mercredi 29 septembre 2021

Catherine Lusurier (1752-1781)

 

La petite dessinatrice (détail) 


Catherine Lusurier était originaire de Paris où sa mère, Jeanne Callot, exerçait le métier de couturière et son père de chapelier. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance.

La sœur de son père, Marie-Marguerite Lusurier, avait épousé le peintre Hubert Drouais dont Catherine a très probablement été l’élève. Après la mort du peintre, en 1767, elle continue à vivre avec sa tante, « dans cette maison qu’Hubert Drouais avait achetée en 1736, rue des Ortyes, au coin de celle des Moyneaux, paroisse Saint-Roch ». (« Les Drouais » par P. Dobec, Revue de l’Art ancien et moderne, 1904)

Elle n’a que quatorze ou quinze ans lorsque son oncle meurt. C’est donc probablement avec son cousin, François-Hubert Douais (1727-1775), qu’elle a peaufiné son style et c’est sans doute dans son atelier qu’elle a travaillé et réalisé les 21 tableaux qu’on connaît d’elle.

Catherine n’a que dix-huit ans quand elle signe son premier portrait connu.

 

Portrait d’homme, autrefois identifié comme d’Alembert – 1770
Huile sur toile, 45 x 38 cm
Musée Carnavalet, Paris


On connaît d’elle aussi deux charmants portraits, peints en 1776 et représentant Madame de Bure et sa fille, Charlotte-Françoise. Celui de la petite Charlotte se trouve aujourd’hui aux Etats-Unis et a été longtemps attribué à François-Hubert Drouais (le cousin de Catherine).

 

Charlotte-Françoise de Bure – 1776
Huile sur toile, 74,9 x 61 cm
Milwaukee Art Museum, Wisconsin

Le tableau a été rendu à Catherine grâce à un article de M.E. Sainte Beuve, à propos d’une exposition de femmes peintres du XVIIIe siècle, qui a eu lieu rue de la Ville-L’Evêque, à Paris, en mai 1926.

Sainte Beuve pensait que Catherine « méritait mieux que les notices si succinctes qui lui sont consacrées, en note, au bas des pages ». Il a donc écrit un long article décrivant les toiles alors répertoriées de Catherine, « Une portraitiste du XVIIIe siècle : Catherine Lusurier » (Gazette des Beaux-Arts, Vol 63, 1927, pp 80-86)


Portrait de Madame de Bure - 1776
Reproduit dans Une portraitiste du XVIIIe siècle : Catherine Lusurier
Gazette des Beaux-Arts Vol.63, 1927, p.84)

Françoise-Marguerite de Bure était la femme d’un bibliophile connu, libraire de la bibliothèque du roi et de l’Académie des Inscriptions. Sainte Beuve raconte : « C’était une femme très intelligente qui gouvernait sa maison et sa famille comme une reine régente et en imposa même à Fouquier-Tinville pendant la Révolution. En effet, leur hôtel, rue Serpente [démoli lors de la percée du boulevard Saint-Germain] était entre cour et jardin avec sur la rue, au-dessus de la loge du concierge, un petit entresol loué à Fouquier-Tinville. Il fut toujours très poli, l’appelant ‘’Madame’’ et non ‘’Citoyenne’’ […] Qu’aurait-il dit s’il avait su qu’elle cachait une carmélite et les vases sacrés de son couvent dans l’épaisseur du mur entre le grand et le petit salon ? »

Suit une description précise : « Catherine Lusurier l’a représentée de face, en robe verte largement décolletée, avec un double fil de perles, un ruban vert passé dans son épaisse chevelure qui retombe en boucle sur les épaules, les sourcils arqués, les yeux noisette, une petite bouche et un teint d’une éblouissante fraîcheur.

Ce portrait ovale est signé à droite Cne. Lusurier, 1776. Il se place donc entre le d’Alembert de 1770 et le J.G. Drouais de 1778 et s’apparente visiblement à celui du Louvre : même tonalités pour les carnations, même coloris à fleur de toile. »

Dans l’exposition figuraient également deux autres tableaux dont la localisation actuelle ne m’est pas connue : un Portrait de Mlle Devienne du Théâtre Français, alors propriété du baron Robert de Rothschild, et une Fillette aux raisins.

Le « portrait du Louvre » dont parle Sainte Beuve, le voici. C’est le Portrait à 15 ans du petit-cousin de Catherine, Jean-Germain Drouais, peintre lui aussi.

 

Le peintre Jean-Germain Drouais à l’âge de 15 ans – 1778
Huile sur toile, ovale 80 x 64 cm
Musée du Louvre, Paris

Catherine le montre en habit gris d’écolier, « en polisson », comme on disait alors. La toile est si proche du style de François-Hubert qu’on a pensé qu’il y avait mis la main, ce qui est évidemment impossible puisqu’il était mort trois ans auparavant.

Lorsque Catherine le peint, le jeune homme vient de s’inscrire à l’Académie. Il aura un bien triste destin : élève préféré du peintre Jacques-Louis David, Grand prix de Rome en 1784, il s’installera à Rome en octobre de la même année et mourra de la petite vérole en février de l’année suivante…

Voici à présent un autre portrait, que je trouve d’une grande intensité. On ne sait rien de ce tableau et l’enfant paraît bien jeune pour qu’il puisse s’agir d’un autoportrait comme le suggère le musée de Brême où il est conservé. Je l’ai tout de même choisi comme Autoportrait de postérité, puisqu’il n’en existe pas d’autre…


La petite dessinatrice – vers 1790
Huile sur toile, 32 x 26,7 cm
Kunsthalle, Brême



Catherine excellait visiblement dans les portraits d’enfants.

Portrait de jeune garçon – sans date
Craie rouge et noire sur papier vergé brun, 41,9 x 27,3 cm
National Gallery of Art, Washington D.C.


Catherine pourrait aussi avoir tenté de se faire une spécialité de portraitiste des intellectuels et des artistes de son temps. Elle a ainsi peint (vraiment, cette fois !) Jean Le Rond d’Alembert, alors secrétaire permanent de l’Académie française et un autre homme inconnu mais probablement scientifique puisqu’il est représenté un compas à la main.

Jean Le Rond d’Alembert – 1777
Huile sur toile, 123,5 x 105,3 cm
Musée Carnavalet, Paris

La plume à la main, le philosophe s’est interrompu dans son travail. Il regarde le spectateur avec bienveillance, en lui souriant doucement mais il n’est pas surpris dans son intimité puisqu’il a gardé sa perruque.

Ses attributs « professionnels » sont assez sommaires : deux cahiers, l’un fermé et l’autre où il est en train d’écrire, quelques feuillets sous son coude, un encrier en bronze, un globe terrestre. Son bureau paraît assez étriqué et on n’y voit aucun livre.


Attribué à Catherine Lusurier
Portrait d’homme tenant un compas – sans date
Huile sur toile, 65 x 54,5 cm
Musée Lambinet, Versailles

Elle copie l’année suivante le portrait de Voltaire.

François-Marie Arouet, dit Voltaire – 1778
Huile sur toile, 64 x 52 cm
Copie exécutée par Catherine d’après le tableau de Nicolas de Largillière
Dépôt de l’Institut de France au château de Versailles


Mais Catherine n’aura pas le temps de faire carrière, elle est morte à 28 ans, le 10 janvier 1781.

