dimanche 29 janvier 2023

Olga Boznańska (1865-1940)

 

Autoportrait – vers 1906
Huile sur carton, 74 x 43,5 cm
Musée national de Varsovie


Helena Olga Boznańska est née le 15 avril 1865 à Cracovie. Son père, Adam Nowina-Boznański (1836–1906), est ingénieur, diplômé de l'Institut royal de technologie, sa mère Eugénie Mordant (1832-1894), est française et a travaillé comme institutrice à domicile avant son mariage. Ce sont surtout des parents très aimants qui favoriseront la carrière de leur fille, laquelle restera toute sa vie très attachée à eux et à sa jeune sœur, Izabela.

C’est sa mère, peintre amateur, qui lui donne ses premières leçons de pastel et de dessin. A l’occasion de voyages familiaux à Vienne, elle découvre Velasquez (1599-1660) dont elle a dit qu’il a constitué sa première référence.

Douée en dessin, Olga suit l’enseignement du portraitiste Kazimierz Pochwalski (1855-1940) et du peintre et collectionneur d'art Józef Siedlecki. Elle étudie aussi au cours supérieur pour femmes d’Adrian Baraniecki, un enseignement de très bon niveau qui comprend du dessin d’après nature, de l’histoire de l’art et même des cours d’anatomie.

 

Motif de paysage II - 1885
Huile sur toile, 29,5 x 36,8 cm
Musée national de Cracovie


En 1886, à 21 ans, Olga part étudier à Munich, ce qui constitue, de la part de ses parents, une preuve de leur détermination à soutenir la carrière de leur fille, laquelle n’a pas accès, en tant que femme, à l’Académie des beaux-arts. Elle fréquente donc l'atelier privé de Carl Kricheldorf (1863-1934) et Wilhelm Dürr (1815-1890) où elle passe deux ans à travailler d’arrache-pied mais « dans une extase constante, car j'étais entourée d'une atmosphère d'enthousiasme exalté. »

 

Etude de deux paires de mains – vers 1886/1890
Huile sur toile, 48,2 x 40,2 cm
Musée national de Cracovie


Cette Jeune Gitane, qu’elle termine pendant un séjour à Cracovie, selon la signature, est probablement un modèle d’atelier et constitue une des rares tentatives d’Olga de travailler un corps (un peu) nu. Son style personnel commence déjà à se révéler : des couleurs limitées à des nuances de gris et de beige, un rouge un peu éteint, un fond clair et neutre qui sublime la tonalité de la composition et des accents lumineux qui soulignent le visage du modèle.

 

Jeune Gitane – 1888
Huile sur toile, 65 x 53 cm
Musée national de Cracovie

C’est à Munich qu’Olga découvre la peinture de James Abbott McNeill Whistler, lors d’une exposition en 1888 où étaient montrées les œuvres les plus emblématiques de ses conceptions esthétiques, comme le portrait de sa mère, ci-dessous :

 

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Arrangement en gris et noir n°1 - 1871
Huile sur toile, 144,3 x 163 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo :  RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Patrice Schmidt


Et celui de Cicely Alexander…

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Harmonie en gris et vert : Miss Cicely Alexander – 1872/1874
Huile sur toile, 190 x 97,8 cm
Tate Britain, Londres

… dont on retrouve l'inspiration dans ce portrait de jeune femme en robe légère, le premier tableau montré au public par Olga lors d'une exposition au Salon de Krywult de Varsovie, en 1889.

 

De retour de la promenade – 1889
Huile sur toile, 161,5 x 100 cm
Musée national de Cracovie






La réception du tableau n’est pas très positive. Les couleurs trop sophistiquées et le visage jugé ingrat du modèle déplaisent. Et surtout, personne n’a remarqué la présence des petites marguerites qui animent la tache sombre de l’ombrelle…avant de disparaître, comme absorbées par la brume de la robe, une très claire référence à Whistler.

Harmonie tonale identique pour ce portrait de jeune homme qui pose en tenant sa casquette à la main, avec la même expression d’ennui que la petite Cicely :

 

Portrait d’un jeune homme en uniforme de lycéen – vers 1890
Huile sur toile, 100 x 180
Musée national de Varsovie

Elle expose la même année, à la Société des amis des beaux-arts de Cracovie, cette œuvre très différente, avec un paysage vu par la fenêtre, qui crée l’arrière-plan lointain du tableau et donne de la profondeur à la scène. Une composition qui montre qu’elle n’est pas insensible à la mode du japonisme qui traverse la peinture européenne de l’époque.

