dimanche 27 février 2022

Anna Dorothea Therbusch (1721-1782)

 

Autoportrait – 1740
Huile sur toile, 52 x 43 cm
Statens Museum for Kunst, Copenhague

Anna Dorothea von Lisiewska est née le 23 juillet 1721, à Berlin, dans une famille d’artistes d’origine polonaise. Fille de Georg Lisiewski, peintre à la cour du roi de Prusse Frederic II, elle reçoit dès l’adolescence, avec ses frères et sœurs, l’enseignement dispensé par son père.

Le petit autoportrait ci-dessus, exécuté à dix-neuf ans, laissait présager une belle carrière de portraitiste et elle s’est formée en autodidacte pour d’autres genres de peinture. Elle était curieuse, apprenait vite et ses contemporains la décrivent comme sûre d'elle, ambitieuse et éprise de liberté. 

Ses premières œuvres berlinoises sont marquées par l'influence du peintre français et directeur de l'Académie des beaux-arts de Berlin, Antoine Pesne (1683-1757) qui, comme le père d'Anna, possédait un atelier à Berlin. Anna commence par copier les portraits de Pesne :

 

Antoine Pesne (1683-1757)
Marie de Rège, née Pesne, avec un carlin - avant 1737
Huile sur toile, 63,6 x 47,8 cm
Staatliche Museen zu Berlin

Anna Dorothea Therbusch (1721-1782)
Marie de Rège (copie d'après Antoine Pesne) - vers 1745
Anhaltische Gemäldegalerie Dessau

Et elle se mesure aussi aux scènes de genre dont l’inspiration et les thèmes font penser aux Fêtes galantes de Watteau :

 

Das Federballspiel (Badminton) – 1741
Château de Rheinsberg
© Photo : SPSG /Roland Handrick

La Balançoire – sans date
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
Source : B.Fort, op.cit. en fin de notice

Mais elle doit surseoir à poursuivre sa carrière en 1742, lorsqu’elle épouse le riche propriétaire de l’auberge berlinoise « A la blanche colombe », Ernst Friedrich Therbusch dont elle a entre trois et dix enfants (selon les sources…). 

Elle consacre 18 ans aux soins de sa famille et peint en cachette, sous l’œil soupçonneux de sa belle-mère…

 

Autoportrait – vers 1756
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg (en réserves)
© Photo : SPSG / Jörg P. Anders

En 1760, elle décide de se consacrer à nouveau à l’art du portrait. On ne peut que constater que son pinceau prometteur des années 1740 s’est affermi :

 

Portrait d’Anna Friederike von Wartensleben – 1760
Huile sur toile, 155 x 121 cm
Musée National, Varsovie

Dès l’année suivante, elle se rend à Stuttgart auprès du duc Karl Eugen von Württemberg dont la cour était une des plus brillantes d’Europe. Et elle ne tarde pas à y rencontrer le succès.

 

Autoportrait – 1761
Huile sur toile, 66 x 49 cm
Staatsgalerie, Stuttgart

Elle est même assez rapidement submergée par les commandes de portraits. Il est difficile aujourd’hui de retrouver ceux qui datent de cette époque, la plupart n’étant pas datée… ce sont les portraits de princes et princesses et de personnages de la bourgeoisie montante.

 

Portrait de l’architecte Nicolas de Pigage – 1763
Huile sur toile, 79 x 61
Stadtmuseum Landeshauptstadt, Düsseldorf
Source : Deutsche digitale bibliothek


Portrait de Christiane Amalie Esnestine von Schlabrendorf – sans date
Huile sur toile, 91,2 x 73,9 cm
Collection particulière (vente 2016)


Portrait d’un architecte – sans date
Huile sur toile, 45,5 x 36,5 cm
Collection particulière (vente 2019) 

Après son intervention dans la réalisation de 18 dessus de portes du nouveau château de Stuttgart, elle devient membre honoraire de l’Académie des Arts du Wurtemberg puis elle est admise à l'Institut des Arts libéraux de Bologne. 

En 1766, elle part pour Paris, bien décidée à être reçue à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Elle a emporté des lettres d’introduction de Philippe de la Guêpière, architecte de la cour du duc de Wurtemberg et du comte de Schullenburg, lieutenant général de Frédéric II, personnalités suffisamment prestigieuses pour que le marquis de Marigny, directeur des Bâtiments du roi, interroge Charles-Nicolas Cochin, secrétaire de l’Académie royale, sur le point de savoir si la « célèbre Berlinoise » mérite un patronage royal. La réponse de Cochin est en demi-teinte…

« J'ay vu les ouvrages de cette dame, peintre du roy de Prusse ; il y a en effet du talent, au-dessus à [sic] ce que l'on s'attend à en trouver dans une personne de son sexe, et d'autant plus singulier qu'elle peint l'histoire et le nu comme pourroit faire un homme ; aussi a-t-elle eu le courage d'étudier d'après nature, en se mettant au-dessus des discours. […] Quant aux talens de cette dame, ils ont en général le mérite et les défauts de l’école allemande ; son dessin n’est pas correct, et sa couleur est trop rouge ; elle a cependant souvent des tons précieux et chauds, un pinceau large, facile et hardi, joint à un moëlleux agréable dans son exécution. Enfin, elle a un vray mérite, et surtout si l’on considère son sexe et les difficultés qu’elle a eues à surmonter pour arriver à ce degré. » (Nouvelles archives de l’art français, Troisième série, Tome X (1904) Correspondance de M. de Marigny avec Coypel, Lepicie et Cochin, publiée par Marc Furcy-Raynaud, Paris, Jean Schemit, 1904, p.69)

Cela ne suffit manifestement pas à Marigny pour lever un doigt en faveur d’Anna qui doit se débrouiller par ses propres moyens. Elle finit par rencontrer Diderot, probablement dans l’entourage de Grimm. Diderot, qui joue volontiers un rôle d’intermédiaire entre les artistes et les commanditaires, aide Anna à trouver une clientèle, tout en la présentant comme une artiste aux abois travaillant à n’importe quel prix, ce qui était une curieuse façon de vanter son talent…

C’est probablement grâce à cette recommandation qu’elle exécute ce portrait de la duchesse de Choiseul :

 

Portrait de Louise Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul – sans date
Huile sur toile, 65 x 54 cm
Collection particulière (vente 2022)

Et différents portraits au pastel, datant de son passage à Paris.

