Helena
Olga Boznańska est née le 15 avril 1865 à Cracovie. Son père, Adam
Nowina-Boznański (1836–1906), est ingénieur, diplômé de l'Institut royal de
technologie, sa mère Eugénie Mordant (1832-1894), est française et a travaillé
comme institutrice à domicile avant son mariage. Ce sont surtout des parents
très aimants qui favoriseront la carrière de leur fille, laquelle restera toute
sa vie très attachée à eux et à sa jeune sœur, Izabela.
C’est
sa mère, peintre amateur, qui lui donne ses premières leçons de pastel et de
dessin. A l’occasion de voyages familiaux à Vienne, elle découvre Velasquez (1599-1660)
dont elle a dit qu’il a constitué sa première référence.
Douée en dessin, Olga suit l’enseignement du portraitiste Kazimierz Pochwalski (1855-1940) et du peintre et collectionneur d'art Józef Siedlecki. Elle étudie aussi au cours supérieur pour femmes d’Adrian Baraniecki, un enseignement de très bon niveau qui comprend du dessin d’après nature, de l’histoire de l’art et même des cours d’anatomie.
En
1886, à 21 ans, Olga part étudier à Munich, ce qui constitue, de la part de ses
parents, une preuve de leur détermination à soutenir la carrière de leur fille,
laquelle n’a pas accès, en tant que femme, à l’Académie des beaux-arts. Elle
fréquente donc l'atelier privé de Carl Kricheldorf
(1863-1934) et Wilhelm Dürr (1815-1890) où elle passe deux ans à
travailler d’arrache-pied mais « dans une extase constante, car j'étais
entourée d'une atmosphère d'enthousiasme exalté. »
Cette
Jeune Gitane, qu’elle termine pendant un séjour à Cracovie, selon la
signature, est probablement un modèle d’atelier et constitue une des rares
tentatives d’Olga de travailler un corps (un peu) nu. Son style personnel
commence déjà à se révéler : des couleurs limitées à des nuances de gris
et de beige, un rouge un peu éteint, un fond clair et neutre qui sublime la
tonalité de la composition et des accents lumineux qui soulignent le visage du
modèle.
C’est à Munich qu’Olga découvre la peinture de James Abbott McNeill Whistler, lors d’une exposition en 1888 où étaient montrées les œuvres les plus emblématiques de ses conceptions esthétiques, comme le portrait de sa mère, ci-dessous :
Et celui de Cicely Alexander…
…
dont on retrouve l'inspiration dans ce portrait de jeune femme en robe légère,
le premier tableau montré au public par Olga lors d'une exposition au Salon de
Krywult de Varsovie, en 1889.
La réception du tableau n’est pas très positive. Les couleurs trop sophistiquées et le visage jugé ingrat du modèle déplaisent. Et surtout, personne n’a remarqué la présence des petites marguerites qui animent la tache sombre de l’ombrelle…avant de disparaître, comme absorbées par la brume de la robe, une très claire référence à Whistler.
Harmonie tonale identique pour ce portrait de jeune homme qui pose en tenant sa casquette à la main, avec la même expression d’ennui que la petite Cicely :
Elle
expose la même année, à la Société des amis des beaux-arts de Cracovie, cette
œuvre très différente, avec un paysage vu par la fenêtre, qui crée
l’arrière-plan lointain du tableau et donne de la profondeur à la scène. Une
composition qui montre qu’elle n’est pas insensible à la mode du japonisme qui
traverse la peinture européenne de l’époque.
Pour l’exposition de l’année suivante, Olga décide visiblement de frapper à la fois grand – au plan des formats – et fort - au plan de la technique - pour être sûre de remporter les suffrages des critiques de sa ville natale et faire honneur à ses parents !
Les deux tableaux représentent des jeunes filles. La première est une novice priant dans la chapelle du couvent de l'église franciscaine de Cracovie…
… la seconde est debout dans une serre où poussent des fleurs délicates et fragiles, fuchsias et pélargoniums en fleurs. Dotée de traits raffinés, la jeune fille a le teint pâle, accentué par sa robe bleue et le châle de tulle qui couvre ses épaules. Selon le musée de Varsovie, les plantes en serre font référence au recueil de poèmes de Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, dans lequel il évoque en ces termes un désir de liberté :
Cet ennui bleu comme la serre,
Où l’on voit closes à travers
Les vitrages profonds et verts,
Couvertes de lune et de verre,
Les grandes végétations
Dont l’oubli nocturne s’allonge,
Immobilement comme un songe,
Sur les roses des passions.
