dimanche 26 novembre 2023

Anna Boch (1848-1936)

 

Anna Boch dans son atelier – vers 1893
Huile sur toile, 95 × 65 cm
Museum of Fine Arts, Springfield


Anna Rosalie Boch est née à Saint-Vaast, en Belgique, le 10 février 1848. Elle est la fille de Frédéric-Victor Boch (1817-1920), cofondateur et directeur de la faïencerie Boch frères, à La Louvière, qui commercialise sa production sous la marque Kéramis. L’entreprise est prospère et remporte une médaille d’or dans la catégorie faïence à l’Exposition de l’industrie belge en 1847.

Anna passe son enfance dans une famille fortunée et ouverte aux arts. Elle est l’aînée de la famille, après le décès de son frère Oscar en 1863. Il lui reste deux sœurs et un jeune frère, Eugène, de sept ans son cadet, qui deviendra peintre lui aussi.

Comme toutes les jeunes filles de son milieu, elle reçoit une éducation classique où l’enseignement des arts prend une large part. Anna se tourne d’abord vers la musique et pratique le violon, le piano et l’orgue. A partir de 1866, elle reçoit sa première formation artistique en suivant l’enseignement de Pierre-Louis Kühnen (1812-1877) mais son enseignement la déçoit.

En 1871, elle perd sa mère, Lucie. Pourtant, son père la laisse partir à Bruxelles où elle fait la connaissance de la peintre alors célèbre, Euphrosine Beernaert (1831-1901) qui l’emmène parcourir la Zélande et dont elle gardera une œuvre toute sa vie.

 

Euphrosine Beernaert (1831-1901)
La Vanne – sans date
Huile sur toile, 69 x 119,5 cm
Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers

Pendant cette période, Anna peint et s'initie à la lithographie – ses premiers essais datent de 1864 – mais je n’ai retrouvé aucune de ses œuvres de l’époque.

Son milieu d’origine constitue un avantage considérable. Il lui permet d’entrer  en contact avec les peintres les plus avant-gardistes de son époque et d’affiner son regard artistique. En 1881, James Ensor la peint en train de jouer du piano, écoutée par un autre peintre, Willy Finch (1854-1930) qu’Anna associera plus tard aux ateliers de la faïencerie Boch.

 

James Ensor (1860-1949)
Musique russe – 1881
Huile sur toile, 133 x 110 cm
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns

Anna achète le tableau et en fera don en 1927 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inaugurant ainsi une carrière de mécène de l'art d'avant-garde qu’elle poursuivra toute sa vie.

Vers 1876, elle rencontre le peintre paysagiste Isidore Verheyden qui devient son professeur et son ami. A son contact, elle expérimente la peinture en plein air et sa palette se serait éclaircie.

 

Isidore Verheyden (1846-1905)
Verger au printemps – 1878
Huile sur toile, 76 x 122 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns

 

Un peintre dont certaines œuvres révèlent le talent impressionniste :

 

Mer agitée – sans date
Huile sur toile
Musée d’Ixelles, Bruxelles
Photographié dans l’exposition « Chefs-d’œuvre du Musée d'Ixelles »,
 au musée de Lodève en septembre 2019

 

Verheyden peint plusieurs portraits d’Anna :

 

Isidore Verheyden (1846-1905)
Portrait de Mlle Anna Boch – 1884
Huile sur toile, 95 x 71 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns


Isidore Verheyden (1846-1905)
Portrait d’Anna Boch – 1884
Huile sur toile
Musée d’Ixelles, Bruxelles


Et Anna elle-même peint son ami Isidore (de dos car Anna n'est clairement pas portraitiste !) :

 

Portrait d'Isidore Verheyden dans son atelier – 1883/1884
Huile sur toile, 70 x 60 cm
Collection particulière
Photo trouvée sur internet

Anna débute sa carrière officielle au salon triennal de Bruxelles en 1884. L’année suivante, elle présente Les Coquelicots au Salon des artistes français, à Paris.

Mais en octobre 1883, le cousin d’Anna, Octave Maus (1856-1919), avocat et amateur d’art, avait créé le Groupe des XX, vingt peintres que Maus décrit ainsi : « des artistes déjà consacrés, mais dont l’art demeure indépendant et combatif ». Il ne s’agit donc pas d’un « salon des refusés » mais d’artistes ouverts à l’avant-garde et qui veulent exposer leurs œuvres dans des conditions spécifiques. Parmi ces vingt, peintres et sculpteurs, qu’on appellera rapidement les « vingtistes », figurent notamment James Ensor et Willy Finch mais aussi Jan Toorop, Fernand Khnopff et Théo van Rysselberghe qui montre aux XX, en 1886, le portrait de Maus. 

 

Théo van Rysselberghe (1862-1926)
Portrait d’Octave Maus – 1885
Huile sur toile, 90,5 x 65,5 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns


Leur première exposition ouvre le 2 février 1884 dans le premier Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (aujourd’hui musée royal d’art ancien) et se distingue radicalement des salons officiels : accrochage sélectif des œuvres - présentées réunies par artiste -, cartons d’invitation pour le vernissage, cartels ajourés et siglés, ambiance raffinée qui évoque un salon bourgeois. Le catalogue est également particulièrement élégant et précieux, imprimé sur papier-chandelle bleu-gris relié en toile, accompagné d’une introduction de Maus, il est pensé comme un objet bibliophilique. En outre, sont présentées des œuvres d’art décoratif, selon une démarche qui ambitionne de réunir artisanat d’art et objets industriels afin de faire entrer le Beau dans le quotidien. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de William Morris en Angleterre.