 

Les fleuristes – 1889
Huile sur toile, 65 x 85 cm
Musée national de Cracovie



Femme à l'ombrelle japonaise – 1892
Support et dimensions non précisés
Musée national de Wroclaw


Pour l’exposition de l’année suivante, Olga décide visiblement de frapper à la fois grand – au plan des formats – et fort - au plan de la technique - pour être sûre de remporter les suffrages des critiques de sa ville natale et faire honneur à ses parents !

Les deux tableaux représentent des jeunes filles. La première est une novice priant dans la chapelle du couvent de l'église franciscaine de Cracovie…

Le vendredi saint – 1890
Huile sur toile, 240 x 158 cm
Eglise Sainte-Marie, Cracovie


… la seconde est debout dans une serre où poussent des fleurs délicates et fragiles, fuchsias et pélargoniums en fleurs. Dotée de traits raffinés, la jeune fille a le teint pâle, accentué par sa robe bleue et le châle de tulle qui couvre ses épaules. Selon le musée de Varsovie, les plantes en serre font référence au recueil de poèmes de Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, dans lequel il évoque en ces termes un désir de liberté :

Cet ennui bleu comme la serre,
Où l’on voit closes à travers
Les vitrages profonds et verts,
Couvertes de lune et de verre,


Les grandes végétations
Dont l’oubli nocturne s’allonge,
Immobilement comme un songe,
Sur les roses des passions.

 

Dans l’orangerie – 1890
Huile sur toile, 235 x 180 cm
Musée national de Varsovie

Je n’ai pas trouvé d’indication de la réception de ces deux œuvres mais Olga a loué son propre atelier et commence à se faire connaître comme portraitiste.

 

Portrait d’une femme – 1891
Huile sur toile, 122 x 80 cm
Musée national de Varsovie


D’un portrait à l’autre, l’expression se modifie puis, petit à petit, les fonds, les seconds plans, vont se dissoudre : Olga est visiblement en train d’élaborer son style.

 

Portrait de femme en blanc dans un intérieur (Zofia Federowiczowa) – 1890
Huile sur toile, 150 x 100 cm
Musée national de Cracovie

La jeune femme représentée est l’épouse du futur maire de Cracovie, ce qui indique le niveau de notoriété grandissant d’Olga. Plusieurs documents accrochés au mur constituent probablement les références de la peintre. On devine une reproduction de l’Infante de Velasquez (qui se trouve à Vienne), deux estampes japonaises et deux portraits que je n’identifie pas.


Olga rencontre en 1892 le peintre et architecte d’intérieur Józef Tchaïkovski. Ils se fiancent à Munich en 1893.

 

Autoportrait – 1893
Huile sur toile, 70 x 57 cm
Musée national de Varsovie


Portrait de Józef Tchaïkovski – 1892
Huile sur toile, 115 x 55 cm
Musée national de Cracovie


Olga atteint un nouveau palier stylistique avec la Jeune fille aux chrysanthèmes. Dans une palette toute en nuances de gris whistleriens, c’est un nouveau type de portrait d’enfant qui rompt avec les conventions de l’époque qui les représente dans leurs plus beaux atours, comme la petite Miss Cicely. Sa robe modeste tranche avec la branche de chrysanthèmes d’un blanc brillant qu’elle tient entre ses mains jointes. Sous des cheveux dorés - qu’Olga indique avoir empruntés à Velasquez - ses yeux noirs interrogateurs plongent avec insistance dans le regard du spectateur.

 

Huile sur carton, 88,5 x 69 cm
Musée national de Cracovie

En 1896, le tableau est exposé à Berlin puis au Salon d’été de Vienne. « Nous laisserions totalement de côté le Salon viennois, comme ceux de Munich, si nous n’avions pas à y signaler quelques talents neufs. […] Mlle Olga de Bosnanska [sic] est non seulement d’une curieuse psychologie à la Carrière, mais elle vient de réaliser, en sa petite fille blonde et blême aux yeux étranges et inquiétants, gouttes d’encre qui semblent déborder sur une face blafarde, l’idéal moderne d’une créature de Maeterlinck. C’est une enfant énigmatique, à rendre fous ceux qui la regarderaient trop. Mélisande à six ans et née dans l’aristocratie de quelque grande ville d’aujourd’hui, telle apparaît cette fillette sinistre, blonde et blanche à faire frémir. » (William Ritter, « Correspondance de Vienne », Gazette des Beaux-Arts, 1er avril 1896, p.359)


Pour la première fois, est évoqué en France le nom de Carrière à propos d’un portrait d’Olga.