Je
n’ai pas trouvé d’indication de la réception de ces deux œuvres mais Olga a
loué son propre atelier et commence à se faire connaître comme portraitiste.
D’un
portrait à l’autre, l’expression se modifie puis, petit à petit, les fonds, les
seconds plans, vont se dissoudre : Olga est visiblement en train
d’élaborer son style.
La jeune femme représentée est l’épouse du futur maire de Cracovie, ce qui indique le niveau de notoriété grandissant d’Olga. Plusieurs documents accrochés au mur constituent probablement les références de la peintre. On devine une reproduction de l’Infante de Velasquez (qui se trouve à Vienne), deux estampes japonaises et deux portraits que je n’identifie pas.
Olga
rencontre en 1892 le peintre et architecte d’intérieur
Józef Tchaïkovski. Ils se fiancent à Munich en 1893.
Olga atteint un nouveau palier stylistique avec la Jeune fille aux chrysanthèmes. Dans une palette toute en nuances de gris whistleriens, c’est un nouveau type de portrait d’enfant qui rompt avec les conventions de l’époque qui les représente dans leurs plus beaux atours, comme la petite Miss Cicely. Sa robe modeste tranche avec la branche de chrysanthèmes d’un blanc brillant qu’elle tient entre ses mains jointes. Sous des cheveux dorés - qu’Olga indique avoir empruntés à Velasquez - ses yeux noirs interrogateurs plongent avec insistance dans le regard du spectateur.
En 1896, le tableau
est exposé à Berlin puis au Salon d’été de Vienne. « Nous laisserions totalement
de côté le Salon viennois, comme ceux de Munich, si nous n’avions pas à y
signaler quelques talents neufs. […] Mlle Olga de Bosnanska [sic] est non
seulement d’une curieuse psychologie à la Carrière, mais elle vient de
réaliser, en sa petite fille blonde et blême aux yeux étranges et inquiétants,
gouttes d’encre qui semblent déborder sur une face blafarde, l’idéal moderne
d’une créature de Maeterlinck. C’est une enfant énigmatique, à rendre fous ceux
qui la regarderaient trop. Mélisande à six ans et née dans l’aristocratie de
quelque grande ville d’aujourd’hui, telle apparaît cette fillette sinistre,
blonde et blanche à faire frémir. » (William
Ritter, « Correspondance de Vienne », Gazette des Beaux-Arts, 1er
avril 1896, p.359)
Pour la première fois,
est évoqué en France le nom de Carrière à propos d’un portrait d’Olga.
Elle sera confrontée à
cette référence tout au long de sa carrière, alors qu’elle a toujours dit que son peintre français préféré, c’était Edouard Vuillard !
Et leur proximité stylistiques saute pourtant aux yeux. Mais ils étaient de la même génération, il n'y a donc pas d'influence à rechercher, d'autant qu'ils ne se sont jamais rencontrés.
C’est pour un
portrait, celui de Pawel Nauen (1859-1932), un peintre alors très en vogue à
Munich, qu’Olga reçoit sa première médaille d'or à Vienne, en 1894.
« Comme Boznańska
l'a dit au peintre Marcin Samlicki en 1925 : "Je me souviens, c'était un mercredi matin. La pluie bruinait,
telle une soupe aux choux de Munich. La porte s'ouvre et l'exquis Nauen
entre, le col relevé. C'était mon tableau ! Je l'ai assis sur le
canapé fleuri, j'ai mis une tasse dans sa main et j'ai commencé à
peindre. Il aimait le portrait, comme tout le monde. On a beaucoup
écrit sur lui." » (Extrait de la notice du musée)
En 1896, elle expose pour la première fois à Paris, au Salon de la société nationale des beaux-arts. Elle montre une étude d’enfants qui ne paraît pas avoir retenu l’attention. C’est d’ailleurs un peu bizarre qu’elle n’ait pas envoyé un tableau plus important… Elle a donné au Salon son adresse à Munich mais peint la même année son atelier à Cracovie. Là encore, un cadrage et un travail de la lumière qui évoquent ceux de Vuillard.
