La
famille Stella, vaste affaire ! Il y a d’abord le grand-père, François
Stella (1563-1605), peintre d’origine flamande et « auteur de toute la
famille », comme on disait à l’époque. Son épouse, Claudine de Masso, lui donna cinq enfants, deux garçons et trois filles, tous nés à Lyon.
Le plus connu est l’aîné, Jacques Stella (1596-1657), peintre comme son père mais, orphelin à neuf ans, il n'a guère pu profiter de son enseignement.
La plus importante pour le sujet qui nous occupe est Madeleine, dont on ne connaît pas la date de naissance, qui épousa un maître orfèvre lyonnais, Etienne Bouzonnet. Le couple eut aussi cinq enfants, Claudine (1636-1697), Antoine (1637-1682), Françoise (1638-1692), Antoinette (1641-1676) et Sébastien (1644-1662).
Commençons par leur oncle Jacques, lequel part en Italie vers sa vingtième année. Il s'installe d’abord à Florence pendant trois ans et travaille surtout la gravure. Il arrive à Rome en 1623, où il rencontre Nicolas Poussin, son aîné de deux ans avec lequel il devient intime. Il acquiert une certaine renommée, notamment grâce à ses gravures, dont on peut se faire une idée avec ce petit chef d’œuvre (cliquer pour agrandir) :
Eau-forte, 18,4 x 23,9 cm
Rentré
à Lyon vers 1635, il devient un peintre réputé.
Sémiramis appelée aux armes - 1637
Huile sur ardoise, 36,1 x 53,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Lyon
Jacques Stella part à Paris vers 1637 et, grâce à l’appui de Richelieu, obtient une pension royale et un atelier au Louvre. J'apprécie particulièrement sa Clélie passant le Tibre et pas seulement parce qu’il est question d’une jeune femme, gardée en otage, qui décide de s’enfuir en traversant un fleuve à cheval ! Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir remarqué ce tableau puisqu'il a fait partie de la collection du régent, Philippe d’Orléans.
En
1647, après la mort de son jeune frère, François, également peintre et resté à Lyon, Jacques Stella fait venir à Paris sa mère et, probablement l’année suivante, les deux
aînés de sa sœur Madeleine, Claudine et Antoine.
Huile sur toile - 65 x 55 cm
Musée départemental Georges de La Tour, Vic-sur-Seille
Vers
1653, Claudine peint un ex-voto pour Notre-Dame de Fourvière, où elle se
représente peignant la Vierge. C’est à partir de ce tableau, aujourd’hui
disparu, que le célèbre « amateur » et historien de l’art,
Pierre-Jean Mariette (1694-1794) a demandé à un peintre inconnu de relever l’autoportrait
- celui que j’ai placé en exergue - et d’effectuer un croquis du tableau :
Pierre-Jean Mariette était un admirateur de Claudine. Je me suis en partie fondée sur ses écrits, son Abecedario édité avec d’autres notes par J.B. Dumoulin en 1851 (Source : Université d'Oxford, Internet Archive).
En 1654, il semble que Stella ait accueilli au Louvre le reste des enfants Bouzonnet, sauf peut-être Sébastien qui n’est cité nulle part. Selon Mariette, au sein de l'atelier de Stella, les trois filles sont formées à la gravure, Françoise au burin, Antoinette à l’eau-forte et Claudine, qui enseigne à ses deux jeunes sœurs, maîtrise les deux techniques. Garçon et filles accolent le nom de leur oncle à leur patronyme.
On dispose de peu d'informations sur les deux sœurs cadettes.
On connaît encore quelques œuvres d’Antoinette, assez peu car elle
est morte accidentellement à 25 ans :
Quant à Françoise, elle « peignoit et gravoit à son exemple, mais dans un moindre degré d'habileté » écrit Mariette. Elle a gravé les estampes du Livre des Vases, d’après Stella, dont on trouve quelques planches dans les collections mais rien de plus.
Livre des Vases, édité en 1667 par Claudine Bouzonnet Stella
En revanche, les deux ainés, Claudine et Antoine, deviennent des artistes accomplis. Privilège masculin, Antoine effectue son voyage italien, continue sa formation auprès de Nicolas Poussin et copie un grand nombre de dessins, dont ceux de Giulio Romano. Comme on vient de le voir, c’est sa sœur Antoinette qui les traduira ensuite en gravure.
De
retour à Paris en 1664, il est admis à l’Académie royale de peinture et de
sculpture deux ans plus tard, avec le morceau de réception ci-dessous, …
… et, poursuivant sa carrière en réalisant d’immenses compositions religieuses
comme celle-ci (qui aurait bien besoin d’une petite restauration !), il devient professeur-adjoint à l’Académie royale.