Jeanne-Marie-Constance de Mailly d’Harcourt, marquise de Voyer, et ses trois filles – vers 1768
Pastel (dimension et localisation inconnue)
Source : Niel Jeffares, Dictionnaire des pastellistes avant 1800 (édition en ligne)

Jeune femme inconnue – vers 1767
Pastel, 55 x 41,5 cm
Collection particulière
Source : Niel Jeffares, Dictionnaire des pastellistes avant 1800 (édition en ligne)

Portrait d’une jeune femme aux cheveux bouclés -1768
Craie noire et pastel sur papier, 35 x 26 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg


Dans son long compte rendu du Salon de 1767, Diderot raconte la première tentative d’Anna devant l’Académie. « Elle présente à l’académie un premier tableau de nuit assez vigoureux. Les artistes ne sont pas polis. On lui demande grossièrement s’il est d’elle. Elle répond qu’oui. Un mauvais plaisant ajoute : et de votre teinturier ? » Et Diderot conclut : « Ce n’est pas le talent qui lui a manqué […], elle en avoit de reste. C’est la jeunesse, c’est la beauté, c’est la coquetterie. » (Œuvres de Denis Diderot, Publiées sur les manuscrits de l’auteur par Jacques-André Naigeon - Tome XIV, Paris, Deterville, 1800, p.412).

On ne peut pas être plus explicite sur le sexisme crasse des académiciens, ce qui ne surprendra guère si l'on se souvient des difficultés rencontrées, quelques années plus tard, par Adelaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun…

Le « tableau de nuit » dont il est question pourrait être celui-ci, conservé au musée Pouchkine qui le présente comme le tableau de réception d'Anna :

 

Le dîner aux chandelles – vers 1765
Huile sur toile, 95,5 x 117 cm
Musée Pouchkine, Moscou

Officiellement, l’Académie la suspecte de ne pas avoir exécuté son œuvre seule et refuse son admission.

Le 28 février 1767, Anna présente un nouveau « tableau de nuit », représentant « une demi-figure d’homme, appuyé sur sa main et éclairé d’une bougie, l’Académie l’a accepté pour sa réception. » (PV de séance de l’Académie)

Anna est académicienne (ce qui veut juste dire qu’elle peut exposer au Salon car les femmes sont bien loin de disposer des mêmes avantages que les hommes, dans la vénérable institution. Par exemple, elles ne sont jamais chargées d’enseignement). Mais l’histoire ne s’arrête pas là…  Anna est académicienne, elle entend donc exposer au Salon de 1767 ! Son morceau de réception, Le buveur, est naturellement accepté.

 

Un homme, le verre à la main, éclairé d’une bougie (Le buveur) – vers 1767
Huile sur toile, 108,5 x 91,3 cm
Musée du Louvre, Paris

Dans son article du 1er octobre 1767, le Mercure de France considère que « ce tableau présente l’illusion du vrai » et que l’œuvre peut être regardée comme « l’ouvrage d’un artiste excellent » (p. 176).

Mais dans son propre compte rendu du Salon, Diderot paraît prendre un malin plaisir à démolir ce Buveur : « C’est un gros réjoui, assis devant une table, le verre à la main. […] Cela est vide et sec, dur et rouge. Cette lumière n'est pas celle d'une bougie. C'est le reflet briqueté d'un grand incendie. Rien de ce velouté noir, de ce doux, de ce foible harmonieux des lumières artificielles. Point de vapeur entre le corps lumineux et les objets. Aucuns de ces passages, point de ces demi-teintes si légères qui se multiplient à l'infini dans les tableaux de nuit et dont les tons imperceptiblement variés sont si difficiles à rendre. […] Cela n’est pourtant pas sans mérite pour une femme. Les trois quarts des artistes de l’académie n’en feroient pas autant. » (Op.cit. p.410)

On peut être d’accord avec lui sur la qualité du tableau mais difficile de ne pas relever la condescendance du commentaire !

Anna avait également prévu d'exposer un autre tableau, Jupiter et Antiope, une commande du prince Dimitri Aleksejevitsch Gallitzin, un ami de Diderot.

Second affront, le tableau est refusé par le comité du Salon. Diderot prétend l’avoir défendu auprès de ses amis académiciens : « Je vis Chardin, Cochin, Le Moine, Vernet, Boucher, La Grénée, j’écrivis à d’autres ; mais tous me répondirent que le tableau était déshonnête, et j’entendis qu’ils le jugoient mauvais. »

Diderot entend « mauvais » quand on lui dit « déshonnête ». Que faut-il comprendre ?

Dans sa description de l’œuvre, Diderot devient presque insultant : « L’Antiope, à droite, était couchée toute nue, la jambe et la cuisse gauche repliée, la jambe et la cuisse droite étendue. […] il était évident […] à son caractère ignoble, à une infinité d’autres défauts, qu’elle avoit été peinte d’après sa femme-de-chambre ou la servante de l’auberge. […] Les bras, les cuisses, les jambes sont de chair ; mais de chair si molles, si flasques, mais si molles qu’à la place de Jupiter, j’aurois regretté les frais de la métamorphose. […] Ce Jupiter satyre n’étoit qu’un vigoureux porte-faix à la mine plate, dont elle avoit allongé la barbe, fendu le pied, et hérissé la cuisse. Il avoit de la passion ; mais c’était une vilaine, hideuse, lubrique, malhonnête et basse passion. […] j’ajoutais que son Amour étoit monotone, faible de touche, mince au point de ressembler à une vessie soufflée » (Op.cit. p.413/414)

Autrement dit, une scène non seulement sans grâce ni subtilité mais surtout jugée obscène, comme le sous-entend Diderot qui conclut : « Si la nymphe eut été belle, l’amour charmant, le satyre de grand caractère, elle en eût fait ce qu’on pouvait en faire de pis ou de mieux, que son tableau eût été admis, sauf à le retirer sur la réclamation publique. […] je dis que si j’avais eu droit à ce chapitre-là, je n’aurois pas balancé à lui présenter que si, grâce à ma caducité et à la sienne, ce tableau était innocent pour nous, il était très-propre à envoyer mon fils, au sortir de l’académie, dans la rue Fromenteau [une rue habitée par des prostituées] qui n’en est pas loin. »