Les affiches elles-mêmes sont illustrées par les vingtistes. Fernand Khnopff dessine le sigle des XX dans un style qui annonce l’art nouveau et Georges Lemmen, un autre vingtiste, celui de la chorale (source : Madeleine Octave Maus, Trente années de lutte pour l’art 1884-1914, Bruxelles, L’Oiseau bleu, 1926, pp. 16 et 123)

 

A gauche : Fernand Khnopff (1858-1921)  : Sigle des XX qui figure aussi sur les cartels
A droite : Georges Lemmen (1865-1916) : Monogramme de la chorale des XX

A l’occasion de l’exposition annuelle, on organise aussi divers évènements mondains, conférence et matinées musicales - avec Gabriel Fauré, César Franck et Vincent d'Indy - , qui contribuent, grâce à un système d’abonnement, à tisser des liens amicaux entre élite artistique et élite bourgeoise, favorisant ainsi la vente des œuvres. La Chorale des XX, un ensemble vocal féminin d’excellent niveau, se réunissait tous les mercredis soir chez Anna. Elle se poursuivra après la fin du Groupe des XX.

 

La Chorale des XX, chez Anna Boch à Bruxelles - 1889
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Anna est intégrée au Groupe des XX dès 1886, en même temps que Félicien Rops, invité au Salon inaugural. Elle est - et restera - la seule femme à en faire partie. Le groupe sera rejoint par Rodin en 1889 et par Paul Signac en 1891. Au nombre des artistes invités, on trouve notamment Camille Pissarro (en 1887, 1889, 1891), Claude Monet (1886, 1889), Georges Seurat (1887, 1889, 1891, 1892), Paul Gauguin (1889, 1891), Paul Cézanne (1890), Gustave Caillebotte (1888), Vincent van Gogh (1890, 1891), James Whistler (1884, 1885, 1886) et Walter Sickert (1886, 1888).

Dans sa chronique artistique de La Jeune Belgique du mois de mars 1886, Emile Verhaeren cite Anna au passage mais n’en dit rien de particulier…

Pour ce qui est de la participation des femmes, toutes invitées à l’exception d’Anna, on compte : Louise Breslau (1885), Clara Montalba (1886), Marie Cazin et Berthe Morisot (1887), Charlotte Gabrielle Besnard et Jeanne Gonzales (1888), Mary Cassatt (1892), Marguerite Holeman et Jeanne Jacquemin (1893).

 

Isidore Verheyden (1846-1905)
La dame à l’ombrelle (Anna Boch) – 1886
Huile sur toile
Keramic-Museum Villeroy & Boch, Mettlach
Source : Thérèse Thomas, « Anna Boch, une femme peintre dans un univers masculin »,
Les Cahiers de Mariemont, n°36, 2008, p.31

C’est à cette époque qu’Anna rencontre Théo van Rysselberghe qui aura sur son art une influence décisive. C’est un divisionniste, adepte de la théorie développée par Georges Seurat qui a présenté à la dernière exposition impressionniste, en 1886, son tableau resté célèbre Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte (voir la notice de Lucie Cousturier). Il présente ce tableau à l’exposition des XX de 1887 et Anna lui achète l’année suivante La Seine à la Grande Jatte qu’elle lèguera aux musées royaux de Belgique.


Georges Seurat (1859-1891)
La Seine à la Grande Jatte – 1888
Huile sur toile, 65 x 82 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns

On ne peut pas dire que la critique soit particulièrement bienveillante : « Anna Boch, Is. Verheyden, W. Schlobach, Th. Van Rysselberghe ne m’attirent qu’à demi. Les deux premiers sont en décadence marquée ; les deux derniers indiquent un léger progrès. […] Tous quatre sont d’excellents peintres, talents honnêtes et sympathiques auxquels on s’intéresse, connaissant bien leur métier, mais, disons-le franchement, trop sages et desquels on désirerait moins de perfection et plus d’originalité. » (Jules Destrée, « L’exposition des XX », La Jeune Belgique, avril 1887, p.134).

Il faut dire que dans la même chronique, à propos des études présentées par Berthe Morisot, il écrit sans faiblir : « Art inférieur, comme tout art de femme, nécessairement, mais personnalité bien accusée et qualités bien françaises : la grâce, la légèreté, l’esprit, avec une pénétrante modernité, caractéristique de toute une famille d’artistes en France. » (p.132).

N.B : n’étant pas en mesure de dépouiller la totalité de la presse belge de l’époque, j’ai choisi La Jeune Belgique (créée en 1881) parce qu’elle est alors la plus importante revue littéraire belge et compte plus d’un millier d’abonnés. Emile Verhaeren et Maurice Maeterlinck y écrivent régulièrement. Certains des critiques paraissent assez ouverts aux nouveautés, d’autres sont beaucoup plus conservateurs, comme la société elle-même, probablement.