Antoine
a lui aussi été graveur puisque : « Dans la collection Mariette figuraient "Les Œuvres de Jacques Stella, d'Antoine Bouzonnet Stella, son neveu, de
Claudine et Antoinette Stella, ses nièces", composé de 460 pièces représentant
différents sujets de Vierges, de bas-reliefs, de jeux d'enfants, pastorales,
vases ; le tout contenu dans un grand volume in-folio, relié avec une longue
table manuscrite et le catalogue des pièces de ces artistes. » (Charles
Blanc, Le Trésor de la Curiosité, tome I, 1858, p. 302.) Cela ne
doit pas simplifier les attributions !
Mais venons-en enfin à Claudine. Elle a une douzaine d’années lorsqu’elle s’installe chez son oncle et démontre rapidement ses qualités artistiques, puisque ses premières gravures d’après Stella datent de 1654.
C’est
l’époque où elle commence à graver Les Jeux, une suite de 52 pièces, représentant
des jeux d’enfants, chacun commenté de six vers. Mariette indique que quelques
planches sont de la main de François de Poilly (1623-1693) et de Jean Couvay (1605-1663)
mais ne précise pas lesquelles.
Claudine
est une des rares artistes française à avoir rédigé son testament de sa main et
y avoir compilé la totalité des œuvres qui étaient en sa possession à l’époque.
(« Testament et inventaire des biens, tableaux, dessins, planches de
cuivre, bijoux, etc. de Claudine Bouzonnet Stella, rédigés et écrits par
elle-même, 1693-1697, Document communiqué et annoté par M. J. J. Guiffrey »,
Nouvelles archives de l'art français : recueil de documents
inédits publiés par la Société de l'histoire de l'art français, J.
Baur et Charavay frères, Paris, 1877)
Grâce à cet inventaire, on sait par exemple qu’elle détenait encore en 1697(n°9, p.54) : un « petit livre de dix pouce de haut, couvert de parchemin où sont relié cinquante six feuille de papier bleu dans lesquelles sont cinquante deux petit dessein, de la main de mon oncle, représentant les Jeux d’enfans » (je respecte la graphie d’origine).
Ces
charmants petits Putti ont probablement rencontré un certain succès auprès des
faïenciers, puisqu’on en trouve encore quelques exemples, gambadant dans les
meilleures collections !
Ensuite,
Claudine commence la traduction des Pastorales de Stella. Elles seront
éditées en 1667.
En avril 1657, Jacques Stella meurt et, situation exceptionnelle, son atelier - logement du Louvre est attribué par décision royale, à « Anthoine Bouzonnet Stella son nepveu, et Claude Bouzonnet Stella sa niepce, frère et sœur, qu’il a rendus capables de mériter par leur intelligence et capacités digne rang parmi les plus vertueux. »
Antoine
doit partir pour Rome, c’est donc Claudine qui assume la charge de l’atelier et
trois mois plus tard, le 10 août 1657, le roi lui accorde le privilège
de graver les œuvres de son oncle. La même année, elle publie une première
série des Pastorales. Ces estampes ont dû rencontrer un grand succès car
on en retrouve de nombreuses traces dans les musées comme sur le marché de
l’art, sans doute parce que « il règne dans les sujets champêtres qu'elle
a gravé d'après les desseins de son oncle, un caractère naïf et de simplicité
que l'on ne trouve point ailleurs. » (Mariette, op.cit., p.254)
Et une dernière que je vous conseille d'agrandir car elle permet de bien voir le travail de gravure.
Mariette cite une autre série : « Vingt trois petites pièces de sainteté ; toutes inventées et gravées au burin en 1660 par Cl. B. Stella. Elles sont gravées en partie au burin et en partie à l'eau forte, j'y vois peu d'eau forte s'il y en a, et elles ont été faites pour le missel romain de Voisin ; elles sont très-difficiles à trouver belles épreuves et surtout avant d'avoir été imprimées dans le livre, Le missel romain traduit en françois avec l'explication de toutes les messes. A Paris, 1660. » (Mariette, op.cit., p.268)
Des dessins « inventés », donc. J’en ai retrouvé deux qui datent de l’année de ses vingt-deux ans et qui sont peut-être des dessins préparatoires de la série évoquée par Mariette.
Mariette avait raison, ces « pièces de sainteté » sont rares : je n’ai trouvé qu’un seul exemple de ces gravures :
Claudine
dessine aussi des scènes « d’actualité », si l’on peut dire. Ici, le
dauphin est dans les bras de son père, Louis XIV pour une cérémonie qui a lieu
le 6 novembre 1661, dans la confrérie du Rosaire à laquelle Claudine
appartient.
La
BNF conserve aussi une gravure d'interprétation du dessin de Claudine.
Claudine peint, également, et probablement depuis son plus jeune âge. Mais si les anciens biographes évoquent le « nombre considérable de tableaux » qu’elle aurait réalisés (Octave Fidière, Les femmes artistes à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay frères, Paris, 1885, p.12), on n’en connaît plus que deux aujourd’hui. Ce sont évidemment des scènes religieuses.