Le tableau dont il s’agit paraît avoir disparu. Mais on dispose d’autres œuvres à thèmes mythologiques, réalisées par Anna quelques années plus tard. Elles suffisent à se convaincre qu’elle était parfaitement capable de peindre de gracieuses anatomies féminines :

 

La toilette de Venus – 1772
Huile sur toile, 134 x 100 cm
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
© Photo : SPSG /Michael Lüder



Diane et ses nymphes – 1772
Huile sur toile, 134 x 99 cm
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
© Photo : SPSG /Wolfgang Pfauder

On en vient donc à la conclusion que c’est plutôt le thème du tableau qui était en cause. L’intervention des femmes dans le noble genre de la peinture d’histoire, mythologique ou allégorique n’était pas bienvenue. Si Anna avait choisi, comme le fit plus tard Elisabeth Vigée-Le Brun, de représenter La Paix ramenant l’Abondance, scène charmante et suffisamment « féminine » pour n’effaroucher personne, on eût peut-être excusé cette incursion incongrue. Mais une scène de séduction, c'était « déshonnête ».

Si l’on en croit Octave Fidière (Les femmes artistes à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay Frères, Paris, 1885, p.37 à 40), Anna « avait déjà quitté la France pour fuir les créanciers qui la harcelaient » quand s’ouvrit le Salon de 1767. Il n’ose pas, dans son article, citer in extenso le compte rendu de Diderot et se borne à encenser sa prose : « que d’appréciations justes et spirituelles sur le talent de l’artiste ! Que de fine ironie dans les conseils qu’il lui donne sur le ‘’moyen de parvenir’’ ! Que de bonhommie dans la manière dont il nous conte ses aventures avec ‘’l’indigne Prussienne’’ ! »

Voyons donc quelles « aventures » relate notre philosophe :

Diderot évoque d’abord son propre portrait : « Ses autres portraits sont froids, sans autre mérite que celui de la ressemblance, excepté le mien qui ressemble, où je suis nu jusqu’à la ceinture, et qui, pour la fierté, les chairs, le faire, est fort au-dessus de Roslin et d’aucun portraitiste de l’académie. » Jusque-là, on est plutôt rassuré. Mais la suite surprend : « Lorsque la tête fut faite, il étoit question du cou, et le haut de mon vêtement le cachoit, ce qui dépitoit un peu l’artiste. Pour faire cesser ce dépit, je passois derrière le rideau, je me déshabillai, et je parus devant elle en modèle d’académie. Je n’aurois pas osé vous le proposer, me dit-elle ; mais vous avez bien fait ; et je vous en remercie. J’étais nu, mais tout nu. Elle me peignoit, et nous causions avec une simplicité et une innocence dignes des premiers siècles. » (Op.cit. p.417)

Ainsi, pour se faire portraiturer jusqu’à la taille, Diderot a non seulement jugé convenable de se déshabiller entièrement mais, en plus, il en fait publiquement état, au risque de la réputation de l’artiste, une attitude pour le moins inélégante et ambiguë. Le portrait en question a disparu mais la gravure qu’il a inspirée montre qu’une nudité complète n’avait rien d’indispensable puisqu'il n'a, finalement, que l'épaule découverte !

 

Pierre-François Bertonnier (1791-1858) d'après Anna Dorothea Therbusch
Portrait de Denis Diderot – sans date
Gravure, 24 x 15 cm
Source : Wikipédia

Quant à la « froideur » de ses autres portraits, cela aussi paraît difficile à défendre, si l’on s’en tient à ce Portrait d’un inconnu dont on suppose qu’il devrait appartenir au cercle de Diderot :

 

Portrait d’un inconnu – 1768
Huile sur toile, 70,3 x 58 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Christoph Schmidt

Ou à ce portrait du peintre Philipp Hackert qui valut à Anna d’être admise, de façon tout à fait exceptionnelle pour une femme, à l’Académie des beaux-arts de Vienne…

 

Portrait du peintre Philipp Hackert – 1768
Huile sur panneau, dimensions non communiquées (inv. GG-113)
Académie des Beaux-Arts, Vienne

Malgré cela, Diderot souligne qu’Anna, mal conseillée, s’était bien imprudemment promis de « faire du bruit en France » et qu’en conséquence, elle se retrouvait « dans la plus fâcheuse détresse » en dépit des soins du « pauvre philosophe [qui] s’est tourmenté pendant neuf mois pour mendier de l’ouvrage à la Prussienne » ; qui a été « calomnié, et a passé pour avoir couché avec une femme qui n’est pas jolie ». (Op.cit. p.420)

La voilà donc, pour notre philosophe, l’insulte suprême : être soupçonné d’avoir couché avec une femme qui n’est même pas jolie !

A la fin de l’article, Anna devient « l’indigne Prussienne » qui oublie « ses créanciers qui viennent sans cesse crier à ma porte. L’indigne Prussienne doit ici des tableaux dont elle a touché le prix, et qu’elle ne fera point. L’indigne Prussienne insulte ses bienfaiteurs. L’indigne Prussienne… a la tête folle et le cœur dépravé. L’indigne Prussienne a donné au philosophe une bonne leçon, dont il ne profitera pas ; car il restera bon et bête, comme Dieu l’a fait. » (Op.cit. p.421)

Quelle « bonhommie », en effet… ! En outre, Anna n’est pas partie avant le Salon, puisque Diderot écrit lui-même qu’elle l’a fait un an plus tard, sans manquer d’ajouter une dernière méchanceté gratuite : « Ecoutez la bonne, la grande, l’heureuse nouvelle : Mme Therbouche [sic] est partie ; elle s’avance de dimanche au soir entre neuf et dix, vers Bruxelles, dans une chaise de poste ; car elle n’a jamais voulu honorer la diligence de sa personne. Il y a cent autres traits de puérile vanité de cette force-là. » (Lettre à Mlle Volland, 15 novembre 1768 in Œuvres complètes de Diderot, Assézat, 1875, vol. 19, p. 302.)

