N.B. : Je n’ai pas respecté la datation qui figure sur le site du Louvre (1800), puisqu’à cette date, Hortense avait 16 ans. J’ai trouvé mentionné plusieurs fois celle de 1825 qui me paraît être beaucoup plus raisonnable.
Antoinette
Hortense Cécile Viel est née le 14 décembre 1784. Son père, parfumeur et
bourgeois de Paris, meurt alors que la fillette n’a que deux ans. Sa mère
épouse alors l’apothicaire Jean Louis Lescot, installé 14 rue de Grammont, dont
on se souviendra longtemps : la devanture de son officine a été
réinstallée dans la salle des enseignes du musée Carnavalet !
Si l’on s’en tient aux termes de sa nécrologie, parue quelques jours après son décès, elle aurait été une jeune fille adulée : « A l’âge de 14 ou 15 ans, elle entra dans le monde et devint une femme à la mode. Le nom de mademoiselle Lescot était déjà connu partout. […] Quelques-uns des élégants de cette époque, qui subsistent encore çà et là, se souviennent des triomphes de mademoiselle Lescot et de l’encens brûlé en son honneur dans les salons du directoire et du consulat. » (L’Illustration, Journal Universel n° 99 du samedi 18 janvier 1845, p.520)
C’est en effet sous le nom de son beau-père qu’elle est alors connue et signera plus tard ses premières toiles, car « Je serais trop heureuse de donner quelque célébrité à son nom : le plaisir qu’il y trouve ne serait que la récompense de ce que je lui dois. » (Ibid.)
Hortense reçoit sa formation artistique dans l’atelier d’un ami de sa famille, le peintre Guillaume Guillon-Lethière (1760-1832), lequel est nommé en 1808 directeur de l’Académie de France à Rome. Par une chance inespérée pour une femme, à l’époque où le Prix de Rome n’est ouvert qu’aux hommes, Hortense l’accompagne et réside à Rome jusqu’en 1816. Bien sûr, son arrivée fait grincer quelques dents mal intentionnées, auxquelles Guillon-Lethière fait ravaler leur fiel :
« J’ai
beaucoup d’envieux. (…) Leur grand prétexte est la présence d’une de mes
élèves à Rome, l’enfant d’excellents amis, (…) la multitude recueille
volontiers les sottises et les grossit, je sais qu’on a débité à Paris que mon
élève demeurait à l’Académie de France comme si (…) j’eusse assez peu de jugement
pour exposer une jeune personne au milieu de vingt-cinq jeunes gens ?
L’intérêt que je lui porte est celui d’un père et d’un maître qui se plaît à
cultiver un talent qui vous étonnera un jour. »
Et, en effet, dès 1810 alors qu’elle est toujours à Rome, elle envoie au Salon du Louvre huit toiles représentant des scènes italiennes (Guincaro, un mendiant, une Prédication dans l’église Saint-Laurent) et reçoit une médaille de 2è classe.
Le
commentaire de Charles Landon est élogieux : « Mademoiselle Lescot a
envoyé de Rome plusieurs tableaux de scènes familières, parmi lesquels on
distingue une prédication dans l’église Saint-Laurent-hors-des murs.
Composition, dessin, caractère, costumes, architecture, accessoires de divers
genre, tout y est traité avec esprit et facilité. Si, comme il n’est pas permis
d’en douter, mademoiselle Lescot a exécuté seule tant d’objets d’espèces
différentes, on ne peut lui refuser un talent très-étendu, et surtout une
étonnante flexibilité de pinceau. » (Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de
1810, Paris, Bureau des Annales du musée, p.104)
A la même époque, elle peint cette toile à laquelle je trouve beaucoup de charme et qui pourrait bien être une évocation de ses propres habitudes :
Au
Salon de 1812, elle récidive en montrant cinq toiles, dont un grand format
intitulé Le baisement des pieds dans la basilique Saint-Pierre à Rome, et une scène de genre située à l’entrée d’un jardin
italien,
Cette cérémonie de trois jours commençait pour la Saint
Pierre. Une statue en bronze de l’apôtre était revêtue des ornements
pontificaux, assise sur le trône pontifical et la population défilait pour lui
baiser les pieds.
« Mlle Lescot continue à se distinguer : elle semble même vouloir dépasser la proportion qui convient à ces sortes de sujets. Son principal tableau représente le baisement de pieds… […] Ce sujet convenait aux pinceaux de cette artiste, elle l’a traité avec tout le mérite qu’on lui connaît ; cependant on pourrait lui conseiller de ne pas agrandir davantage le cadre de ses tableaux. […] L’effet perspectif du fond n’est pas aussi heureux que celui de l’un de ses premiers tableaux représentant la basilique de S. Laurent et il ne donne pas une idée assez exacte de l’immensité de l’édifice. […] Au reste, cette composition, très-bien disposée pour les lignes et les effets, offre des groupes charmants, pleins de vérité, de finesse et d’esprit.