 

Eugène Carrière (1849-1906)
Portrait de l'artiste - 1903
Huile sur toile, 46,5 x 35,2 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo :  RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Elle sera confrontée à cette référence tout au long de sa carrière, alors qu’elle a toujours dit que son peintre français préféré, c’était Edouard Vuillard !

 

Edouard Vuillard (1868-1940)
La fenêtre ouverte – vers 1902
Huile sur carton, 56 x 45 cm
National Gallery of Scotland, Edimbourg


Et leur proximité stylistiques saute pourtant aux yeux. Mais ils étaient de la même génération, il n'y a donc pas d'influence à rechercher, d'autant qu'ils ne se sont jamais rencontrés. 

 

La Fête de grand-mère – avant 1900
Huile sur toile, 79 x 60 cm
Musée national de Varsovie


C’est pour un portrait, celui de Pawel Nauen (1859-1932), un peintre alors très en vogue à Munich, qu’Olga reçoit sa première médaille d'or à Vienne, en 1894.

 

Portrait de Paul Nauen – 1894
Huile sur toile, 121 x 91 cm
Musée national de Cracovie

« Comme Boznańska l'a dit au peintre Marcin Samlicki en 1925 : "Je me souviens, c'était un mercredi matin. La pluie bruinait, telle une soupe aux choux de Munich. La porte s'ouvre et l'exquis Nauen entre, le col relevé. C'était mon tableau ! Je l'ai assis sur le canapé fleuri, j'ai mis une tasse dans sa main et j'ai commencé à peindre. Il aimait le portrait, comme tout le monde. On a beaucoup écrit sur lui." » (Extrait de la notice du musée)

 

En 1896, elle expose pour la première fois à Paris, au Salon de la société nationale des beaux-arts. Elle montre une étude d’enfants qui ne paraît pas avoir retenu l’attention. C’est d’ailleurs un peu bizarre qu’elle n’ait pas envoyé un tableau plus important… Elle a donné au Salon son adresse à Munich mais peint la même année son atelier à Cracovie. Là encore, un cadrage et un travail de la lumière qui évoquent ceux de Vuillard.


L’atelier de l’artiste à Cracovie – 1896
Huile sur toile, 45 x 36 cm
Musée national de Cracovie

« L'intérieur de l'atelier de Cracovie dans la rue Wolska (aujourd'hui Piłsudskiego) est une pièce élégante […] L'ensemble est traité dans des couleurs bleu acier, fréquentes dans les œuvres de Boznańska. Les reflets vacillants de la lumière traversant la fenêtre et diffusés sur les rideaux légèrement flottants sont ici extrêmement importants. Cette approche est l'une des études les plus intéressantes sur la lumière et la couleur créées par Olga Boznańska. » (Extrait de la notice du musée)

Son Autoportrait de 1896, que le musée trouve empreint de tristesse m’évoque plutôt une femme prête à changer de vie…

 

Autoportrait – 1896
Huile sur panneau, 55,5 x 43 cm
Musée national de Varsovie


Entre 1896 et 98, il est probable qu’Olga vient plusieurs fois à Paris, avec son amie Irena Serda (1863-1954), avec laquelle elle a fait ses études à Munich.


Portrait d’Irena Zbigniewicz née Serda – 1896
Huile sur carton, 95 x 65 cm
Musée national de Cracovie

La patte d’Olga est à présent bien en place.

Elle participe, sous le nom d’Olga de Boznanska, au Salon de la « Nationale » tous les ans à partir de 1896, en tant qu’artiste associée car elle est déjà suffisamment connue à Munich pour cela. Un seul tableau chaque fois. Personne n’en parle.

