Alix
Angèle Marguerite Hava est née à Marseille, le 21 mars 1894. Sa famille
est volontiers voyageuse et c’est avec ses parents qu’elle se rend à la
Martinique et en Algérie au cours de son enfance. A quinze ans, elle est élève
au conservatoire de musique de Toulouse puis, après un séjour en Angleterre,
elle s’installe à Paris pour commencer sa formation d’artiste avec le peintre
Georges Desvallières. (Cliquer sur les images pour les agrandir)
En
1919, celui-ci crée avec le peintre Maurice Denis les « Ateliers d’art
sacré », dans l’objectif de renouveler l’art religieux.
Alix
travaille un an aux Ateliers. Elle y rencontre et se lie d’amitié avec la
peintre Valentine Reyre (1889-1943) et s’initie à la gravure sur bois.
Contrairement aux académies traditionnelles, les ateliers ont un fonctionnement
collaboratif : les élèves y apprennent en répondant à des commandes qu’ils
exécutent avec leurs maîtres.
En 1920, Alix épouse Paul de Fautereau-Vassel, un professeur qui vient d’obtenir un poste à la mission franco-chinoise de Shanghai. L’année suivante, ils s’installent à Hanoï où Alix enseigne le dessin au Lycée technique de la ville. Le couple effectue de fréquents voyages au Cambodge et au Vietnam.
Les premières apparitions d’Alix dans la presse datent de 1925 : deux de ses bois gravés illustrent un article de la revue littéraire Les Pages indochinoises.
La
même année, elle publie une série de douze estampes en couleur, sur la ville de
Yunnanfu, aujourd’hui Kumming, capitale de la province du Yunnan (Chine).
C’est
peut-être au cours du même périple qu’elle réalise ce beau fusain…
… et
cette scène de la vie locale :
Et,
toujours en 1925, un folio de 26 bois gravés en couleur, intitulé « De
Hanoï à Angkor ».
Le Petit Journal parisien en fait la « réclame » après avoir signalé, quelques mois plus tôt, sa participation à une exposition à Paris : « Enfin chez Druet, où les petites salles du premier sont occupées par Odette des Garets, délicate coloriste s'il en est, nous ne pouvons que regretter profondément la mort soudaine de Félix Vallotton, dont plusieurs travaux figurent parmi les envois du premier groupe de l'année et, entre autres, le portrait de ce consciencieux artiste par lui-même. De ce même ensemble, fait partie encore un jeune coloriste, Alix de Fautereau, qui, habitant l'Indochine, nous en présente quelques remarquables impressions personnelles. (Vanderpyl, « Salons et expositions », Le Petit Parisien, 13 février 1926, p.4)
C’est la première fois que son prénom, Alix, joue un tour au journaliste qui l’a manifestement prise pour « un » jeune coloriste… Pourtant, si Alix est en France, c’est parce qu’elle est venue y mettre au monde son premier fils, Michel.
L’année
suivante, elle est de retour en Asie. On voit ses bois gravés dans la presse
coloniale…
… et elle illustre avec succès le catalogue du Pavillon de l'Annam, lors de la première Foire de Saigon. D’après la presse de l’époque, elle vit alors à Hué, au Vietnam.
« On a beaucoup remarqué à la Foire de Saigon, le catalogue du Pavillon de l'Annam, très bien présenté et illustré de façon extrêmement artistique par Alix de Fautereau. Ce nom, à peine voilé, est celui de Mme de Fautereau, professeur au collège de Hué, dont le talent délicat et la plume précise ont orné avec un goût exquis les pages de l'opuscule que nous présente l’Annam, ses cultures et son commerce. Je ne saurais trop engager tous les amateurs d’art à réclamer et à conserver cette plaquette, qui représentera pour eux le souvenir d’un événement presque historique, en même temps qu’un ensemble de dessins dont le pittoresque et le relief sont remarquables. La couverture, traitée largement, porte la marque des tendances les plus modernes en même temps que celle d’une sobriété étonnante que l’on remarque par ailleurs dans les hors-textes qui sont vraiment de grandes œuvres ; le sampan et ses rameurs, le pont, la forêt d’Annam, et la femme, d’une puissance de touche extraordinaire. Mais ce qui ravit le plus, ce sont les dessins légers, les ornements, les culs-de-lampe qui décorent toutes les pages du catalogue, les attitudes, les types, les bêtes, les arbres mêmes… tout cela noté exquisément par une plume intelligente, alerte… et féminine. Saigon-Républicain est heureux de féliciter Mme de Fautereau de son excellent travail, qui fait honneur à la bibliographie locale. (R. E., « Une artiste, Madame de Fautereau », Saïgon républicain, 23 décembre 1927, p.1)
C’est
probablement à cette époque qu’elle conçoit cette affiche :
Quelques mois plus tard, première exposition de « portraits, dessins, bois gravés et pastels à la librairie Portail » de Saigon, relatée par plusieurs magazines, dont un article qui nous plonge instantanément dans l’ambiance de l’époque : « Madame Alix de Fautereau expose chez Portail une série de visions des environs de Hué et des dessins que complètent quelques rehauts de couleurs. Belle sensibilité d’une part ; connaissances anatomiques sérieuses de l’autre. Les qualités d’observation sont réelles ; l'exécution se ressent un peu de la faiblesse naturelle de l’artiste. Le cerveau a un sexe. [!] La peinture de Mme Alix de Fautereau est élégance sans préciosité et se juche très au-dessus des poncifs. Ses touches sont exactes et parfois un peu dédaigneuses, c’est à dire ne visant pas à atteindre la prolongation décorative. Ses mises en page témoignent d’un sens très juste de l’harmonie qui, en peinture, n’est pas inféodée à la symétrie. Ses Marchés sont pittoresques et les papillons de lumière posés sur les épaules des petites marchandes ne doivent rien à l’académisme. Mme Alix de Fautereau ne se dérobe pas devant l’aspect peu engageant de certains sujets. Elle n’a pas reculé devant la simplicité compliquée des feuillages uniformes. Elle a fait preuve d’un beau courage. (…) » (Henri Danguy, « Les beaux-Arts à Saïgon », Saïgon dimanche, 12 août 1928, p.1)
L'Indochine, revue économique d'Extrême-Orient, constate plus sobrement : « des tableaux extrêmement intéressants ». (5 octobre 1928, p.236)
L’année
suivante, nouvel évènement, assorti d’un article assez moyennement encourageant :
« Hier, à 16 heures, a eu lieu, au Foyer du Théâtre Municipal, le vernissage
de l’exposition de peinture de Mme Alix de Fautereau, sous la présidence
du Gouverneur Général. (…) Le
Gouverneur Général s’est plu à parcourir cette exposition qui compte plus de
quatre-vingt tableaux, tant peinture à l’huile que dessins et aquarelles et
s’est rendu acquéreur d’un charmant pastel "Jeune fille aux seins nus" qui
représente une jeune Annamite. Nous croyons pouvoir dire que si le choix de M.
Pasquier s’est arrêté sur un pastel, cette préférence, autant que nous avons pu
nous en rendre compte, était partagée par la plus grande partie des amateurs
présents.
« La
peinture de Mme de Fautereau est quelque peu hermétique, en effet. Son
parti-pris de synthèse, ses empâtements si larges, son coloris un peu dur,
déconcertent le profane qui ne la lit pas facilement. On nous a tous appris, dans le cours
d’esthétique que l’art est un choix dans les éléments que nous offre la nature.
C’est une notion exacte, croyons-nous, mais poussée à l’extrême elle aboutit à
une stylisation qui, appliquée au paysage, devient un procédé et interprète mal
la nature. Passe encore pour le style décoratif, où ses procédés de
simplification peuvent donner d’excellents tableaux. Mais le paysage, où nous
sommes depuis longtemps déjà habitués à voir vivre les êtres et des choses, à
voir frissonner et chatoyer la lumière sur les fleurs, les verdures et les
eaux, s’accommode mal de l’abstraction.
« (…) De notre point de vue, le jour où cette excellente artiste aura su se dégager de ses partis-pris de synthèse et d’abstraction pour se livrer à la nature, elle aura fait un grand pas et son talent y gagnera en vie et en expression ce qu’il pourra y perdre de doctrine et de pensée.
En passant à l’étude de la figure humaine, Mme de Fautereau semble avoir déjà fait ce pas. (…) Bonze en méditation a recueilli du fait de ces qualités de nombreux suffrages. Sa physionomie reflète bien une attention concentrée, cet air d’être ailleurs qu’imprime la réflexion. Le drapé de son costume est traité avec une touche délicate et une excellente disposition des plis. De même les jeunes filles annamites et les nhos nous replacent dans la vérité quotidienne. Le talent de Mme de Fautereau semble s’humaniser et nous ne nous en plaignons pas. (…) » (F. B., « L’Exposition de peinture de Mme de Fautereau », La Dépêche d'Indochine, 30 juillet 1929, p.4)
Alix travaille aussi pour la collection « Scripta Manent », des éditions du Pot cassé. Si elle ne réalise pas les dessins des couvertures, elle est chargée des bandeaux et culs-de-lampe, en bois gravé pour Le diable amoureux de Cazotte et Le Livre de Job.
Au
cours de l’année 1929, Alix est chargée par le gouvernement français d’une mission
de repérage au Laos afin de préparer la décoration du pavillon de ce pays à
l’Exposition coloniale, prévue en 1931, à Paris. Séparée de son mari l’année
précédente, elle part seule pour un périple de 18 mois et, si l’on s’en tient
au récit qu’elle en fait à la presse l’année qui suit l’exposition, c’est une
véritable aventure. Le Laos, alors sous protectorat français, est un territoire
encore assez largement inconnu des Européens qui sont moins de cinq cents sur
place et à peine une centaine dans la ville principale, Vientiane.
Au
cours de son voyage vers Luang-Prabang, capitale du petit royaume subsistant,
elle rencontre les six fils du roi, lequel la charge de décorer la salle d’apparat du palais royal. Elle entreprend alors une
composition qu’elle mettra près de deux ans à exécuter, dix-neuf panneaux qui couvrent
tous les murs de la salle.
L’Exposition
coloniale est inaugurée le 6 mai 1931 par le président Doumergue et le maréchal
Lyautey. Alix est citée dans le livre d’or de l’exposition :
« Cette évocation vivante d’un village, avec sa pagode, ses bonzes toujours intimement mêlés à la vie des indigènes, ses artisans, ne constitue pas le seul attrait de la section du Laos. Dans la même enceinte, en effet, s’élève un pavillon d’exposition proprement dit, construit dans le style laotien, où sont exposés notamment des bijoux curieux, des étoffes et des soieries laotiennes aux couleurs chatoyantes et rares qui raviront d’aise les visiteurs. Dans cette même salle sont exposés des tableaux peints au Laos par Mme de Fautereau qui a pris sur le vif différentes scènes de la vie indigène dont l’examen complétera très heureusement la documentation des visiteurs sur le Laos. » (Livre D'Or - Exposition Coloniale Internationale - Paris 1931)
Selon
l’Association des amis d’Alix Aymé, les deux toiles suivantes ont figuré dans
l’exposition du pavillon du Laos.
L’Exposition accueille plus de 8 millions de visiteurs dans les allées du bois de Vincennes. L’entreprise visant à convaincre les Français de l’importance de leur empire colonial n’est guère contestée à l’époque, sauf par les surréalistes qui diffusent un tract hostile à la manifestation et le parti communiste qui organise une contre-exposition aux Buttes-Chaumont, sans grand impact.
C’est
pendant l’Exposition que, le 7 juillet 1931, Alix se marie avec Georges Albert
Aymé (1889-1950), lieutenant-colonel de la 3e division d’infanterie
coloniale et frère aîné de Marcel Aymé.
Dans le Journal du 3 août 1932 paraît le premier texte d’Alix sur son périple laotien. L’article est intitulé « En route vers Luang-Prabang avec les six fils du roi » et précédé d’un chapeau explicatif : « Mme Alix Aymé est une femme peintre au talent incisif et dont on a remarqué, lors de l'Exposition coloniale de Vincennes, les peintures décorant le Pavillon du Laos. Pour réaliser cette importante contribution picturale, Mme Alix Aymé n'a pas hésité à séjourner pendant dix-huit mois au Laos ; elle en a visité successivement toutes les régions, les unes sauvages, les autres encore inexplorées, pour mener à bien ses études et enrichir sa documentation. Elle a dû, pour pénétrer aux points les plus reculés du pays, emprunter des itinéraires extrêmement dangereux, où seuls quelques blancs l'avaient déjà précédée. Mme Alix Aymé est la première femme européenne qui ait affronté la forêt et la brousse laotiennes. Ce sont les risques de telles randonnées, supportés avec une crânerie bien française, c'est son séjour au "beau pays laotien" que Mme Alix Aymé a bien voulu relater poux nos lecteurs, faisant revivre aussi par la plume des épisodes de vie et de mœurs qu'elle avait si prestigieusement évoqués avec le pinceau. »
Le
texte d’Alix est ensuite largement repris par plusieurs publications, comme Le
Populaire d’Indochine du 16 septembre 1932 ; La Femme de France
du 9 octobre 1932 en conseille la lecture, et le Petit Journal en publie
un extrait anecdotique : « La capitale du Laos, Luang-Brabang, étale,
entre le Mékong et la Nam-Kam, dans un fouillis de verdure et de palmes, ses
pagodes peintes et dorées, ses bonzeries, ses thâts, ses maisons de bois et de
bambous. La colline du Pou-Si, surmontée d'une pyramide d'or, domine le tout.
On m'a affecté comme logement l'ancien commissariat ou résidence. C'est une
grande bâtisse de bois assez délabrée, mais dont une pièce bien éclairée va me servir
d'atelier. Dès mon arrivée, le boy me déclare qu'il veut aller au marché faire
l'emplette d'un chat, parce que "y en a beaucoup les rats". Il n'y a pas,
hélas ! que des rats ; le nettoyage du grenier nous y fait découvrir une douzaine
de serpents, quelques oiseaux de nuit, et une iguane que les indigènes dévorent
avec joie. Tous ces animaux, loin de vivre en paix, se battent tout le temps et
exécutent la nuit, des charges de cavalerie qui m'empêchent de fermer l'œil.
Une battue organisée m'en débarrassera finalement. » (« Une Française
au Laos, Alix Aymé », Le Petit Journal, 5 août 1932, p.3)
Toutes
le publications accompagnent leur article de petits croquis d’Alix.
Et
Alix publie dans Le Monde colonial illustré d’octobre 1932, un autre
article intitulé « Une étape au pays Lu, Haut Laos ».
Une
exposition s’ouvre peu après, « inaugurée par M. Paul Léon, directeur
général des Beaux-Arts, et M. Maurice Denis, membre de l’Institut, au Gouvernement
Général de l’Indochine, 20, rue La Boétie, à Paris, l'Exposition de M. Alix Aymé
: Dessins, Pastels, Aquarelles. 4 au 20 novembre. » (Les Annales
coloniales, 3 novembre 1932, p.2), exposition annoncée également par Comœdia
et Art et Industrie. Et chacun de reprendre avec ardeur le « M.
Alix Aymé ».
Elle donne aussi une conférence intitulée « Mon séjour au Laos », le 12 novembre 1932 (annoncée dans Excelsior du même jour, p.2)
Dès lors, les expositions d’Alix se multiplient : à la Galerie du gouvernement général de l'Indochine, où elle se trouve en compagnie de Bouchaud, Fouqueray, Jouve, Lièvre et de Mme Boullard-Devé. « [Les visiteurs] y trouveront, dans un cadre riche et intime, des ouvrages qui, par leur qualité, peuvent se passer de réclame, mais dont c'est justice de signaler les auteurs. » (« Peintres de l’exotisme », Le Figaro, 31 janvier 1933, p.5) ;
Et aussi à l’Institut catholique : « L'organisation de ce Salon tend à réaliser, plus encore que les années passées, le contact entre les étudiantes cultivant les arts et les artistes qui ont illustré les Expositions d'art de l'Institut catholique de leur nom et de leur talent, entre autres Paul Buffet, Maurice Denis, Amédée Buffet, M. Guéniot, Alix Aymé, etc. » (« L'exposition d'art des étudiantes de l’Institut catholique », La Croix, 12 mai 1933, p.2)
Alix travaille à nouveau pour l’édition, en illustrant un ouvrage de Jacques Méry, Manohara, aux éditions Ardin, à Saïgon. (L’Ordre, 22 décembre 1933, p.2)
Alix
repart avec son mari, basé en Indochine, puis s’installe à nouveau à Hanoi en
1933 où elle met au monde son second fils, François. Elle y devient enseignante
à l’Ecole des beaux-arts d’Indochine, où professe également le peintre Joseph
Inguimberty (1896-1971). Avec lui, Alix va monter en 1934 le premier atelier de
laque, une technique qu’elle a découverte grâce à un Japonais - selon ce
qu’elle écrit à Maurice Denis - et qui est tombée en désuétude au Vietnam.
C’est une technique extrêmement exigeante en raison de la minutie nécessaire à la superposition d'un nombre considérable de couches très minces de laque
(c’est-à-dire de résine du laquier), laquelle réagit de façon différente en
fonction des couleurs utilisées.
En
1935, nouvelle exposition dans les locaux de la Banque franco-chinoise. « Il
nous a été impossible de noter les noms de toutes les personnalités qui avaient
tenu à venir. Nous n’avons entendu qu’un discret et spontané concert de
louanges. Sincère et mérité. Le talent de Mme Alix Aymé, qui était plein de
force, s’est allégé, éclairé, en quelque sorte élevé. Il est en son complet
épanouissement. Cette vigueur du trait que ses œuvres antérieures semblaient
indiquer comme sa qualité maîtresse, Mme Alix Aymé l’a conservée ; mais par un consciencieux
travail d’artiste inspirée, elle en a acquis une autre, rare et merveilleuse :
la lumière ! A tel point qu’on hésite aujourd’hui : est-ce le tracé, juste,
net, viril, est-ce la luminosité exacte et exquise qui fit le plus grand charme
de ces toiles ? (…) Au hasard, notons ces flamboyants à l’ombre ardente, cette
femme aux lotus, à contre-jour devant une fenêtre ouverte sur un poudroiement
de soleil, ces vues du Yunnan, où l’on retrouve la limpidité de l’atmosphère
yunnanaise, avec l’originalité des scènes et des aspects, ce village du papier,
où des con-gaï vivantes trottent sous les taches de soleil que laissent passer
les arbres, etc. Il faudrait tout citer ! » (Sultis,
« Exposition Alix Aymé », La Volonté indochinoise, 18
novembre 1935, p.6)
Et
l’on trouve régulièrement ses dessins dans la presse locale.
Nouvelle
exposition à Paris l’année suivante : « Comme chaque année, Madame
Lucy Krogh, fidèlement, a rassemblé une vingtaine d'artistes pour célébrer les
fêtes de Pâques. Parmi eux, voici d'abord Maurice Denis avec une toile charmante […]
Une Entrée du Christ à Jérusalem, peinte par Alix Aymé, sur soie,
est, à la fois, une chose charmante et une bonne surprise. » (« Chez
Lucy Krogh », L’Art sacré, 1er mai 1938, p.122)
Le mois de mai paraît être le moment où Alix expose en France : en mai 1939, à la galerie Chappe de Toulouse et en mai 1940, au Salon de la société coloniale où René Jean remarque « des dessins de M. Alix Aymé, curieusement influencés par l'Extrême-Orient » (Le Temps, 9 mai 1940, p.4).
La même année en octobre, elle expose à La Perle, un magasin d'antiquités de la rue Catinat, à Saigon.
« Douceur, repos, paix, songe… nous avions presque oublié ces mots. Aujourd’hui, à La Perle, en regardant les enfants endormis, les maternités, les jeunes femmes aux calmes et doux visages, admirables dessins de Mme Alix Aimé, il m’a semblé entrer dans un monde nouveau, pur, d'où seraient bannis la haine et le mensonge. Ces figures sereines ou mélancoliques qui retiennent le regard le plus distant par leur accent de confidence nous révèlent un peintre de portraits d’une rare séduction. Il n’est pas une âme qui ne nous émeuve. » (La Dépêche d’Indochine, 8 octobre 1940, p.2), article repris dans de nombreuses publications locales (comme La Patrie annamite, 21 octobre 1940, p.2).
Aucune œuvre n’est citée, je l’illustre donc avec des œuvres caractéristiques …
…
et notamment les laques où Alix introduit de la feuille d’or et des coquilles
d’œufs pour obtenir des tons blancs.
Il est difficile de savoir quels sont les laques qu’Alix exécute au cours des années 1940. Aucun n’est daté et l’on ne peut que procéder par analogie, en examinant ses thèmes de prédilection.
Les
scènes intégrant des jeunes femmes et enfants constituent une part importante
de son inspiration, parfois dans une nature plus ou moins idéalisée et synthétisée
dont l’ambition décorative, à la manière des nabis, est assez évidente.
Un monde harmonieux, hors du temps et dénué
de toute référence à la situation de colonisation à laquelle Alix, de fait, participe …
…
des scènes de marché, décoratives et synthétiques, elles aussi…
…
des portraits…
Alix a passé la totalité de la Seconde guerre mondiale en Asie. Tous les textes que j’ai trouvés restent pudiquement laconiques sur la période de l’invasion japonaise et notamment du coup de force du 9 mars 1945. Pourtant, à cette date, « tous les Français, des plus importants aux plus modestes, sont, sans exception, emprisonnés, internés, ou concentrés dans les villes. Il n'y a plus d'administration française. » (Georges Gautier (1901-1987). La fin de l'Indochine française : 9 mars 1945, Hanoï au soleil de sang, Paris, SPL 1978, p.19)
Alix
et sa famille font partie des Français emprisonnés et son fils Michel, âgé de
19 ans, perd la vie dans des circonstances inconnues.
En 1945, la famille endeuillée rentre en France. Le général Aymé, très affecté par sa longue incarcération, décèdera à l’hôpital du Val-de-Grâce en janvier 1950.
En
1947, Alix expose à nouveau, à la galerie des Deux-Iles à Paris. Selon Combat « sa connaissance des
techniques extrême-orientales de la laque donne à ses panneaux vigueur et
puissance. Livrée à elle-même, elle se souvient un peu trop de l’école de
Pont-Aven. » (« Tour d’expositions », 23 avril 1947, p.2)
L’appréciation est un peu cinglante mais le journal publie des Femmes au bain, une photographie assez illisible qui paraît être, soit un travail préparatoire, soit un détail (partie gauche en bas) du Panneau décoratif ci-dessous.
L’année suivante, c’est à la Galerie de l'Agence des Colonies, rue La Boétie, qu’Alix bénéficie d’une exposition inaugurée par Albert Sarraut, ancien gouverneur général de l’Indochine. L’article qui lui est consacré à cette occasion souligne la rareté des peintres français capables de travailler la laque : « Une technique qui exige une patience singulière ; une étude très poussée du style volontairement simple, abrégeant le détail pour ne retenir qu’un effet décoratif et harmonieux de l'ensemble, telles sont les nécessités auxquelles l’artiste a dû se soumettre pour la réussite de ses délicates compositions où la précision des lignes s’harmonise avec la richesse des couleurs. » (Maxime Belliard, « Vie artistique », La France libre, 4 mai 1948, p.2)
Plusieurs
journaux signalent l’exposition mais une bonne moitié d’entre eux désignent
Alix comme un peintre masculin.
L’année
suivante, nouvelle exposition au même endroit et Alix est honorée d’un des
quatre grands prix de la Société des Beaux-Arts de la France d’Outre-mer :
« Prix des Arts décoratifs : Mme
Alix Aymé, qui a passé 20 ans en Indochine, interprétation artistique des
laques et incrustations de nacre. » (France-Dahomey : hebdomadaire,
27 décembre 1949, p.4)
C’est
l’époque où elle reçoit une commande importante, la réalisation d’un chemin de
croix en bois laqué pour la chapelle de Notre-Dame de la Délivrance à Douvres.
Voici quelques exemples des stations de ce chemin.
Les
expositions continuent à se succéder, à la galerie d’art de la librairie Mairet
à Casablanca, inaugurée par la maréchale Juin. « (…) On retrouve la
tradition pure, l’inspiration orientale dans la "Baie d’Along", où des
dizaines de sampans flottent entre les rochers, sur une mer argent et or. Mais
la vie des visages attire Alix Aymé qui nous donne des Pastorales
où les corps se meuvent dans les contrastes des tons riches et des tons morts :
les Printemps, le Bain des femmes nues dans une mare noire, la Bacchanale.
Enfin, des Vierges et des Maternité où j’ai retrouvé le pur émerveillement
des primitifs italiens. La tendresse douloureuse de ces mères s’adoucit encore
d’auréoles de fleurs précieuses. Par la laque, Alix Aymé a retrouvé
le chemin de l'enluminure religieuse, d’un ciel qui travaille pour les siècles. »
(Anonyme, « Splendeur orientale », Le Petit Marocain, 27 mai
1950, p. 1 et 2)
«
Casablanca a la chance d’abriter actuellement une des plus belles expositions
de l’année, une des plus belle aussi qu’il est possible d’avoir. Je ne pense
pas qu’il puisse se trouver une seule personne pour n’être pas sensible à
la beauté des panneaux que l’artiste présente depuis une semaine à la librairie
Mairet, rue de l’Horloge. (…) Le laque dont use savamment Alix Aymé confère
à ses panneaux une somptuosité qui rattache son art au "merveilleux". Mais
quel travail demande le moindre panneau ! Et il est admirable qu’un art
réclamant tant de patience et de méticulosité n’ait pas le moins du monde
diminué chez l’artiste une sensibilité très vive.
Derrière
l’artisan qui risque toujours d’être écrasé par la technique lorsque celle-ci
est exigeante - c’est le cas pour les panneaux de bois laqué - l’artiste est
toujours présent, toujours lucide, ne faisant aucune concession. Ce sont ainsi de
véritables tableaux que nous montre Alix Aymé, lorsque toutefois, elle ne
recherche pas volontairement le décoratif. Distinction des coloris, goût de l’arabesque,
équilibre des volumes, rythme, tout séduit et intéresse dans l’art de Mme Aymé.
Puisse cette exposition déterminer au Maroc la vocation ou, tout au moins, le goût du panneau laqué chez certains de nos artistes. Ils ne sauraient
trouver meilleur exemple ni maître plus en possession de son art. » (Saint
Aignan, « Une exposition magnifique, les laques d’Alix Aymé », La
Vigie marocaine, 2 juin 1950, p.6)
A l’automne, « C’est une exposition inhabituelle qui se tient à la Galerie de l'Agence de la France d'Outre-Mer, 20 rue La Boétie, jusqu'au 5 août. Alix Aymé présente des scènes modernes et chaleureuses ainsi que des paysages réalisés dans le médium oriental de la laque. La toute première impression d'incongruité s'estompe devant le traitement par l'artiste des enfants, des visages d'enfants endormis, des mères et des enfants, à la fois asiatiques et occidentaux. Ses immenses scènes de bois colorées sont à la fois modernes et orientales. Ses enfants ont ce petit quelque chose de captivant commun aux enfants du monde entier. Deux petites scènes de rivière ont la délicatesse et le ton des tableaux chinois de soie tissée. Dans toutes ces couleurs scintillantes ou mates brillent des lumières dorées et argentées et les reflets réfléchis du travail de la laque. » (C.K., News of the Art World », The New York Herald Tribune, 28 juillet 1950, p.5, traduction personnelle)
« Cette exposition (…) groupe une trentaine d'œuvres de l'une des rares spécialistes françaises de la laque. C'est à la fois décoratif et sensible, bien composé et chatoyant. L'or, la coquille d'œuf, l'amarante, le piment, le brou de noix se juxtaposent pour donner des tableaux dont le charme tient aussi bien de l'Italie primitive que de la Chine d'autrefois. Les portraits de Jeunes Filles annamites sont à la fois tendres et mystérieux. On s'en détache avec peine. » (F.D., « Les Laques d’Alix Aymé », Le Monde, 14 juillet 1950)
En
juin 1951, elle participe au 67e Salon des Femmes peintres, sculpteurs
et décorateurs et, l’année suivante, publie un article dans la revue Etudes
d’Outre-mer, intitulé « L’Art de la laque ». Elle y a fait
reproduire un de ses laques, Le Goûter et termine par cet avertissement :
« Enfin, un dernier mot sur un certain danger : la laque contient un
poison qui rend assez compliquées les manipulations de la matière brute. Elle
peut causer des dermites et une sorte d’urticaire géant contre lesquels on ne connaît
pas de véritable remède. On peut atténuer ses effets par des frictions à l’eau
de chaux. D’après le Père d’Incarville, qui écrivit un "Traité sur le Vernis
de la Chine", paru dans les "Mémoires présentés à l’Académie Royale des
Sciences par divers savants", en 1760, les blonds seraient plus sensibles à ce
poison que les bruns et les gens vifs et coléreux que les flegmatiques. Il est
donc recommandé, si l’on désire s’adonner sérieusement à cet art, d’éviter la
colère, la mauvaise humeur, la nervosité, et de se faire un caractère calme et
digne. La laque, comme la musique, adoucit les mœurs. » (Alix Aymé,
« La laque en Indochine et l’école des beaux-arts d’Hanoi », Etudes
d’Outre-mer, décembre 1952, p.409-412, consultable sur le site de Gallica).
Nouvelle
exposition en 1953 : « Alix Aymé a utilisé sa science pour
traduire d’abord les aspects de l’Indochine. Congaïe couchée devant un arroyo,
canal Phu-Cham à Hué, jeunes filles annamites, on dirait que ces êtres si
merveilleusement ingénus et si poétiques sont peints par un des leurs. Même
remarque pour les peintures sur soie. Mais l’artiste a aussi stylisé la laque
pour des compositions occidentales. En adaptant cependant le procédé oriental à
des sujets appropriés. Nous avions déjà remarqué Alix Aymé aux grands Salons.
Sa nouvelle exposition confirme sa réputation de laquiste émérite. » (A.
de F., « De sellettes en chevalet », Climats : hebdomadaire de la
Communauté française, 18 juin 1953, p.9)
Elle
continue à illustrer des ouvrages…
… et effectue un long périple méditerranéen au cours duquel elle a peut-être pris les croquis de ces paysages.
Sa
dernière exposition relatée dans la presse a lieu en 1958 : « On a
rarement l’occasion de voir une exposition de laques, car pour en réaliser il
faut connaître la vieille technique chinoise, posséder le sens de la
composition et savoir bien dessiner. Alix Aymé remplit ces
conditions, et cela lui permet de présenter des laques aux ciels noirs ou
dorés, à la Galerie d’exposition du ministère de la France d’outre-mer (20, rue
La Boétie). Sur des panneaux de bois polis et brillants, Alix Aymé exprime
ainsi ses souvenirs d’Extrême-Orient et d’Afrique. Des rives du Congo, les
visiteurs sont transportés sur les bords du lac des Lotus, dont les fleurs sont
réalisées avec des coquilles d’œufs. » (Henry de France, « Galerie
d’exposition du Ministère de la France d’outre-mer, Les laques d’Alix
Aymé », Cols bleus, hebdomadaire de la marine française, 15 mars
1958, p.2)
Elle
vient, en effet, de s’installer plusieurs mois au Congo, nouvelle occasion de
rapporter des croquis de paysages, animés de femmes et d’enfants.
Alix
a travaillé le laque jusqu’à la fin de sa vie…
…
reprenant parfois des thèmes anciens.
Et
la palette de cette coloriste audacieuse ne s’éteint pas avec
l’âge !
Enfin,
pour terminer, jetons un œil aux natures mortes d’Alix. Elles sont assez
différentes de sa manière habituelle et laissent imaginer ce que sa peinture
aurait pu être si elle n’avait pas traversé les mers…
Alix
Aymé est morte le 18 juillet 1989 à Montlignon, dans le Val d’Oise.
Comme la plupart des peintres qui ont travaillé Outre-mer pendant la période de la colonisation, Alix a disparu de l’histoire de l’art, d’autant plus vite que très peu de ses œuvres se trouvent dans les collections publiques (seule la ville de Paris lui a acheté des laques au cours des années 1960). Pourtant, les critiques de la presse de l’époque laissent entrevoir les difficultés qu’elle a dû surmonter pour être admise en tant qu’artiste et son œuvre montre avec quel respect elle s’est attachée à dépeindre les femmes et les enfants qu’elle a rencontrés. C’est pourquoi, sans méconnaître le contexte particulier dans lequel s’est déroulée sa vie de femme, il me semble qu’il serait temps de redécouvrir le talent de l’artiste !
Depuis son décès, une première exposition lui a été consacrée par le musée Evergreen de l’université Johns Hopkins, à Baltimore en 2012. L’affiche de l’exposition reproduisait un portrait de son fils Michel, peint a tempera en 1942.
La même année, le musée Cernuschi, à Paris, a montré quelques œuvres d'Alix dans l'exposition « Du fleuve Rouge au Mékong, Visions du Viet Nam ».
Depuis,
une vingtaine de ses œuvres a été exposée, début 2023, dans « Itinéraire
de l’ailleurs, artistes voyageuses de la Belle Epoque à la Seconde guerre mondiale »,
au Palais Lumière d’Evian, exposition qui fut ensuite accueillie au musée de
Pont-Aven, en fin d’année.
Vous pouvez voir d’autres œuvres d’Alix sur le site de l’association de ses amis à l’adresse suivante : « alixayme.com », plusieurs fois cité comme source des photographies que je lui ai empruntées.
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