La scène du Jeu de la main chaude, aussi par Mlle Lescot, est exécutée avec fermeté, adroitement composée, et d’une bonne entente d’effet et de couleur. » (Anonyme, Le Moniteur, n° 69, 10 mars 1813, p.257).
Un des joueur, désigné comme victime, doit se courber sur les genoux d’un autre joueur, les yeux fermés et tendre sa main ouverte derrière lui. Un des autres joueurs lui tape dans la main, la victime doit trouver quel est le joueur qui lui a tapé dans la main.
En
1814, elle propose de nouvelles scènes italiennes, comme La confirmation par
un évêque grec dans la basilique de Sainte-Agnès, hors des murs, à Rome ou Un
épisode de la foire de Grotta-Ferrata, pris sur nature, scène de genre
populaire : les deux facettes de son travail d’observation des coutumes flamboyantes des Italiens, qui comble le goût du pittoresque
du public de l’époque.
Charles
Landon apprécie : « Ces morceaux, bien composés, présentent de beaux fonds
d’architecture, des groupes bien ajustés, une couleur peu brillante mais assez
harmonieuse. » (Annales des musées et de
l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1814, Paris, Bureau des
Annales du musée, p.111)
Huile sur toile - 74,2 x 62,5 cm
Galleria del Laocoonte, Rome
En
1817, le Salon reçoit de sa part sept tableaux, aux titres évocateurs : Une
Frascane en prière devant une Madone et Vœu à la Madone pendant un orage…
« Ce
groupe de femmes et d'enfans prosternés devant une image de la Vierge au moment
où le tonnère [sic] gronde, et où la foudre vient d'éclater, est disposé et
rendu avec une vérité d'expression et une vivacité de pinceau remarquables. »
(Charles Landon, Annales… Salon de 1817, p.86)
Après son retour en France sa productivité n’a pas faibli, puisque ce n’est pas moins de douze toiles qu’elle présente au Salon de 1819, dont Le meunier, son fils et l’âne, tiré d’une fable de la Fontaine traitant de la difficulté de contenter tout le monde :
[…] L'enfant met pied à terre, et puis le
Vieillard monte,
Quand, trois filles passant, l'une dit : C'est grand honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
Fait le veau sur son Âne et pense être bien sage.
Il n'est, dit le Meunier, plus de veaux à mon âge.
Passez votre chemin, la Fille, et m'en croyez.
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'Homme crut avoir tort et mit son Fils en croupe […]
Cette fois, une partie de la critique renâcle : « Vous vous rappelez, sans doute, les jolis tableaux que Mlle Lescot, élève de M. le Thiers, envoya de Rome, et qui furent exposés dans les précédens salons. Ils nous offrirent un genre neuf et piquant : le costume des femmes italiennes, dont Mlle Lescot a su tirer le plus gracieux parti, de jolis épisodes, des effets pittoresques, une couleur vigoureuse, en voilà plus qu'il n'en faut pour acquérir la réputation de talent dont elle jouit. Eh bien ! croiriez-vous qu'elle semble vouloir renoncer à cette gloire acquise ? Conseillée, ou par des jaloux de ses succès ou par de vieux amateurs du siècle de Boucher, elle vient de faire un petit tableau d'une fable de Lafontaine : le Meunier, son Fils et l'Ane, qui sort tout-à-fait de sa manière accoutumée. Quoique les jeunes filles aient le gracieux costume italien, le blanc, le rose, le vert d'un ton bien léger, un fond de paysage négligé, donnent à cette composition une apparence de porcelaine, qui n'est point digne du talent qui l'a produit. Heureusement que la tête du Meunier, qui est très-bien étudiée, rachète ces défauts qui sont nouveaux pour l'artiste. » (V.F., Lettres à David, sur le Salon de 1819, par quelques élèves de son école, Cinquième lettre, Paris, Pillet aîné, 1819, p.33-34).
Cette toile voisine, dans le même Salon, avec d’autres œuvres. Cette scène historique un peu étonnante :
François Ier accorde à Diane de Poitiers la grâce de Saint-Vallier, son père, qui avait été condamné à mort. A gauche François Ier debout devant son fauteuil relève Diane agenouillée devant lui.
