mercredi 8 septembre 2021

Giovanna Garzoni (1600-1670)

 

Autoportrait en Apollon – vers 1618 – 1620
Secrétariat général de la République, Palais du Quirinal, Rome

Giovanna Garzoni est née au sein d’une modeste famille d’artistes vénitiens, à Ascoli Piceno, dans la région des Marches, en Italie centrale. Elle a appris la technique de la peinture à l'huile, probablement avec son oncle Pietro Gaia, à Venise, alors qu'elle était encore une jeune fille. Cet oncle était lui-même un apprenti de Palma le Jeune (1550-1628), l’un des peintres les plus remarquables de l’école vénitienne.

Parallèlement, elle se forme aux arts de la calligraphie et de la peinture miniature, apprend le chant et joue d’un ou plusieurs instruments à cordes.

A vingt ans, elle se peint en Apollon (voir ci-dessus), avec sa couronne de lauriers caractéristique. On peut y voir une sorte d'idéal puisque Apollon est l’inventeur des instruments à cordes.

Lors de son premier séjour à Rome, dans les années 1620, Giovanna se lie d’amitié avec l’érudit Cassiano dal Pozzo, dont l’activité de mécène se double d’une passion pour l’histoire naturelle : il a collectionné des fossiles, des échantillons géologiques et de nombreuses illustrations botaniques. C’est lui qui présente Giovanna à l’Académie des Lincei, première académie scientifique italienne qui fut à l’origine du renouveau de l’illustration naturaliste.

Ceci m'amène à évoquer sans plus tarder l'ouvrage de cinquante aquarelles et un frontispice, intitulé Piante varie (Plantes diverses), datant d'environ 1650, qui est conservé à Washington. Chacune de ces planches est consacrée à une plante dont le nom latin est inscrit en haut du feuillet :

Planche 1 (détail) : « Eringio Marino »

La dénomination en italien est en bas, près des racines :

Planche 34 (détail) : « Nerio »


Et la signature de Giovanna se trouve aux planches 6 et 8 dans des emplacements un peu inattendus…N'étant pas botaniste, je vous laisse vous débrouiller avec les intitulés italiens ! 

Planche 6 : « Eringio Montano »

Planche 8 : « Musa »


Voici également le frontispice, qu'on voit souvent sur Internet, sans précision sur son origine :

Frontispice de l’ouvrage Piante varie (lieu de publication et éditeur non identifié)
50 feuillets, 49,5 x 38 cm
Source : Dumbarton Oaks Research Library, Washington DC 


Et voici enfin deux planches complètes :

 Piante varie – vers 1650
Planche 11 : « Mandragora »
Aquarelle et encre sur papier vélin, 49,5 x 38 cm
Dumbarton Oaks Research Library, Washington DC

Piante varie – vers 1650
Planche 9 : « Canna Musa »
Aquarelle et encre sur papier vélin, 49,5 x 38 cm
Dumbarton Oaks Research Library, Washington DC


Mais revenons aux années 20. A cette époque, Giovanna illustre un Libro de’ Caratteri Cancellereschi Corsivi, dont a été récemment exposé un élément, Le Galion en mer, réalisé d’un seul trait ! 

 

Le Galion en mer – vers 1617-1622
Libro de’ Caratteri Cancellereschi Corsivi, folio 44 recto
Académie nationale de San Luca, Rome

Son talent lui vaut d’être sollicitée pour réaliser une série de toiles représentant les apôtres, à laquelle ont également contribué des maîtres prestigieux comme Domenico Tintoretto.  Elles étaient destinées à l'église de l'Ospedale degli Incurabili (à la fois hospice, orphelinat et conservatoire de musique, fondé entre 1517 et 1522) à Venise. L’église a été démolie en 1831, on ne sait pas ce que ces apôtres sont devenus.

À 22 ans, elle épouse le portraitiste vénitien Tiberio Tinelli, mais leur mariage échoue en raison d'un vœu de chasteté que Giovanna aurait formulé pour déjouer une prophétie prévoyant qu'elle mourrait en couches. Le mariage prend fin en 1624. 

L’année suivante, elle effectue son premier séjour à Venise où elle illustre un livre de calligraphie dont elle illumine les lettrines (majuscules) de fruits, de fleurs, d'oiseaux et d'insectes.

En 1630, Giovanna se rend à Naples où elle peint pour le duc d'Alcalá, important collectionneur d'art espagnol, qui est vice-roi à Naples. Elle y rencontre la peintre Artemisia Gentileschi et les deux artistes deviennent amies, même si la jeune Giovanna n’est pas l’égale de son ainée de sept ans.

