samedi 20 avril 2024

Alexandra Exter (1882-1949)

 

Photographe inconnu
Alexandra Exter – vers 1900
Source : Association Alexandra Exter

Alexandra Alexandrovna Grigorievitch est née à Bialystok (aujourd’hui en Pologne) le 6 janvier 1882, dans une famille de la petite noblesse aisée et cultivée. Elle est élevée à Kiev, où elle reçoit une éducation classique au lycée de jeune fille, de 1892 à 1899, dans une atmosphère provinciale mais ouverte au monde, du fait du peuplement cosmopolite de la ville. Elle apprend l’allemand et le français, s’intéresse à la poésie française, s’initie au dessin et à la musique, et fréquente l’école d’art de Kiev, de 1899 à 1903 où elle est l’élève, avec Vladimir Bourliouk, du peintre de genre réaliste Mykola Pymonenko (1862-1912).

 

Mykola Pymonenko (1862-1912)
L’idylle – 1908
Huile sur toile, 195 x 140 cm
Musée national d’Art d’Ukraine, Kiev


Selon les spécialistes de la période, son expérience de vie à Kiev, ses paysages, la silhouette de la ville, auront une influence déterminante sur la peinture et l’art d’Alexandra.

Elle se marie avec un avocat d’affaires et s’intéresse très tôt à l’art d’avant-garde russe et ukrainienne.

Dès 1906, elle voyage en Europe, notamment avec le peintre Jawlensky avec lequel elle se rend en Suisse et en Bretagne. Elle reste plusieurs mois à Paris en 1907, se forme à l’académie de la Grande Chaumière où elle fait la connaissance de Fernand Léger.

En janvier 1908, David Bourliouk, le frère de Vladimir, organise à Kiev une exposition intitulée « le Maillon » (Zveno) où Alexandra présente une toile intitulée Suisse. Dans ses mémoires, Bourliouk dit que dans les toiles d’Alexandra « il y avait une froideur verte. »

En février 1909, elle organise avec son amie Natalia Davydovna une exposition de peintures et broderies inspirées de l’art populaire russe mais avec des motifs « suprématistes ». Le suprématisme est un courant d’avant-garde russe créé par Kazimir Malevitch (1879-1935) qui prône l’utilisation de formes simplifiées et de motifs géométriques élémentaires. Un art « sans objet » où la couleur joue un rôle structurant.

 

Kazimir Malevitch (1879-1935)
Etude de paysan – 1911
Gouache sur papier, 27,4 x 32,2 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris
© Photo : Service de documentation photographique du MNAM


Kazimir Malevitch (1879-1935)
Femme aux seaux, arrangement dynamique – 1912
Huile sur toile, 80,3 x 80,3 cm
Museum of Modern Art, New York

En l’espèce, il s’agissait de prendre ses distances avec un art populaire trop naturaliste. L’exposition a un grand succès et suscite la création de la Société artisanale kiévienne, présidée par Natalia Davydovna. Cette société joua un rôle majeur dans la prise de conscience de la nécessité de renouveler l’art populaire et soutiendra des ateliers paysans de broderie à Verbivka, près de Kharkiv et à Skoptsy, près de Poltava, qui commenceront à utiliser des motifs « suprématistes » pour leurs objets utilitaires (tissus, rubans, sacs, coussins, etc.) au milieu des années 1910. Je ne suis pas parvenue à trouver un exemple plus contemporain mais on comprend l'idée…

 

Lioubov Popova (1889-1924)
Design textile – 1924
Gouache et encre sur papier, 35,2 x 24,4 cm
Collection particulière

En mars 1909, la presse moscovite annonce la naissance du futurisme, dont la première manifestation apparaît sous la forme d’une publication Le Jardin des Juges (ou Le Vivier aux Juges, j’ai trouvé les deux traductions et je ne sais pas laquelle est la bonne !) qui intègre deux aspects : littéraire, c’est à dire une approche poétique qui privilégie la sensualité et l’imaginaire, et artistique, qui tente une intégration du temps et du mouvement dans l’espace pictural. Les deux frères Bourliouk, les amis d’Alexandra, y participent.

En décembre 1910 a lieu la première exposition du groupe dit « Valet de Carreau » où sont présentées des œuvres des frères Bourliouk, Alexandra Exter, Natalia Gontcharova, Kandinsky, Larionov et Malévitch ainsi que des Français, Gleizes, Le Fauconnier et Metzinger. Mais quelques mois plus tard, une première sécession a lieu au sein du groupe. Pour l’expliquer simplement, certains artistes, comme Natalia Gontcharova, sont critiques à l’égard de l’art occidental qu’ils jugent conservateur, et souhaitent se recentrer sur des thématiques liées à la vie rurale et paysanne avec une polychromie considérée comme « russe ». Un nouveau groupe se crée, la « Queue d’âne », qui se veut plus proche de l’art vernaculaire.

Pendant ces batailles théoriques (et politiques !), Alexandra continue à voyager, notamment en Italie où elle se rend en 1910 et 1912. Elle découvre l’art étrusque qui la touche particulièrement.

On ne peut qu’évoquer ce qu’elle a pu voir, à travers quelques images qui sont des choix purement personnel, en commençant pas l’œuvre la plus universellement connue :

 

Sarcophage des époux – 530/520 avant notre ère
Ancien port de Caere (Cerveteri)
Musée national étrusque de la villa Giulia, Rome


Sarcophage des époux (détail)


Ou bien cet autre monument funéraire, dont certains dessins de costumes théâtraux, qu’Alexandra créera plus tard, évoquent le souvenir.

 

Monument funéraire étrusque représentant des danseurs – 500/400 avant notre ère
Relief en calcaire probablement originaire de Chiusi
Musée Ashmolean, Oxford

A partir de 1910, elle dispose d’un atelier à Paris, au 10, rue Boissonnade et fréquente Elisabeth Epstein, une amie des Delaunay, ainsi que son compatriote Serge Férat, qui finance la revue Les Soirées de Paris, dirigée par Apollinaire. Revue poétique (on peut y lire Sous le pont Mirabeau dans le n°1), très engagée dans les questions artistiques d’avant-garde. C’est dans ce cercle qu’Alexandra rencontre Apollinaire, Picasso et Max Jacob. La même année, Alexandra participe – une unique fois – au Salon des Indépendants où elle montre deux Compositions dont on n’a pas gardé trace.