Dans son livre de souvenirs de la période, déjà évoqué supra, la femme d’Octave Maus, décrit la situation : « Si le neuf représente partout un crime de lèse-habitude, il ne s’aggrave pas, pour le bourgeois belge, comme pour le français, de lèse-respect envers les rites sacrés. Le bourgeois belge demande simplement qu’on n’exige de lui nul effort. Bousculé, il se rebiffera mais au nom seulement de sa tranquillité, et pas, comme le bourgeois français, parce qu’il monte la garde devant certaines entités dont la pérennité lui semble vitale. » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.24)

Voici, dans le catalogue de 1888, la page consacrée à Anna (vous pouvez cliquer pour agrandir). On y lit : Marché de Morêt, Au bon St Jacques, La petite Jatte, Intérieur wallon et Plume jaune. Autant de tableaux introuvables…

 

Catalogue du salon des XX – 1888, page 20


Et voici celle de l’une des deux invitées féminines, Jeanne Gonzales, la sœur d’Eva disparue cinq ans plus tôt.


Catalogue du salon des XX – 1888, page 46


En juin de cette même année 1888, Eugène, le frère d’Anna dont elle est très proche, a rencontré à Arles Vincent Van Gogh qui décide d’exécuter son portrait, sur « un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond », comme il l’écrit alors à son frère Théo.

 

Vincent Van Gogh (1853-1890)
Portrait d’Eugène Boch – 1888
Huile sur toile, 60,3 x 45,4 cm
Musée d’Orsay, Paris

Ce tableau, que Vincent conservera toute sa vie, sera offert plus tard à son modèle par la veuve de Théo. Eugène aussi le conservera jusqu’à sa mort, en 1941.

Avec Vincent Van Gogh, Anna aura l’occasion de montrer sa mobilisation en faveur de l’art d’avant-garde. Aux XX de 1890, Van Gogh expose deux toiles de la série Les Tournesols ainsi que Le LierreVerger en fleurs (Arles), Champ de blé au soleil levant (Saint-Rémy) et La Vigne rouge à Montmajour. L’avant-veille du vernissage, le peintre Henry de Groux refuse d’exposer ses propres toiles, pour ne pas côtoyer « l'exécrable Pot de soleils de Monsieur Vincent », ce qui lui vaut son exclusion immédiate du Groupe des XX.

En réponse, Anna achète La Vigne rouge, le seul tableau que Van Gogh vendra de son vivant…


Vincent van Gogh (1853-1890)
La Vigne rouge à Montmajour – novembre 1888
Huile sur toile, 73 x 91 cm
Musée Pouchkine, Moscou

L’année suivante, 1889, les XX accueillent la première exposition des œuvres de Gauguin. A cette occasion, Anna lui achète une toile, qui fera aussi l’objet d’un leg aux musées royaux de Belgique.

 

Paul Gauguin (1848-1903)
Conversation dans les prés à Pont-Aven – 1888
Huile sur toile, 92,5 x 73 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns

Si Anna n’est presque jamais citée par la critique belge du Salon des XX, on commence à parler d’elle à Paris, où elle expose quatre toiles au Salon des Indépendants en 1890 : Les Foins, Les Sabotiers, Les Pavots et Octobre.

La critique ne reste pas insensible à ses envois : « Les Foins, Les Sabotiers, de Mlle Anna Boch sont à voir, comme aussi les beaux portraits de M. Théo Van Rysselberghe, et la Tête d'homme vigoureuse, de M. Anquetin. » (Robert Bernier, Aux Indépendants », La France moderne, 3 avril 1890, p.2)

« Les Foins, de Mme Anna Boch, d’une coloration profonde et lumineuse ». (Le Rappel, 21 mars 1890, p.2)

De la période, je n’ai retrouvé que cette nature morte où l’on décèle facilement l’influence du divisionnisme, même si elle pratique la décomposition chromatique de façon plus libre et spontanée que ses mentors.

 

La Desserte - 1889
Huile sur toile, 89,2 x 138 cm
Collection particulière


Et probablement aussi cette aquarelle qui relève un peu de l’exercice de style.

 

Femme à l’ombrelle – sans date
Aquarelle sur papier, 33 x 46 cm
Collection particulière (vente 2021)

A la 8e exposition des XX, annoncée par cette superbe affiche illustrée par Fernand Khnopff, Anna montre Moisson en Flandre, Cueillette, L’Etang et Oudenbourg.

 

M. Bauwens, T. Hayashi, La Forgue, Meier-Graefe, J. Pennell,
Les affiches étrangères illustrées, Paris, Boudet, 1897, p.109
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Une fois encore, Anna n’est pas citée par la critique qui reconnaît cependant : « A l’heure qu’il est, les tâtonnements techniques, puis aussi les recherches de soi-même, ont pris fin ; chacun s’est retrouvé, et, maître aujourd’hui de son art, s’est isolé dans son originalité propre. Nettement les divers tempéraments se sont séparés et affranchis des influences réciproques. De là cette diversité rassurante, ce quelque chose de définitif et de spécial à chacun, qui fait qu’on se sent heureux et confiant devant des œuvres si méritoirement neuves et si consciemment inattendues. » et de conclure : « que l’inquiétude et l’hésitation de huit années de recherche et d’essais ont disparu, que la confiance et la paix d’un triomphe certain sont venues, sans qu’aucun des artistes n’ait fait un pas de concession vers la routine et la banalité et n’ai transigé en quoi que ce soit avec sa fierté et son renoncement au succès populaire ; que, malgré tout cela, il n’est plus permis, à moins d’être aveugle ou de mauvaise volonté, de rire ou de leur dénier le mérite d’un effort consciencieux et désintéressé. » (Grégoire Le Roy, « Salon des XX, La Jeune Belgique, mars-avril 1891, p. 185-187) On est content pour eux !