Le dictionnaire Auvray et Bellier de la Chavignerie donne son acte de décès, d’après le registre de la paroisse Saint-Roch : « le 11 janvier 1781 a été inhumé au cimetière le corps de Catherine Lusurier, fille majeure, peintre, décédée hier en cette paroisse, rue des Orties. »

Dans les « Mémoires Secrets » chronique anonyme des événements survenus entre 1762 et 1787, il est noté, le 3 février 1781 (p. 55 et 56) :

« Les arts ont fait une perte véritable en la personne de Mlle Luzuries. Elle s’était livrée à celui de la peinture & commençait à y développer des talents au-dessus de son sexe. (…) Elève de M. Drouais, elle tenait de la manière de son maître ; c’est-à-dire qu’elle répandait trop d’éclat sur le haut de ses têtes, ce qui leur donnait le transparent du verre ou de l’émail. Mlle Luzuries n’était point encore en état de lutter contre Mlle Vallayer, ni même contre Madame Filleul plus rapprochée de son genre, encore moins contre madame Lebrun, poussant son art jusques à la composition historique & allégorique ; mais, avec le temps, elle aurait pu devenir leur émule : malheureusement, elle a été moissonnée à la fleur de l’âge et dans le fort de ses études. »

Je termine avec quelques portraits, trouvés sur les sites de vente. 

 

Portrait de la marquise de Rochambeau – sans date
Huile sur toile, 64,1 x 53,9 cm
Collection particulière (vente 2015)


Portrait d’un jeune violoniste – 1778
Huile sur toile, ovale 72 x 58 cm
Collection particulière (vente 2017)


Petite anecdote finale :


Lors du décès du peintre François-Hubert Drouais, Le Nécrologe (année 1776, Éloge de Drouais) rapporte que l’artiste vivait « au sein d’une famille à laquelle il était cher et qu’il aimait tendrement, occupé du bonheur d’une compagne aimable qu’il s’était choisie, et qui peignait elle-même d’une manière distinguée. »

De l’union du peintre et de sa femme, Anne-Françoise Doré, étaient nés quatre enfants : Hubert-Léopold, Marie-Anne-Louise, Jean-Germain, celui qui deviendra peintre, et Pierre-Marie. 

Un jour, une fête fut organisée chez les Drouais.

On y présenta une petite pièce de circonstance dont le manuscrit a été très soigneusement calligraphié à l’encre brune, rouge et verte. Ce divertissement, hommage rendu à Madame Drouais et à son académicien de mari, paraît célébrer également l’anniversaire des quinze ans de mariage du couple, comme le laisse supposer l’inscription en bas du titre "Quinze ne font qu’un".

 

Page de titre


Le manuscrit était relié sous la charmante couverture ci-dessous…

 

Reliure en soie peinte et brodée du petit in-folio de 24 feuillet – 1773 / 1774
Collection particulière

Orné d’un médaillon central aux emblèmes de l’Amour (feu, couronne florale, lacs) flanqué d’un angelot et d’un trophée aux attributs de la peinture, fleurs de lys aux angles, second plat avec bordure brodée de fils de soie jaune, ivoire et rose, doublure et gardes de tabis rose. (Notice de la galerie)

Chaque membre de la famille Drouais y tenait un rôle : Mme Drouais jouait la Peinture, Jean-Germain Drouais, un génie couronnant les arts, Marie-Anne-Louise Drouais incarnait Flore et le petit frère, Pierre-Marie, un Amour. L’aîné des enfants Drouais était déjà décédé.

« Quinze demoiselles » (symbolisant vraisemblablement les quinze années de mariage) interprétaient des nymphes, élèves de la peinture. Ces demoiselles étaient sans doute des membres ou proches de la famille parmi lesquelles a pu figurer Catherine Lusurier, cousine du peintre et âgée d’une vingtaine d’années.

La distribution précise que le petit frère était alors âgé de cinq ans. Or, Pierre-Marie, né le 11 juillet 1769, est mort le 22 mai 1775. La représentation de cette pièce a donc été donnée entre juillet 1773 et juillet 1774.

François-Hubert Drouais meurt l’année suivante, en 1775, comme son dernier fils, puis Marie-Anne-Louise en 1776, à 14 ans.

Jean-Germain, le jeune peintre qui sera Grand Prix de Rome, perd la vie en 1785, à 25 ans.

 

Lorsque Anne-Françoise est morte, en 1809, aucun de ses enfants n’avait survécu…

 


*

 

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Anne-Rosalie Filleul (1752-1794)

 

Autoportrait – vers 1774
Huile sur toile
Collection particulière
Photographié dans l’exposition « Peintres femmes 1780-1830, naissance d’un combat »,
Musée du Luxembourg, Paris, juillet 2021

Fille de Blaise Boquet, marchand éventailliste, c'est à dire d'éventails peints, de miniatures et autres « curiosités », lui-même dessinateur de talent (il a dessiné des costumes pour l'Opéra) et de Marie-Rosalie Hallé, peintre de miniatures, elle fut amie de jeunesse d’Elisabeth Vigée-Le Brun qui évoque sa beauté dans ses mémoires, alors qu’elles suivaient ensemble les leçons de Gabriel Briard (1725-1777) « médiocre peintre » mais « excellent dessinateur » :

« Dans ce même temps, nous allions très souvent, mademoiselle Boquet et moi, dessiner chez Briard, le peintre, qui nous prêtait des dessins et des bustes antiques… Mademoiselle Boquet avait alors quinze ans et moi j'en avais quatorze. (…) Nous ne pouvions passer dans cette grande allée du Palais Royal, mademoiselle Boquet et moi, sans fixer vivement l’attention (…) mademoiselle Boquet était fort belle. » (Souvenirs de Madame Vigée-Le Brun, Edition Charpentier et Cie, 1869, Tome premier, Lettres à la princesse Kourakin, lettre II, pp. 11 et 20)

En 1775, comme on peut le lire dans une notice du Louvre, « elle avait été reçue à l'Académie de Saint-Luc "par mérite" et avait fait don, pour sa réception, du portrait peint à l'huile de Charles Eisen. L'œuvre avait été exposée au Salon de cette académie, en même temps que le portrait de sa mère peint au pastel, qu'une nature morte de prunes dans un panier également au pastel et que plusieurs autres portraits et études non détaillés. La critique avait, à cette occasion, loué sa capacité à fixer les ressemblances, et ce même si son dessin et sa couleur avaient été jugés un peu durs. »

L'Académie de Saint-Luc de Paris était, à l'origine, une confrérie charitable des maîtres peintres et sculpteurs parisiens.

Initialement fondée en 1391, elle a été réactivée en 1649 par les corporations de peintres en s’inspirant des guildes crées à Florence, en Allemagne et aux Pays-Bas, à l’instigation de Simon Vouet qui avait fréquenté celle de Florence.

Elle connut des périodes d’interdiction, au profit de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, mais reçut en 1704 et 1705, l’autorisation de disposer de chaires d’enseignement puis d’organiser des salons auxquels les peintres non académiciens avaient accès. Elle dispensait aussi, le jour de la Saint Luc, deux médailles d’argent à ses meilleurs élèves.

 

Autoportrait présumé – 1776

En septembre 1777, Anne-Rosalie épouse Louis Filleul de Besne, écuyer du roi et garçon de chambre du dauphin, qui reçut bientôt de la reine la charge lucrative de concierge du château royal de la Muette. C’est un mariage de convenance avec un mari de santé délicate, qui avait le double de son âge et dont elle était la troisième épouse. Elle ne cache pas que ce qui la décide est la perspective « d'exercer la place de concierge du château de la Muette jusqu'au dernier de ses jours. »

La charge en question représente un revenu de 14 000 livres par an et un séjour des plus agréables, à Passy, aux portes de Paris. Le château est une construction élégante entouré d’un parc à l’anglaise, grands arbres et arbustes fleuris. Le couple Filleul occupe un logement de fonction à proximité, l’hôtel Travers.