 

Ses premières œuvres connues sont de style « cézannistes géométriques », comme ces paysages urbains… (cliquer sur les images pour agrandir)

 

Paysage maisons – 1911
Huile sur toile, 81 x 65 cm
Musée d’Art Moderne, Saint Etienne
© Photo Cyrille Cauvet

Kiev, rue Foundouklievska – vers 1912
Huile sur toile
Collection particulière
Publié in Les imaginaires de la ville, collection Interférences,
2007, Presse universitaires de Rennes

 

… qu’on pourrait presque trouver encore un peu « statiques » à côté d’Au bord de la Seine

 

Au bord de la Seine – 1912
Huile sur toile, 80,5 x 64,5 cm
Musée d’Art, Iaroslavl


… ou surtout de ce Pont de Sèvres qui danse, littéralement.

 

Le Pont de Sèvres – 1911/1912
Huile sur toile, 145 x 115 cm
Musée national d’Art d’Ukraine, Kiev


Progressivement, elle a intégré dans sa peinture les préceptes futuristes, en les conjuguant avec sa base cubiste. Elle dénomme ce style « cubisme dynamique », connu par ailleurs sous le nom de « cubo-futurisme », terme qu’elle aurait peut-être inventé elle-même. C’est l’époque où elle partage son atelier avec le peintre futuriste italien Argendo Soffici.

 

Et, en tant que membre assidue des Soirées de Paris, elle continue à informer régulièrement ses amis russes des dernières nouveautés parisiennes.

 

Ville, la nuit – 1913
Huile sur toile, 88 x 71 cm
Musée Russe, Saint Pétersbourg


Ville aux drapeaux – 1913
Huile sur toile, 117 x 88 cm
Musée de Vologda


En avril-mai 1914, Alexandra participe avec plusieurs peintres russes à l’Exposition internationale des peintres et sculpteurs futuristes, que la galerie Sprovieri présente à Rome. Mais elle semble être restée prudemment à l’écart des manifestes cubo-futuristes russes, trop marqués par un a priori anti-occidental.

 

Composition – 1914
Support et dimensions non précisés
Galerie nationale Tretiakov, Moscou


Alors que, jusque-là, Alexandra partageait son temps entre la France, la Russie et les voyages, elle est contrainte de se réinstaller en Ukraine au début de la Grande Guerre.

Et, au printemps 1915, elle participe à l’exposition radicale « Tramway V », présentée à Saint Pétersbourg en pleine guerre. Elle y montre quatorze toiles, dont plusieurs paysages urbains cubo-futuristes :

 

Florence – 1914
Huile sur toile, 109 x 145 cm
Galerie Tretiakov, Moscou



Venise – 1915
Huile sur toile, 123 x 97 cm
Moderna Museet, Stockholm
© Photo Prallan Allsten / Moderna Museet

 

Dès l’année 1916, elle est sollicitée par Alexandre Taïrov, qui a fondé deux ans plus tôt, à Moscou, le Théâtre de poche (Kamernyi) pour travailler aux costumes et aux décors de plusieurs spectacles : Thamire le Citharède d’Innokenti Annenski, en 1916...  


Projet de costume de Bacchante – 1917
Crayon, gouache, tempera et aquarelle sur carton, 44,6 x 31,6 cm
Musée du Théâtre national Bakhrushin, Moscou


Bacchante pour Thamire le Citharède – 1917
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.68


… et Salomé d’Oscar Wilde en 1917, dans lesquels elle s’inspire de son expérience cubiste : elle construit ses décors par plans, à la verticale, sans recours à la perspective.

Projet de costume pour Salomé, la danse des sept voiles – 1917
Crayon, gouache, tempera et aquarelle sur carton, 66,5 x 52,5 cm
Musée du Théâtre national Bakhrushin, Moscou


Projet de costume pour Salomé - 1917
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.74



Projet de costume pour les Juifs dans Salomé - 1917
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.76



Projet de décor pour Salomé – 1917
Crayon et gouache sur carton, 22,6 x 31 cm
Musée du Théâtre national Bakhrushin, Moscou


Photographe inconnu
Une scène de Salomé - 1917
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.78


Parallèlement, une grande présentation de ses œuvres picturales a lieu dans le cadre du Salon « Valet de Carreau » à Saint Pétersbourg. Cette brillante rétrospective (92 œuvres) fournit une nouvelle vision de la peinture constructiviste. Car, contrairement à Kazimir Malevitch qui professait l’autonomie inconditionnelle des plans non-objectifs, Alexandra tient à employer conjointement différents éléments, pour imbriquer l’énergie de chaque couleur dans ses constructions.

 

Composition non objective - 1916
Huile sur toile, 117 x 88 cm
Musée de Slobodskoï


Dynamique de la couleur – 1916/1918
Huile et gouache sur toile, 111,5 x 73 cm
Kunsthaus, Zurich


En 1917, Alexandra perd son mari puis sa mère et, en raison d’une obscure question d’héritage, elle n’a plus accès à sa propre maison où une partie de ses œuvres est conservée. La plupart d’entre elles seront détruites au cours de la guerre civile qui suit la formation de la Rada, le Conseil central ukrainien (créé en mars 1917) qui proclame l’indépendance de l’Ukraine par rapport à la Russie. Malgré la brutalité de cette guerre, se crée en octobre 1917 l’Académie nationale ukrainienne des beaux-arts où Tatline et Malevitch viendront enseigner dans les années 20.

Et, la même année, est publié à Moscou un essai sur le cubisme, intitulé Picasso et Environs, du jeune critique d’art Ivan Aksionov. Alexandra en a dessiné la couverture.

 

Couverture du livre Pikasso i okrestnosti (Picasso et Environs)
d’Ivan Aksénov – 1917
Livre, 27 x 20,3 cm
Museum of Modern Art, New York


Composition non objective – 1917
Huile sur toile, 121 x 109 cm
Musée Russe, Saint Pétersbourg


Composition non objective – 1917
Huile sur toile, 71 x 53 cm
Musée de Krasnodar


Mouvement des plans – 1917
Huile sur toile, 92,5 x 76 cm
Musée des Beaux-Arts, Nijni Taguil


En 1918, toujours à Kiev, Alexandra crée un atelier d’enseignement qui rencontre un vif succès auprès des jeunes peintres ukrainiens. 

 

Composition de surface-plan suivant le mouvement de la couleur – 1918
Support, technique et dimensions non précisés
Wilhelm Hack Museum, Ludwigshafen


Motif pour une peinture murale – 1918
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.64

 

Et elle continue à travailler pour le théâtre :

 

Projet de scénographie pour Venise - 1918
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.84



Projet de costume pour une noble dame dans Venise - 1918
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.86


Projet de costume pour un citoyen dans Venise - 1918
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.88


Installée à Moscou au début de l’année 1920, Alexandra participe à l’exposition constructiviste « 5×5=25 » de septembre 1921, évènement qui marque l’apogée de la peinture non-objective radicale…

 

Construction de couleurs – 1921
Huile sur toile, 89 x 89 cm
Musée Radichtchev, Saratov



Composition – vers 1921
Gouache sur papier, 24 x 22 cm
Albright Knox Art Gallery, Buffalo, New York

 

 … et mène un nouveau projet de décor et de costumes pour Roméo et Juliette.

 

Projet de costume pour Roméo et Juliette – 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold


Projet de costume pour Roméo et Juliette – 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.16



Scénographie pour la pièce Roméo et Juliette – vers 1921
Gouache et peinture métallisée sur papier, 42,9 x 61,6 cm
Museum of Modern Art, New York

Le décor, surtout, frappe les esprits : « Sous la direction d’Alexandra Exter, les décors de Roméo et Juliette se plient et se démultiplient ; les ponts de Vérone se croisent, tissent leurs différences et la multiplication des escaliers finit ainsi par créer une sorte d’espace proprement piranésien, bien loin du fonctionnalisme ou de l’éloge de la machine généralement prêtés au constructivisme. » (Emmanuel Rubio, « Melnikov, Le Corbusier, Kiesler : la guerre des espaces », L’année 1925, 2012, Presse universitaire de Paris-Nanterre, p.81-94)

 

Photographe inconnu
Une danse de Roméo et Juliette - 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.104

 

Et, selon la monographie de Tugendhold, elle intervient aussi dans d’autres spectacles.

 

Projet de costume pour The modern Clestakoff – 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.24


Projet de costume pour le gouverneur dans une comédie de Cervantes - 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.108



Projet de costume pour un noble dans une comédie de Cervantes - 1921
Publié dans Alexandra Exter de Jakov Tugendhold
Berlin, Edition Sarja, 1922, p.112

 

En 1923, elle conçoit également une partie du décor de la première « Exposition panrusse de l’agriculture et de l’industrie », des roues dentées, des poulies, des tapis roulants et des grues disposées dans une grande fresque destinée à un pavillon qui présentait les conceptions de pointe en matière d’équipement mécanique.

 

Etude pour la peinture murale du pavillon du génie mécanique
Exposition panrusse de l’agriculture et des industries mécaniques – 1923
Parc central de la culture et des loisirs (Parc Gorki), Moscou
Museum of Modern Art, New York


C’est la même année qu’on commence à trouver le nom d’Alexandra dans la presse française :

« Le Théâtre Kamerny, théâtre de chambre, a été fondé le 2 décembre 1914. Bercé par le canon de la guerre, il grandit dans la tourmente révolutionnaire. Pendant huit ans, isolé de l'Occident par une muraille d’acier, il travaille à renouveler l’art scénique russe. Il est donc essentiellement autonome et naturellement combatif. (…) Le Théâtre Kamerny de Moscou est l’œuvre d’une pléiade d'artistes dont la foi ne s'est jamais démentie.

Alexandre Taïroff est l'inspirateur et le metteur en scène du « Kamerny ». Il avait déjà fait sur une autre scène, celle du brillant mais éphémère « Théâtre Libre de Moscou », des expériences concluantes en montant la pantomime du Voile de Pierrette et une chinoiserie burlesque : la Veste jaune. Mais il lui fallait être le maître chez lui pour aboutir. Qu’avait-il voulu, créer en inaugurant le Théâtre de Chambre et vers de brillantes destinées prétendait-il le conduire ? Il s’était élevé contre le théâtre naturaliste, imitateur de réalités minables et blafardes. Il s’était évadé du théâtre conventionnel, de son esthétique pour marionnettes qui réduit l’homme au rôle d’un pantin automatique. Il voulut de toute l’ardeur d’une volonté forgée par la lutte un théâtre de formes scéniques, non plus abstraites, mais saturées d’émotion créatrice, un théâtre où triomphât l’action. » A côté de l’article figure une liste de pièces de théâtre ; celle du 8 novembre 1924 : « THAMIRAS CYTHAREDE drame bacchique de Annensky, Musique de Forterre, Décors d’Alexandra Exter. » (Paris Journal, 6 mars 1923, p.1)

 

Puis Alexandra participe au film de science-fiction Aelita, réalisé par Iakov Protozanov (1881-1945), un des films les plus novateurs de l’époque, qualifié (beaucoup) plus tard de « péplum martien » (!)

Elle crée les décors, le premier rappelle étrangement le Monument à la troisième Internationale de Taline…

Scénographie pour le film Aelita de Yakov Protavanov – 1924
Gouache sur papier, 179 x 137 cm
Collection particulière (vente 2023)

Scénographie pour le film Aelita de Yakov Protavanov – 1924
Gouache sur papier, 152,4 x 106,6 cm
Collection particulière (vente 2023)

 

… et aussi les costumes :

 

Costume pour le film Aelita de Iakov Protavanov – 1924
Gouache sur papier, 91,4 x 134,6 cm
Collection particulière (vente 2023)


Gardien de l’Energie – 1924
Costume pour le film Aelita de Yakov Protazanov
Encre, gouache et mine de plomb sur papier, 54 x 36,2 cm
Museum of Modern Art, New York



Gor, gardien de l’Energie dans Aelita, reine de Mars - 1924
Réalisé par Iakov Protazanov en 1924
Archive du Conseil du cinéma russe


En 1924, Alexandra profite de l’invitation qu’elle reçoit pour quitter la Russie afin de participer à la biennale internationale de Venise. Elle va y montrer notamment cette toile :

 

Venise – 1917/1924
Huile sur toile, 268 x 639 cm
Galerie Tretiakov, Moscou

L’exposition est longuement commentée dans la presse française, dont voici un extrait : « (…) Le mouvement cubiste réveillant la compréhension de toutes les lois formelles, de la peinture, a ouvert à ses partisans le sens de la construction, de la liberté de choix et de l'accord des formes naturelles, et a créé une volonté rationaliste. C'est de cette École que Malevitsch, Popowa, Exter et Altmann obtinrent leur spéciale conformation artistique. Le cubisme, cependant, qui, malgré tout, était basé sur la perception de la nature, ne pouvait satisfaire pleinement une génération extrémiste à la recherche des déductions absolues. Il ne put donc exercer qu'une action transitoire, ouvrant le chemin à cet art "sans objet" qui se refuse à représenter le monde actuel et qui est actuellement connu en Russie sous le nom de suprématisme. Pour lui, la peinture doit s'émanciper de l'imitation de l'objet qui asservit l'artiste. Les problèmes de construction et de facture, ainsi qu'un rationalisme et un formalisme abstrait, caractérisent ce mouvement dont les œuvres de Tatlin, Malevitsch, Popova, Rodtchenko, Exter et Altmann nous présentent de nombreux exemples. » (Boris Ternovetz, « La section russe de la biennale internationale de Venise », La Renaissance de l’art français et des industries de luxe, 1er juillet 1924, p. 535 à 547)

 

Dessin pour le drame « Famira »
Publié par La Renaissance de l’art français et des industries de luxe
1er juillet 1924, p.545

Ensuite, après un bref séjour en Italie, Alexandra revient à Paris où elle s’installe de façon définitive.

Dès 1925, elle participe au Salon de l’Araignée, à la Galerie Dewambez : « Madame Alexandra Exter, décoratrice du Théâtre Kamerny de Moscou, nous montre deux maquettes de décors qu’il est difficile de juger sans avoir vu les spectacles qu’ils doivent encadrer ; un panneau composé d’aquarelles très décoratives, peintes avec des couleurs pures et qui ont quelque analogie avec certaines œuvres anciennes de Robert Delaunay et de Fernand Léger ; enfin, des "photos montages", curieuse combinaison de photographie et de dessin. » (Charensol, « Le Salon de l’Araignée », L’Art vivant, 15 mai 1925, p.16)

 

La leçon de musique – vers 1925
Huile sur toile, 73,5 x 92
National Gallery of Australia, Canberra
(j'ai repris les indications du musée mais cette œuvre ne me paraît pas "coller" à son style…)



Venise, le bateau et la ville – 1925
Huile et sable sur toile, 101,1 x 70,8 cm
Collection particulière (vente 2006)

Composition théâtrale – vers 1925
Huile sur toile, 149 x 108,9 cm
Museum of Modern Art, New York

Et elle ouvre un « cours d’art théâtral et de scénographie » dont on trouve les publicités dans la presse et qui semble avoir bénéficié d'une rapide notoriété.

 

Publicité parue dans la revue d’art Le Cousin Pons du mars-novembre 1925
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


« Parmi les Camarades dont le radicalisme se borne au théâtre, et avec des résultats splendides, on peut citer Alexandra Exter, Robinovitch, Tchestakov, Erdman et Fedotov. Mme Exter est bien connue à Paris par son école de scénographe. » (Arthur Moss, « Over the River », The Paris Times, 13 novembre 1925, p.3)

 

Publié dans The Paris Times, 13 novembre 1925, p.3
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Elle participe à nouveau au Salon de l’Araignée, organisé en 1927 par la Galerie Granoff, et c’est la première fois que ses fameuses marionnettes paraissent dans la presse française :

 

« L’artiste russe Alexandra Exter s’est inspiré de l’art le plus moderne
pour composer ces curieuses marionnettes »
Publié dans La Lumière, 19 novembre 1927, p.8

Je n’ai pas trouvé dans quelle circonstance elle les a produites. Elles furent montrées ensuite à la Galerie Flechtheim, à Berlin et on en trouve quelques exemples dans les collections d’un musée de Zürich.

 

Arlequin noir – 1926
Bois, textiles et cuir peints et collés, feuille de cuivre, 57 × 24 × 14 cm
Museum für Gestaltung, Zürich



Polichinelle – 1926
Bois, métal, tissus, cuir, carton, 70 x 30 x 24 cm
Museum für Gestaltung, Zürich


Carabinier – 1926
Bois, métal, tissus, cuir, carton, 67 x 24 x 13 cm
Museum für Gestaltung, Zürich


Colombine – 1926
Bois, métal, tissus, hydrate de cellulose, papier, 56 x 32 x 16 cm
Museum für Gestaltung, Zürich


Tenue de soirée (Habit de rigueur) – 1926
Bois, carton, plastique, tissu, 83,8 x 34,3 x 20,3 cm
Los Angeles County Museum of Art

Elle produit d’autres décors de théâtre et des projets de costumes.

 

Projet de décor pour Don Juan et la mort - 1926
Gouache sur papier, 49,3 x 64 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris
© Photo : Service de la documentation photographique du MNAM



Mise en scène de Don Juan – vers 1926
Gouache sur papier vélin, 48,1 x 59,3 cm
National Gallery of Canada, Toronto

Projet de costume pour une pièce de Francis de Miomandre – vers 1929
Gouache sur vélin, 57,5 x 44,8 cm
National Gallery of Canada, Toronto


Et elle continue à peindre.


Acrobates – 1926
Mine graphite, crayons de couleur et gouache sur papier, 45,1 x 57,8 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris
© Photo : Philippe Migeat – Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist.RMN-GP


Loge – 1926
Gouache, encre noire et mine de plomb sur papier, 50,2 x 49,4 cm
Museum of Fine Arts, Philadelphie


En 1929, la galerie des Quatre-Chemins lui consacre une exposition personnelle, particulièrement bien relayée par la presse, même si l’on sent que la critique « traditionnelle » a quelques difficultés à déglutir, tout en reconnaissant son indéniable talent :

« C'est actuellement en Russie, en Russie soviétique, que s'élaborent les recherches décoratives les plus audacieuses. Voici l'essentiel de la profession de foi de ces "révolutionnaires" : L'avant-garde a renoncé résolument à la prédominance de la peinture ; aux décors peints se substituent des architectures fictives, l'action se passe, dans les trois dimensions de la scène, la longueur, la largeur et la hauteur. On peut affirmer que Mme Alexandra Exter est, en partie, "coupable" de cette évolution qui tend à remplacer l'embellissement de la scène cher aux Bakst, Benois, Bilibine, Dobujensky, Roerich, Lissim, par des éléments purement constructifs, inspirés directement du cubisme.

L'exposition de Mme Exter (Galerie des Quatre-Chemins) prouve son très grand talent, et ses conceptions, parfois déconcertantes, éclairent cette soif d'originalité qui préside au renouvellement de la mise en scène en U. R. S. S. Collaboratrice du Kamerny Théâtre, elle composa les décors et les costumes de Thamira Cytharède (1916), ceux de la Salomé d'Oscar Wilde (1917) et de Roméo et Juliette de Shakespeare (1920). On trouve à cette exposition des esquisses pour Otello, Faust, divers décors d'opérettes et de revues, des projets pour le cinéma et surtout une série de marionnettes qui sont de pures merveilles d'intelligence et d'ingénieuse cocasserie. L’art d’Alexandra Exter réside avant tout dans un besoin de construire ; elle construit un décor avec des plans, des masses, des volumes ; elle construit un costume de la même façon et on sent qu'elle discipline jusqu'aux projecteurs pour accuser certains reliefs ou certaines ombres. C'est une nécessité quasi morbide, elle voit les reliefs comme un stéréoscope et dès cet instant plus rien ne compte ; elle y sacrifie le style d'une époque, comme la glace d'une courbe : c'est toujours puissant mais souvent insensible.

Il ne faudrait pas croire que toutes ces esquisses manquent de séduction, bien au contraire : elles séduisent pour mieux vous asservir. Il ne faudrait pas croire également que Mme Exter répugne aux prestiges de la couleur : ses harmonies sont toujours savamment étudiées. Il ne faudrait pas croire, enfin, que cet art, aussi systématique qu'il paraisse, manque de variété. Mme Exter a beaucoup d'imagination et elle s'en sert avec encore plus d'adresse. Mais il y a dans l'ensemble de cette œuvre considérable une sorte de "mécanisation" outrancière qui finalement exaspère. Mme Exter est bien le reflet de notre civilisation de la machine ; il faut qu'elle collabore aux œuvres d'un Prokofieff, d'un Molnar ou d'un Kaiser, il faut que le music-hall lui demande des projets pour ses revues, il faut que le cinéma utilise ses idées, mais surtout, surtout qu'on ne lui laisse pas toucher à l'œuvre d'un Musset ou d'un Sarment.

Dans cet épanouissement extraordinaire qui émancipe le théâtre et la littérature pour tendre exclusivement vers l'art du jeu (mimique et plastique), il faut bien reconnaître que la voie dans laquelle s'engagent les Russes mène droit à la faillite, à la faillite cela s'entend, des œuvres théâtrales écrites. » (André Boll, « Alexandra Exter, peintre de décors », Paris Le Soir, 7 juin 1929, p.5)

« Projet pour une tragédie, par Alexandra Exter »
Publié dans Paris Soir, 7 juin 1929, p.5

« Mme Alexandra Exter exposera, à partir du 10 mai, à la Galerie des Quatre-Chemins, rue Godot-de-Mauroy, une sélection de ses principales œuvres. On y remarquera particulièrement des dessins et des maquettes de décors, des dessins de costumes et une série de marionnettes disposées en groupes d’une vie intense.  Mme Exter n’appartient en réalité à aucune école. Nous savons qu’elle fut parmi les maîtres du "Constructivisme" et qu’elle a obtenu de très grands succès au Théâtre Artistique de Moscou et au Kamerny, qui ont tous deux donné des séries de représentations à Paris. Mme Exter a travaillé depuis à Londres, Berlin et Vienne, pour le théâtre, le music-hall et le cinéma. Elle exposera, entre autres, une maquette de décors lumineux, extrêmement intéressante. Virtuose de la lumière dans la diversité angulaire et spectrale de ses rayons, cette artiste apporte au music-hall et au cinéma de nouvelles possibilités. Les photos ci-contre représentent deux "Constructions" scéniques particulièrement originales et réussies. » (B.D., « L’art décoratif appliqué au théâtre », Vu, journal de la semaine, 1er mai 1929, p.349)

 

"Projet pour un tableau de revue, par Alexandra Exter"
Publié dans Vu, journal de la semaine, 1er mai 1929, p.349 
et dans Cinémonde, 9 mai 1929, p.502


Publié dans Vu, journal de la semaine, 1er mai 1929, p.349


« (…) Mme Exter n'est pas une débutante. Ses premières mises en scène au théâtre Kamerny sont antérieures à la révolution. L’artiste se fait, connaître par sa présentation de Salomé, de Wilde. Elle réagit contre le "décor de peintre". Elle lui substitue le décor constructif et architectural. Elle met en relief le caractère spatial de la botte scénique. L'acteur était au temps de Bakst, un complément tonal, de la toile de fond. Exter souligne par le costume rigide sa corporalité et sa plasticité. Elle crée entre la structure statique de la scène, transformée en espace mesurable et l’acteur, élément dynamique, de nouvelles relations. Elle renonce, par la suite, au décor qui situe exactement l’action et bâtit de simples échafaudages, claires-voies faites de pontons, de plans en déclive, de passerelles et de mâts, où l'acteur intégral, danseur, mime et gymnaste, évolue en créant l'atmosphère adéquate à la pièce par le jeu, ce moyen d’expression qui lui est spécifique.

Après avoir conçu des décors et des costumes plastiques, après avoir prôné l’acteur-sur-marionnette, fantoche et automate, dont le régisseur-maître de l’œuvre compose les moindres gestes et régit les attitudes stylisées, Alexandra Exter libère le comédien, le hisse sur un pavois et en fait le roi du théâtre. Ses créations récentes nous mettent en présence de l'acteur revêtu d’un costume purement utilitaire qui n’entrave aucun de ses mouvements et qui accuse sa personnalité. Tous ceux que passionnent des problèmes du décor de théâtre et de la mise en scène se doivent de visiter l’exposition d’Alexandra Exter. (Waldemar Georges, « Art et scénographie, l’exposition Alexandra Exter », La Presse, 19 mai 1929, p.2)

 

« Galerie des Quatre-Chemins. — Alexandra Exter possède une fertile imagination, tous les décors, maquettes, costumes la montrent capable de s'adapter aux plus divers sujets. La simplification très caractéristique des motifs architecturaux, des costumes est marquée par leur esprit fin, atomisant souvent, et largement décoratif. Tout ici est bien vu, bien cherché en vue du maximum d'expression et du plus juste accord avec le sujet. Le décor doit avoir le même sens que la pièce qu'il accompagne et ceci a trop souvent été négligé ; le mérite d'Alexandra Exter est de l'avoir compris. » (La Semaine à Paris, 24 mai 1929, p.48)

 

Alexandra Exter dans son atelier parisien – sans date
Source : Collections numériques de la bibliothèque de New York
© Photo : Billy Rose Theatre Division


« L’Exposition d’Alexandra Exter (Galerie des Quatre-Chemins) prouve son très grand talent et ses conceptions parfois déconcertantes, éclairent cette soif d’originalité qui préside au renouvellement de la mise en scène en U. R. S. S. L’art d’Alexandra Exter réside avant tout dans un besoin de construire, elle construit un décor avec des plans, des masses, des volumes ; elle construit un costume de la même façon et on sent qu’elle discipline jusqu’aux projecteurs pour accuser certains reliefs ou certaines ombres. C’est une nécessité quasi morbide, elle voit les reliefs comme un stérioscope et dès cet instant plus rien ne compte ; elle y sacrifie le style d’une époque comme la grâce d’une courbe : c’est toujours puissant, mais souvent insensible. Il ne faudrait pas croire que toutes ces esquisses manquent de séduction, bien au contraire : elles séduisent pour mieux vous asservir. Il ne faudrait pas croire que Mme Exter répugne aux prestiges de la couleur : ses harmonies sont toujours savamment étudiées. Il ne faudrait pas croire, enfin, que cet art, aussi systématique qu’il paraisse, manque de variété. Mme Exter a beaucoup d’imagination et elle s’en sert avec encore plus d’adresse. Mais il y a dans l’ensemble de cet œuvre considérable une sorte de "mécanisation" qui exaspère. Mme Exter est bien le reflet de notre civilisation de la machine ; il faut qu’elle collabore aux œuvres d’un Prokofieff, d’un Molnar ou d’un Kaiser, il faut que le music-hall lui demande des projets pour ses revues, il faut que le cinéma utilise ses idées, mais surtout, surtout qu’on ne lui laisse pas toucher à l’œuvre d’un Musset ou d’un Sarment. Dans cet épanouissement extraordinaire qui émancipe le théâtre et la littérature pour tendre exclusivement vers l’art du jeu (mimique et plastique), il faut bien reconnaître que la voie dans laquelle s’engagent les Russes, mène droit à la faillite, à la faillite, cela s’entend, des œuvres théâtrales écrites. » (« Les Beaux-Arts », Notre temps, 1er mai 1929, p.212)

La galerie édite à cette occasion un album de quinze pochoirs de ses décors de théâtre, préfacé par Alexandre Tairoff.

 

Album de quinze pochoirs de décors de théâtre – 1930
Edition de la Galerie des Quatre Chemins
Collection particulière (vente 2009)


Pendant ce temps, Alexandra a rejoint son ami Fernand Léger à l’Académie moderne qu’il a créé deux ans auparavant. Ce rapprochement paraît naturel aujourd’hui car tous deux ont porté l’art moderne au théâtre, Léger a été un précurseur en France, si l’on se souvient de La Création du monde, en 1922… (voir la notice de Marie Vassilieff), même si ses décors paraissent moins complexes que ceux d’Alexandra. A l’Académie moderne, Alexandra dirige un atelier sur la couleur, en compagnie de Marcoussis.

 

Encart publicitaire paru dans L’Amour de l’art n°11, 
novembre 1929 (fin de volume)

En 1930, paraît dans Mobilier et Décoration, un très long article d’un ami d’Alexandra, auquel elle lèguera plus tard son atelier et ses archives. « Mme Alexandra Exter est très connue en Russie, aux Etats-Unis, en Allemagne et, quoique depuis plusieurs années elle habite et travaille à Paris, quoique son art si personnel, si fort, soit goûté et accepté par un certain nombre de gens, par tous ceux qui s'intéressent à l'art théâtral et suivent les évolutions et les efforts de la décoration théâtrale moderne, malgré tout cela son nom n'est pas connu du grand public. Constructiviste, Mme Exter arrive à donner des décors construits, qui, certes, ne seront pas compris par tout le monde, qui pourront même choquer, mais l'harmonie des lignes, des coloris, la vue générale sont si belles, si bien conçues et présentées avec tant de goût qu'on ne peut que les admirer et s'incliner devant la force, le sens décoratif qui s'y dégagent.

Tel décor composé d'escaliers, de plates-formes, de mâts ; tel autre, uniquement de fanions et de drapeaux, sont des merveilles d’inventions et de fantaisie. Les décors lumineux, dont l'idée, outre le théâtre, serait amusante à utiliser au cinéma, comporte des ombres et des éclairages divers.

Quelques projets de photomontages qu’elle présenta à sa dernière exposition à Paris, où des intérieurs, des parties de maison, des grilles en photographies découpées voisinaient avec un dessin fin et très réaliste, et le tout composait des ensembles en noir, gris, blanc d'une grande beauté architecturale, démontrent que l'artiste a su là aussi indiquer une voie nouvelle à ce genre de présentation. Mme Exter est avant tout décorateur de théâtre. Nous connaissons ses œuvres picturales, ses panneaux décoratifs avec des blancs et des blancs grisonnants, si chauds, où le regard s'attarde et ne peut quitter la toile ; nous connaissons ses projets d'intérieurs et notamment cet ensemble remarquable d'un appartement de onze pièces qu'elle exécute actuellement pour la danseuse Eisa Kruger ; nous connaissons donc tout ce qu'elle fait en dehors du théâtre.

Mais même là l'influence du théâtre se remarque facilement. L'artiste voit tout en théâtre ou plutôt, si l'on peut s'exprimer ainsi, par des jumelles théâtrales. Elle connaît le théâtre ; ses secrets les plus intimes, ses possibilités, ses dangers ; elle l'aime de tout son être. Le Théâtre, c'est pour elle la vie de ses rêves. Dans sa préface pour l'exposition que Madame Exter fit à Paris, Gaston Baty dit : "Comme un acteur consciencieux n'ajoute rien à ses répliques non plus qu'il n'en retranche rien, le décor, quel qu'en soit le style, contiendra tous les éléments plastiques nécessaires à sa pleine signification, et ceux-là seulement. Nul détail inutile. Nulle recherche de vain pittoresque. L'expression d’abord".

Et cette expression existe dans l'œuvre théâtrale de l'artiste. Et en plus une harmonie parfaite, un accord merveilleux entre tous les éléments. En voyant ces projets, on comprend aisément le critique qui dit à propos de ses décors mobiles : "Ces combinaisons mouvantes de formes et de couleurs émotionnaient le spectateur comme des accords musicaux." (I. Tugendhold : Alexandra Exter. Editions Saria, 1922.) Et plus loin, en parlant des costumes, le même critique dit : "Les costumes de Mme Exter sont précisément des rythmes humains fixés en lignes et en couleurs. Elle obtient de trois façons différentes cette impression de dynamisme : par le pinceau qui souligne les plis et les rythmes du flottement des étoffes (comme dans Salomé, par exemple), par de différents matériaux (exemple : bouts de velours dans le costume produisant l’impression de ralentissement, tandis que la soie provoque une sensation de légèreté, trépidation, accélération de la vitesse), enfin par des variations de couleurs qui soit affaiblissent, soit renforcent, par leurs contrastes, le geste."

Mme Exter est une grande artiste. Je comprendrai les personnes qui n'aimeront pas son art. Ceci dépend du goût et il est trop compliqué, son art, trop composite pour plaire, pour être compris et aimé par chacun. Mais nous sommes sûrs qu'il sera toujours discuté passionnément, avec un réel intérêt, qu'il sera toujours accepté comme un art sincère, toujours jeune, plein de goût et d'idées nouvelles. » (Simon Lissim, « Alexandra Exter », Mobilier et Décoration, 1er janvier 1930, p.108-112.)

 

« Costumes pour Cirque »
Publié dans Mobilier et Décoration, 1er janvier 1930, p.110



« Costumes pour Faust »
Publié dans Mobilier et Décoration, 1er janvier 1930, p.112


« Décor de lumière »
Publié dans Mobilier et Décoration, 1er janvier 1930, p.109



« Projet de décor pour une opérette »
Publié dans Mobilier et Décoration, 1er janvier 1930, p.111
et dans Bravo, 1er mai 1930, p.24


La même année, à la galerie 23, rue de la Boétie, a lieu l’exposition « Cercles et carrés », du nom du groupe créé en 1928 par le critique d’art Michel Seuphor. Alexandra en était partie prenante, avec d’autres femmes, souvent associées à l’Académie moderne, comme Marcelle Cahn, Sophie Taeuber-Arp et Florence Henri. L’exposition regroupe un ensemble d’artistes d’une grande diversité de styles, cubiste, futuriste, constructiviste, néo-plastique, puriste. C’est peut-être cette diversité qui détourna les critiques de l’exposition sur laquelle je n’ai trouvé aucun compte rendu dans la presse.

En 1931, elle participe au spectacle « Les nouveautés en revue » où rayonne le « délicieux sourire » d’Elvire Popesco. « Henri Jeanson y a prodigué sa verve, son esprit caustique, sa bonne humeur et M. B.-L. Deutsch a fait appel à des artistes comme : Yves Alix, André Boll, Lucien Boucher, Paul Colin, Alexandra Exter » (La Liberté, 23 mars 1931, p.2)

Je place ici cette photographie dont on ne connaît pas la date mais qui exprime assez clairement la modernité de son travail.

 

Photo d’une production conçue par Alexandra Exter – entre 1920 et 1930
Source : Collections numériques de la bibliothèque de New York

J’ai aussi trouvé un texte sur la question de l’affiche, écrit par Alexandra dans La Volonté, un quotidien qui a paru entre 1925 et 1936 : « Il est de toute évidence que l’art publicitaire n’est pas un art libre : deux principes le régissent : le sujet concret et l’attrait immédiat, la force magnétique, la persuasion de sa réalisation. L’art publicitaire, ses possibilités, ses réalisations sont sans limites, sont extrêmement vastes, ont plusieurs aspects différents, mais également intéressants, d’une valeur artistique et publicitaire évidente, l’affiche, à deux ou trois dimensions, l’affiche statique ou dynamique, l’affiche aux coloris simples et nets, à coloris multiples, aux clairs obscurs si différents et si intelligents. Il y a aussi l’étiquette, l’étiquette qu’on colle sur les bouteilles, les flacons, les boîtes. Un des cas particulièrement intéressants. L’étiquette est faite sur un papier, elle est plate. Mais par sa destination même elle devra prendre une forme autre que celle qu’elle a. Car elle sera collée sur des objets à plusieurs dimensions. Elle perdra sa forme personnelle pour prendre celle des objets pour lesquels elle a été créée. L’enseigne, si amusante dans le temps, ayant eu des formes et des sujets extraordinaires, devient simple, mais en accord parfait soit avec l’architecture de l’immeuble, soit avec la façade du magasin.

Elle est architecturale aujourd’hui, elle est devenue plate. Les étalages enfin — sont une publicité à dimensions. C’est peut-être celle qui est la plus efficace, la plus accessible. Une exposition d’objets déjà exécutés dans une vitrine existante, crée une discipline qui n’a la possibilité de s’évader qu’avec les sujets de l’étalage, mais encore là elle sera retenue par les sujets des marchandises. On voit donc que la publicité offre des moyens sans limites, des possibilités énormes. On voit aussi quels énormes progrès a faits cette branche d’art décoratif ces dernières années et il ne reste qu’à lui souhaiter de se développer sans cesse et en faisant toujours du progrès. Alexandra Exter » (reproduit dans « Tour d’horizon à travers les feuilles », L’affiche française, 1er octobre 1933, p.313)

Peut-être cet article est-il lié au fait qu’Alexandra s’est frottée à la question de la présentation commerciale en intervenant dans les vitrines des Galeries Lafayette, en 1930 ?

Quoi qu’il en soit, il semblerait qu’elle ait continué sa production théâtrale au moins jusqu’au début des années 30.

 

Conception de costume pour Les Equivoques de d’Amour – vers 1933
Gouache et crayons sur papier, 58,4 x 44,7 cm
National Museum of Women in the Art, New York


Ensuite, Art et Décoration du 1er janvier 1935 annonce une exposition sur les marionnettes à laquelle Alexandra participe et « touche au cubisme » selon l’auteur (p.37).

En 1937, le Bulletin de la Société des historiens du théâtre annonce une exposition d’Alexandra Exter au musée des Arts et Métiers de Prague, sur ses décors et costumes. (1er décembre 1937, p.134)

Puis, c’est principalement dans le domaine de l’édition que la presse parle d’elle, et d’abord la presse pour enfants, dans une édition encore bien connue des « boomers » d’aujourd’hui, les Albums du père Castor, chez Flammarion : « … dans la série infiniment variée des "albums-jeux", le Père Castor présente cette année : Mon jardin, dessiné, construit et mis en couleurs avec un art exquis par Alexandra Exter. Lorsque les enfants en auront découpé soigneusement les arbres, les plantes, les fleurs de toutes sortes, il s'agira bien réellement d'un jardin à planter, d'un délicieux jardin, à la fois très réel et plein de rêves, qui sera leur œuvre et dont ils pourront changer la disposition selon leur goût et leur fantaisie. » (« Livres pour enfants », Le Peuple, organe quotidien du syndicalisme, 28 décembre 1936, p.3)

 


En 1938, nouveau retour dans la presse à l’occasion de la publication de trois ouvrages pour enfants qu’Alexandra illustre sur un texte de Marie Colmont. Le premier est le Panorama du fleuve, « depuis les sources glaciaires jusqu’à la mer », les deux suivants sont ceux de La Montagne et de La Côte.

L’enfant peut les déplier et les accrocher au mur de sa chambre : « J’ai appris qu’un petit garçon âgé de 7 ans, vivant dans un village de Ile-de-France, est tombé, pour ainsi dire, amoureux de cette révélation artistique ; chaque matin il se lève et regarde longuement la frise et note ce qui le frappe spécialement ce jour-là. » (Edmond Schlesinger, « L’art et l’enfant », Vendredi, 15 décembre 1938, p.8)

 

« Dans cette collection, un Panorama de la Montagne semble répondre à une double exigence : d’un côté l’image seule d’Alexandra Exter, la montagne, "ses glaciers roses ou violets, son ciel d’un bleu changeant, le blanc éblouissant de sa neige" ; de l’autre, le texte, de Marie Colmont, pour le jour où il saura comprendre "qu’il n’est pas de but lointain que nous ne puissions atteindre à force de volonté" ». (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 décembre 1938, p.6)

 

Panorama de la Montagne - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Panorama de la Montagne - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Panorama de la Montagne - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


« Cet album contient d’un côté une frise, composée de dix planches en dix couleurs, dues au talent d’Alexandra Exter ; de l’autre un texte explicatif de Marie Colmont. C’est très beau et d’une présentation très originale. » (Le Page, Bayard, 22 janvier 1939, p.8) Texte repris dans Le sanctuaire, revue hebdomadaire des enfants de chœur, 22 janvier 1939, p.8 (!)

 

 


 

Panorama de la Côte - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Panorama de la Côte - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Panorama de la Côte - 1938
Illustration d’Alexandra Exter
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Au cours des années suivantes, Alexandra centre ses activités sur l’édition. On voit passer des compliments sans toujours savoir de quel ouvrage il peut s’agir…

« Un album d'ALEXANDRA EXTER absolument remarquable. D'une présentation parfaite, il se compose de quinze planches originales & donne une idée très précise de l'art d'un des plus grands maîtres du décor d'avant-garde. Sa place est particulièrement bien indiquée parmi les collections de la Bibliothèque de l'Opéra qui retracent toute l'histoire de l'art du costume & du décor. » (Rapport sur le fonctionnement des divers services de la Bibliothèque nationale / Ministère de l'Instruction publique et des beaux-arts, 1944, p.59). Peut-être s'agit-il de ses pochoirs de décors…

Elle aurait illustré de nombreux ouvrages, je n’en ai trouvé qu’un :

 

Manuscrit illustré de Mystère du sang d’Anatole France – juin 1941
Gouache, dorure et calligraphie à l’encre sur papier, 33 x 25,5 cm
Calligraphies de Guido Colucci, trois gouaches pleine page et une demi-page d’A.E.
Collection particulière (vente 2023)


Manuscrit illustré de Mystère du sang d’Anatole France – juin 1941
Collection particulière (vente 2023)



Manuscrit illustré de Mystère du sang d’Anatole France – juin 1941
Collection particulière (vente 2023)


Manuscrit illustré de Mystère du sang d’Anatole France – juin 1941
Collection particulière (vente 2023)

 

Je n’ai pas trouvé non plus si elle avait participé à la première exposition « Machine Age » qui s’est tenue à New York en mai 1927. Une autre aurait eu lieu en 1934 où elle était peut-être. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que certaines de ses œuvres figuraient à celle de 1968 :

 

Exposition « The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age »
novembre 1968/février 1969, MoMA, New York
Avec deux dessins d’Alexandra Exter à gauche
© Photo : Museum of Modern Art, New York 



Construction pour scène plastique et gymnastique – 1923
Mine graphite, encre de Chine, aquarelle et gouache sur papier, 47,4 x 54 cm

L’exposition réunissait tous les grands noms de l’histoire de l’art moderne, Tatline, Tinguely, Klee, Umberto Boccioni, Max Ernst, Georges Grosz, Fernand Léger, Giacomo Balla, Oskar Schlemmer, Picabia, Hans Bellmer, Jacob Epstein, Chirico, Lissitzky, Calder, Man Ray, Duchamp, etc. Alexandra était en (bonne) compagnie d’une myriade d’hommes et… je n’ai pas repéré d’autres femmes mais j’espère qu’il y en avait malgré tout quelques-unes !

En 1946, Alexandra participe à la décoration du Salon d’Automne, dans une salle où sont présentées des maquettes de théâtre des spectacles présentés l’année précédente. Le catalogue ne la cite que pour un « projet de décor » dans la section de décoration théâtrale (p.96).

Alexandra est citée aussi dans la réalisation de L’Annonce faite à Marie, mais l’article ne précise pas ce qu’elle y a fait. (Arts, 11 octobre 1946, p.7)

Alexandra Exter est morte à Fontenay-aux-Roses, le 17 mars 1949.


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En dépit de la monographie que Jakov Tugendhold écrivit sur elle dès 1922, il faut bien constater que son rôle précurseur dans la diffusion de l’art moderne en Russie et, d’une façon plus générale, son œuvre de passeur des idées novatrices venues d’Ukraine ne sont que très peu mis en valeur dans les publications d’aujourd’hui.

Elle a pourtant bénéficié de plusieurs expositions au cours des années 70, comme celle qui a eu lieu à la galerie Léonard Hutton Galleries de New York, qui montrait ses marionnettes, en octobre-décembre 1975.



Et, bien sûr, il y a eu le « Paris-Moscou » à Pompidou en 1979 mais qui se souvient d’y avoir vu ses œuvres ?

En 2010, un historien de l’art, Georgy Kovalenko, a publié une monographie en deux tomes qui a été saluée par les historiens de l’art. Je n’ai pas l’impression qu’elle ait été traduite en français. C’est dans une recension de ce livre que j’ai trouvé ce que je cherchais.

Georgy Kovalenko a commenté les natures mortes de l’artiste : « tout en elles est empli de sens et de signification : la couleur et la densité d’une bouteille, le caractère "cristal" des coupes, la matité de porcelaines des assiettes… et dans le même temps, en juxtaposant des objets totalement différents par leur texture, Ekster cherche la possibilité de les "rapprocher", de les "réunir", de présenter chacun d’eux comme la manifestation d’une seule matière indivisible. » (Tome 1, p.130, cité par Jean-Claude Marcadé, Chronique bibliographique, Revue des études slaves, LXXXV /2014, p.560-564)

 

Une belle introduction pour mes dernières images, les natures mortes d'Alexandra …

 

Nature morte – 1912
Huile, tempera et collages sur toile, 50 x 36 cm
Collection particulière (vente 2012)


Nature morte – 1913
Collage et huile sur toile, 68 x 53 cm
Museo National Thyssen-Bornemisza, Madrid


Collage – 1913
Support et dimensions non précisés
Galerie nationale Tretiakov, Moscou



Nature morte aux œufs de Pâques – hiver 1914/1915
Huile sur toile, 88 x 70 cm
Musée Russe, Saint Pétersbourg


Vase et cerises – avant 1922
Huile sur toile, 89 x 72 cm
Rostov Kremlin, Rostov


Composition – 1925
Huile sur toile, 100 x 81 cm
Collection particulière (vente 2014)


 

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