L’apparition du Christ à saint Martin – 1666
Huile sur toile, 81 x 64 cm
Ce tableau pourrait être celui qui figure dans la liste établie par Claudine dans son testament car les mesures correspondent : « 82 : De moy, un tableau de 2 pied et demi de haut sur 2 : un St Martin qui dors et un Christ luy aparoit entouré d’Anges ».
Le
second tableau, en revanche, n’y figure pas.
La Naissance de la Vierge - sd
Huile sur toile - 71 x 56 cm
Collection particulière
« Elle peignit ensuite avec des progrès qui firent concevoir de ses talents les plus grands succès ; mais l'inclination qu'elle eut pour la gravure lui fit préférer cet art, où elle excella. » écrit l’abbé Louis-Abel de Fontenay dans son Dictionnaire des artistes (1776) et il ajoute : « il est rare de voir une femme dédaigner les amusements de son sexe, et travailler à s'immortaliser dans un âge où l'on ne respire que les plaisirs et les jeux » (sans commentaire !)
Entre
1668 et 1687, Claudine crée six gravures « d'après les merveilleux
tableaux du Poussin qui luy appartenoient, elle s'est particulièrement attachée
à en conserver le caractère, et, ce qui ne se peut presque jamais dire des
graveurs et en général des imitateurs, bien loin d'affoiblir les beautés de ses
originaux, elle leur en a prêté de nouvelles, de façon que le Poussin, quelque
grand, quelque majestueux, quelque correct qu'il soit, le paroit peut-être
encore davantage dans les estampes de Claudia Stella que dans ses propres
tableaux. » (Mariette, op.cit., p.254)
Elle
en produit deux en 1668 (la première estampe est inversée, ce que je ne m'explique pas bien. Autant cela n'a pas d'importance quand on reproduit son propre dessin, autant c'est assez curieux s'agissant d'un tableau que l'on veut traduire fidèlement) :
Deux autres,
en 1672 et 1674 :
« Se peut-il rien de plus beau que le
paysage qui sert de fond au sujet ? » écrit Mariette dans son Abecedario (mais, à nouveau, l'estampe est inversée)
Et les deux dernières, en 1679 et 1687 :
La reproduction n'est pas excellente, j'ai heureusement trouvé un détail plus lisible (image copiée dans Connaissance des arts de janvier 2016 à propos de l’exposition de la BNF, « Images du Grand Siècle, l’estampe française au temps de Louis XIV (1660 - 1715) » où cette estampe était exposée).
La notice du musée de l’Ermitage indique que ce tableau a été peint par Poussin pour son ami, Jacques Stella. Il n’a pas été difficile de le vérifier, grâce au testament de Claudine. On y retrouve, effectivement, « Moyse qui frappe le rocher, un tableau de 6 pied de long et près de 4 de haut. » (p.42)
Dans les dernières années de sa vie, Claudine transcrit une série de tableaux son oncle Stella, La Passion du Christ.
« Une suite de dix sujets de la passion de Jésus-Christ, gravés au burin par Claudine Stella d'après les tableaux de son oncle ; ce sont les derniers ouvrages de cette illustre fille ; les planches en sont demeurées entre les mains de ses héritiers, qui ne les ont pas encore mis au jour, de sorte que le peu d'épreuves qui en sont répandues sont extrêmement rares à trouver. Il doit y en avoir douze. (…) Ces douze pièces sont des plus belles choses de M. Stella, et sa nièce luy a fait honneur en les gravant. Ces douze pièces, avec d'autres qui n'ont pas été encore gravées, devoient composer une suite de la passion, mais la mort de Mlle Stella l'a interrompue. » (Mariette, op.cit., p.263)
Impossible
de retrouver les « tableaux de son oncle », sauf à penser que cette
huile en faisait partie.
En outre, j’ai trouvé des planches identiques, dites parfois « d’après Poussin » et parfois, « d’après Stella », comme celle-ci. Qu'importe, ce qui est sûr, c'est qu'elle a été gravée par Claudine !
Claudine Bouzonnet Stella est morte au Louvre, le 1er octobre 1697.
En 1885, Octave Fidière s’interrogeait : « Claudine Bouzonnet Stella semble avoir toujours mené une vie retirée. Est-ce cette circonstance, jointe à son excessive modestie, qui l'empêcha de se présenter à l'Académie, ou même lui fit refuser les avances que l'on put lui faire ? Rien ne peut nous fixer à cet égard. » (Les femmes artistes à l'Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay frères, Paris, 1885, p.14)
Quoi qu’il en soit, Mariette, auquel on peut faire crédit d'un savoir distingué en ce domaine, l’avait placée « au rang des plus excellens graveurs » !
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