billet d’un certain Le Franc, critique d’art, qui écrit au Mercure de France le 5 décembre 1812 : « Je ne voudrais pas qu’on prît tant de soin pour apprendre à une jeune fille en quoi consistent les belles proportions du corps humain, pour l’instruire de la forme et des fonctions de chacun des muscles qui le composent, pour lui faire connaître enfin et le fémur et le sacrum, et tant d’autres belles choses dont l’étude ne me semble rien moins qu’édifiante… Une femme doit borner ses prétentions à peindre quelques bouquets de fleurs ou à tracer sur la toile les traits de parents qui lui sont chers. Aller plus loin, n’est ce pas se montrer rebelle à la nature ? N’est ce pas violer toutes les lois de la pudeur ? » Sans commentaire.
Pourtant, Charles
Landon l'a commenté plutôt positivement : « De petits amours sont venus
troubler une Naïade jusque dans sa retraite. Armés de flambeaux, ils cherchent
à enflammer cette jeune divinité au sein même des eaux dont elle est
environnée. La nymphe vient d'en quitter le lit et saisissant son urne, elle la
répand sur cette troupe folâtre. Les amours, qui craignent d'être inondés se
précipitent les uns sur les autres et s'enfuient en désordre. Le fond du
tableau représente un lieu sauvage hérissé de rochers. Le sujet est gai et
piquant, et du genre de ceux qui s'offrent le plus souvent aux pinceaux faciles
et gracieux de mademoiselle Mayer. Ce dernier ouvrage, agréablement composé, a
paru néanmoins laisser à désirer plus d'étude dans les détails et de variété
dans le coloris. » (Charles-Paul Landon, Annales
des musées et de l’école moderne des
beaux-arts, Salon de 1812,
Paris, Bureau des Annales du musée, p.78) et il en montre une version gravée par Charles
Normand :
En
1814, Constance montre une nouvelle fois ses Mères au Salon et deux
portraits, dont l’un est reproduit en dessin par Gueullette dans son article.
Pour se faire une idée plus nette, regardons deux autres portraits :
Ce portrait, également signalé par Gueullette, représente la fille de l’amie d’enfance de Constance, Prudence Fourrier.
La dernière œuvre importante qu’exposera Constance est Le rêve du bonheur qui fait l’objet d’une longue analyse dans les Annales de Landon :
« "Deux
jeunes époux dans une barque, avec leur enfant, sont conduits sur le fleuve de
la vie par l’amour et la Fortune". Telle est l'explication du tableau dans la
Notice du Salon. Si le sujet a été donné dans les mêmes termes à l'artiste,
Mlle Mayer a pu avoir quelque peine à le composer ; cette idée est bien
vague, et ne se présente pas assez nettement à l’esprit, pour que l'exécution
quelque soignée qu'elle puisse être, n'offre pas plutôt une énigme qu'une
allégorie mais il y a lieu de croire que l'artiste, jouant avec son crayon, a
placé à l'aventure dans le même bateau deux femmes dont l'une fait mouvoir les rames
et l’autre est endormie, un jeune homme et deux enfans ; et qu'elle aura
cherché ensuite un sens et un titre à cette composition. Ce n'est pas la
première fois que des peintres, même des plus habiles, se seraient trouvés dans
un cas à-peu-près semblable : on dit que le Marcus-Sextus de M. Guérin
était, dans l'origine un Bélisaire.
Au surplus, il importe peu que le sujet d'un tableau ait été prémédité ou trouvé après coup, si l'exécution en est bonne. Celui-ci a une grâce de contours, une douceur d'expression et un effet harmonieux qui en rendent l'aspect très-agréable. Le mérite de ce joli tableau, mérite à la vérité de convention, n'échappera point aux gens de l’art ; eux seuls peut-être sauront l’apprécier, toutefois à sa valeur réelle. Mais le public, en général, a paru le goûter faiblement, parce qu'il n'y a pas trouvé ce naturel cette imitation individuelle qui le frappent et qui sont à ses yeux le principal but de la peinture. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Paris, Bureau des Annales du musée, 1819, p.63)
Un historien de l’art a fait finement observer que l’idée de cette composition a pu venir de Constance puisqu’une esquisse de Barque du Bonheur avait déjà été exécutée par Greuze précédemment. Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’en conclure que « On conçoit que ce tableau ait été cher à Prud’hon et que sa délicatesse ait voulu en laisser tout le mérite à Constance Mayer. Ce Rêve du Bonheur, c’est bien l’image de notre ''lunologue'' qui rêva sa vie plus qu’il ne la vécut, car il ne vécut que le désir. » (Germain Bazin, Greuze, Prud’hon et Constance Mayer, in L’amour de l’art, XII, 1931, octobre, pp. 407-411).