Après un séjour de deux ans aux Pays-Bas, Anna rentre dans sa ville natale où elle retrouve son mari.

 

Portrait d’Ernst Friedrich Therbusch – 1770/71
Huile sur toile, 65,7 x 54,6 cm
Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Elle renoue également avec notoriété et clientèle, notamment dans le cercle de Frederic II, comme avec ce général prussien dont le fils eut le roi de Prusse pour parrain. Un portrait qui fait partie de la galerie des généraux du prince Heinrich de Prusse au château de Rheinsberg :

 

Hans Joachim von Zieten (1699-1786) – 1769
Huile sur toile (dimensions non communiquées)
Château de Rheinsberg, Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin /Roland Handrick

Ou bien ce président des archives de l’Etat à Dresde, représentant de la noblesse éclairée. Petite vengeance, Anna n’hésite pas à le signer (sur le livre en bas à droite) : AD Therbouche de Lisiewska, peintre du Roy de France !

 

Johann Julius von Vieth und Golßenau – 1771
Huile sur toile, 141 x 107,5 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Jörg P. Anders


Ou encore, ce charmant portrait rococo, exécuté pour le mariage d’Henriette de Lemos, qui épousait à 15 ans le médecin et philosophe Marcus Herz qui avait alors - soit dit en passant - le double de son âge.


Portrait d’Henriette Herz en Hébé – 1778
Huile sur toile, 77,5 x 62 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin


Anna n’est pas seulement sollicitée par la cour de Frederic mais aussi par la famille royale elle-même, puisqu’elle signe plusieurs portraits de l’héritier du trône :

 

Portrait de Friedrich Wilhelm II, Prince héritier de Prusse – 1773
Huile sur toile, 141 x 110 cm
Fondation des châteaux et jardins prussiens Berlin-Brandebourg, Postdam

…et celui du roi lui-même, un cadeau destiné à Voltaire :

 

Portrait de Frederic II - 1775
Huile sur toile, 68 x 54 cm
Château de Ferney-Voltaire

« Suite à une longue correspondance avec Frédéric II, Voltaire céda en 1750 (après la mort de madame du Chatelet) aux sollicitations du monarque et partit pour Berlin. Ce séjour auprès du 'Salomon du Nord' tourna vite au cauchemar et le poète quitta la Prusse en 1753 très fâché avec le roi. La brouille dura quelques années, puis la correspondance reprit et en janvier 1775, Voltaire demanda le portrait de Frédéric II pour l'accrocher dans son château. Sa demande fut rapidement satisfaite et le tableau parvint à Ferney le 27 avril 1775 » (notice de la base Joconde)

… Ainsi que celui de la belle et très influente Wilhelmine Encke, maitresse en titre du souverain, devenue comtesse de Lichtenau.

 

Portrait de Wilhelmine Encke, comtesse von Lichtenau, (1752-1820) – 1776
Sanssouci Neues Palais, Postdam
Source : Deutsche digitale bibliothek

Si les œuvres d’Anna sont essentiellement conservées dans les musées et palais de Berlin et de Postdam, on en trouve également à l’Ermitage, des portraits officiels assez raides… 

 

Portrait d’Augustus Ferdinand, Prince de Prusse – 1773
Huile sur toile, 246 x 138 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

et quelques travaux plus légers :

A gauche : Bacchante
Huile sur toile, 69,5 x 53 cm
A droite : Bacchus
Huile sur toile, 69,5 x 53 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg


Enfin, l'existence de copies gravées de ses portraits indique que son œuvre a été largement diffusé :

 

Jakob Christian Schlotterbeck (1757-1811), d’après Anna Dorothea Therbusch
Portrait du peintre de cour Friedrich Adolf Harper (1725-1806) - 1783
Gravure sur cuivre, 31,6 x 24,8 cm
Landesmuseum Württemberg, Stuttgart
© Photo : Landesmuseum Württemberg, Stuttgart / P. Frankenstein et H. Zwietasch


Et, aujourd'hui, elle est même présente à Versailles !

Frédéric II, roi de Prusse – 1772
Huile sur toile, 258 x 175 cm
Musée national des châteaux de Versailles et du Trianon


Parmi les œuvres de maturité d’Anna, on trouve deux autoportraits. Le premier montre la peintre concentrée, presque austère, sans l’ombre d’un sourire de complaisance. 


 

Autoportrait à la mantille – 1780
Huile sur toile, 36,9 x 32,3 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin /Andres Kilger


Le second, dont la photo est peu lisible, la représente en figure savante et élégante, armée d’un livre, portant sur le spectateur un regard frontal bienveillant mais souligné d'un monocle sévère. En 1786, cet autoportrait se trouvait dans le palais berlinois de Friedrich August von Braunschweig où l’ami de Goethe, le peintre suisse Heinrich Meyer, l’a remarqué et le mentionne dans une lettre, datée du 8 juin 1808, comme un des portraits les plus importants du XVIIIe siècle.

 

Autoportrait - vers 1782
Huile sur toile, 153,5 x 118 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Jörg P. Anders

Une seconde version du même portrait, beaucoup plus petite, où elle est représentée dans un cadre en pierre à la mode du temps, a été réalisée peu de temps avant la mort d’Anna.

 

Autoportrait - 1782
Huile sur toile, 65,7 x 54,6 cm
Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

 

Voilà comment la onzième des rares femmes agréées par l’Académie royale a été suspectée et insultée, avant d’être finalement oubliée par le pays où elle avait choisi de se faire reconnaître, alors qu’elle aurait pu devenir une des grandes peintres chroniqueuses du Paris des Lumières… 

Dommage.

Anna Dorothea Therbusch a heureusement été célébrée en Allemagne, à l’occasion du récent trois centième anniversaire de sa naissance, par une belle exposition à Gemäldegalerie de Berlin.

*

 

Pour plus de précisions sur la triste expérience d’Anna à Paris, on peut lire la très intéressante étude de Bernadette Fort, Indicting the Woman Artist : Diderot, Le Libertin, and Anna Dorothea Therbusch. Lumen, 2004 (en anglais).





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N.B : Pour voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page. 




 

lundi 21 février 2022

Helene Schjerfbeck (1862-1946)

 

Autoportrait sur fond gris – 1915
Huile sur toile, 47 x 37,5 cm
Musée d’Art de Turku, Finlande

Helene Sofia Schjerfbeck est née le 10 juillet 1862 à Helsinki, dans une famille d’origine suédoise qui ne fut pas épargnée par le malheur.

Sa sœur aînée est morte l’année où l’entreprise de son père fut mise en faillite, deux autres de ses frères et sœurs sont décédés en bas âge et elle-même fut victime à quatre ans d’une chute dans les escaliers qui l’obligea à s’aliter plusieurs années. C’est alors que son père lui offrit son premier matériel de dessin.

Helene, qui gardera de cet accident une légère claudication, est donc empêchée de suivre une scolarité normale et doit être instruite à domicile mais son enseignante remarque rapidement son talent artistique.



Dessins au crayon d’Helene vers l’âge de 10 ans
(Carnet de croquis de 1872)
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Grâce à Adolf von Becker (1831-1909), un peintre de genre, membre du conseil d’administration de la Société finlandaise des beaux-arts, qui prend en charge ses frais de scolarité, Hélène est admise à en suivre les cours à l’âge de onze ans. Elle s’y lie d’amitié avec Helena Westermarck (1857-1938) et Maria Wiik (1853-1928).

Deux ans plus tard, son père, devenu chef de service à la Compagnie nationale des chemins de fer de Finlande, meurt de la tuberculose.

Helene obtient son diplôme de la Société des beaux-arts à 15 ans. Voici un de ses dessins de l'époque.


Portrait de jeune homme de profil - 1877
Plume et encre noire, lavis gris, 21,5 x 14,5 cm
Collection particulière (vente 2024)


Avec son amie Helena, Helene s'inscrit à l’académie libre de Becker, grâce au soutien financier d’un ami de son père. 

A dix-huit ans, elle vend sa première œuvre, Soldat blessé dans la neige, (inspirée d’un cycle poétique de Johan Ludvig Runeberg, l’auteur de l’hymne national finlandais) et obtient une bourse de l’Etat pour voyager à l’étranger.


Soldat blessé dans la neige – 1880
Huile sur toile, 39 x 59,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Alors Helene part pour Paris, la ville de ses rêves, à l’automne 1880.

Autoportrait – 1880/84
Crayon, 13 x 12,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Elle suit pendant quelques mois les cours de l’académie privée féminine de Madame Trélat de Vigny puis s’inscrit à l’académie Colarossi où elle reçoit l’enseignement de Gustave Courtois. Elle y rencontre une élève autrichienne, Marianne Preindelsberger (1855-1927) qui sera connue ensuite sous le nom de Stokes et deviendra son amie.

De leurs séances de travail en commun, il nous reste ces Deux profils, d'une touche libre qui rappelle celle de Manet. Marianne Preindelsberger est au premier plan :

 

Deux profils – 1881
Huile sur bois, 22 x 34 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

C’est également avec Marianne qu’Helene fait son premier séjour à Concarneau, dans une « colonie d’artistes ». Elle y peint le Garçon faisant manger sa petite sœur (1881) où l’influence de Jules Bastien-Lepage (1848-1884), très admiré par les artistes scandinaves de l’époque, est sensible.

 

Garçon faisant manger sa petite sœur – 1881
Huile sur toile, 115 x 94,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Helene emporte le tableau en Finlande où elle le présente en 1885 à l’exposition d’art contemporain. Jugé trop naturaliste, il est reçu avec un certain scepticisme

Elle passe l’été 1882 en Finlande, dans la demeure du mari de sa tante maternelle, le château de Sjundby, qu’elle a représenté régulièrement depuis son enfance. Cette fois, elle y peint Le Banc du parc.

 

Le Banc de parc (Petit parc à Sjundby) - 1883
Huile sur toile, 44,5 x 33,5 cm
Malmö Konstmuseum, Malmö

Elle exécute aussi les illustrations de contes populaires finlandais qui sont exposées à Moscou.

Au printemps 1883, Helene repart à Paris, avec Maria Wiik cette fois, avec laquelle elle partage un atelier. Elle passe l’été suivant à Pont-Aven, avec Maria et Marianne et y reste plusieurs mois. 


Rue de Pont-Aven – 1883
Huile sur toile, 32 x 21 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane GyllenbergVilla Gyllenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Elle se fiance avec un peintre anglais dont on ne connaît pas le nom car elle détruira ensuite toutes les lettres qui l’évoquaient au moment où il rompra son engagement, après avoir appris que le père d'Helene avait succombé à la tuberculose…Helene a dit ensuite à Maria que ce mariage aurait nuit à sa carrière de peintre. 

C'est à Pont Aven qu'elle peint une œuvre probablement naturaliste qui sera acceptée au Salon de 1884, Un enterrement, Finistère, (que je n’ai pas retrouvée) et plusieurs autres, particulièrement intéressantes et pleines d’émotion, notamment Ombre sur un mur qui paraît générer sa propre profondeur et La Porte qui met en scène, avec à peu près rien, l’intérieur de la chapelle de Trémalo…

 

Ombre sur le mur (Paysage breton) – 1883
Huile sur toile contrecollée sur bois, 45 x 38 cm
Collection particulière

La Porte (Entrée d’une vieille chapelle) – 1884
Huile sur toile, 40,5 x 32,5 cm
Finnish National Gallery, Helsinki



Au bord de la piscine – 1884
Huile sur toile, 32,5 x 21,5 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane GyllenbergVilla Gyllenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Quant à ce poétique Linge à sécher, il fut montré à l’exposition annuelle de la Société des beaux-arts d’Helsinki laquelle, ne sachant trop dans quelle catégorie le placer, le présenta sous le titre incongru de Paysage de dunes

Linge à sécher (Lessive) - 1883
Huile sur toile, 39 x 54,5 cm
Collection particulière

A la même époque, elle exécute aussi le portrait de son amie d'enfance, Helena Westermarck :

Portrait d’Helena Westermarck – 1884
Huile sur toile, 37.5 x 22.5 cm
Gösta Serlachius Fine Arts Foundation, Mänttä, Finlande

En 1885 et 86, Helene alterne séjours à Paris et retours en Finlande. De son passage à Paris en 1885, il reste cette subtile étude au fusain, traitée presque sans ligne où seules la lumière et les ombres dessinent l’espace. 

Ma chambre 22-24 rue Jacob – 1885
Fusain sur papier, 246 x 324 mm
The Magda and Max Ettler Fund
Nationalmuseum, Stockholm

Et, parallèlement, elle expose en Finlande une peinture d’histoire de style naturaliste, La mort de Wilhelm von Schwerin, un jeune militaire, héros de la guerre de Finlande, qui lui vaudra un prix national. Helene cherche son style… 

La mort de Wilhelm von Schwerin – 1886
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Musée d’Art de Turku, Finlande

Puis, grâce à une bourse de la Société des beaux-arts, Helene part à St. Ives, en Cornouailles, où elle retrouve Marianne. Depuis son atelier, dans une tour d'où elle peut voir le village et la mer, elle est enthousiasmée par le paysage : « La Cornouaille est un pays merveilleusement visuel… collines et baies et pièges à poissons et forêts … depuis que je suis arrivée, j’ai un énorme désir de travailler et trop peu de temps. … Aujourd’hui, la mer est juste bleue et blanche, le bleu ciel et tout est si doux que la ligne d’horizon n’est pas visible. Les couchers de soleil sont des nuages laineux, ou peut-être juste une lueur rose sur le monde entier. » (lettre non datée à Maria Wiik). 

Marianne et Helene peignent chacune une boulangerie différente. Voici celle d'Helene :

 

La Boulangerie – 1887
Huile sur toile, 61 x 51 cm
Pohjanmaan museo, Vaasa, Finlande

Helene revient au printemps 1888 à Paris, pour participer au Salon des artistes français avec Petite brindille jaune de forsythia qu'on appelle aujourd'hui La Convalescente mais qui fut présentée sous le titre Première verdure…. Un tableau qu'elle a peint pendant son séjour à St. Ives.


La Convalescente - 1888
Huile sur toile, 92 x 107cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Le tableau est immédiatement acquis par la Société des beaux-arts de Finlande qui le présentera l’automne suivant lors de son exposition annuelle, puis à l’Exposition universelle de Paris de 1889, dans la section finlandaise. Helene y remporte une médaille de bronze.

Elle part ensuite à Saint Pétersbourg puis en Italie, en compagnie de son frère, et copie des œuvres d’art pour le compte de la Société des beaux-arts. Puis elle retourne à St. Ives s’initier aux techniques de grattage et rayures qu’on appelle aussi le « trait anglais » :

 

Rue, St. Ives, - 1888/1890
Trait anglais, 22,5 × 21 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Helene revient en Finlande à l’été 1890 et va traverser une période difficile. Son jeune frère s’est marié et elle doit s’occuper seule de sa mère, tout en enseignant pour subvenir à ses besoins. 

Elle est aussi confrontée à une atmosphère artistique nationale avec laquelle elle a peu d’affinités.

Pour contester l’emprise russe sur la Finlande (qui est à l’époque un grand-duché de l’Empire) les peintres nationalistes -  dont le peintre Akseli Gallen-Kallela est le chef de file - s’inspirent du Kelevala, un poème de plus de vingt mille vers, composé par Elias Lönnrot à partir de chants populaires finlandais qui rapportent les faits et gestes de grands personnages mythiques et exalte la nature en de longues descriptions : le sapin, le bouleau, la fleur, l'ours, l'élan, l'oiseau, l'abeille… 

 

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931)
Paysage sauvage – 1892
Huile sur toile, 72 x 61 cm
The Gösta Serlachius Fine Arts Foundation, Mänttä, Finland


Tout cela est loin des préoccupations d’Helene dont les paysages, où elle privilégie la concision et l’intensification de l’atmosphère,  se simplifient à l’extrême :

Plein été (Paysage de Raasepori) – 1890
Huile sur toile, 36 x 31 cm
Collection particulière


Elle s’intéresse aussi à l’intime et à la vie domestique :


Jeune fille sous les bouleaux – 1891
Huile sur toile, 68,5 x 78 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Devant l’âtre (Près du feu) - 1893
Huile sur toile, 33 x 31,5 cm
Collection particulière

D’un voyage à Florence, où elle était chargée de réaliser des copies de Giorgione, Filippo Lippi et Fra Angelico, elle rapporte des paysages de Fiesole, dans la même veine frémissante et délibérément dépouillée :

 

Paysage de Fiesole – 1894
Huile sur toile, 37 x 54 cm
Collection particulière

Cyprès, Fiesole - 1894
Huile sur toile, 43,3 x 61,5 cm
Collection particulière
 

A la fin des années 90, Helene traverse une période de maladie et de découragement qu’elle ne surmonte qu’en allant passer plusieurs étés dans un sanatorium en compagnie de sa mère. Elle y trouve le réconfort spirituel dont elle avait besoin.

 

Autoportrait  - 1895
Huile sur toile, 38 x 31 cm
Ekenäs Museum, Ekenäs
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Aaltonen.

Bien qu’engagée pour cinq ans dans une école de dessin à Hyvinkää, elle doit être remplacée et passe l’été suivant en convalescence au château de Sjundby.

 

Le vieux manoir (Sjundby) – 1901
Huile sur toile, 34,5 x 47 cm
Musée d’Art de Turku, Finlande 

Elle participe cependant régulièrement aux expositions de la Société des beaux-arts de Turku dont le musée abrite aujourd’hui nombre de ses œuvres, comme ce portrait de sa mère, un des nombreux qu’elle exécute ses années-là.


A la maison – 1903
Huile sur toile, 53 x 40 cm
Musée d’Art de Turku, Finlande

Elle s’est installée dans la petite ville d’Hyvinkää. Un exil solitaire où elle reste une dizaine d’années, choisissant ses proches comme modèles, dans un style de plus en plus épuré.



Fragment – 1904
Huile sur toile, 31,5 x 34 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0



La couturière (L'ouvrière) – 1905
Huile sur toile, 95,5 x 84,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Evidemment, ce portrait rappelle celui de la mère de Whistler ! Mais en l’observant attentivement, on constate qu’Helene apporte des éléments de compréhension qui caractérisent son modèle : les ciseaux qui pendent à sa ceinture et reposent contre le montant du fauteuil, la position peu détendue (elle ne s’appuie pas sur le dossier). L’ouvrière va se relever bien vite…

 

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Arrangement en gris et noir n°1 - 1871
Huile sur toile, 162,5 x 144,3 cm
Musée d’Orsay, Paris

Silence – 1907
Tempera et huile sur toile, 45,5 x 36 cm
Merita Art Fondation, Helsinki
Photo : Seppo Hilpo

L’écolière II (Fillette en noir) – 1908
Huile sur toile, 71 x 40,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Maria - 1909
Huile sur toile, 57 x 73 cm
Collection particulière


Parallèlement à la simplification de son expression, Helene expérimente des stratégies pour travailler la surface de ses toiles, afin d’en effacer « le gras brillant » qu’elle exècre au point d’avoir l’idée « d’enfouir dans la terre » un de ses tableaux, pour l’abandonner à un processus de vieillissement accéléré… Cette évolution est particulièrement sensible dans ses natures mortes depuis la période naturaliste de sa jeunesse (Oignons – 1885), au travail de l’application couche par couche des Pommes rouges (1915), jusqu’à l’effacement de l’image réelle, renforcé par le rétrécissement du champ visuel de La Poire (1925) et de La Pomme du marché (1927).

 

Oignons - 1885
Huile sur toile, 30 x 36 cm
Moderna Museet, Stockholm

Les Pommes rouges - vers 1915
Huile sur toile, 40,2 x 40,2 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


La Poire – 1925/26
Huile sur toile contrecollée sur bois, 27,5 x 27,5 cm
Collection particulière

La Pomme du marché – 1927
Tempera sur toile, 32 x 24 cm
Collection particulière

Helene commence à connaître la notoriété dans les années 1910, grâce à un marchand de tableaux, Gösta Stenmann, qui contribue à lui trouver des acheteurs. Il présente Jeunes filles lisant à l’Exposition d’automne de 1912 où la toile reçoit une réception critique positive avant d’être acquise par la Société finlandaise des beaux-arts.

 

Jeunes filles lisant - 1907
Aquarelle, pastel et crayon sur papier, 67 x 79 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


L’année suivante, Helene présente à Turku et à Helsinki Le Garçon aux bûches, qu’elle considère comme un pas décisif vers son objectif stylistique : effectuer une synthèse entre son souhait de pureté formelle et l’expression des sentiments qu’elle éprouve pour le sujet du tableau. Cette nouvelle œuvre est également très bien reçue.

 

Le Garçon aux bûches – 1910/1911
Huile et pastel gras sur toiles, 58 x 41 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki



Essai sur Perhekoru, fille aînée - 1915
Huile sur toile, 39,5 x 38 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Elle peint aussi des paysages qui expriment, plus que ses portraits, son isolement et sa solitude. Presque des sensations de paysage. 


Paysage à Hyvinkää - vers 1914
Huile et fusain sur carton entoilé, 65 x 60,5 cm
Musée d’Orsay, Paris


Lumière de lanterne, Hyvinkää – sans date
Huile sur toile, 40 x 33 cm
Collection particulière


En 1914, c’est Gösta Stenmann lui-même qui organise la présentation de huit toiles d’Helene à l’exposition d’automne de l’Ateneum où elle est découverte par un large public, notamment grâce à La Couturière (présentée plus haut) et un Autoportrait très remarqué.

 

Autoportrait - 1912
Huile sur toile - 43,5 x 42 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Au printemps suivant, elle rencontre Einar Reuter (1881-1968), peintre, écrivain et garde forestier qui avait acquis plusieurs de ses œuvres et avait souhaité en rencontrer l’auteur. Ils deviennent amis et entretiendront une correspondance soutenue jusqu’à la fin de leur vie.


Chanteur vert – vers 1916/1917
Huile sur toile, 36 x 32 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Cette période de reconnaissance heureuse s’accompagne d’un épanouissement de sa palette : la dominante gris-bleu des portraits du tournant du siècle se teinte d’ocre dans le portrait de Reuter…

 

Le Marin (Einar Reuter) – 1918
Huile sur toile, 70 x 62,5 cm
Collection particulière

… puis de rouge l’année suivante, lorsqu’elle exécute le portrait d’une de ses cousines de San Francisco, Ulla, dont le teint cuivré l’oblige à un intense travail d’interprétation et de transfiguration qui la ravit. Le résultat est effectivement saisissant !

 

Jeune fille de Californie I – 1919
Huile sur toile, 39,5 x 38,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Mais la fin de l’année lui apporte une désillusion. Elle pensait Reuter amoureux d’elle, il n’était qu’admiratif de sa peinture. Lorsqu'il se marie, Helene sombre dans une mélancolie dont elle ne sortira plus.

 

Tristesse (Fille de la chaleur : La Gitane) – 1919
Huile sur toile, 81 x 100 cm
Collection particulière

Vague de chaleur – 1919
Huile sur toile, 35 x 41 cm
Pohjanmaan museo, Vaasa, Finlande


Après le décès de sa mère, elle s’installe progressivement puis définitivement à Tammisaari (devenue Ekenäs aujourd’hui), en 1925. Loin de tous et libérée des charges familiales, elle peut se consacrer entièrement à son art, peindre, chercher.

 

Maison rouge à Ekenäs (Tammisaari) – vers 1920
Tempera, fusain et gouache sur papier, 30 x 26 cm
Moderna Museet, Stocklholm



Elle peint son amie, Sigrid Nyberg, propriétaire du logement où elle est installée à Tammisaari.


Le châle en dentelle - vers 1920
Huile sur toile - 58 × 36,5 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


Ses portraits sont à présent très demandés. Ils sont pourtant sans concession. 