C’est dans cet hôtel qu’elle avait transformé un « cabinet » en atelier.

 

Etat actuel du pavillon royal de la Muette, 
dont la volumétrie est proche de celle du Petit Trianon de Versailles.
Il faut l’imaginer à l’époque entouré d’un parc et de dépendances. 

Bien qu’Elisabeth Vigée ait écrit plus tard, un peu perfidement, que « Mademoiselle Boquet avait un talent remarquable pour la peinture mais elle l’abandonna presque entièrement après avoir épousé M. Filleul, époque à laquelle la reine la nomma concierge du château de la Muette », ce n’est pas tout à fait vrai puisque, dès 1780, Anne-Rosalie a obtenu le titre de « peintre de la famille royale », ce qui lui permet notamment de peindre à plusieurs reprises les enfants du comte d’Artois, frère du roi et, semble-t-il, plusieurs membres de la famille royale dans les années 1781 à 1783.

Selon ses propres écrits, ces portraits auraient été envoyés « dans toutes les cours d’Europe ». C’est peut-être pour cela qu’on ne sait où ils sont aujourd’hui, à moins qu’une partie de son travail n’ait été attribué à d’autres.

 

Les enfants du comte d’Artois – 1782
Huile sur toile, 82,5 x 102 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon



Louis-Antoine d'Artois, duc d'Angoulême (1775-1844) - après 1781
Huile sur toile, 55,3 x 45,2 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Le Louvre ne conserve qu’une seule œuvre d’elle dans ses collections.

 

Portrait de la comtesse d’Artois ou comtesse de Provence (1753-1810) – vers 1780
Pastel sur papier bleu, 60,5 x 49 cm
Musée du Louvre, Paris
(en dépôt au musée Bertrand, Châteauroux)

Si l'on compare ce portrait à celui exécuté, quelques années plus tard, par Joseph Boze, portrait dont la comtesse s'est déclarée satisfaite, on conviendra que celui de Rosalie rendait aussi plutôt fidèlement compte de la physionomie du modèle.

 

Joseph Boze (1745-1825)
Portrait de Madame de Provence en robe blanche
Pastel sur parchemin, 68,5 x 57,4 cm
Musée du Louvre, Paris


Quoi qu’il en soit, ce portrait permet de préciser un peu le style d’Anne-Rosalie : les yeux dessinés en amande et dont les cils marquent le bord extérieur de l’œil, un air affable sans beaucoup de caractère, le traitement caractéristique du nœud de linon autour du cou et la « modestie » de dentelle de la robe qui accroche la lumière. On retrouve ces mêmes éléments dans d’autres portraits, comme les deux ci-dessous :

 

Attribué à Anne-Rosalie Filleul
Portrait présumé de Nathalie Josèphe Alexandrine Bousies (1757-1846)
Pastel sur papier, 60,5 x 49,5 cm
Collection particulière (vente 2020)



« Entourage de Vigée- Le Brun, peut-être Anne-Rosalie Filleul »
Jeune fille au ruban bleu
Source : Neil Jeffares, Dictionary of pastellists before 1800


En conséquence, certaines attributions s'avèrent un peu moins convaincantes…

 

Attribué à Anne-Rosalie Filleul
Portrait de Michèle de Bonneuil – 1778
Pastel
Collection particulière


Anne-Rosalie avait à Passy un voisin célèbre, Benjamin Franklin, alors « Ministre plénipotentiaire à la cour de France pour la République des Provinces unies de l’Amérique Septentrionale ».

C’est sans doute cette proximité qui le conduit à lui demander son portrait, visiblement exécuté à la maison, dans une tenue sans apprêt.

 

Portrait de Benjamin Franklin – 1777/1778
Huile sur toile, 91,1 x 72,4 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

« Vêtu d'une chemise à col ouvert et d'une robe de chambre verte doublée de fourrure, Franklin révèle un côté amical et légèrement vulnérable, malgré sa position. Ses lunettes sont posées sur une carte de Philadelphie et sa main ouverte paraît suggérer une conversation avec l’artiste. » (Extrait de la notice du musée)

Ce portrait de Franklin aura une fortune internationale : on en retrouve des copies, sous forme de gravure, dans de nombreuses bibliothèques anglaises et américaines.

 

Louis Jacques Cathelin (1739-1804)
Portrait de Benjamin Franklin d’après Anne-Rosalie Filleul – 1779
Eau-forte et gravure, 36,4 x 25,5 cm
Metropolitan Museum of Art, New York


Gravure d’après Anne-Rosalie Filleul
The British Museum, Londres



Portrait d’une musicienne – 1785
Miniature sur ivoire, diamètre 6,8 cm
Collection particulière (vente 2018)


Comme tout le personnel des châteaux royaux, les Filleul furent concernés par un vaste plan de réforme décidé en 1785 par le pouvoir royal. Il visait à déclasser plusieurs grandes résidences princières, comme Vincennes ou Blois, dont l'entretien pesait lourdement sur les finances publiques. Le château, comme le poste de concierge de la Muette, fut compris parmi ceux que l'on décida de supprimer après l'avoir démeublé.

Sans emploi, Anne-Rosalie se voyait réduite à la misère. Bien qu'elle ait visiblement continué à le pratiquer ponctuellement, elle n’envisagea pas de vivre de son art et sollicita plusieurs interventions, grâce auxquelles, par décision du 17 juillet 1787, Louis XVI concéda à son mari une pension de 6 000 livres transmissible à son épouse et, en récompense de ses services, la pleine propriété de leur logement de fonction, acquis en 1767 par le gouverneur du château, sur les fonds de la conciergerie qui ne relevaient pas du domaine, ce qui en faisait un bien aliénable par le roi.

L’année suivante, en 1788, Anne-Rosalie allait succéder à son mari qui venait de décéder, dans la propriété de son hôtel « de Travers », comme elle le dénommait par dérision, et pour lequel elle dut batailler, dès l’hiver 1790-91, avec la nouvelle administration des domaines qui n’arrivait pas à comprendre comment elle pouvait être propriétaire d’un « bien national à titre de dépendance de la Muette déclarée bien de la nation ».

La suite de l’histoire est racontée, de façon un peu expéditive, par son amie Elisabeth :

« Que ne puis-je vous parler de cette aimable femme sans me rappeler sa fin tragique ? Hélas, au moment où j’allais quitter la France, pour fuir les horreurs que je prévoyais, madame Filleul me dit : vous avez tort de partir : moi je reste car je crois au bonheur que doit nous procurer la révolution. Et cette révolution l’a conduite sur l’échafaud ! Elle n’avait point quitté le château de la Muette quand arriva ce temps justement nommé le temps de la terreur. Madame Chalgrin, fille de Joseph Vernet, vint célébrer dans ce château le mariage de sa fille, sans aucun éclat, comme vous imaginez bien. Cependant, dès le lendemain, les révolutionnaires n’en vinrent pas moins arrêter madame Filleul et madame Chalgrin qui, disait-on, avaient brulé les bougies de la nation, et toutes deux furent guillotinées peu de jours après. » (Souvenirs de Madame Vigée-Le Brun, op.cit. lettre II, pp 20,21)

On sait que le 2 messidor an IV (20 juin 1794), le Comité de Sûreté Générale recevait une dénonciation l'informant que « la nommée Filleul, intime amie de la Messaline Antoinette » avait « volé ou soustrait quantité d'effets précieux provenant des ameublements appartenant à la liste civile », au château de la Muette devenu domaine national, « qu'elle avait eu des complices et que, dans la maison qu'elle occupait présentement et qui lui avait été donnée par ladite Antoinette, elle avait soustrait notamment du linge et des cartels de cheminée ».