En 1897, elle y montre Deux enfants.  Ceux-ci datent de l’année suivante mais ils sont si expressifs que je ne laisse pas passer l'occasion :

 Deux enfants dans l’escalier - 1898
Huile sur toile, 102 x 75
Musée national de Poznań

Puis, en 1899, alors qu’elle vient de s’installer rue Campagne Première, elle expose au Salon un Portrait de M. Georges Thomas, un galeriste de l’avenue Trudaine. Il accueille une exposition d’Olga, en compagnie du graveur Daniel Mordant, son cousin par sa mère. Pour la première fois, elle fait l’objet d’un long article :

« Mlle Boznanska vient de réunir à Paris quelques-unes de ses œuvres, une vingtaine de portraits, de natures mortes, qui permettent de juger favorablement du talent de l’artiste. D’une attrayante originalité, ces toiles se recommandent par une grande vigueur d’exécution ; elles rendent plus que le simple modelé d’une physionomie ; elles laissent percer, elles traduisent quelque chose de l’état d’âme de ceux que l’artiste a voulu représenter, c’est dire combien ces peintures sont suggestives. […] D’autre part, la palette est riche : une grande variété de couleurs, savamment opposées, laissent voir que le peintre sait se rendre un compte exact de la valeur des tons ; aussi l’œuvre est d’un bel aspect, elle est originale et peu commune. Le Portrait de M. Thomas est une œuvre saine, vigoureusement attaquée, ferme d’assise […] L’exposition de Mlle Boznanska méritait d’être signalée à ceux qui s’intéressent à l’originalité dans l’art. […] Si elle continue à travailler, en demandant aux maîtres français quelques -uns de leurs précieux secrets d’enveloppe, tout en conservant ses dons merveilleux de nature, qui lui servent à affirmer sa haute et puissante originalité, l’avenir est à elle. Nous sommes heureux d’être les premiers à la signaler au public français. » (Nicolas Manoff, « Les petits salons, exposition de Mlle Olga Boznanska », Journal des artistes, 12 février 1899, p.2598)

Je n’ai pas retrouvé ce Georges Thomas. Voici, de la même année, le portrait d’une de ses amies d’enfance, dont je trouve le regard particulièrement attachant.

 

Portrait de la peintre Anna Saryusz Zaleska – 1899
Huile sur carton, 68 x 64 cm
Musée national de Varsovie


Olga apparaît sur le catalogue de l’Exposition universelle de 1900, curieusement classée dans les peintres autrichiens (p.279), peut-être parce qu’elle montre une Vue du Prater, à Vienne, pour laquelle elle reçoit une mention honorable. Cette année-là aussi, Józef Tchaïkovski, lassé de l’attendre à Cracovie, a rompu ses fiançailles…

Portrait de Józef Tchaïkovski – 1894
Huile sur carton, 87 x 47 cm
Musée national de Cracovie

 

En 1901, Olga s’installe pour longtemps 114 rue du Vaugirard. Elle présente plusieurs toiles au Salon, dont le Portrait d'une jeune fille, peut-être celui-ci  :


Portrait d’une jeune fille – vers 1900
Huile sur carton, 21 x 19 cm
Musée national de Cracovie

A partir de 1903, ses présentations au Salon sont systématiquement commentées, toujours positivement : « Mlle Olga de Boznanska, pour ses portraits ou figures, où s’affirme un art original très personnel, et dont l’expression est toujours intéressante. » (A.E. Guyon-Verax, « Société nationale des Beaux-Arts, Figures, portraits, etc. » Journal des Artistes, 31 juin 1903, p.4155)

Et l’Etat français n’est pas en reste, puisque, après sa présentation au Salon de 1904, il achète pour le musée du Luxembourg, alors consacré aux artistes vivants, ce Portrait d’une jeune dame :


Portrait de jeune dame – 1903
Huile sur carton, 82 x 60 cm
Musée d’Orsay, Paris

« Mlle de Boznanska, avec un Portrait de Jeune Dame, doucement estompé comme une vision du matin, mais émouvant comme un rêve et possédant un charme expressif. » (Eugène Hoffmann, « Compte rendu des expositions, le Salon de la Société nationale des Beaux-Arts » Journal des Artistes, 19 juin 1904, p.4468)

Elle montre au même Salon, Deux sœurs dont rien ne dit qu’elles soient les Deux jeunes femmes ci-dessous mais je les trouve intéressantes.

 

Portrait de deux jeunes femmes – vers 1904
Huile sur carton, 110,5 x 80 cm
Musée national de Cracovie

 

En 1905, faute de Salon de la Nationale, Olga participe au Salon d’Automne et voyage en Italie où elle peint cette étonnante vue nocturne de la cathédrale de Pise où apparaît l’ombre portée de la tour penchée.

