Fille
de Blaise Boquet, marchand éventailliste,
c'est à dire d'éventails peints, de miniatures et autres « curiosités »,
lui-même dessinateur de talent (il a dessiné des costumes pour l'Opéra) et de Marie-Rosalie Hallé, peintre de
miniatures, elle fut amie de jeunesse d’Elisabeth Vigée-Le Brun qui évoque sa
beauté dans ses mémoires, alors qu’elles suivaient ensemble les leçons de
Gabriel Briard (1725-1777) « médiocre peintre » mais « excellent
dessinateur » :
« Dans ce même temps, nous allions très souvent, mademoiselle Boquet et moi, dessiner chez Briard, le peintre, qui nous prêtait des dessins et des bustes antiques… Mademoiselle Boquet avait alors quinze ans et moi j'en avais quatorze. (…) Nous ne pouvions passer dans cette grande allée du Palais Royal, mademoiselle Boquet et moi, sans fixer vivement l’attention (…) mademoiselle Boquet était fort belle. » (Souvenirs de Madame Vigée-Le Brun, Edition Charpentier et Cie, 1869, Tome premier, Lettres à la princesse Kourakin, lettre II, pp. 11 et 20)
En 1775, comme on peut le lire dans une notice du Louvre, « elle avait été reçue à l'Académie de Saint-Luc "par mérite" et avait fait don, pour sa réception, du portrait peint à l'huile de Charles Eisen. L'œuvre avait été exposée au Salon de cette académie, en même temps que le portrait de sa mère peint au pastel, qu'une nature morte de prunes dans un panier également au pastel et que plusieurs autres portraits et études non détaillés. La critique avait, à cette occasion, loué sa capacité à fixer les ressemblances, et ce même si son dessin et sa couleur avaient été jugés un peu durs. »
L'Académie de Saint-Luc de Paris était, à l'origine, une confrérie charitable des maîtres peintres et sculpteurs parisiens. Initialement fondée en 1391, elle a été
réactivée en 1649 par les corporations de peintres en s’inspirant des guildes
crées à Florence, en Allemagne et aux Pays-Bas, à l’instigation de Simon
Vouet qui avait fréquenté celle de Florence. Elle connut des périodes d’interdiction, au profit de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, mais reçut en 1704 et 1705, l’autorisation de disposer de chaires d’enseignement puis d’organiser des salons auxquels les peintres non académiciens avaient accès. Elle dispensait aussi, le jour de la Saint Luc, deux médailles d’argent à ses meilleurs élèves. |
En septembre 1777, Anne-Rosalie épouse Louis
Filleul de Besne, écuyer du roi et garçon de chambre du dauphin, qui reçut
bientôt de la reine la charge lucrative de concierge du château royal de la
Muette. C’est un mariage de convenance avec un mari de santé délicate, qui
avait le double de son âge et dont elle était la troisième épouse. Elle ne
cache pas que ce qui la décide est la perspective « d'exercer la place de concierge du château
de la Muette jusqu'au dernier de ses jours. »
La charge en question représente un revenu de 14 000 livres par an et un séjour des plus agréables, à Passy, aux portes de Paris. Le château est une construction élégante entouré d’un parc à l’anglaise, grands arbres et arbustes fleuris. Le couple Filleul occupe un logement de fonction à proximité, l’hôtel Travers.
C’est dans cet hôtel qu’elle avait transformé un « cabinet » en atelier.
Bien qu’Elisabeth Vigée ait écrit plus tard, un peu perfidement, que « Mademoiselle Boquet avait un talent remarquable pour la peinture mais elle l’abandonna presque entièrement après avoir épousé M. Filleul, époque à laquelle la reine la nomma concierge du château de la Muette », ce n’est pas tout à fait vrai puisque, dès 1780, Anne-Rosalie a obtenu le titre de « peintre de la famille royale », ce qui lui permet notamment de peindre à plusieurs reprises les enfants du comte d’Artois, frère du roi et, semble-t-il, plusieurs membres de la famille royale dans les années 1781 à 1783.
Selon
ses propres écrits, ces portraits auraient été envoyés « dans toutes les
cours d’Europe ». C’est peut-être pour cela qu’on ne sait où ils sont
aujourd’hui, à moins qu’une partie de son travail n’ait été attribué à d’autres.
Le
Louvre ne conserve qu’une seule œuvre d’elle dans ses collections.
Si l'on compare ce portrait à celui exécuté, quelques années plus tard, par Joseph Boze, portrait dont la comtesse s'est déclarée satisfaite, on conviendra que celui de Rosalie rendait aussi plutôt fidèlement compte de la physionomie du modèle.