Pour la première fois, Madeleine Maus évoque le style d’Anna : « Deux courant assez nets se marquaient au Salon des XX en 1890. L’un directement inspiré de la nature, : Sisley, Renoir, Toulouse-Lautrec […], avec les disciples de Seurat, […] Anna Boch n’a jamais souscrit complètement à la technique des peintres divisionnistes ; mais, très rapprochées d’eux, elle ne craint pas – tout en peignant par taches et non par points – réactions franches et ombres bleues ; à preuve ce charmant groupe de moutons, que l’on n’a pas oublié, parmi plusieurs toiles importantes de la même époque. L’autre tendance vise à traduire dans les arts plastiques les émotions, rêves, symboles et réminiscences littéraires : Odilon Redon […] Le plus hermétique est Toorop, le javanais, artiste excessif et sincère. » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.101)

Et une fois encore, impossible de trouver les tableaux d’Anna sur la toile… mais en voici un autre, de la même année :

Chaumière en Flandre – 1891
Huile sur toile, 75,5 x 107,5 cm
Collection particulière (vente 2012)

Cette année-là, Anna achète une seconde œuvre de Van Gogh, décédé l'année précédente mais dont les œuvres restent invitées aux XX :

 

Vincent Van Gogh (1853-1890)
Plaine de la Crau, Pêchers en fleurs – 1889
Huile sur toile, 65 x 81 cm
The Courtauld, Londres

Et, pour donner une idée d’une ambiance qu’on a parfois du mal à imaginer, écoutons Madeleine : « Quelqu’indifférent que l’on soit devant une certaine Presse et porté, comme les vingtistes, à n’en retenir que les côtés comiques, on ne confronte pas sans colère les documents simples et douloureux relatifs à certains évènements, avec de tels bouts de journaux méchants, bêtes, et semblables à des variations en pizzicati burlesques sur un thème tragique : je parle de la mort de Vincent Van Gogh et de l’exposition rétrospective de ses œuvres aux XX de 1891. » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.117)

Mais les vingtistes ne cèdent rien à la bêtise. C’est au cours du Salon de 1891 que « se place, faveur insigne pour les XX, la conférence de Stéphane Mallarmé sur Villiers de l’Isle Adam […] Même au XX, public trié, plus que déférent, la subtile parole ne parut pas intelligible à tous. Mais quelques-uns ont gardé parmi leurs souvenirs les plus hauts celui de "ce rêve parlé, dit mystiquement, comme une cérémonie pieuse s’envolant parfois dans l’extase". » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.104)


Au Salon des Indépendants de Paris, le Groupe des XX est clairement repéré par la critique et, avec le recul, celle-ci démontre parfaitement que leur participation contribue à la diffusion de l’art néo-impressionniste.

« La Société des Artistes indépendants a inauguré hier sa septième exposition annuelle, installée au pavillon de la Ville de Paris. […] MM. Signac, Seurat et leurs adeptes, M. van Rysselberghe et Mlle Anna Boch, de Bruxelles, et M. Anquetin, de Genève, et M. Villumsens, de Copenhague, ne sont et ne seront jamais que des isolés, tant leur manière de voir et de rendre la nature, et la lumière, et l'ambiance des choses est particulière, tant leurs procédés de facture sont voulus et inexorables. » (Anonyme, « L’exposition des Indépendants », Le Temps, 22 mars 1891, p.2)

En 1892, Anna présente sept toiles à l’exposition des XX, sept aussi aux Indépendants à Paris. Quelques-unes sont identiques, notamment Le Retour de la pêche, Marée haute et Arc-en-ciel.

Pour la première fois, son nom est cité par la critique belge : « Mlle Boch a des pages véridiques et lumineuses. » et, sans doute emporté par un élan féministe, l’auteur remarque aussi : « Voici miss Mary Cassatt, transformée en Japonaise, appliquant avec une dextérité étonnante les procédés, le dessin, les colorations, les conventions de l'art japonais à des scènes familières de la vie occidentale. » (Ernest Verlant, « Le Salon des XX », La Jeune Belgique, avril 1892, p.190 et 191)

 

9e exposition des XX - 1892
Couverture du catalogue


C’est son Arc-en-ciel, décrit comme « très brillant » par Jules Christophe, du Journal des Artistes (« Chromatistes au Cours-la-Reine », 3 avril 1892, p.101), qui retient l’attention de la critique française.