Quelques années après, vers 1635, Giovanna se trouve à la cour de la Maison de Savoie, à Turin, où elle obtient le titre de « Miniaturiste de Madame Réale ». Elle y peint le portrait de Victor Amedeo 1er de Savoie.

Victor Amedeo 1er de Savoie – vers 1635
Ce portrait a été présenté dans l'exposition de la Galerie des Offices, en mai-juin 2020

Elle y peint également le portrait de Zaga Christ, prince éthiopien venu en Europe pour chercher des soutiens afin de reconquérir le trône d’Ethiopie, dont il affirmait être l’héritier après le meurtre de son père.

Zaga Christ est représenté en costume européen et son portrait est la première miniature européenne connue d’un homme noir. Au dos du portrait, la signature de Garzoni figure en italien et en amharique, une ancienne langue éthiopienne. 

 

Portrait de Zaga Christ – 1635
Aquarelle sur parchemin monté sur carton, 5,8 x 4,8 cm
Cadre argenté plus tardif (recto et verso)
Collection particulière

En 1638, elle aurait accompagné Artemisia Gentileschi à la cour du roi Charles Ier, à Londres mais je n’ai pas trouvé d’indice bien clair de sa présence. En particulier, il n’y a aucune œuvre d’elle dans les collections anglaises. Or les nobles anglais sont réputés pour avoir conservé leurs collections pendant des siècles…

À la fin de 1639, elle aurait été membre de l'entourage du cardinal Richelieu, à Paris mais il n'existe pas d'œuvre d'elle dans les collections françaises, à ma connaissance… 

Entre 1642 et 1651, on retrouve Giovanna à la cour grand-ducale de Florence, où elle reçoit de nombreuses commandes du grand-duc Ferdinand II de Medicis et de son épouse Vittoria della Rovere, du prince Laurent et des cardinaux Carlo, Giovancarlo et Leopoldo qui furent ses grands admirateurs, ce qui explique que les musées florentins conservent nombre de ses œuvres, notamment les petites natures mortes qu’elle a exécuté sur commandes de Ferdinand II de Médicis pour la Villa di Poggio Imperiale. 

Les œuvres ci-dessous datent de cette période.

 

Plat de haricot – 1652
Tempera sur parchemin
Palazzo Pitti, Florence


Nature morte avec figues et insectes
Tempera sur parchemin
Palazzo Pitti, Florence

Plat d’amandes vertes avec une rose – 1642
Tempera sur parchemin
Palazzo Pitti, Florence


Branche de dictame avec quatre noisettes et deux poires
Tempera et traces de crayon noir sur papier vélin
Galerie des Offices, Florence

Petit chien anglais avec une tasse chinoise et des biscuits – vers 1648
Huile sur toile
Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence


Le vieil homme d'Artimino - vers 1648
Tempera sur parchemin
 Galeries des Offices, Florence

En 1649, elle peint une miniature de la « Madone de la chaise » d'après Raphaël (« Madonna della Seggiola », conservée au Palais Pitti) mais alors que Raphaël avait peint à l'huile sur panneau, Giovanna utilise la détrempe sur parchemin. Sa palette est plus claire : Marie porte un châle crème, plutôt que vert, et son enfant est habillé de pêche plutôt que d'or.

 

La Madone de la chaise, miniature d'après Raphaël – 1649
 Tempera sur parchemin posé sur ardoise
Collection particulière

Elle s'installe finalement à Rome, où, vers 1650 ou 1651, elle est admise à la prestigieuse Accademia di San Luca.

L’Accademia di San Luca est une association d’artistes fondée à Rome en 1577 et devenue active vers 1593. Elle est nommée ainsi en référence à Saint Luc l’Evangéliste, saint patron des peintres et tenu pour être l’auteur du premier portrait de la vierge Marie. Elle s’appelle également l’Accademia di belle arti di Roma. Elle est restée l’académie la plus importante d’Italie.


Elle reçoit cependant encore des commandes des Medicis, et exécute notamment d’extravagants bouquets.

Vase Yixing contenant diverses fleurs sur une table en marbre entre deux coquilles – 1659 / 1660
Tempera avec traces de crayon noir sur parchemin
Galeries des Offices, Florence

Le coquillage de gauche est un « Hexaplex ambiguus », un gastéropode qu’on trouve à proximité des côtes du Mexique, dont les côtes méridionales ont été explorées en 1517 et 1518 par Franscisco Hernandez de Cordoba et Juan de Grijalva.