 

La cathédrale de Pise – 1905
Huile sur toile, 50 x 50 cm
Musée national de Cracovie


Quant à cette Femme à la blouse blanche, au regard âpre et suspicieux, elle souligne qu’Olga s’intéressait aussi aux personnalités moins lisses que celles des portraits qu’on trouve aujourd’hui dans les musées…

Femme à la blouse blanche -1905
Huile sur carton, 68 x 53 cm
Collection particulière (vente 2018)


Se succèdent les Salons de la Société nationale des beaux-arts dont, signe de sa notoriété, elle devient sociétaire en 1906.

 

Helena et Władysława Chmielarczyk – 1906
Huile sur carton, 95 x 67 cm
Musée national de Varsovie

Ces deux enfants aux robes vaporeuses sont pas ceux qu’elle a montrés en 1907 au Salon (ils figurent ci-dessous !). Mais je trouve ces petites filles étonnantes de distance réservée. Eugène Hoffmann, définitivement séduit, évoque le caractère original des portraits parlants d’Olga.


Catalogue de la société nationale des beaux-arts,
Paris, Ludovic Baschet, 1907, p.180


Elle peint la même année un Atelier d’artiste, thème fréquent chez tous les peintres de l’époque, que le musée de Cracovie tient visiblement beaucoup à situer à Cracovie, au motif qu’il aurait la même disposition que celui de 1896 ! J’aurais tendance à le croire, mais pour une autre raison : la fenêtre, avec sa bande vitrée au-dessus des ouvrants, n’a pas une allure très française, en effet.


Atelier d’artiste à Cracovie – 1906
Huile sur carton, 50,5 x 73 cm
Musée national de Cracovie


L’année suivante, elle participe à la grande exposition du Carnegie Institute à Pittsburgh et y reçoit une médaille d’or pour une Femme en noir qui se trouve toujours au musée aujourd’hui.

 

Femme en noir – avant 1907
Huile sur carton, 94,6 x 69,8 cm


Au sein de la Szuka, « société des meilleurs artistes polonais dont le siège est à Cracovie », nous dit William Ritter dans L’Art et les artistes (1er avril 1908, p.178), elle expose aussi au Hagenbund de Vienne. Le journal publie un portrait de femme qui dût avoir beaucoup de succès car je l’ai vu reproduit plusieurs fois mais n'ai pas pu trouver où il est conservé…

 


Le premier article important sur Olga est écrit par Jules Rey dans le supplément d’Art et décoration de mars 1910, à propos de l’exposition qui s’est tenue du 6 décembre 1909 au 5 janvier 1910 au Petit Musée Baudoin. Il n’est pas illustré « à regret » car « la photographie trahit les portraits de Mlle de Bosnanska. La subtilité et l'enveloppe de ses valeurs et de ses nuances s'évanouissent complètement dans une reproduction en noir. »

Olga y a montré trente portraits : « L'air tiède, lentement, le clapotis des gouttes, le frisson lumineux de ces trente portraits nous captivent comme un de ces bassins d'où, pareil à leurs yeux, surgit le sceptre des lotus. Ils ne nous fixent pas, ces yeux, mais ils s'intériorisent. Autant de testaments d'exilés.

Carrière auquel on a trop souvent comparé Mlle de Bosnanska, disait : "les imbéciles qui se jettent sur les yeux, sur le nez, la bouche, sont des gens qui veulent ouvrir la fenêtre avant d'avoir élevé le mur". Evidemment elle construit, elle soutient, comme il faisait, ses effigies d'une atmosphère pathétique. Qu'au lieu d'une pénombre sculpturale, l'éclat de l'émeraude y fuse à la lueur des turquoises mourantes, ce serait peu pour différencier deux techniques. Mais, tandis que Carrière étreint passionnément les volumes, sur le masque accumule la nébuleuse de l'espèce, tout est scrupule ici, frémissement et désespoir. Tant d'abandon ne rompt pas la synthèse de ces portraits. Evoquez Monet ou Whistler ; il reste à expliquer l'essentiel : cette peinture rapide et nulle part sommaire, subtile et jamais superflue, aigüe et d'autant pitoyable, mobile, musicale, qui se résout dans la mémoire en cendres bleuissantes, et que c'est d'une femme et d'une Polonaise.