Ou cette autre qui rencontre un succès mitigé :
Landon,
comme à son habitude, souffre de voir une femme sortir des sujets qu’on attend
d’elle : « Nous l'avons dit déjà cette artiste ferait bien de se
renfermer, dans les sujets légers et gracieux ; ceux qui réclament un trait austère
et prononcé lui conviennent beaucoup moins. La physionomie du capucin qui
exhorte le condamné a peu d'onction et le regard du misérable qui va recevoir
le châtiment de son crime, au lieu d'annoncer le repentir et la résignation, décèle
évidemment la fourberie, l’hypocrisie, l'intention de commettre encore quelque
mauvaise action et de tromper s'il lui était possible, le religieux même qui
l'assiste dans ses derniers momens. Ce tableau est bien disposé mais
l'expression en est manquée. » (Charles Landon, Annales… Salon de 1819,
p.73)
D’autres n’ont pas la même réserve : « La tête du condamné est vraiment remarquable ; à travers les formes abjectes de ses traits, l'espoir se peint dans son regard, fixé sur celui qui l'a ranimé, et ce rayon de jour qui l'éclaire ne laisse rien perdre de l'expression de sa physionomie. La tête du vieil ecclésiastique se détache en ombre, et n'est éclairée qu'à sa superficie. Ces pénitens, quoique voilés de la tête aux pieds, ont une expression d'attitude qui ajoute de l'intérêt à cette lugubre scène. Ce tableau est plein d'effet, il est vraiment digne de l'auteur. » (V.F., Lettres à David, sur le Salon de 1819, par quelques élèves de son école, Cinquième lettre, Paris, Pillet aîné, 1819, p.33-34).
Mais, en dépit des réticences, Hortense rencontre l'adhésion du public : « Ses tableaux que les amateurs les plus éclairés se disputaient à l’envi, qui ornaient les galeries du Luxembourg et les galeries particulières […] furent reproduits par la gravure et se répandirent partout. » (L’Illustration, Journal Universel n° 99 du samedi 18 janvier 1845, p.520)
Ce
qui ne l’empêche visiblement pas de répondre aussi à des commandes de
portraits :
Elle épouse l’année suivante l’architecte Louis Pierre Haudebourt dont elle aura un fils, Pierre. Le couple d’installe dans la Nouvelle Athènes, le tout nouveau quartier qui correspond à l’actuel 9e arrondissement, où converge l’élite intellectuelle et artistique de la capitale - comme Ari Scheffer dont l’ancien hôtel particulier est devenu aujourd’hui le musée de la Vie romantique - qu’elle reçoit brillamment.
« Elle joignit à l’influence de l’artiste toute l’influence de la femme du monde. Son salon était aussi célèbre que son atelier […] Ce salon, où se réunissaient toutes les réputations artistiques, littéraires, aristocratiques, où nous avons vu Talma rencontrer Scribe et Rossini, Horace Vernet, Granet, Picot, Drölling, David d’Angers fraterniser avec tout ce que la cour et la ville comptaient de plus noble et de plus brillant – était un rendez-vous d’élite où l’on ambitionnait d’être admis. [...] si c’était une faveur de paraître dans son salon, c’était une mode de passer dans son atelier à titre d’élève. » (L’Illustration, Journal Universel n° 99 du samedi 18 janvier 1845, p.520)
Sa carrière est lancée : certaines de ses œuvres sont achetées par la duchesse de Berry (belle-fille du roi Charles X) et figurent dans l’ouvrage de Féréol Bonnemaison, peintre et conservateur de la galerie de peintures de la duchesse, Galerie de son altesse royale Madame la duchesse de Berry, publié en 1822. Elle s’y trouve, entre autres, en compagnie d’Hubert Robert, Elisabeth Vigée-Le Brun, Boilly, Drölling, van Spaendonck, Prud’hon, Vernet et Marguerite Gérard.
« A l'époque où l'église
célèbre l'anniversaire de la naissance du Sauveur du monde, les Piferari
quittent en foule leurs montagnes. Ils laissent leurs troupeaux, et, rappelant
en quelque sorte l'adoration des bergers de l'Orient, ils font résonner tous
les lieux où se trouvent des madones du bruit de leurs pipeaux rustiques.
Ils
parcourent Rome et les autres villes de l'Italie, allant de maison en maison,
de palais en palais, partout enfin où l'image de la Vierge se rencontre, et
faisant, pour ceux dont la foi est vive, la croyance profonde, des neuvaines
dont le prix leur est payé en proportion du bien qu'on en attend. Lorsqu'ils
ont échangé contre quelques pièces d'argent leurs pieux et monotones concerts
et des ustensiles de bois grossièrement façonnés par eux, satisfaits du produit
de leur excursion momentanée, ils retournent, quinze jours après les fêtes de
Noël, vers leurs paisibles demeures. » (Notice de l’ouvrage précité)
Une
intention fine, toujours délicatement exprimée, un sentiment exquis des
convenances, Voilà ce qui imprime aux ouvrages de madame Haudebourt-Lescot un
caractère particulier qui les fait distinguer plus encore que le choix des sujets
qu'elle aime à traiter, et la physionomie des personnages qu'elle met en scène.