Fille de Eydtkuhne II – 1927
Huile sur toile, 70 x 54,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Dame élégante, Dora – 1928
Huile sur toile, 37,5 x 38,5 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0



Femme noire – 1929
Huile sur toile, 53,5 x 41,5 
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0

 

Jeune fille au pull-over jaune – 1933
Huile sur toile, 46,5 x 37,5 cm
Collection particulière

L’Automobiliste (Måns Schjerfbeck) – 1933
Huile sur toile, 74 x 59 cm
Collection particulière


Margareta Vind – 1934
Huile sur toile, 47,5 x 47,5 cm
Konstmuseum, Göteborg


Parfois, elle retrace de mémoire des scènes vues de sa fenêtre comme pour L’Alarme, un des rares tableaux d’Helene à deux personnages (presque) en interaction :


L’Alarme – 1935
Huile sur toile, 75 x 62 cm
Collection particulière

Lorsque la « guerre d’hiver » (invasion de la Finlande par les troupes soviétiques) commence, en novembre 1939, Helene a soixante-dix-sept ans. Elle est évacuée et accueillie dans une maison de retraite puis un sanatorium où on lui fournit de bonnes conditions de travail. Elle peut notamment réaliser des gravures, parfois en reprenant des thèmes anciens comme cette Fille à la clôture dont il existe une petite aquarelle du début du siècle.


Fille à la clôture - 1941
Rotogravure, 60 x 45 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Fille souriante - 1945
Rotogravure, 32 x 28,5 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


Ses infirmières successives deviennent ses modèles…

 

Infirmière I (Kaija Lahtinen) – 1943
Huile sur toile, 47 x 33,5 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Nurse finnoise III (Ester Räihä) - 1943
Huile sur toile, 54,5 × 47 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki



Roses jaunes – 1942
Huile sur toile, 24,5 x 26,5 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


J’ai gardé pour la fin le plus émouvant et le plus difficile (mais l’art n’a pas à être confortable), les autoportraits d’Helene, que tous ceux qui ont eu la chance de voir l’exposition de la fin 2007 au Musée d’Art moderne de Paris ne risquent pas d’oublier.

Les autoportraits jalonnent l’œuvre d’Helene, une quarantaine de toiles, d’abord assez conventionnelles jusqu’à ses cinquante ans - la première des œuvres ci-dessous - et d'une neutralité absolue : on ne sait rien des douleurs qui la taraudent et c'est tout juste si elle pose quelques vagues pinceaux derrière elle…

Autoportrait sur fond noir – 1915
Huile sur toile, 45,5 x 36 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Puis, il se passe quelque chose quand elle reprend, en 1926, un autoportrait de 1913. Comme si son œil droit s’échappait du visage, comme si la joue se détachait… Et elle continuera ce douloureux travail jusqu’en 1945, l’année de ses quatre-vingt-trois ans.

Plus le temps passe, plus il est clair que l’artiste ne cherche ni la complicité ni l’aisance. La peinture devient masque, reflet déformé puis lambeau, évidée, presque au-delà de la peinture elle-même, inaccessible à celui qui regarde et ne sait plus, littéralement, où se mettre. Helene se regarde disparaître et procède à son propre effacement. Accrochez-vous.


Autoportrait – 1913 puis 1926
Fusain, aquarelle et huile sur toile, 32 x 24 cm
Collection Maire Gullichsen
Porin taidemuseo, Pori

Autoportrait à la robe noire – 1934
Huile sur toile contrecollée sur bois, 37 x 26,5 cm
Collection particulière


Autoportrait  - 1935
Rotogravure, 26,5 x 24 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0

 
Autoportrait à la palette – 1935
Huile sur toile, 54,5 x 41 cm
Moderna Museet, Stockholm

Autoportrait à la bouche noire – 1939
Huile sur toile, 39 x 27 cm
Didrichsenin taidemuseo, Helsinki


Autoportrait à la tache rouge – 1944
Huile sur toile, 45 x 37 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki

Autoportrait de face – 1945
Huile sur toile, 39,5 x 31 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki



Autoportrait Lumière et ombre – 1945
Huile sur toile, 36 x 34 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Image : Villa Gyllenberg / Matias Uusikylä CC BY-NC-SA 4.0


* 

Dès 1915, Einar Reuter, sous le pseudonyme d’H. Ahtela, avait rédigé une première biographie d’Helene. Il fait paraître sa première monographie en 1951, grâce à quoi elle est restée présente sur la scène finlandaise, parmi d’autres talentueuses peintres féminines. 

Car les femmes ont été admises dans les académies d’art d’Helsinki et de Turku dès la fondation de la Société finlandaise des beaux-arts et les bourses publiques leur ont permis de voyager, comme leurs collègues masculins. C'est pourquoi, comme Maria Wiik et Helena Westermarck, Helene a contribué à introduire en Finlande les courants artistiques qu’elle avait découverts à Paris.

Mais, contrairement aux mêmes collègues masculins, les peintres féminines n’ont pas participé au courant nationaliste de la peinture finlandaise et c’est ce qui les a finalement éloignées de la renommée internationale.

Toutefois, Helene avait été découverte en Suède dès 1934, à l’occasion d’une exposition d’artistes finlandais à Stockholm puis l’Ateneum d’Helsinki a organisé une rétrospective fameuse en 1992 qui fut ensuite présentée à la Phillips Collection de New York.

En France, c’est le Musée d’Art moderne de la ville de Paris qui a contribué à la faire connaître, d’abord avec l’exposition « Vision du Nord, Lumière du monde, Lumière du ciel », en 1992 puis avec « Helene Schjerfbeck (1862-1946) », d’octobre 2007 à janvier 2008. C'est grâce à l'excellent catalogue de cette exposition (Sous la direction d'Annabelle Görgen et Hubertus Gaẞner, Helene Schjerfbeck, Paris-Musées, 2007, 223 p.) que j'ai pu rédiger la présente petite notice.

Signe de la reconnaissance dont Helene fait à présent l’objet, deux de ses œuvres ont été acquises, en 2023, par le Metropolitan de New York et le musée d’Orsay, à Paris. Helene a enfin sa place dans les collections nationales françaises !





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