 

Vase aux fleurs, pêche et papillon
Tempera et traces de crayon noir sur papier vélin
Galerie des Offices, Florence


Vase chinois aux fleurs, figue et haricot – vers 1650
Aquarelle et traces de crayon noir sur parchemin
Galeries des Offices, Florence


* 

Giovanna s’inscrit donc dans la lignée des artistes de natures mortes italiens ou étrangers comme Jacopo Ligozzi, Otto Marseus ou Willem van Aelst, qui travaillaient pour la cour des Médicis.

Ses compositions sont dominées par le souci de naturalisme, visible en particulier à la représentation méticuleuse des détails, sa touche « pointilliste » et son choix de la technique sur vélin. Son rôle dans l’évolution de l’illustration scientifique est largement reconnu et il est probable qu’elle a influencé plusieurs de ses contemporains, notamment Fede Galizia.

On trouve naturellement de nombreuses œuvres de Giovanna dans les collections du monde entier, comme ces oiseaux, particulièrement plaisants :

 

Nature morte avec oiseaux et fruits – vers 1650
Aquarelle sur vélin, 25,7 x 41,6 cm
Museum of Art, Cleveland, EU

Rapprochons-nous pour bien voir les petits touches de pinceau, caractéristiques de Giovanna (n'hésitez pas à cliquer sur les images pour mieux voir ! )



Nature morte au bol de citrons et fleurs de cédrat - 1640
Tempera sur vélin, 27,6 x 35,6 cm
Paul Getty Museum, Los Angeles

Il faut bien regarder : ces citrons n'ont peut-être l'air de rien mais ils sont représentés à trois stades de maturité : fleurs, jeune citrons verts et citrons mûrs. Il y a aussi une jolie petite guêpe qui se régale. 

Plat de cerises avec roses, gousse et abeille – vers 1650
Détrempe sur parchemin, 24,5 x 37,5 cm
Museo della Natura Morta, Poggio a Caiano


Enfin, certaines œuvres sont conservées en collections privées. J’en ai choisi quelques-unes mais on peut en voir beaucoup d’autres sur le net. Cette pomme au lézard est également exceptionnelle… 

 

Nature morte à la pomme et au lézard - 1645
Détrempe sur parchemin
Collection particulière

… tout comme cette autre pomme, réapparue en 2024 au TEFAF de Maastricht.


Une Pomme
Tempera sur vélin - 33,7 x 22,5 cm
Collection particulière (vente 2024)


Nature morte aux artichauds, roses et fraises des bois
Plume, encre noire et aquarelle gouachée sur vélin, 28,5 x 37,5 cm
Collection particulière (vente 2006)


Deux fois un papillon - vers 1670
Tempera sur parchemin, 16 x 24 cm
Collection particulière (vente 2013)

Il n’y a que deux papillons et non quatre, chacun des deux est vu par-dessus et par dessous.


Une exposition à la Galerie des Offices, en mai-juin 2020, intitulée « La grandeur de l’univers dans l’art de Giovanna Garzoni » mettait en valeur ses compositions, rassemblées par les Medicis, dans lesquelles Giovanna a associé des objets exotiques de provenance extrêmement variée comme de la porcelaine chinoise, un nautile, des courges et fleurs mexicaines, des plantes sud-américaines et des chiens de compagnie anglais.  

L’exposition s’ouvrait sur une grande toile florale de plus de 4 mètres de long, oeuvre de Giovanna :


L’exposition aurait comporté aussi un portrait de Richelieu mais je n’en ai trouvé aucune reproduction.


Vers 1665, Carlo Maratti, alors directeur de l’Accademia di San Luca à Rome, peint un portrait de Giovanna Garzoni. Encore un bon indice de sa renommée. 


Carlo Maratti (1625-1713)
Portrait de Giovanna Garzoni - vers 1665
Huile sur toile, 64 x 49 cm
Palazzo dell'Arengo, Galerie d'art civique, Ascoli Piceno


Giovanna Garzoni est morte à Rome, en février 1670.

En 1666, elle avait légué par testament toutes ses productions à l’Accademia di San Luca à condition qu’elle se charge d’ériger sa tombe dans l’église Santi Luca e Martina.  Son monument funéraire, œuvre de Mattia de Rossi (1637-1695), existe toujours à l'entrée de cette église, sur la droite. Elle est la première femme à avoir obtenu ce privilège. 


L’église Santi Luca e Martina, à Rome, où se trouve le tombeau de Giovanna Garzoni

Je n’ai pas pu trouver d’image de son tombeau mais j’irai le photographier à la première occasion !

 



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