L’année suivante, le Groupe des XX se sépare, sur décision par vote des vingtistes, car « les cercles d'avant-garde ne doivent pas durer trop longtemps sous peine de déchoir ou de reculer », comme l'écrit Maus dans sa lettre circulaire appelant au vote. (Madeleine Octave Maus, op.cit., p. 145)

« Pendant dix ans, "Les XX" sont à l'avant-garde : en dépit de tous les sarcasmes et de toutes les accusations de folie et d'excentricité, ils travaillent avec acharnement à la recherche de nouvelles voies. Leur œuvre restera comme le fruit d'un grand effort, d'un grand travail de préparation, et comme le signal d'une ère nouvelle. Les principaux Vingtistes paysagistes des XX, furent à l'origine Vogels, Toorop, Emile Claus, Rodolphe Wijtsman, et dans les dernières années Théo Van Rysselberghe et Anna Boch. Un snobisme de plus en plus envahissant fit tomber ce vaillant cercle en 1893 : il avait d'ailleurs donné tout ce qu'il pouvait donner ; il avait préparé le terrain, et avait, par là même, rempli en entier le rôle qu'il devait accomplir dans l'évolution. Il est né à son heure, et a disparu également à son heure. » (Charles van den Borren « L’évolution de la peinture de paysage en Belgique », L’Humanité nouvelle, 1er janvier 1899, Tome II, volume 5, p.701 à 704)

 

Theo Van Rysselberghe peint d’Anna le superbe portrait que j’ai placé en exergue de la présente notice et Anna, ce paysage…

 

Femme dans un paysage – 1892
Huile sur toile, 
101 x 76 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam


… auquel paraît répondre ce pastel.

 

Femme à l’ombrelle dans un jardin – sans date
Pastel sur papier, 44 x 30 cm
Collection particulière (vente 2022)

L’année suivante voit la naissance d’un nouveau cercle artistique, La Libre Esthétique. Toujours dirigé par Octave Maus, il se dote d’un comité d'organisation confié à des hommes de lettres dont Emile Verhaeren (1855-1916), créateur de la revue L'Art moderne. Il ne s'agit donc plus un cercle d'artistes fédérés mais d'amateurs éclairés, associés « par leur désir commun de patronner les manifestations d’art neuf, belge ou étranger, de tendances les plus diverses. En un Salon annuel fusionneront toutes les expressions de l’Art : peinture, sculpture, arts graphiques, arts appliqués. Concerts et conférences auront lieu dans le Salon même. » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.161).


Theo Van Rysselberghe (1862-1926)
Emile Verhaeren lisant – 1898
Eau-forte sur papier, 24,1 x 17,1 cm
Musée des Beaux-Arts, Gand


La Libre Esthétique poursuit les expositions annuelles jusqu'à veille de la Grande Guerre qui conduira à sa dissolution. L’objectif reste toujours de défendre « l’effort libérateur des artistes insurgés contre la doctrine », selon la formule d’Octave Maus.

Un effort salué, lors de la première exposition, par ces fortes paroles du député M.A. Anspach : « Je compte interpeller le Gouvernement sur le point de savoir pourquoi il s’est cru autorisé à mettre les salles de notre Musée à la disposition de ces artistes de contrebande et de ces œuvres de pacotille. » (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.177)


En-tête de Georges Lemmen pour la Libre Esthétique
Source : Madeleine Octave Maus, op.cit., p.176


Georges Lemmen réalise aussi un portrait d’Anna caractéristique du pointillisme, avec de petites marques de densités variables pour obtenir une gradation des tons et des effets lumineux, une technique pratiquée également, avec brio, par Van Rysselberghe.

 

Georges Lemmen (1865-1916)
Portait d’Anna Boch – 1894
Crayon Conté sur papier vergé blanc cassé, 34 × 29,8 cm
The Art Institute, Chicago, Illinois


A la première exposition de la Libre Esthétique, Anna présente trois toiles et des Notes de voyages. La Jeune Belgique engage ses lecteurs à « ne pas oublier Mlle Boch » sans en dire davantage sauf « oublions au plus tôt M. Signac » ! (Ernest Verlant, « La première exposition de la Libre esthétique », avril 1894, p.190)

Toute la presse n’est cependant pas aussi négative : « Le Salon de la Libre Esthétique marque une date importante dans l’évolution artistique. C'est la victoire incontestée de l’art neuf, préparée par une campagne de dix ans dont l’aboutissement est universellement acclamé. Et c’est aussi l’affirmation triomphante de ce que peut, de ce que doit être l’art dans ses applications aux objets d’un usage journalier. Pour la première fois se trouvent réunis aux tableaux et aux statues les œuvres improprement dénommées d’art "appliqué". » (Anonyme, « Le Salon de la Libre Esthétique », L’Eventail, 25 février 1894, p.2)

 

1e exposition de la Libre Esthétique - 1894
Couverture du catalogue
Source : bibliothèque de l’INHA


Pendant l’élévation, qu’Anna a peint l’année précédente, rend compte de son utilisation libre et harmonieuse des touches de peinture et de son attention à l’effet d’une lumière chaude, portée par des éclats d’un rose violacé qu’on retrouvera fréquemment dans ses toiles. Ce tableau sera exposé au Salon des Indépendants en 1901.