La Barque du Bonheur
Museum Boijmans van Beuningen, Rotterdam
On
n’en sort décidément pas…
On aurait bien aimé que Constance, délivrée de la présence tutélaire de son maître, ait pu à nouveau peindre sans lui (après tout, il était son aîné de 17 ans…). Mais ce n’est pas ainsi que l’histoire s’est déroulée :
En mai 1821, elle a 45 ans. Elle vient d’apprendre que les artistes devront quitter la Sorbonne, ce qui la déstabilise fortement. On peut imaginer aussi la tristesse qu'elle pouvait ressentir face à la haine que lui vouaient les enfants de Prud’hon qu’elle avait pourtant élevés.
Selon Charles Gueullette, alors que la femme de Prud’hon était malade, elle lui aurait demandé si, devenu veuf, il était prêt à l’épouser et il lui aurait opposé un « jamais » définitif.
Alors,
Constance prit un rasoir et se trancha la gorge.
*
Pourquoi
est-ce si compliqué de parler de collaboration entre ces deux artistes, comme on le fait, par exemple,
de celle de Marguerite Gérard et de Fragonard ?
D’abord, parce que, comme Charles Gueullette l’a expliqué :
« Mlle Mayer était, avant de connaître Prud’hon, une artiste justement appréciée du public. Les expositions où elle figura sans interruption depuis 1796 l’avaient mise en lumière, et eût-elle borné sa carrière au temps où elle peignait sous la direction de Greuze, que sa réputation fût parvenue jusqu’à nous. […] Sans doute, on peut lui reprocher d’avoir professé pour le génie du peintre un culte tellement enthousiaste qu’elle lui fit l’offrande de ses propres aptitudes et d’un talent vraiment personnel. […]
Des industriels exploitèrent l’analogie de leur deux manières, et je sais des œuvres capitales qu’ils ne craignirent point de démarquer. […] Le nombre des tableaux de l’élève, prêtés au maître depuis sa mort est incalculable. Par contre, on attribua à Mlle Mayer toutes les imitations défectueuses, tous les mauvais pastiches de Prud’hon. C’était un moyen de trouver le débit et on ne se fit pas faute d’en user. […]
Je connais deux études de la Mère heureuse […] ; ces deux petites peintures sont incontestablement de Mlle Mayer […] Mais nous devons à la vérité de conserver à chacun son rôle. La part active de Mlle Mayer […] est considérable. »
La deuxième raison tient sans doute au fait que les œuvres d’un artiste doivent être longuement étudiées et analysées pour en comprendre la genèse.
Ainsi, l’étude de l’élaboration d’un tableau de Prud’hon, La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime, a permis de constater que : « La disposition du tableau a été définie relativement tôt. Un dessin conservé à Chantilly présente déjà les caractéristiques essentielles de la composition finale. Seules quelques petites corrections, néanmoins déterminantes, seront encore apportées. Ainsi, sur les conseils de Constance Mayer, Prud’hon retourne sur le dos la victime qui gisait sur le ventre. » (Thomas Kirchner, « Élaboration du sujet et de la composition » in Peindre contre le crime : De la justice selon Pierre-Paul Prud’hon, consultable en ligne).
Les
conseils n’étaient donc pas donnés en sens unique !
La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime (esquisse préparatoire)
Crayons noir et blanc, 41 x 52 cm
Musée Condé, Chantilly
La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime – 1808
Quelles
qu’aient été les relations entre Prud’hon et Constance, on ne saurait douter de leur force et sincérité.
C’est pourquoi j'ai voulu conclure ce chapitre avec un dessin de Prud’hon qui me paraît évoquer ce que fut la collaboration entre ces deux artistes : L’Union de l’Amour et de l’Amitié.
L’Union de l’Amour et de l’Amitié
Crayons noir et blanc – 59,5 x 46,5 cm
*
Pour écrire cette notice - qui n'engage évidemment que moi - je me suis principalement fondée sur deux ouvrages (sans compter la base Salons du musée d’Orsay et les publications de Charles Landon), tous deux consultables en ligne :
Charles Gueullette. Mademoiselle Constance Mayer et Prud’hon (extraits de la Gazette des Beaux-Arts mai, octobre et décembre 1879), Paris, A. Detaille, 1880.
Séverine Sofio, « Constance Mayer : une postérité amputée » in L’art ne s’apprend pas aux dépens des mœurs ! Construction du champ de l’art, genre et professionnalisation des artistes (1789-1848). Sociologie. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2009, p.473-477.
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