Quoi
qu’il en soit, ce portrait permet de préciser un peu le style
d’Anne-Rosalie : les yeux dessinés en amande et dont les cils marquent le
bord extérieur de l’œil, un air affable sans beaucoup de caractère, le
traitement caractéristique du nœud de linon autour du cou et la
« modestie » de dentelle de la robe qui accroche la lumière. On
retrouve ces mêmes éléments dans d’autres portraits, comme les deux
ci-dessous :
En
conséquence, certaines attributions s'avèrent un peu moins convaincantes…
Anne-Rosalie
avait à Passy un voisin célèbre, Benjamin Franklin, alors « Ministre
plénipotentiaire à la cour de France pour la République des Provinces unies de
l’Amérique Septentrionale ».
C’est sans doute cette proximité qui le conduit à lui demander son portrait, visiblement exécuté à la maison, dans une tenue sans apprêt.
« Vêtu d'une chemise à col ouvert et d'une robe de chambre verte doublée de fourrure, Franklin révèle un côté amical et légèrement vulnérable, malgré sa position. Ses lunettes sont posées sur une carte de Philadelphie et sa main ouverte paraît suggérer une conversation avec l’artiste. » (Extrait de la notice du musée)
Ce portrait de Franklin aura une fortune internationale :
on en retrouve des copies, sous forme de gravure, dans de nombreuses
bibliothèques anglaises et américaines.
Comme
tout le personnel des châteaux royaux, les Filleul furent concernés par un vaste
plan de réforme décidé en 1785 par le pouvoir royal. Il visait à déclasser
plusieurs grandes résidences princières, comme Vincennes ou Blois, dont
l'entretien pesait lourdement sur les finances publiques. Le château, comme le
poste de concierge de la Muette, fut compris parmi ceux que l'on décida de
supprimer après l'avoir démeublé.
Sans emploi, Anne-Rosalie se voyait réduite à la misère. Bien qu'elle ait visiblement continué à le pratiquer ponctuellement, elle n’envisagea pas de vivre de son art et sollicita plusieurs interventions, grâce auxquelles, par décision du 17 juillet 1787, Louis XVI concéda à son mari une pension de 6 000 livres transmissible à son épouse et, en récompense de ses services, la pleine propriété de leur logement de fonction, acquis en 1767 par le gouverneur du château, sur les fonds de la conciergerie qui ne relevaient pas du domaine, ce qui en faisait un bien aliénable par le roi.
L’année suivante, en 1788, Anne-Rosalie allait succéder à son mari qui venait de décéder, dans la propriété de son hôtel « de Travers », comme elle le dénommait par dérision, et pour lequel elle dut batailler, dès l’hiver 1790-91, avec la nouvelle administration des domaines qui n’arrivait pas à comprendre comment elle pouvait être propriétaire d’un « bien national à titre de dépendance de la Muette déclarée bien de la nation ».
La suite de l’histoire est racontée, de façon un peu expéditive, par son amie Elisabeth :
« Que ne puis-je vous parler de cette aimable femme sans me rappeler sa fin tragique ? Hélas, au moment où j’allais quitter la France, pour fuir les horreurs que je prévoyais, madame Filleul me dit : vous avez tort de partir : moi je reste car je crois au bonheur que doit nous procurer la révolution. Et cette révolution l’a conduite sur l’échafaud ! Elle n’avait point quitté le château de la Muette quand arriva ce temps justement nommé le temps de la terreur. Madame Chalgrin, fille de Joseph Vernet, vint célébrer dans ce château le mariage de sa fille, sans aucun éclat, comme vous imaginez bien. Cependant, dès le lendemain, les révolutionnaires n’en vinrent pas moins arrêter madame Filleul et madame Chalgrin qui, disait-on, avaient brulé les bougies de la nation, et toutes deux furent guillotinées peu de jours après. » (Souvenirs de Madame Vigée-Le Brun, op.cit. lettre II, pp 20,21)
On sait que le 2 messidor an IV (20 juin 1794), le Comité de Sûreté Générale recevait une dénonciation l'informant que « la nommée Filleul, intime amie de la Messaline Antoinette » avait « volé ou soustrait quantité d'effets précieux provenant des ameublements appartenant à la liste civile », au château de la Muette devenu domaine national, « qu'elle avait eu des complices… et que, dans la maison qu'elle occupait présentement et qui lui avait été donnée par ladite Antoinette, elle avait soustrait notamment du linge et des cartels de cheminée ».
Madame Chalgrin, femme de l’architecte Jean-François Chalgrin (1739-1811), fut également arrêtée, peu après son amie, et transférée avec elle à la Conciergerie le 7 messidor. Elles furent condamnées pour avoir « par des prévarications de tous genres, cherché à anéantir la liberté et à rétablir la royauté en France » et furent guillotinées le 6 thermidor an II (13 juillet 1794),
Pour finir sur une note un peu moins glaçante - et aussi pour montrer ses travaux – je termine sur des dessins qu’elle exécuta à la plume et encre de chine et rehaussa d’aquarelle, au château de Chantilly, vers 1780. Ils ont un intérêt au moins documentaire !
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