Rien, semble-t-il, ne la distrait de fixer des visages, de scruter la continuité d'une vie à la lumière de l'instant : ni la joie des saisons, ni la fable des siècles. A peine quelques fleurs, dans leur masse dolente (roses, phlox). Pas un nu. La ville, apparaissant par aventure, n'offre que sa misère en miroir contrasté (portrait de jeune fille). On dirait que des formes flottantes habitent l'Intérieur ; la fatigue du jour et le geste envolé glissent des cadres aux coussins. A jouer sur un mot connu, l'artiste est de ces initiés pour qui le monde infravisible existe. 

De ces portraits, un seul peut-être, a "du style". Les autres ont leur style. Ils le tirent de leur essence. L'accessoire n'y est de rien : Voyez ces corps inoccupés et ces décors diffus. Un milieu monotone suffit à des apparitions qui nous imposent, une à une, leur raison de vivre, leur mission de souffrir. Femme peignant des femmes, Mlle de Bosnanska sait les détours où leur grâce se blesse. A l'esclavage du désir, elle préfère la rédemption de la douleur. Cette catégorie d'une beauté, pareille à la beauté virile, plus morbide, l'art moderne ne l'a pas découverte ; mais, sans esprit de revendication, en caractérisant seulement notre siècle, il collabore au féminisme. Trente portraits ici fortifient l'argument que l'on tire de l'œuvre de Berthe Morisot et de Mary Cassatt. » (Jules Rey, op.cit., p.1-3)


Autoportrait avec des fleurs – 1909
Huile sur toile, 68 x 49 cm
Musée national de Cracovie

Le second grand article paraît dans L’Art et les artistes en 1913. Il est illustré de sept portraits dont celui des Trois sœurs du musée de Cracovie…

 

Trois sœurs – entre 1905 et 1913
Huile sur 71,5 x 93 cm
Musée national de Cracovie

… et celui de la Jeune femme en blanc, présenté au Salon de 1912 et acheté pour le musée du Luxembourg.

 

Jeune femme en blanc – 1912
Huile sur carton, 113 x 88 cm
Musée d’Orsay, Paris

Et enfin celui du comte Zygmunt Puslowski, un ami et mécène d’Olga, que j’ai dû « piquer » dans une vidéo à laquelle on peut accorder sa confiance :

Portrait du comte Zygmunt Puslowski
(Photographie extraite d’une vidéo du musée national de Varsovie)

« "Une séance de portrait, disait un jour M. Albert Besnard, est un duel !" Hélas ! Ce duel est souvent "chiqué", et le peintre se fait parfois complice du modèle. Mlle Olga de Boznanska ne connaît point ces petites lâchetés. Son art est d'une sensibilité toute féminine, et la mièvrerie, pourtant, en est exclue. Certes, elle se plaît aux arabesques ondoyantes, elle affectionne le contour sinueux, ce que Hogarth nomme joliment "la ligne de grâce" mais la vérité psychologique reste le principal objectif de notre portraitiste.

Aussi, c'est avec joie— j'allais écrire avec reconnaissance — que l'on retrouve chaque année, au milieu du Salon de la "Société Nationale", les effigies d'un art si humain, si tendre, si compréhensif, de M"° Olga de Boznanska. Elle ne peint pas des yeux, mais des regards ; non une bouche mais un sourire ou un sanglot, un rictus barbare ou candide. Elle possède le don merveilleux d'exprimer la spiritualité qui se dégage d'une main : tout doit lui servir à rendre matériellement visible une âme inquiète qui se cache, se sachant observée. […]

Du fond d'un cadre ancien, un visage vient lentement vers nous, sourit de ses yeux rêveurs, de sa bouche appâlie. Le regard interroge et fascine. L'image luit avec douceur, tel un rubis dans l'ombre riche de Rembrandt. Art de suggestion, d'envoûtement, d'enveloppe vaporeuse et de mystère. Et sous ce flou apparent, sous cette imprécision caressante et voulue, s'inscrit le plus ferme modelé, le plus sûr dessin. »

Portrait of Samuel Hirszenberg (détail) – 1905
(Photographie extraite d’une vidéo du musée national de Varsovie)
C'est moi qui illustre, ce portrait n'était pas dans l'article !

« Outre le passionnant intérêt psychologique que révèle cet art subtil et délicat, il y faut admirer la très belle matière picturale, vivante, semble-t-il, comme celle des plus savoureux Renoir. Le coloris n'éclate pas en fanfares assourdissantes ; il chante mezzo voce de prenantes mélodies. Accords expressifs, harmonies rares et raffinées des tons : gamme nuancée des roses pâles, des gris perle, des verts d'eau, des beiges légers, des bleus tendres. Brumes ouatées ; mousselines aériennes.

Je ne vous ferai point, à mon tour, le portrait de Mlle Olga de Boznanska ; regardez ses toiles : elles vous parleront d'elle, bien mieux que je ne saurai jamais le faire. […] Elle est sociétaire à la Société Nationale des Beaux-Arts et à "l’International Society" de Londres. Quatre médailles d'or — qui lui furent décernées à Vienne en 1894, à Londres en 1900, à Munich en 1905, à Pittsburgh en 1907 vinrent sanctionner son admirable effort, sa vie de labeur opiniâtre et tranquille. » (Max Goth, « Olga de Boznanska », L’Art et les artistes, 1er octobre 1913, p. 129 à 134)

 

Portrait de Madame D… – 1913
Huile sur carton, 117 x 71,5 cm
Musée d’Orsay, Paris


Un autre portrait d’Olga rencontre un bon succès critique du Salon de 1913, celui d’Henryk Sienkiewicz (1846-1916), romancier, chroniqueur et lauréat du prix Nobel de littérature en 1905, dont le roman Quo Vadis ? (1896) connut un grand succès lors de sa publication en France, en 1900.

Portrait de Henryk Sienkiewicz – 1913
Huile sur carton, 103 x 70 cm
Musée national de Cracovie


Bien que peu mondaine et d’un tempérament solitaire, Olga est intensément impliquée sur la scène artistique et enseigne la peinture à l’Académie Colarossi et à l’Académie de la Grande Chaumière. 

Intérieur de l’atelier – 1913
Huile sur carton, 68 x 44 cm
Musée national de Varsovie


Je suis très sensible à cette Vue brumeuse et peine de charme qu’il faut regarder agrandie pour en saisir toute l'intensité. Olga, très timide, ne peignait jamais en plein air. Toutes ses vues extérieures sont peintes depuis une fenêtre.


Vue depuis la fenêtre de l’atelier – vers 1914
Huile sur carton, 52 x 74,5 cm
Musée national de Cracovie



Portrait de M. et Mme Smogorzewski – vers 1914
Huile sur carton, 74 x 90 cm
Musée national de Cracovie

 

En 1932, Olga figure dans le catalogue de l’exposition des Femmes Artistes Modernes (FAM), où elle montrait deux portraits de femmes.


Portrait de la peintre américaine Frances-Q Thomasson – vers 1920/1925
Huile sur carton, 75,5 x 52,3 cm
Musée national de Cracovie

Sa consécration arrive en 1938, quand elle reçoit la plus haute décoration civile de Pologne, la médaille de l’ordre Polonia Restituta. 

Mais c’est aussi le moment où décline l’intérêt du public pour ses portraits mystérieux.

La fin de sa vie est difficile. Presque sans revenu, à part celui du loyer de sa maison de Cracovie héritée de son père, affectée par le suicide de sa sœur, elle est séparée de ses amis polonais par le début de la Seconde guerre mondiale.

Elle meurt seule, le 26 octobre 1940, à l’hôpital parisien des sœurs de la Miséricorde puis est inhumée au cimetière polonais des Champeaux, près de Paris.

 

Aujourd'hui, Olga Boznańska est considérée comme l'une des peintres les plus importants de l'histoire de l'art polonais mais il a fallu attendre 2014 pour que le musée de Cracovie, puis celui de Varsovie en 2015, lui accordent enfin l’honneur d’une exposition rétrospective.

 

Affiche de l’exposition du musée de Varsovie en 2015


Je termine évidemment par quelques natures mortes, parfois proches de l'abstraction. Elles lui ont permis de tenir lorsque ses portraits se sont moins bien vendus.


 

Fleurs sur la terrasse – 1903
Huile sur carton, 31 x 24 cm
Musée national de Cracovie


Composition aux capucines – vers 1906
Huile sur carton, 56 x 29 cm
Musée national de Cracovie


Et enfin, cette charmante Nature morte au réveil que le musée de Kielce ne montre hélas pas en ligne… 

 

Nature morte avec réveil - vers 1912 (détail)
Huile sur carton, 51 x 63 cm
Musée national de Kielce
(Photographie extraite d’une vidéo du musée national de Varsovie)





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