Madame Chalgrin, femme de l’architecte Jean-François Chalgrin (1739-1811), fut également arrêtée, peu après son amie, et transférée avec elle à la Conciergerie le 7 messidor. Elles furent condamnées pour avoir « par des prévarications de tous genres, cherché à anéantir la liberté et à rétablir la royauté en France » et furent guillotinées le 6 thermidor an II (13 juillet 1794),

Pour finir sur une note un peu moins glaçante - et aussi pour montrer ses travaux – je termine sur des dessins qu’elle exécuta à la plume et encre de chine et rehaussa d’aquarelle, au château de Chantilly, vers 1780. Ils ont un intérêt au moins documentaire !

 

Chantilly, vue du hameau dans le jardin anglais
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France


Chantilly, vue de la ménagerie
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France

Chantilly, vue du château
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France

Chantilly, vue du château
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France


Chantilly, vue de la grotte du jardin anglais
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France


Anne Rosalie n’était sans doute pas une grande peintre, peut-être le serait-t-elle devenue si elle avait choisi une voie plus exigeante, au plan artistique, s’entend…


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Adelaïde Labille-Guiard (1749 – 1803)

 

Autoportrait avec deux élèves (détail)

Adélaïde Labille, dite aussi Adélaïde Labille des Vertus est née le 11 avril 1749, benjamine des huit enfants d’un couple de bourgeois parisiens. Son père, Claude-Edme Labille, est « marchand de mode du corps de la mercerie » et propriétaire de la boutique À la toilette, rue de la Ferronnerie, paroisse Saint-Eustache. Adélaïde est donc aux premières loges pour admirer les parures des élégantes qui fréquentent le commerce de son père (il se dit même qu’y fut employée une jeune « demoiselle de mode » nommée Jeanne Bécu, qui deviendra plus tard Madame du Barry).

Comme toutes les femmes de son temps, elle commence sa carrière de peintre par la voie jugée compatible avec son sexe, la miniature et le pastel. Elle apprend la première technique en entrant à quatorze ans dans l’atelier du miniaturiste François-Elie Vincent (1708-1790), qu’elle connaît depuis l’enfance.

La renommée de son premier maître facilite sans doute son admission à l’Académie Saint-Luc vers l’âge de vingt ans. Sa qualité de peintre de cette académie apparaît déjà sur le contrat de son mariage, le 25 août 1769, avec Louis-Nicolas Guiard, vingt-sept ans, « commis chez M. Bolliard de Saint-Julien, receveur général du Clergé de France ».

L'Académie de Saint-Luc de Paris était, à l'origine, une confrérie charitable des maîtres peintres et sculpteurs parisiens. Initialement fondée en 1391, elle a été réactivée en 1649 par les corporations de peintres en s’inspirant des guildes crées à Florence, en Allemagne et aux Pays-Bas, à l’instigation de Simon Vouet qui avait fréquenté celle de Florence. Elle connut des périodes d’interdiction, au profit de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, mais reçut en 1704 l’autorisation de disposer de chaires d’enseignement puis, en 1705, celle d’organiser des salons auxquels les peintres non académiciens (y compris les femmes) avaient accès.

Elle dispensait aussi, le jour de la Saint Luc, deux médailles d’argent à ses meilleurs élèves.

Pour Adélaïde, cette année 69 est aussi celle des décès de sa mère et de sa sœur Félicité.  Sa famille se réduit alors à son père et sa sœur aînée, Victoire, tous les autres enfants ont déjà disparu.

C’est aussi en 1769 qu’Adélaïde sollicite les conseils du fameux pastelliste Maurice-Quentin de la Tour (1704-1788) qui la trouve assez intéressante pour l’accepter comme élève. Elle dût faire de rapide progrès puisqu’elle travaillait encore chez lui lorsqu’elle montra, au Salon de l’Académie Saint-Luc en 1774, le Portait d’un magistrat, peint au pastel « de grandeur naturelle », et le Portrait d’un dame en miniature, son autoportrait. (cliquer pour agrandir)

 

Autoportrait – vers 1774
Aquarelle et gouache sur ivoire
The Tansey Miniatures Fondation
Bommann Museum, Celle


C’est probablement à cette occasion qu’elle entre en concurrence, aux yeux de la critique, avec Elisabeth-Louise Vigée et Anne-Rosalie Boquet.

Le Mercure de France d’octobre 1774 n’est pas aussi dithyrambique à son propos qu’à celui des deux virtuoses précitées mais il concède cependant, à Mme Guiard : « Sa touche hardie, sa couleur brillante, ses lumières larges et bien dégradées, ses contours purs et moelleux [qui] sont les preuves d’un talent distingué qu’on assure ne devoir qu’à elle-même. » 

Ce sera la dernière exposition de l’Académie Saint-Luc mais Adélaïde s’y est fait connaître.

 

Charles-Dominique-Joseph de Gibert – 1776
Pastel, 59,5 x 48 cm
Collection particulière
Source : Neil Jeiffares, Pastels & pastellistes avant 1800


Portrait de madame Lefranc peignant le portrait de son mari – 1779
Aquarelle et gouache sur ivoire, 6,5 cm de diamètre
Nationalmuseum, Stockholm

Portrait de la princesse de Montlear
Pastel, 80 x 64 cm
Fondation Bemberg, Toulouse

Sa période miniaturiste sera cependant assez courte et elle complète sa formation auprès de son ami d’enfance et fils de son premier maître, le peintre François-André Vincent (1748-1816), lauréat du Grand Prix, de retour de son séjour à Rome en 1775 et qui fut agréé par l’Académie royale, le 31 mai 1777.

Ce choix souligne l’ambition d’Adélaïde de ne pas se cantonner à la peinture de dame. Mais, en attendant d’atteindre ses objectifs, elle a accompli son entrée dans le monde artistique sans déroger aux règles.

C’est peu après qu’Adélaïde engage, devant le Châtelet de Paris, une procédure de séparation de biens dont le jugement fut prononcé le 27 juillet 1779. Son mari est condamné à lui restituer sa dot de neuf mille livres et les trois mille livres qu’elle lui avait prêtées avant son mariage. La séparation de fait ne tarde pas et Adélaïde quitte le domicile conjugal pour aller s’installer rue de Gramont.

Parallèlement, grâce à la création du Salon de la Correspondance, venant opportunément remplacer celui de l’Académie Saint-Luc, Adélaïde peut montrer, au mois de mai 1782, ses œuvres au pastel : le Portrait du comte de Clermont-Tonnerre et deux têtes d’études. 

Le Salon de la Correspondance

Le « Salon » du Louvre étant réservé aux membres de l’Académie royale, l’Académie Saint-Luc de Paris avait reçu en 1705 l’autorisation d’organiser son propre salon, auquel les peintres non académiciens, y compris les femmes, avaient accès. Mais l’Académie de Saint-Luc ayant été supprimée en 1776, comme toutes les « communautés de métier », les peintres se sont brutalement trouvés sans lieu d’exposition.

La même année, un membre de la noblesse de robe, Pahin de La Blancherie (1752-1811) qui se parait du titre « d’agent général de la correspondance pour les sciences et les arts », crée le Salon de la Correspondance, à la fois cercle littéraire proposant des conférences littéraires et scientifiques ou des lectures publiques, et Musée où, lors d’expositions hebdomadaires, on voyait les tableaux des artistes qui n’étaient pas admis à l’Académie royale. Il publiait également une brochure, intitulée Nouvelles de la république des Lettres et des Arts, où figuraient les notices des œuvres exposées et des indications sur les artistes.

Ce salon a fonctionné de 1781 à 1788, rue de Tournon puis rue Saint-André-des-Arts à Paris.

 

Tête de jeune femme (L’heureuse surprise) – 1779
Pastel sur papier marouflé sur toile, 54,6 × 44,5 cm
J.Paul Getty Museum, Los Angeles



Jeune dame en robe bleue rayée - 1780
 Pastel sur papier, 62,2 x 51 cm
Collection particulière
(source : Neil Jeffares, Dictionnaire des pastellistes avant 1800)

Au mois de juin 1782, Adélaïde y expose son Autoportrait au pastel et, non seulement la jeune artiste est bien reçue (« Ces nouveaux ouvrages de Mme Guiard ont confirmé la haute idée que nous avons donnée de ses talents dans ses dernières feuilles » - Journal du Salon) mais sa confrontation avec Elisabeth Vigée - Le Brun ne passe pas inaperçue : « Les portraits des deux femmes artistes faits par elles-mêmes et que le hasard a réunis en pendant, ont paru un spectacle très-piquant et qui a excité les murmures et l’applaudissement des deux assemblées », peut-on lire dans les Nouvelles de la République des Lettres et des Arts du 19 juin 1782.

 

Autoportrait  1782
Pastel, 72 x 58 cm
Reproduit dans l’ouvrage d’Anne-Marie Passez, p. 16bis
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Ensuite, Adélaïde s’attaque à l’Académie royale de peinture.

Sachant que la partie sera difficile et qu’elle serait, comme les autres femmes, soupçonnée de ne pas avoir exécuté elle-même ses toiles, elle sollicite des académiciens pour exécuter leurs portraits - afin qu’ils puissent en certifier l’auteur - et déclare à ceux qui lui conseillaient de se faire appuyer par le ministre, « [qu’elle voulait] être jugée et non protégée ; que si [son] talent n’était pas trouvé digne de l’Académie, [elle travaillerait] sans relâche à le perfectionner. » Voilà qui a de l’allure !

Grâce à François-André Vincent, elle obtient le soutien de Joseph-Marie Vien (1716-1809), dont le prestige d’ancien directeur à l’Académie de France à Rome est précieux. Ensuite, elle portraiture Augustin Pajou (1730-1809), ami de son propre père, qu’elle représente modelant le buste de Lemoine. Elle expose le portrait du premier en janvier 1783, celui du second en mars. La critique approuve : « Nous félicitons Mme Guiard de la confiance que des hommes aussi distingués témoignent en ses talents. »

Joseph-Marie Vien, peintre du roi – 1782
Pastel sur papier, 60 x 59 cm
Musée Fabre, Montpellier

Augustin Pajou modelant le buste de Jean-Baptiste II Lemoine  1782
Pastel sur papier bleu,73,5 x 61,8 cm
 Premier morceau de réception à l’Académie
(Adélaïde devra également réaliser un portrait à l’huile)
Musée du Louvre, Paris


Adélaïde est présentée à l’Académie par Alexandre Roslin, conseiller à l’Académie et veuf de Suzanne Roslin (voir sa notice). Elle sera notamment soutenue par Vien, Vincent, Bachelier et Suvée dont elle a aussi peint les portraits, également exposés au salon de la Correspondance.

Portrait en buste du peintre François-André́ Vincent – 1782
Pastel sur papier gris- bleu, 65,5 x 50 cm
Musée du Louvre, Paris

Portrait en buste du peintre Jean-Jacques Bachelier - 1782
Pastel sur papier gris-bleu marouflé sur toile, 61 x 49,7 cm
Musée du Louvre, Paris


Portrait de Joseph Benoit Suvée – 1782
Pastel, 60,7 x 50,5 cm
Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris


L’ Académie royale de peinture et de sculpture, créée en 1648, sous le règne de Louis XIV alors enfant, avait pour ambition de former et rassembler les meilleurs artistes du royaume, en les libérant de la tutelle de la « corporation », c’est-à-dire du statut d’artisan.

Les plus doués étaient nommés académiciens, un titre prestigieux qui garantissait protection et notoriété, grâce à la possibilité de participer à l’exposition de l’Académie royale, dont la première eut lieu sans public en 1665. Après plusieurs expositions dans des lieux différents, on l’installa en 1725 dans le Salon carré du Louvre, d’où son nom de « Salon ». Il commençait le jour de la saint Louis et seuls les académiciens pouvaient y exposer leurs œuvres.

Au cours de ses 145 années d’existence, l’Académie n’éleva que quinze femmes au rang d’académicienne.  La première est Catherine Duchemin-Girardon, reçue en 1663. Les deux dernières sont Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun, agréées  en 1783, lors de la même séance.

Toutefois, aucune femme n'assistait aux classes de dessin de nu masculin ou féminin d’après modèle vivant, ni à celles de géométrie ou de perspective. Aucune femme ne fut jamais reçue en peinture d’histoire (le genre le plus prestigieux) et, par voie de conséquence, aucune n’a pu accéder à la fonction de professeur, c’est-à-dire être membre du Conseil de l’Académie, siège du pouvoir académique. L’Académie royale fut supprimée par décret de la Convention, en 1793.

Adélaïde reçoit aussi le soutien, peut-être intéressé, de Jean-Baptiste Pierre, premier peintre du roi et adversaire farouche d’Elisabeth Vigée - Le Brun (voir sa notice dans ce blog) dont il espérait ainsi écarter la candidature.

Les académiciens votèrent quasi-unanimement pour Adélaïde (28 voix sur 32) mais le roi intervint en faveur d’Elisabeth et les deux peintres furent admises le même jour, 31 mai 1783. Par cette double nomination, le quota de quatre femmes (fixé en 1770 par l’Académie, inquiète du développement des vocations féminines) était atteint, mettant un terme aux espérances de toutes les autres artistes féminines de leur génération…

Deux autres femmes étaient déjà académiciennes : 
la miniaturiste Marie-Thérèse Vien et la peintre de fleurs Anne Vallayer-Coster.

Adélaïde participe au Salon dès 1783. Elle y montre un autoportrait, sept portraits d’académiciens et celui de Madame Mitoire avec ses enfants qui remporte un grand succès, tant auprès de la critique que du public.

 

Madame Charles Mitoire avec ses enfants, allaitant l’un d’eux – 1783
Pastel marouflé sur toile, 92 x 72,5 cm
J. Paul Getty Museum, Los Angeles, Californie

Ce tableau illustre le thème de la mère de famille - qui plus est allaitante - en compagnie de son ou ses enfants, qui deviendra récurrent dans la peinture de l’époque.

Marguerite Gérard peindra aussi plusieurs « scènes de genre » sur ce thème, une quinzaine d’années plus tard.

Le Louvre conserve une copie en miniature de cette scène :

 

Madame Charles Mitoire et ses enfants
Miniature sur ivoire – 7 cm
Musée du Louvre, Paris

Cette réussite n’empêche pas la diffusion d'un pamphlet injurieux à l'égard des deux nouvelles académiciennes, sous prétexte qu'elles exerçaient un métier d'homme et vivaient séparées de leurs maris. A la demande d’Adélaïde, qui fait intervenir ses relations, les coupables sont châtiés et les feuilles détruites.

Et, comme cela deviendra l’habitude, la critique compare le talent des deux nouvelles académiciennes. Elle reconnaît qu’Adélaïde « moins flatteuse peut-être, a plus de vigueur et même plus de vérité » (Le Véridique au Salon).

C’est à cette époque qu’elle quitte son premier domicile pour s’installer au 139 de la rue Richelieu, où elle peut disposer, à proximité, d’un atelier spacieux et haut de plafond que la sœur de François-André Vincent met à sa disposition. 

Elle ouvre alors une école de peinture pour une dizaine de jeunes filles, dont certaines deviendront d’excellentes pastellistes, parmi lesquelles Marie-Victoire d’Avril (1755-1820), Madeleine Frémy (vers 1760-1788), Marie-Thérèse de Noireterre (1760-1823), Jeanne Dabos née Bernard (1763-1842) et Marie-Marguerite Carraux de Rosemond (1765-1788) et Marie-Gabrielle Capet (1761-1818).

A l’Exposition de la Jeunesse de 1783, le nombre et la qualité de ses élèves ne passent pas inaperçus : « Tous les ans, jour de la petite Fête-Dieu, il y a une exposition de tableaux à la place Dauphine, qui décorent les environs d'un magnifique reposoir qu'on y construit. C'est là où les jeunes gens qui ne sont encore attachés à aucune académie viennent s'assayer (sic) & pressentir le goût du public. Celle-ci a été plus nombreuse que de coutume, & par une singularité rare, il y avait des morceaux de neuf élèves du sexe, de madame Guyard, toutes très-jolies & annonçant du talent ; ce qui n'a pas peu contribué à attirer la foule. » (Mémoires secrets, Tome 23, 25 juin 1783, p.23)

L'Exposition de la Jeunesse

L’exposition (ou salon) de la Jeunesse avait lieu en plein air, tous les ans depuis 1722, le jour de la petite Fête-Dieu, place Dauphine et sur le Pont-Neuf, de six heures du matin à midi. S’il pleuvait, la manifestation était reportée à la petite Fête-Dieu de la semaine suivante et, s’il pleuvait encore, à l’année suivante.
Les élèves peintres pouvaient accrocher leurs œuvres aux tapisseries tendues sur le passage de la procession. Cela leur permettait de se faire connaître et de rencontrer un éventuel mécène.


Marie-Gabrielle Capet et Marie-Marguerite de Rosemond, qu’elle considérait peut-être comme ses élèves les plus prometteuses, sont représentées en sa compagnie sur son fameux Autoportrait avec deux élèves, où trône également le buste de son père, Claude Labille, par Pajou. Un tableau qui apparaît aujourd’hui comme une œuvre-manifeste en faveur de l’enseignement artistique des femmes.

Marie-Gabrielle fit effectivement carrière comme pastelliste mais Marie-Marguerite mourut trois ans plus tard.

Autoportrait avec deux élèves – 1785
Huile sur toile, 210,8 x 115,1 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

Au centre de la toile, Adélaïde, 33 ans, se présente en professeur, ses élèves derrière elle.

Son regard dirigé vers le spectateur exprime la détermination dont elle fait preuve en toute occasion et notamment lorsqu’elle s’est présentée à l’Académie royale de peinture. Sa tenue, soignée et très féminine, est aussi une affirmation de son statut social, celle de la bourgeoisie montante, consciente de la valeur intrinsèque de son talent.

 

La signature est située à l'envers de la toile représentée sur le tableau. Ainsi, les deux tableaux, celui où elle se présente en peintre et celui qu’elle est a peint, sont signés en même temps. 

Au Salon de 1785, le tableau fait sensation et la critique loue sa maîtrise : « Cette Artiste est d’un mérite très-distingué & très-rare, puisqu’elle a su joindre aux grâces de son sexe la vigueur & la force qui caractérisent les Ouvrages de l’homme. » (Catalogue Deloynes, n° 327, Salon de 1785.) 

Adélaïde montre également le portrait du peintre van Loo et une dizaine d’autres, également à l’huile.

Le peintre Charles-Amédée-Philippe van Loo (1719-1795) – 1785
Huile sur toile, 130 x 97 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon
Second morceau de réception d'Adélaïde à l’Académie, présenté au Salon de 1785

Van Loo était aussi « ordonnateur » - on dirait aujourd’hui commissaire général – des Salons de l’Académie 

Pietro Antonio Martini (1739-1797) dessinateur et graveur
Coup d'œil  exact de l'arrangement des Peintures au Salon du Louvre de 1785
Metropolitan Museum of Art, New York

 

On voit distinctement le Serment des Horaces de Jacques-Louis David, au centre, ainsi que, un peu plus bas à gauche, le Portrait de la baronne de Crussol, d’Elisabeth Vigée (voir sa notice). L’autoportrait aux deux élèves d’Adélaïde est à droite, sous les trois grandes toiles du haut. 

La même année, Adélaïde, confrontée à des difficultés financières, formule une demande de logement au Louvre, que sa qualité d’académicienne justifie. Elle essuie un refus, motivé par le fait que son école de jeunes filles créerait une cohabitation scandaleuse avec les artistes masculins du Louvre et nuirait à la « décence ». En contrepartie, elle reçoit une pension de 1 000 livres dont elle n’est pas satisfaite. Elle insiste, sans résultat. Académicienne oui, égale des académiciens, non.

(Je glisse ici  deux charmants portraits de cette période, trouvés lors de mes recherches)

Portrait de femme – 1787/88
Huile sur toile, 67 x 35 cm
Musée Pouchkine, Moscou


Marie Emilie Louise Victoire de Coutances – vers 1787
Huile sur toile, 80 x 63,5 cm
Collection particulière


Adélaïde travaille pourtant à ses œuvres les plus prestigieuses : les portraits des tantes du roi, Adélaïde et Marie-Thérèse, et d'Elisabeth, sœur du roi, lui valent une célébrité accrue et le titre de « peintre de Mesdames » en 1787.

Elle exécute également le portrait du duc de Choiseul, remarquable tant pour sa qualité qu’en raison de l’importance historique du modèle, mort peu de temps après les séances de pose. Adélaïde en a livré deux versions. Celle ci-dessous et une autre, plus petite (72 x 56 cm), qui a été acquise en 2022 par le musée national du château de Versailles.

 

Etienne-François, duc de Choiseul-Stainville (1719-1785), à son bureau - 1786
Huile sur toile, 146 x 114 cm
Waddesdon Manor, Buckinghamshire


Élisabeth Philippine de France, dite Madame Elisabeth (1764–1794) – vers 1787
Pastel sur papier bleu, 78,7 x 65,4 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

Madame Élisabeth de France (1764–1794) – 1788
Huile sur toile, 81 x 63,6 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Adélaïde de France, fille de Louis XV, 
peignant les portraits en médaillon de ses parents et de son frère décédés -1787
Huile sur toile, 271 x 195 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Au Salon de 1787, le Journal général de France s’extasie en ces termes, devant le portrait de Madame Adélaïde : « Ce tableau en grand est composé et exécuté avec une vigueur et une fermeté mâle, qui supposent une étude longue et réfléchie, mais la délicatesse d’âme ne s’y fait pas moins connaître. »

Et vient l’inévitable comparaison entre les deux académiciennes : « Mme Guyard, qui suit pas à pas sa rivale, ne se montre pas avec moins d’éclat à cette exposition ». (Les petites affiches de Paris)

L’auteur des Mémoires secrets prend clairement position en faveur d’Adélaïde : « On conçoit qu’un tel sujet exigeait un style austère : il y règne une mélancolie douce qui, loin de repousser le spectateur, l’attire et l’intéresse. (…) Ce tableau n’attire pas la multitude comme celui de la reine [Portrait de Marie-Antoinette et ses enfants d’Élisabeth Vigée-Le Brun], mais plaît davantage aux connaisseurs. »

Le Salon de 1789 n’est pas moins satisfaisant pour Adélaïde. Elle y montre la portrait de Madame Victoire et celui de sa sœur décédée, Louise Elisabeth.

Certes, Elisabeth Vigée-Le Brun brille de tous ses feux mais le Journal général de France du 22 septembre 1789, après avoir loué Elisabeth, ajoute : « Mme Guiard, sa digne rivale, paraît toutefois la surpasser par une touche presque virile mais on est entraîné devant les tableaux de Mme Le Brun par ce goût séducteur propre au beau sexe, que les hommes ne peuvent atteindre. » (Sans commentaire…)

En résumé, Elisabeth plaît au public et Adélaïde remporte les suffrages de la critique.

 

Marie-Thérèse-Victoire de France, dite Madame Victoire, fille de Louis XV – 1788
Huile sur toile, 241 x 165 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon

La princesse est face à une statue représentant l’Amitié, sur le piédestal de laquelle figure l’inscription : « Précieuse aux humains et chère aux Immortels, J'ai seule, près du Trône, un Temple & des Autels. »


Portrait de Louise Elisabeth de France, duchesse de Parme – 1788
Dit aussi Portrait de Madame Infante
Huile sur toile, 272 x 160 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon

Il s’agit d’un portrait rétrospectif, commandé par le roi. La princesse était morte vingt-neuf ans auparavant. Son ombre portée sur le mur est symbolique de sa disparition.

Les œuvres présentées à ce Salon, créées l’année précédente, ne portaient pas encore la marque de la Révolution déjà en marche. Début octobre, Elisabeth Vigée-Le Brun quitte Paris pour l’Italie (voir sa notice), Adélaïde reste à Paris et finit ses travaux en cours mais les commandes sont inexistantes.

Le début de l’année 1790 est difficile, tant au plan financier qu’à celui de la sécurité.

Adélaïde obtient un vaste atelier à la Bibliothèque royale, au rez-de-chaussée de la rue Colbert, plus proche de son domicile mais à titre précaire. Elle y peint le Portait de Madame de Genlis et celui de la duchesse d’Aiguillon.

 

Portrait de Stéphanie-Félicité Ducrest de Genlis, marquise de Sillery – 1790
Huile sur toile, 73,9 x 60 cm
County Museum of Art, Los Angeles

Madame de Genlis (1746-1830) était un personnage remarquable. Dotée de multiple talents, excellente musicienne, elle fut dame de compagnie de la duchesse de Chartres (future duchesse d’Orléans) et chargée de l’éducation de ses enfants, dont le futur Louis-Philippe, auxquels elle appliqua des préceptes éducatifs assez rigoureux.

Autrice d’ouvrages de pédagogie, elle y expliquait notamment l’importance de la pratique artistique dans l’éducation des filles. Ses ouvrages connurent un grand succès dans les années précédant la Révolution mais elle subit aussi des attaques assez virulentes contre son activité littéraire. Adélaïde partageait sans doute ses convictions sur l'éducation des filles. 

 

Portrait de la duchesse d’Aiguillon – 1790
Huile sur toile, 73 x 60 cm
Collection particulière (vente 2018)

Ce tableau était probablement le pendant du portrait du mari de la duchesse, Armand-Désiré de Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d’Aiguillon, qu’Adélaïde présenta au Salon de 1791, avec plusieurs autres portraits de députés de la Constituante (voir ci-dessous). Cet aristocrate fut l’un des premiers à rejoindre le Tiers Etat en 1789 et à voter l’abolition des privilèges.

Marie-Gabrielle Capet fit une copie en miniature du portrait du duc, on peut le voir aujourd’hui au musée de Caen (voir la notice de Marie-Gabrielle, dans ce blog).


Adélaïde prend une part active aux discussions au sein de l’Académie qui opposent le « parti des réformateurs » - dont elle est - favorable à une refonte des statuts académiques autour de la notion d’égalité (entre les sexes, mais aussi entre artistes et genres picturaux) et le « parti radical », mené par Jacques-Louis David, qui réclame l’abolition de l’Académie pour « libérer les talents », l’organisation d’épreuves et de concours officiels.

David en profite pour proposer l’exclusion des femmes car « il serait impolitique et dangereux que les récompenses et les encouragements assignés pour les arts sur les dépenses publiques excitassent les femmes à préférer la carrière des arts à leur véritable vocation, aux fonctions respectables et saintes d’épouse, de mère, de maîtresse de maison. » (Cité dans Sofio, Séverine. La vocation comme subversion. Artistes femmes et anti-académisme dans la France révolutionnaire, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 168, no. 3, 2007, pp. 34-49.)

Je n’en dirai pas davantage sauf pour souligner que David soutenait la position inverse à l’égard des femmes quelques années auparavant, dans le même objectif de déstabilisation de l’Académie ! La querelle se soldera par l’abolition de l’Académie par la Convention en 1793 et la création d’un Institut exclusivement masculin en 1795…

 

En janvier 1791, Mesdames quittent la France, laissant à Adélaïde des portraits commandés et impayés.

Dans le même temps, Adélaïde négocie le tournant révolutionnaire avec habileté, n’hésitant pas à afficher son soutien à l’Assemblée nationale en lui faisant une donation patriotique. Puis, comme elle l’avait fait neuf ans plus tôt avec les académiciens, elle sollicite les députés, dont Robespierre et Talleyrand, pour peindre leurs portraits et expose ceux de quatorze députés au Salon de 1791, un salon débordant d’œuvres puisque, depuis un décret du mois d’août, tous les artistes français et étrangers peuvent y exposer. Les femmes, précédemment interdites de Salon, à l’exception des quatre académiciennes, y sont également présentes (près de 12 % des exposants).

 

Portrait présumé de Marie-Jean Hérault de Séchelles – vers 1791
Huile sur toile, 65 x 54 cm
Collection particulière (vente 2020)

Marie-Jean Hérault de Séchelles (1759-1794) est élu à la Convention par deux département et opte pour la Seine-et-Oise. Il siège avec les Montagnards, est membre du Comité d’instruction publique et du Comité de sûreté générale et devient président de l’Assemblée du 1er au 15 novembre 1792. Il vote la mort du roi par lettre, étant absent lors du scrutin. Condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire comme « dantoniste », il est guillotiné en avril 1794.


Maximilien de Robespierre – 1791
Huile sur toile, 73,5 x 67,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon

Philippe Chéry, comparant ce portrait à celui du peintre Boze qui avait eu pour la première fois accès au Salon, conseilla à Robespierre de « s’en tenir aux dames pour faire tirer son portrait ; en effet M. Boze l’a raté et de ce côté-là il n’a pas à se plaindre de Mme Guiard ». (La Béquille de Voltaire, n° 215, p.49)

A la fin du Salon, deux commandes publiques sont passées à deux peintres, probablement considérés comme les plus engagés. Il s’agit de réaliser deux toiles, une pour la salle du Conseil et l’autre pour celle de l’Assemblée législative, représentant le roi recevant la Constitution. Les peintres choisis sont Jacques-Louis David et Adélaïde Labille-Guiard, qui représentent les deux tendances qui se sont affrontées sur l’évolution de l’Académie : David, co-fondateur de la Commune des Arts, membre du club des Jacobins et peintre quasi-officiel de la Révolution, Adélaïde, proche des modérés, qui a milité pour la création d’une Académie réformée et égalitaire.

Cette commande n’aura pas de suite mais elle me paraît significative de la place prise par Adélaïde sur la scène artistique de l’époque.

Tourmentée par l’absence d’institutions permettant aux jeunes filles sans fortune de gagner honnêtement leur vie, Adélaïde a adressé à l’Assemblée nationale un mémoire sur l’éducation des jeunes filles, cité par Talleyrand dans son Rapport sur l’Instruction publique : « On peut offrir aux départements, comme modèle de ce genre d’établissement, un mémoire […] par une artiste ingénieuse (Adélaïde) qui, dans cet ouvrage, a su anoblir les arts en les associant au commerce et en les appliquant aux progrès de l’industrie. »

Les bonnes relations qu’Adélaïde avait entretenues avec les députés de la Constituante ne valant pas protection perpétuelle, Adélaïde et François-André Vincent « achètent la jouissance » d’une maison de Pontault-en-Brie et d’un parc de 25 ha, planté de 3 000 arbres fruitiers, le 8 mars 1792. Ils y font retraite en compagnie de deux de leurs élèves Marie-Gabrielle Capet et Marie-Victoire d’Avril, en dépit des tracasseries de la municipalité, dirigée par un révolutionnaire « enragé ». La situation se pacifie grâce à un don de 25 livres, destiné à l’achat d’un fusil « pour être disposé par la municipalité de Pontault en faveur d’un citoyen qu’il jugerait à propos ». (!)

Le divorce ayant été autorisé par la loi du 20 septembre 1792, Adélaïde le demande et l’obtient, le 12 mars 1793.

Elle apprend avec indignation qu’une de ses œuvres importantes, à laquelle elle avait consacré deux ans de travail et qui ne lui avait jamais été payée, La Réception d’un chevalier de l’Ordre de Saint-Lazare par Monsieur, avait été réquisitionnée et détruite sur ordre (arrêté du 11 août 1793).

Adélaïde, malade, n’expose pas au Salon de 1793 et, tandis que les exécutions se multiplient, cesse de peindre jusqu’en 1795.

Elle rencontre alors Joachim Lebreton, chef du bureau des musées à l’Instruction publique. Il lui accorde l’atelier du Louvre qu’on lui avait refusé sous l’Ancien régime et lui attribue une pension de 2 000 livres. Pour le remercier, elle fait son portrait, qu’elle montre au Salon de 1795, avec ceux d’autres citoyens, comme le médecin Baignière et l’architecte Sylvestre.

 

Portrait de Joachim Lebreton -1795
Huile sur toile, 73 x 59,7 cm
Nelson-Atkins Museum, Kansas City

En 1796, elle reprend ses pastels pour exécuter le portrait d’Henri de Saint-Simon mais n’expose pas.

Au Salon suivant de 1798, elle montre plusieurs portraits de l’élite scientifique, le Professeur Charles faisant une démonstration d’optique, le Citoyen Janvier, mécanicien astronome et un portrait de Mlle Capet peignant une miniature (voir sa notice)Ils sont bien reçus, « vous y trouverez tout le talent de la citoyenne Guyard : de l’esprit, de la vérité, la touche d’un maître. » mais la gloire est passée : « Mesdames Guyard et Le Brun, dont les talents motivent une exception, ne sont pas admises au premier rang, on voit s’y placer des maîtres naguère élèves, le plus âgé n’a pas trente ans. »

L’année suivante, elle expose plusieurs portraits de la nouvelle classe politique (avocat, comédien) et une Citoyenne Ch***, tenant dans ses bras son enfant qu’elle nourrit.

Il se pourrait bien qu’il s’agisse de cette Madame Charlot :


Portrait présumé de Madame Claude Charlot
et de son fils Nicolas François – 1799
Huile sur toile, 118 x 90 cm
Collection particulière


Mais elle est à peine citée par la critique et toujours avec son élève, Marie-Gabrielle Capet. Elle expose pour la dernière fois en 1800, l’année où elle s’installe avec Marie-Gabrielle dans un logement d’artiste du Louvre où François-André Vincent vient les rejoindre, après son mariage avec Adélaïde. 

Lors de ce dernier salon, elle apparaît pour la première fois comme « Mme Vincent, née Labille, ci-devant Guiard, élève de son mari » (c’est moi qui souligne !)

En mars 1802, un décret ministériel impose la libération de tous les logements du Louvre. Le couple déménage alors de l’autre côté de la Seine, au Pavillon du Couchant, collège des Quatre-Nations, dans deux appartements distinct de cinq pièces chacun et bénéficient de la jouissance de deux ateliers, l’un au Louvre, l’autre à l’Institut.

Adélaïde ne profite guère de ces nouvelles dispositions : après deux mois d'une maladie foudroyante, elle rend son dernier souffle le 8 avril 1803, à 53 ans.


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L’œuvre localisé d’Adélaïde compte aujourd’hui une centaine d’éléments, dont une dizaine de magistraux portraits en pieds. Pourquoi est-elle à ce point méconnue ?

Son effacement est probablement lié à l’aveuglement des jugements du XIXe siècle sur l’œuvre des femmes : en 1878, deux tableaux d’Adélaïde, dont son superbe Autoportrait avec deux élèves, sont légués au Louvre qui les refuse (grâce à quoi l’Autoportrait en question se trouve aujourd’hui au MET…).

Il faut attendre 1902 et l’article du baron Portalis (Adélaïde Labille-Guiard, Gazette des Beaux-Arts, 1901-1902, consultable en ligne) pour qu’il soit envisagé de « reconnaître ses belles qualités » et de lui restituer « le rang qu’elle mérite parmi les artistes les plus agréables et les plus désirés de la fin du XVIIIe siècle ».

Ce n’est qu’en 1973 qu’est publiée la thèse d’Anne-Marie Passez (dont l’ouvrage est cité à la fin de la présente notice) mais Adélaïde reste absente de toutes les grandes expositions relatives au portrait du XVIIIe siècle et c’est en Amérique qu’elle est enfin montrée dans l’exposition Royalists to Romantics : Women Artists from the Louvre, Versailles, and Other French National Collections, du National Museum of Women in the Arts de Washington, en 2012.

Elle est présente, avec quelques portraits, dans l’exposition d’Elisabeth Vigée-Le Brun, au Grand Palais en 2015 et apparaît aussi dans la dernière exposition du musée du Luxembourg, Peintres femmes, naissance d’un combat (1780-1830), en juillet 2021. Autrement dit, dans l’ombre de sa « rivale » ou parce qu’elle est une femme.

Ne serait-il pas temps de lui rendre sa place d’académicienne, d’excellente portraitiste et de peintre ambitieuse et engagée dans les combats de son époque ?

Je termine par deux portraits de femmes inconnues, que l’on peut voir dans des musées français. Je trouve le second particulièrement admirable. Il fut longtemps attribué - mais faut-il s’en étonner - à Elisabeth Vigée-Le Brun…

 

Portrait de femme – 1780/88
Huile sur toile, 60 x 49 cm
Musée des Beaux-Arts de Carcassonne


Portrait de femme – vers 1787
Huile sur toile, 100,6 x 81,4 cm
Musée des Beaux-Arts de Quimper


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Pour écrire cette notice, j’ai travaillé avec l’ouvrage et des articles suivants, consultables en ligne :

Passez Anne-Marie, Adélaïde Labille-Guiard, biographie et catalogue raisonné de son œuvre. Arts et Métiers graphiques. 1973. Seule la première partie est en ligne :

URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3402901p/f7.highres

Guichard Charlotte, « La signature dans le tableau aux XVIIe et XVIIIe siècles : identité, réputation et marché de l'art », Sociétés & Représentations, 2008/1 (n° 25), p. 47-77. DOI : 10.3917/sr.025.0047.

URL : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2008-1-page-47.htm

Bonnet Marie-Jo, « Femmes peintres à leur travail : de l'autoportrait comme manifeste politique (XVIIIe-XIXe siècles) », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2002/3 (no49-3), p. 140-167. DOI : 10.3917/rhmc.493.0140.

URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2002-3-page-140.htm

 

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