Ces
qualités si précieuses, et qui ajoutent tant de charme à la science du peintre
et du coloriste, se font aisément remarquer dans l'Écrivain public.
Quel touchant embarras, quelle naïveté dans l'air, le maintien de cette jolie Frascatane, qui, craignant que son amant absent ne l'oublie, vient, le cœur plein d'inquiétude, lui faire écrire, par une main étrangère, une lettre dont elle vôudroit bien pourtant cacher tous les secrets ! Sa bouche n'articule qu'avec hésitation les mots que sa tendresse lui inspire. Elle tremble, elle balbutie, et près d'elle, son amie, plus vive, plus familiarisée peut-être avec les mystères et les tourments de l'amour, rit de son trouble et de ses craintes. (Notice de l’ouvrage précité)
Quant
à sa production de scènes de genre, elle ne faiblit visiblement pas !
Huile sur toile, 61 x 51 cm
« L'artiste
[…] a réuni dans cette composition tout ce qui peut égayer une scène grotesque et
populaire. En face du théâtre est l'étalage d'un marchand de rafraîchissemens.
On aperçoit dans le fond la façade du temple magnifique élevé par Agrippa en l'honneur
de tous les dieux du paganisme, et consacré maintenant au culte de la vraie
religion. Les personnes qui ont visité l'Italie retrouvent dans ce joli tableau
le costume et la physionomie des habitans de différentes classes. Ce morceau,
le plus important de ceux que M.me Haudebourt a exposés au salon, appartient à
M. de Lapeyrière, l'un de nos amateurs les plus zélés. » (Charles Landon, Annales…
Salon de 1822, p.41)
Le succès d’Hortense devient si grand qu’elle est, dit-on, la seule artiste féminine à figurer dans l’œuvre monumentale de
François-Joseph Heim, Charles X distribuant des récompenses aux artistes du
Salon de 1824. Effectivement, si elle n’est pas la seule femme à figurer sur le
tableau, il est indubitable qu’elle s’y trouve !
S’en
suit une période pendant laquelle « les grandes dames, les reines de la
mode et du bon ton, voulaient ajouter à leur élégance le charme poétique des
arts et elles s’adressaient en foule à madame Haudebourt », qu’évoque
assez bien ce tableau, passé en vente récemment :
Ou cette jeune fille des années 1830 :
Sa
renommée finit par atteindre Louis-Philippe qui veut, dans son nouveau Musée de
l’Histoire de France de Versailles, célébrer « toutes les gloires de la France ».
Il lui adresse plusieurs commandes, en 1835 et 1837. Hortense adapte habilement son style à chaque
commande, passant d’un classicisme de bon ton pour les portraits Grand Siècle,
à une veine plus romantique pour la peinture d’histoire.
Lors de son décès, en 1845, Hortense est saluée dans la presse pour « L’influence incontestable qu’elle semble […] avoir exercée sur la direction et la forme de l’art à une certaine époque, influence que l’on n’a peut-être pas encore assez remarquée, nous paraît devoir être l’objet d’un examen sérieux, et d’une étude qui ne sera peut-être pas sans intérêt, comme souvenir historique d’une époque encore bien près de nous, mais que cependant nous avons presqu’oubliée comme si elle était déjà bien loin. »
«
Jusqu’alors, et sous la direction de David, toutes les préoccupations s’étaient
portées vers les grandes toiles, vers la peinture historique, vers le portrait
monumental. La route que suivit mademoiselle Lescot était toute différente et
toute nouvelle. Le charme que l’on trouva dans ces gracieux petits cadres
étincelants de couleur et d’esprit attira la foule, qui déserta les grandes
pages mythologiques […] qui n’étaient plus en harmonie avec une société
renouvelée. […] Elle était seule au début : maintenant qu’est devenue la
peinture héroïque ? Et quelle fortune n’a pas faite la peinture dite de genre,
qui semblait morte avec Greuze, que madame Haudebourt-Lescot a si bien
ressuscitée et qui règne aujourd’hui presque sans partage ? » (Nécrologie
d’Hortense Haudebourt-Lescot parue dans L’Illustration, 18 janvier 1845,
p.520.)
Voilà :
pas plus, peut-être, mais pas moins non plus !
Pierre-Jean David d’Anger
(1788-1856)
*
N.B : Pour
voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas, vous pouvez
cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire