jeudi 18 novembre 2021

Amélie Beaury-Saurel (1848-1924)

 

Autoportrait - vers 1894
Catalogue illustré du Salon de 1894, Baschet, Paris, 1894, p.156
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Amélie Elise Anna Beaury-Saurel est une artiste peintre française née à Barcelone, le 19 décembre 1848. Ses parents, Camille Georges Beaury et Irma Catalina Saurel, tous deux d’origine française, s’étaient établis dans la ville en 1845 pour y fonder une fabrique de tapis et de tapisseries qui devint rapidement renommée, la « Saurel, Beaury y Compañía ». Amélie a deux sœurs, Irmeta et Dolores, desquelles elle restera proche toute sa vie.

A la fin des années 1850, la mort de son père sonne le glas de la prospérité familiale. Sa mère quitte Barcelone avec ses trois filles pour s’installer à Paris, dans une situation précaire. C’est avec l’objectif de leur permettre de « gagner honnêtement leur vie » qu'elle leur fait donner une formation de peinture sur porcelaine. Seule Irmeta s’inscrira dans cette voie en devenant peintre de céramique et d’éventail (elle exposera au Salon un éventail à la gouache, chaque année, entre 1876 et 1879). Amélie, qui n’apprécie pas cette formation à vocation commerciale, s’emploie à décourager ses professeurs.

Sa mère décide alors de l’inscrire au Louvre pour qu’elle copie les grands maîtres et ce serait en raison des compliments formulés par le peintre Joseph-Nicolas Robert-Fleury, devant sa copie du Christ en croix de Rubens, que sa mère aurait décidé de lui faire suivre un cursus artistique.

Ce Christ en croix existe toujours et se trouve, selon la base Mérimée, dans le retable du chœur l’église Saint-Etienne d’Issy-les-Moulineaux. Comme la ville de Paris est héritière de la préfecture de la Seine et a toujours eu d’excellents services d’inventaire des œuvres d’art, je l’ai retrouvé dans ses listes : il s’agit bien de la copie du Christ en croix que Rubens peignit vers 1610 pour l’église des Récollets d’Anvers et qui est conservé au Koninklijk Museum voor Schone Kunsten d'Anvers. Voici l’image de cette copie, repiquée dans un film consacré à cette église dans l’émission Le Jour du Seigneur.

Christ en croix – sans date
Copie d’après Rubens
Huile sur toile, 320 x 150 cm
Retable du chœur de l’église Saint-Etienne d’Issy-les-Moulineaux.

Ceci étant, c’est auprès de Pauline Coeffier (1814-1900), une pastelliste spécialisée dans le portrait, qu’Amélie a vraiment commencé ses études d’art et c’est en se déclarant son élève qu’elle apparaît pour la première fois au Salon dès 1873, avec un Portrait de M.P.R.

L’année suivante, sa mère accepte d’assumer le sacrifice financier d’inscrire Amélie à l’atelier féminin de l’Académie Julian où elle étudiera en compagnie de Louise Breslau et, plus tard, de Marie Bashkirtseff (qui la surnomme parfois « l’Espagnole » dans son Journal), tout en assumant progressivement le rôle de massière de l’atelier des femmes.

Ce n’est qu’en 1879 qu’Amélie revient au Salon en se déclarant l’élève de Tony Robert-Fleury, professeur à l’Académie Julian qui venait, un jour sur deux ou trois, corriger les travaux des élèves féminines.

Le fait qu’Amélie expose, dès l’année suivante, un Portrait de Léon Say est sans doute un signe de début de notoriété. Léon Say n’est pas seulement le petit-fils du célèbre Jean-Baptiste, il est aussi ministre des finances, après avoir été préfet de la Seine. En outre, son portrait, dont les dimensions sont précisées dans le livret (194 x 174 cm) est probablement grandeur nature. Marie Bashkirtseff, pourtant avare de compliment, l’évoque dans son journal : « A… expose un grand et beau portrait de Léon Say. Pas mal du tout, très crâne » (Journal, tome 2, p.184, version en ligne du site Gallica de la Bibliothèque nationale).

En 1884, la présence au Salon d’un Portrait de la princesse T.J. confirme qu’Amélie a accès à une clientèle huppée. La même année, elle peint aussi cette Femme endormie :

Femme endormie tenant un livre – 1884
Huile sur toile, 81,5 x 65 cm
Collection particulière (vente 2011)

Au Salon de 1885, Amélie obtient sa première médaille, de troisième classe, avec le Portrait de Mlle. M. S. La tableau est introuvable aujourd'hui mais sa description figure dans le livre d’or du Salon où l’on apprend notamment les dimensions du tableau : 115 x 190 cm, soit une « grandeur naturelle » (LAFENESTRE, Georges : Le livre d’or du Salon de peinture et sculpture. Paris, Librairie des Bibliophiles, 1885, p. 16.). Le peintre et poète Théodore Véron en donne une description précise dans son dictionnaire :

« Mlle M.S. est assise de profil […]. Cette jeune personne, d'un type mâle et distingué, porte fièrement la tête et paraît méditer sur sa lecture sérieuse. Ses beaux cheveux, noirs comme les ailes d'un corbeau, ont des reflet et s'attachent bien aux chairs lactées et fermes de cette splendide nature. Quoique jeunes, les traits sévères ont de l'ampleur, et l'orbite large est noyée d'une pénombre bleuâtre où habite la pensée. L'attitude modeste et simple de la lectrice assise et sans doute en deuil, et tenant son livre, est grave et noble. […] Cet ensemble s'enlève gravement sur un fond de satin jaune un peu rembruni à gauche, mais donnant quelques reflets lumineux en haut de la toile. […] N'oublions pas de souligner l'ombre puissante aux tons bleu-gris et tendre sous le menton. Mais, ne craignons pas de le répéter, ce qui fait le charme de ce portrait de grand art, c'est la noblesse du type et sa méditation. — Si j'étais du jury, je donnerais sans hésiter une médaille à une artiste de si grand jet et qui s'affirme si hautement. » (VÉRON, Théodore, Dictionnaire Véron. Salon de 1885. Poitiers, 1885, pp. 36-37) 

En 1887, Amélie présente au Salon son autoportrait au fusain et, chaque année, en plus d’un ou deux portraits à l'huile, elle montre des œuvres au fusain ou au pastel. 

 

Autoportrait – vers 1887
Revue universelle illustrée, « Les femmes artistes (1789-1889) » Tome IV, Paris, Librairie de l’Art, 1889, p. 97
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Le premier portrait à l’huile d’Amélie dont on a conservé une représentation significative est celui de Cécile Dupont White, l’épouse de Sadi Carnot. Le tableau se trouvait au château La Rochepot (Côte d’Or) mais risque bien de ne plus y être aujourd’hui. Ce château, autrefois propriété du président Sadi Carnot, fut vendu en 2015 et son mobilier a été dispersé aux enchères en octobre 2021, au grand dam des habitants du village…

On trouve plusieurs reproductions de ce tableau dans la presse qui relate le Salon de l’année 1889.

Portrait de Madame Sadi Carnot – Salon de 1889
Huile sur toile
Localisation inconnue


Au cours de ses premières années de carrière, la vie d’Amélie est centrée sur son travail. Elle vit avec sa mère et ses sœurs et, de son propre aveu, n’est jamais aussi satisfaite que lorsqu’elle est enfermée dans son atelier. Elle est aussi très impliquée dans la vie quotidienne de l’atelier féminin de l’Académie Julian, comme on le constate à la lecture du Journal de Marie Bashkirtseff et dans la presse de l’époque qui a souvent décrit la vie de cet atelier :

« Amélie Beaury Saurel, Française née en Espagne, […] avait le brio et le piquant des femmes de ce pays. Elle s’occupait de tout et de toutes avec un infatigable entrain, fumant parfois à la dérobée quelques cigarettes défendues et faisant retentir l’atelier de ses joyeux Caramba ! Elle nourrissait pour M. Julian, qu’elle finit par épouser, un amour passionné qui emplit toute sa vie » (La Revue de Paris, 1er janvier 1932, p.806)

C’est probablement à l’atelier Julian, où les étudiantes pratiquaient le modèle vivant qu’elle a exécuté ce beau pastel d'Académie féminine :

Académie – 1890
Pastel sur papier marouflé sur toile, 114 x 77 cm
Musée des Augustins - Toulouse

Une femme altière, tenant d’une main une tige de bambou et de l’autre son vêtement, dont le visage sévère et déterminé évoque une amazone au repos à deux doigts de reprendre les armes…


L’année suivante, elle expose au Salon une huile intitulée Travail, dont on n’a gardé que des reproductions de presse.

Travail - 1891
La France illustrée n° 113, 2 mars 1893, p. 90 et 91
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Cette représentation d’une artiste, avec sa palette et ses pinceaux, est un peu inhabituelle : il s’agit de montrer que l’exercice de création ne se résume pas à un exercice purement technique mais qu’il exige étude et réflexion. On ne peut s’empêcher de penser aux quatre allégories d’Angelica Kauffmann, Invention, Composition, Conception, Couleur (voir sa notice), peintes un peu plus de cent ans auparavant… Le tableau suscite de nombreuses réactions :

« Au moment où le parlement et la presse discutent la question de savoir s’il faut admettre les femmes à l’école des Beaux-Arts, il nous semble intéressant d’apporter, par la reproduction de la belle toile de Mme Beaury-Saurel, un argument qui prouve deux choses ; d’abord que les femmes sont capables de produire des œuvres aussi puissantes, aussi artistiques que les hommes, puis qu’il n’est pas indispensable d’avoir passé par l’école des Beaux-Arts pour devenir un grand artiste. Mme Beaury-Saurel s’est fait connaître par de très beaux portraits […] Ses nombreuses compositions, quelque fois un peu froides de conception, détonent un talent serré, très viril, une main sûre d’elle-même en même temps qu’une personnalité très indépendante. […] dans la toile que nous reproduisons [elle] a su donner l’impression d’une femme artiste, sérieuse, réfléchie dans l’inspiration […]. Nous le répétons, le tableau est digne d’un maître. » (La France illustrée n° 113, 2 mars 1893, p. 94)

L’écho de ce combat se fait entendre dès l’année suivante lorsqu’Amélie présente au Salon deux huiles, et Une doctoresse et Deux vaincues. Il ne reste de la première que des reproductions. Elle était assez clairement destinée à promouvoir le droit des femmes à l’éducation :

Une jeune doctoresse - 1892
Collection de la Bibliothèque nationale d’Espagne
Source : Biblioteca Digital Hispánica

Selon Magdalena Illán Martín (voir référence en fin de notice), cette « doctoresse » serait Jeanne Chauvin, la première femme française à obtenir le doctorat en droit et dont la thèse, intitulée Études historiques des professions ouvertes aux femmes, a été présentée en 1892.

Quant aux Deux vaincues enchaînées elles restent indomptées : celle qui est encore debout ne laissera pas passer l’occasion de se libérer !

Deux vaincues - 1892
Huile sur toile, 215 x 113 cm
Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, Collection SIM

La réception de l’œuvre est… contrastée : « Ah ! fichtre, mademoiselle, tout à Michel-Ange alors ? Mais par qui des femmes de cet athlétisme ont-elles pu être vaincues ? On les aura préalablement roulées dans de la lie de vin, et c’est de cela qu’elles ne sont pas contentes. » (Bergerat, Emile, Le Salon de 1892 : Champs-Elysées, Ollendorff, Paris, 1892, p.43 et 44). 

Heureusement qu’il est d’autres critiques pour comprendre qu’« éclate et s’affirme, dans l’écriture violente, les musculatures tourmentées, l’oppression criante des poitrines, une intense et presque amère passion de la vie » (Laurent Just, Portraits d’artistes, Journal des Artistes, n° 90 du 23 mai 1892, p.151).

Je glisse ici un beau pastel présenté au même Salon :

Souvenir de Toros – vers 1892
Pastel, 80 x 90 cm, N.Mba 396
Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice
© Ville de Nice

Les récompenses commencent à pleuvoir. Selon le Journal des Artistes (n° 90 du 23 mai 1892, pp 151, 152), en plus de sa médaille en 1885, elle en reçut une à l’Exposition Universelle de 1889, une médaille d’honneur en 1891 à Barcelone et une mention exceptionnelle décernée par le jury de l’exposition internationale « Blanc et Noir », pour Le travail de M. Frey, maître d’armes. Selon les archives de cette manifestation dédiée aux arts graphiques en noir et blanc, qui s’est tenue chaque année entre 1885 et 1892, Amélie y a participé presque tous les ans et y a aussi reçu une médaille d’argent de 1ère classe en 1888. 

Ce portrait constitue un exemple assez éloquent :

Portrait de jeune homme au béret - 1894
Crayon noir, fusain, craie blanche et estompe sur papier vergé, 39 x 31,7 cm
Collection particulière


En 1893, Amélie peint le portrait d’une journaliste féministe, Carole Rémy, épouse Guebhard (1855-1929) qui signe ses articles sous le pseudonyme de Séverine.  Quelques années plus tard, Séverine publiera un article quotidien dans La Fronde, le journal féministe de Marguerite Durand. Un visage énergique couronné de cheveux flamboyants, de fortes mains et, à la ceinture, la tache rouge d’une fleur.

Séverine – 1893
Huile sur toile, 122,5 x 88 cm
Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Ce portrait s’insère dans la galerie des femmes actives représentées par Amélie, comme Camille du Gast (première pilote automobile), Marie Laurent (fondatrice de l’Orphelinat des Arts) ou Coralie Cahen – et non Caroline comme on l’a écrit dans le catalogue illustré du Salon - (créatrice du Refuge pour l’Enfance israélite).

 

Catalogue illustré du Salon de 1890, Baschet, Paris, 1890, p.166
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

On l’aura compris, les thèmes développés par Amélie reflètent ses opinions féministes et certaines de ses œuvres peuvent être considérées comme de véritables manifestes. Ainsi, le pastel Dans le bleu qui évoque la rêverie d’une femme qui s’autorise une pause cigarette devant un café. On suppose que la scène se passe dans l’intimité d’un foyer puisque la dame est « en cheveux ». Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, il ne s’agit pas de l’Autoportrait qu’Amélie a montré au Salon de 1894 (cf. supra, au début de cette notice). Mais rien n'interdit de penser qu'il pourrait quand même s'agir d'un autoportrait…

Dans le bleu – 1894
Pastel sur papier marouflé sur toile, 75 x 82 cm
Musée des Augustins, Toulouse

Une réplique plus déterminée s’exprime dans l’Après déjeuner de 1899 : le poing sur la hanche, un bouquet de violette (rehaussé de pastel) à la ceinture, la dame fomente quelque dessein secret d’un air tranquille et assuré.

Après déjeuner – 1899
Fusain, craie blanche et pastel sur papier vélin bleu, 100 x 81 cm
Musée des Augustins, Toulouse


En 1895, Amélie épouse Rodolphe Julian (1839-1907), peintre et fondateur de l’Académie Julian, ce qui la conduira à s’investir encore davantage dans le soutien du droit des femmes à la formation et à l’expression artistique puis à diriger l’Académie à la mort de son mari.

Les traces de ses productions de l’époque figurent dans les catalogues illustrés des Salons, au milieu d’une profusion de scènes de genre paysannes ou religieuses, toujours édifiantes, et de peintures d’histoire, prétextes à afficher des académies féminines. Les scènes et portraits d’Amélie tranchent par la présence de femmes sûres d’elles-mêmes et/ou représentatives des succès féminins.

Echec et Mat  - 1896
Catalogue illustré du Salon de 1896, Baschet, Paris, 1896, p.230
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

On comprend assez vite qui a gagné la partie d'échecs devant le dos voûté du monsieur de gauche et l’air compatissant de sa consolatrice…

 

Reine Juana - 1897
Catalogue illustré du Salon de 1897, Baschet, Paris 1897, p.176
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Cette « reine Juana » (Jeanne la Folle, reine de Castille au XVIe siècle) est probablement Adeline Dudlay dans le rôle-titre qu’elle a interprété en 1893. Cette jeune sociétaire de la Comédie Française, était connue pour ses qualités de tragédienne et ses retentissantes créations.

Dans la même volonté de mettre en valeur les personnages de femme puissantes, elle réalise aussi le portrait de Caroline-Eugénie Second-Weber interprétant le rôle de Marie II, dans Les Jacobites de François Coppée, au Théâtre de l’Odéon en 1885 :

 

Portrait de Mme Weber du théâtre de l'Odéon
Revue illustrée, janvier 1885, p.68
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

La traduction anglaise de ce Dans l’train, présenté en 1903, nous apprend qu’il ne s’agit pas de chemin de fer mais plutôt de modernité. Selon le CNRTL « être dans le train en marche » signifie « participer à une action ». Une dame sûre d'elle, probablement habillée à la mode. Dans les années 1960, on disait « être dans l’coup » !

Dans l'train - 1903
Catalogue illustré du Salon de 1903, Baschet, Paris 1903, p. 189
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Impression confirmée par Nos filles, présenté au Salon de 1904. La critique ne s’y trompe pas et apprécie. 

Nos filles – vers 1904
Huile sur toile, 100 x 77 cm
Musée de la Roche-sur-Yon

 « La jeune fille à bicyclette, que Mme Beaury-Saurel intitule « Nos filles » est, ainsi que nos lecteurs peuvent le constater, une œuvre d’une grande allure. Cette jeune personne ultra moderne est bien ce que l’artiste de grand talent qu’est Mme Beaury-Saurel a voulu faire : un « type ». Elle révèle même une époque. » (Les Lectures de la femme, magazine illustré hebdomadaire, 1er janvier 1904, p.15)

Même air assuré pour Anna-Catherine Strebinger qu'Amélie représentera plusieurs fois et pour la jeune inconnue du second tableau qui suit :


Anna-Catherine StrebingerMme Henri Rochefort
Catalogue illustré du Salon de 1906, Bibliothèque des Annales, Paris 1906, p.134
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

La volonté d’Amélie de camper ses personnages dans des attitudes plus assurées que séductrices n’est pas toujours appréciée : « Un bien mauvais portrait de Madame Henri Rochefort par Mme Beaury-Saurel. Quand un peintre a la précieuse bonne fortune de rencontrer un aussi joli modèle il est impardonnable de le maltraiter de la sorte. » (BAUDE DE MAURCELEY, Critique d’Art in La Revue diplomatique, Paris, 10 juin 1906, p. 8.)

 

Catalogue illustré du Salon de 1913, Bibliothèque des Annales, Paris 1913, p.135
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Je n’ai pas trouvé qui pouvait bien être cette jeune femme…

Au Salon de 1914, avec Nos éclaireuses, Amélie représente des femmes assumant des carrières traditionnellement réservées aux hommes. Au-delà de l’évocation du caractère libérateur du travail, c’est la force du groupe et la solidarité entre femmes qui s’expriment dans ce tableau dont il ne reste… qu’une carte postale ! 

 

Nos Eclaireuses – date inconnue
Reproduction en carte postale d’un tableau exposé au Salon de 1914
Bibliothèque Marguerite Durand, Paris

Les sept femmes sont représentées en groupe compact, autour d’une table où trône un tas de livres. A gauche, tenant son guidon de sa main gantée, la championne cycliste belge, Hélène Dutrieu ; à côté d’elle, tenant un pinceau, l’éditrice Anna-Catherine Strebinger (Madame Henri Rochefort) qui était aussi étudiante à l’Académie Julian ; ensuite la collectionneuse Marguerite Roussel regarde le spectateur ; au centre, en tenue professionnelle et montrant du doigt un article dans un code, l’avocate Suzanne Grinberg, membre éminente de l’Union française pour le suffrage des femmes, créée en 1909 ; appuyée sur elle, dans la tenue masculine qu’elle avait adoptée pour voyager sans risque au Moyen Orient, l’archéologue et exploratrice Jane Magre-Dieulafoy. Viennent ensuite la romancière et journaliste Lucie Delarue-Mardrus et l’aviatrice Elise Deroche, première femme à avoir obtenu un brevet de pilote. 

Voyons ce qu’en dit la presse : « La foule se presse avec une curiosité amusée devant le tableau de Mme Beaury-Saurel (Mme Rodolphe Julian), et dont le titre dit bien quel est le sujet : Nos Eclaireuses. C’est une composition ingénieuse, exécutée avec force et brio, et qui regroupe les figures de plusieurs de nos contemporaines connues pour leur talent d’écrivains, d’avocates, de docteurs, d’artistes ou pour leurs exploits sportifs. Cette toile est remarquable de facture large et d’intensité d’expression ; le coup de pinceau de Mme Beaury-Saurel a une vigueur toute virile. » (ROCHE, P., Le Vernissage de Salon des Artistes français. Le Gaulois, Paris, 1er mai 1914, p. 2.)

Oser terminer par « une vigueur virile », ça ne s’invente pas… !

C’est pourtant avec des portraits d’homme qu’il faut finir cette rubrique puisque ce sont ceux dont il a été fait don à l’Etat, lequel n’a jamais jugé pertinent d’acquérir une œuvre d’Amélie, ce dont on n’est qu’à moitié surpris. On les retrouve au musée d’Orsay et ils démontrent le talent de portraitiste d’Amélie.

Jean-Paul Laurens avait été l’un des professeurs d’Amélie, à l’Académie Julian.

 

Portrait de l'artiste Jean-Paul Laurens (1838-1921) – 1919
Huile sur toile, 116 x 89 cm
Musée d'Orsay, Paris
© Photo : RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Je ne résiste évidemment pas à l'envie de citer un critique de l’époque dont le commentaire est, lui aussi, bien de son temps : « Chaque Salon des Artistes Français ajoute presque toujours un chapitre intéressant à l’art du portrait en France, […] superbe comme la virile effigie de Jean-Paul Lorens, brossée par Amélie Beaury Saurel, Jean-Paul Laurens à son travail et palette en main, pareil à Michel-Ange avec sa simarre rouge et le bonnet qui enserre son front volontaire et tout empli de pensée. » (Annales politiques et littéraires, 4 mai 1919, p.430)

Amélie exécutera aussi, un peu plus tard, le portrait de Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg puis du musée Rodin, qui fut contesté pour n'avoir accepté que la moitié du legs Caillebotte par manque de place. On en a visiblement trouvé une petite pour y ranger son portrait, versé dans les collections du musée du Luxembourg en 1926…Mais ne soyons pas trop sarcastique puisque cette décision permet au public d'aujourd'hui d'admirer le talent d'Amélie pour rendre l'expression d'un modèle !

 

Portrait de Léonce Bénédite (1859-1925) – 1923
Huile sur toile, 117 x 90 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo : RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

La même année, Amélie est nommée chevalier de la Légion d’honneur, pour sa contribution au succès des Salons et en raison des nombreux prix qu’elle a obtenus. A cette occasion, Le Gaulois rappelle qu’elle est « une des figures les plus connues et les plus sympathique du monde des arts » ; qu’elle a « donné des effigies qui resteront, d’un maréchal Foch, d’un G. Clemenceau, d’un Maurice Barres et l’on sait avec quelle vibrante véracité elle a rendu la physionomie si originale du Père Sertillanges. Son portrait de Jean-Paul Laurens, qui est au musée du Luxembourg, est une page d’une incontestable maîtrise. […] elle dirige depuis la mort de son mari cette « académie » qu’il a fondée […] Dans ce rôle si utile à la propagande de notre pays, Mme Julian a prouvé constamment que les ressources de bienveillance et d’obligeance d’un grand cœur son inépuisables. (Le Gaulois, 12 août 1923, p. 3)

Décédée l’année suivante, Amélie Beaury-Saurel est rapidement tombée dans l’oubli, comme la plupart des artistes de sa génération, peu prisés par l’avant-garde du mouvement moderne.

Quel que soit l’intérêt qu’on peut porter à sa peinture – ce qui est en tout état de cause difficile puisqu’on ne connait aujourd'hui que peu d'œuvres de sa main - il reste qu’elle a été une des premières peintres féminines à avoir délibérément travaillé à la création d’une iconographie de femmes modernes et que, grâce à son implication au sein puis à la tête de l’Académie Julian, elle a contribué à ouvrir la voie à de nombreuses autres femmes artistes.

Ceci justifie pleinement de garder son nom en mémoire jusqu’à ce qu’une étude approfondie de son œuvre permette d’en savoir davantage sur cette peintre talentueuse qui me paraît représentative de la scène artistique parisienne, au tournant du XXe siècle.

 

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Pour étudier cette artiste, je me suis notamment appuyée sur l’étude de Magdalena Illán Martín, Un excelente alegato a favor de los derechos de la mujer por una pintora. La representación de la femme moderne en la obra de Amélie Beaury-Saurel (1848-1924) in Vol. 28 Núm. 1 (2021) : Mujeres y poder : conflictos, testimonios y representaciones (siglos XVII-XIX), Estudios, Páginas 129-156, Université de Grenade (consultable en ligne, en espagnol).

 

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