 

Pendant l’élévation – 1892/1893
Huile sur toile, 74,5 × 113 cm
Mu.ZEE - Musée d’art moderne et contemporain, Ostende


Les toiles d’Anna, à partir des années 1890, commencent à se parer d’une touche mauve qui lui sert d’abord à marquer les ombres…

 

En juin – 1894
Huile sur toile
Musée des Beaux-Arts, Charleroi

… puis à ponctuer l’ensemble du paysage :

 

Retour de la messe par les dunes – 1893/1895
Huile sur toile, 45,5 × 62 cm
BPS22 - Musée d’Art de la province du Hainaut


Retour de la pêche – 1891
Huile sur toile, 75,5 x 127 cm
Collection particulière

A l’exposition de 1895, la critique reste encore droit dans ses bottes, preuve qu’elle ne voit que ce qu’elle veut bien voir : « Quelques pointillistes qui, depuis dix ans, eux et les leurs, n'ont pas avancé d'un pas et nous montrent l'éternel chemin avec les mêmes ombres et les mêmes feuilles d'arbres, tels Pissarro (les), Van den Eekhoudt, A. Boch. E. Claus. (Kalophile, « L’exposition de la Libre Esthétique », La Jeune Belgique, avril 1895, p.192)

Des appréciations qui ne paraissent pas détourner Anna de sa recherche où elle intègre les figures de gens simples, paysans, pêcheurs. Lors de la Libre Esthétique de 1897, Madeleine note : « Anna Boch dont les envois sont très heureux ; de cette dernière, le beau Parc à Moutons» (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.218)

 

Berger et moutons – 1896
Huile sur toile
Musée des Beaux-Arts, Charleroi


Réparation des filets dans la dune – sans date
Huile sur toile, 106,5 x 84,5 cm
Collection particulière (vente 2014)

Anna ne paraît pas à la Libre Esthétique de 1898 et 1900. Peut-être est-ce lié au fait qu'elle voyage beaucoup, notamment dans le midi de la France et en Bretagne d’où elle rapporte des paysages où l’influence du divisionnisme s’est effacée au profit d’une touche qui rappelle celle de Monet.

 

Falaise à Sanary – vers 1900
Huile sur toile, 81,5 x 61,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Gand


Côte de Bretagne – vers 1901
Huile sur toile, 108 × 146,5 cm
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo : J. Geleyns

Cette toile est probablement celle qu’Anna expose en 1903 à la galerie Grafton de Londres, où elle participe à la quatrième exposition annuelle du Cercle international des Femmes Artistes, où l’on peut voir aussi des œuvres de Clémentine-Hélène Dufau et Elisabeth Nourse. « Anna Boch a envoyé de Bruxelles une belle étude, Côtes de Bretagne » (Journal des débats politiques et littéraires, 27 janvier 1903, p.3)

Elle l’a présentée aussi à la Libre Esthétique en 1902 où l’Etat belge l’a acquise.


Ruine de Château-Gaillard, la Seine – 1903
Huile sur toile, 65,5 x 92,6 cm
Collection particulière (vente 2012)

A Ixelles, Anna se fait construire une nouvelle maison, rue de l’Abbaye, où résident alors beaucoup d’artistes, comme Constantin Meunier, Isidore Verheyden et Theo van Rysselberghe. Très vaste, elle permet à Anna de continuer à organiser les soirées musicales et d’exposer sa collection d’art d’avant-garde.  

A Paris, où elle continue d’exposer régulièrement, la critique rend hommage à la démarche du groupe d’artistes auquel elle appartient :

« La Belgique a affirmé par les expositions des XX et les Salons de la Libre Esthétique ses vives sympathies pour l'impressionnisme : MM. van Rysselberghe, Émile Claus (celui-ci digne émule de Monet en ses admirables paysages), Verheyden, Heymans, Willaert, Verstraete, Vytsman, Baertsoen, Morron, Mlle Anna Boch, ont constitué un groupe compact d'impressionnistes auprès de symbolistes intéressants comme MM. Xavier Mellery, Henry de Groux, James Ensor et Willy Schlobach : encore la technique de ces trois derniers se rapproche-t-elle souvent du coloris de Renoir ou du pointillisme. (Camille Mauclair, L’impressionnisme, son histoire, son esthétique, ses maîtres, Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, 1904, p.210)

En 1904, Anna se rapproche du cercle « Vie et Lumière », créé par Emile Claus et Georges Buysse, qui apparaît en tant que tel dans le catalogue de la Libre Esthétique de l'année et dont les peintres sont exposés en groupe dans deux salles distinctes. Trois autres femmes y participent, Paule Deman, Anna de Weert et Jenny Montigny.

La composition, l’atmosphère, les jeux de couleurs - avec une prédilection pour le violet - et la lumière deviennent essentiels dans les peintures d'Anna, comme on le ressent devant cette dune inondée de soleil que j’ai eu la chance de voir dans l'exposition des collections du musée d’Ixelles (actuellement fermé), au musée de Lodève.

Le paysage est façonné par les seules ombres mauves et les virgules lumineuses parsemées sur le sable.

 

Dunes au soleil – 1903
Huile sur toile, 62 × 95 cm
Musée des Beaux-Arts, Ixelles

« Heureusement pour ceux qui cherchent autre chose dans les Salons que l'occasion de s’esclaffer, ils purent se rabattre sur certains envois des artistes belges du cercle Vie et Lumière. On admira les œuvres de maîtres incontestés tels que Heymans, Emile Glaus, Anna Boch, Georges Lemmen. » (G.E. « Le salon de la Libre Esthétique », L’art flamand et hollandais, revue mensuelle illustrée, janvier-juin 1907, p.212)

 

Quai à Maline – vers 1906
Huile sur toile, 136,5 × 86,7 cm
Musée des Beaux-Arts, Gand


En 1907, Anna bénéficie d’une exposition au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles puis elle expose à la Galerie Druet à Paris en 1908. Cette fois, le retour est particulièrement positif : « Un groupe de petits Salons d'une jolie qualité pour finir l'année agréablement. Premier petit Salon Mlle Anna Boch, à la galerie Druet. Mlle Anna Boch est un paysagiste excellent, lumineux, d'une grande fraîcheur de sentiment, très appréciée depuis longtemps en Belgique. Nous croyons que cette artiste sera aimée aussi en France, et voici un excellent début. » (Arsène Alexandre, « Les petites expositions », Le Figaro, 16 décembre 1908, p.7)

Et, enfin, arrive l’article qu’on attendait :

« Aux catalogues d'expositions d'aujourd'hui, on fait des préfaces qui accusent davantage encore, s'il est possible, la superfluité du métier de chroniqueur d'art. Celle que M. Octave Maus consacre à l'œuvre de Mlle Anna Boch exprime mieux que je ne le dirai tout ce qu'il convient de penser, tout ce qu'on ressent en face de ces tableaux si clairs et si gais. Je ne puis pourtant pas la copier.

Ce qui frappe le plus lorsqu'on regarde ce bel ensemble de 68 toiles, c'est la joie de vivre qui en émane. Mlle Anna Boch continue la tradition de l'impressionnisme dans ce qu'elle eut de meilleur, de plus spontané, d'essentiel. Car ce mouvement, dont les naturalistes se trouvèrent les théoriciens, fut bien moins le résultat d'une théorie que la réaction du tempérament national contre l'influence désastreuse de l'Ecole et ses recettes... bitumineuses. Et, dans ce sens, l'art flamand, tout de verve et de gaieté, est tout à fait fraternel de l'art français. Mlle Anna Boch, Flamande, est bien plus cousine des grands impressionnistes qu'elle n'en procède. Leur technique est bien trop adéquate à son inspiration pour qu'elle l'ait refusée. C'est pourquoi elle l'a adoptée et s'est servi d'elle pour exprimer son rêve, qui est tout simplement un rêve d'extase devant la nature ensoleillée, la traduction de son éblouissement.

Elle a peint le Midi et des pays du Nord, les heures de l'été. Et ce sont des jardins étincelants, suaves de fleurs, illuminés de pavots, des soleils aussi beaux et moins barbares que ceux de Van Gogh, des fermes, des prés, des plages ; tout cela baigné de lumière. […] Le moindre détail est précis et l'orchestre des tons, riche et juste à la fois, ni ne dissone, ni n'assourdit. Mlle Anna Boch est encore une de ces artistes bien au-dessus de leur réputation, parce qu'elle ignore le battage et n'appartient à aucune coterie. » (F.M. « Exposition Anna Boch », L’Art et les artistes, Tome VIII, octobre 1908 à mars 1909, p.230) 

L’œuvre reproduite ne lui rend pas vraiment justice…

 

Reproduit dans la revue L’Art et les artistes, Tome VIII, p.229
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


L’exposition est annoncée aussi par la Revue des Beaux-Arts (13 décembre 1908, p.6) et Art et décoration (1er janvier 1909, p.6)

En revanche, de Bruxelles, où elle est presque chaque année à la Libre Esthétique (souvent aux côtés de Lucie Cousturier à partir de 1906), je n’ai pas trouvé d’article de ce type. Pourtant, elle participe régulièrement à des expositions collectives, comme au Salon d’art moderne de Charleroi en 1911, en compagnie du sculpteur Victor Rousseau et du graveur Auguste Danse.

 

Fillette au jardin ou La Pergola - vers 1912
Huile sur toile, 58,5 x 78,5 cm
Keramik Museum, Mettlach



Saint Tropez – 1913
Huile sur panneau, 24 x 16,3 cm
Collection particulière (vente 2014)


En 1913, alors que La Libre esthétique est axée sur « Les interprétations du Midi » et Madeleine note : « C’est en retrouvant là tant de noms connus à la Libre Esthétique – la presque majorité des paysagistes que l’on avait accoutumé d’y voir – que l’on se rendait compte de l’attirance extraordinaire exercée par le Midi sur les peintres depuis les dernières années ». (Madeleine Octave Maus, op.cit., p.453)

Et, bien sûr, Anna figure dans la liste des peintres cités. C’est sa dernière exposition dans ce cercle dont les expositions se terminent en 1914. 

Elle participe ensuite à des expositions ponctuelles : « Les "Floralies" seront en même temps une exposition élégante et donnant la mesure du talent de nos artistes, car nous croyons que les fleurs sont une expression parfaite de la palette. Parmi les artistes invités, nous relevons les noms suivants : Anna Boch, Anto Carte, Claus, Courtens, Glansdorff, Gouweloos, Khnopff, Laudy, Pareels, van Zevenberg, etc. etc. » (L’Art belge, 31 mars 1920, p.17)

 

Le Paradoux – 1918
Huile sur toile
Collection particulière



Nature morte aux fleurs – 1919
Huile sur panneau, 31,5 x 25 cm
Collection particulière


Son rôle de mécène est fréquemment souligné, notamment ses prêts aux expositions. « La Seine à la Grande-Jatte de Seurat (collection Anna Boch) est une œuvre trop peu connue ; la limpidité cristalline des teintes divisées n'a point pour effet de dissoudre les lignes de la composition et la réalité des volumes. Ce n'est plus l'étude se limitant aux apparences. Les vertus du tableau reparaissent. Il est permis pourtant de priser surtout l'instinct poétique qui parfume l’œuvre de la plus charmante atmosphère dominicale. […] Nous avons pu rassembler cinq œuvres du maître de Pont-Aven. L’une des cinq toiles, le Calvaire qui est, disait Ch. Morice, "un des beaux moments de la carrière de Gauguin", a été acquise par le musée, une autre nous est promise par sa propriétaire Mlle Anna Boch, laquelle ajoute à ce don le Seurat mentionné plus haut et un Signac de haute qualité : La Calanque. Du coup nos galeries comblent de regrettables lacunes. Artiste de grand talent, ralliée de bonne heure à l’impressionnisme, la meilleure de nos femmes-peintres, Mlle Anna Boch acquiert un titre de plus à l’admiration qui l’entoure. » (Fiérens-Gevaert, « Au musée de Bruxelles : Les maîtres de l'impressionnisme et leur temps » La Chronique des arts et de la curiosité, 15 septembre 1922, p.117 et 119)

En effet, Anna a acquis en 1907 La Calanque de Signac (dont les musées royaux ne montrent qu’un visuel plutôt… baveux) et, pour cela, elle a revendu ses deux Van Gogh…

 

Paul Signac (1863-1935)
La Calanque – 1906
Huile sur toile, 73 x 93 cm
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
© Photo Speltdoorn & Fils

« M. Gaston Demeter, secrétaire général du musée royal de Belgique et qui contribuait récemment à y organiser une exposition d’impressionnistes et à la présenter de façon riante et intime, nous avise que Mlle Anna Boch donne au musée, outre un Signac, le Seurat et le Gauguin qu'elle avait prêtés à cette exposition. » (Bulletin de la vie artistique, 15 août 1922, p.383)

 

Après-guerre, Anna dispose de sa propre voiture qu’elle ne rechigne pas à conduire elle-même. En 1928, par exemple, elle visite longuement Bordeaux, d’où elle rapporte notamment cette vue du port, intéressant traitement de la lumière du soir.

 

Bateaux dans le port de Bordeaux – 1928
Huile sur toile, 82 x 60 cm
Collection particulière (vente 2022)


La Ferme rose – vers 1928
Huile sur toile, 59 x 44 cm
Collection particulière (vente 2023)


Mais elle est aussi allée dans le midi, et pas toujours incognito… « The landscape painter, Miss Anna Boch is staying at the Hotel de la Colline at Villefranche, where she is capturing the beauties of the harbour with her brush. » (« News from Nice », The Menton & Monte Carlo News, 3 mars 1928, p.16)


La Crique – sans date
Aquarelle sur papier, 14 x 19,5 cm
Collection particulière (vente 2019)



Anna exposera une dernière fois, de façon personnelle, en mars-avril 1934, à la Galerie Louise à Bruxelles et continuera à peindre jusqu’à une âge avancé.

 

Vieille rue de Bruxelles - 1935
Huile sur toile, 76,3 × 57,4 cm
Collection particulière


Anna Boch est morte chez elle, à Ixelles, le 25 février 1936 à l’âge de 88 ans.

 

* 

Des œuvres d’Anna ont été montrées plusieurs fois après sa mort, comme dans l’exposition « Les XX et La Libre Esthétique. Cent ans après », organisée en 1993 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique où elle était la seule femme représentée. Il a cependant fallu attendre cette année 2023 pour qu’une grande exposition monographique lui soit consacrée au Mu-ZEE d’Ostende, exposition qui s’est terminée en octobre pour se poursuivre au musée de Pont-Aven, coproducteur de l’exposition.  

Pourtant, cette (toute) relative visibilité – qui doit sans doute beaucoup à son milieu d’origine, particulièrement favorable à une carrière sans préoccupation financière - ne doit pas occulter les très nombreuses artistes féminines belges dont personne n’a encore parlé…

 

A titre exceptionnel, je vais donc terminer cette notice par un clin d’œil à une autre femme, Léontine Joris, qui a réalisé cette affiche pour la Libre Esthétique, et dont je n’ai trouvé trace nulle part au cours de mes lectures.

Oui, il reste du travail !

 

Léontine Joris dite Léo Jo (1870-1962)
Affiche pour La Libre Esthétique – 1900
Chromolithographie, 156 x 78 cm
Collection particulière (vente 2022)

 


*

 

N.B : Pour voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.