« L'intérieur de l'atelier de Cracovie dans la rue Wolska (aujourd'hui Piłsudskiego) est une pièce élégante […] L'ensemble est traité dans des couleurs bleu acier, fréquentes dans les œuvres de Boznańska. Les reflets vacillants de la lumière traversant la fenêtre et diffusés sur les rideaux légèrement flottants sont ici extrêmement importants. Cette approche est l'une des études les plus intéressantes sur la lumière et la couleur créées par Olga Boznańska. » (Extrait de la notice du musée)
Son Autoportrait de 1896, que le musée trouve empreint de tristesse m’évoque plutôt une femme prête à changer de vie…
Entre
1896 et 98, il est probable qu’Olga vient plusieurs fois à Paris, avec son amie
Irena Serda (1863-1954), avec laquelle elle a fait ses études à Munich.
La patte d’Olga est à présent bien en place.
Elle participe, sous le nom d’Olga de Boznanska, au Salon de la « Nationale » tous les ans à partir de 1896, en tant qu’artiste associée car elle est déjà suffisamment connue à Munich pour cela. Un seul tableau chaque fois. Personne n’en parle.
En 1897, elle y montre Deux enfants. Ceux-ci datent de l’année suivante mais ils sont si expressifs que je ne laisse pas passer l'occasion :
Puis, en 1899, alors qu’elle vient de s’installer rue Campagne Première, elle expose au Salon un Portrait de M. Georges Thomas, un galeriste de l’avenue Trudaine. Il accueille une exposition d’Olga, en compagnie du graveur Daniel Mordant, son cousin par sa mère. Pour la première fois, elle fait l’objet d’un long article :
« Mlle Boznanska vient de réunir à Paris
quelques-unes de ses œuvres, une vingtaine de portraits, de natures mortes, qui
permettent de juger favorablement du talent de l’artiste. D’une attrayante
originalité, ces toiles se recommandent par une grande vigueur
d’exécution ; elles rendent plus que le simple modelé d’une
physionomie ; elles laissent percer, elles traduisent quelque chose de
l’état d’âme de ceux que l’artiste a voulu représenter, c’est dire combien ces
peintures sont suggestives. […] D’autre part, la palette est riche : une
grande variété de couleurs, savamment opposées, laissent voir que le peintre
sait se rendre un compte exact de la valeur des tons ; aussi l’œuvre est
d’un bel aspect, elle est originale et peu commune. Le Portrait de M. Thomas
est une œuvre saine, vigoureusement attaquée, ferme d’assise
[…] L’exposition de Mlle Boznanska méritait d’être signalée à ceux qui
s’intéressent à l’originalité dans l’art. […] Si elle continue à travailler, en
demandant aux maîtres français quelques -uns de leurs précieux secrets
d’enveloppe, tout en conservant ses dons merveilleux de nature, qui lui servent
à affirmer sa haute et puissante originalité, l’avenir est à elle. Nous sommes
heureux d’être les premiers à la signaler au public français. » (Nicolas
Manoff, « Les petits salons, exposition de Mlle Olga Boznanska », Journal
des artistes, 12 février 1899, p.2598)
Je n’ai pas retrouvé ce Georges Thomas. Voici, de la même année, le portrait d’une de ses amies d’enfance, dont je trouve le regard particulièrement attachant.
Olga apparaît sur le catalogue de l’Exposition
universelle de 1900, curieusement classée dans les peintres autrichiens
(p.279), peut-être parce qu’elle montre une Vue du Prater, à Vienne,
pour laquelle elle reçoit une mention honorable. Cette année-là aussi, Józef Tchaïkovski, lassé de l’attendre à
Cracovie, a rompu ses fiançailles…
En
1901, Olga s’installe pour longtemps 114 rue du Vaugirard. Elle présente
plusieurs toiles au Salon, dont le Portrait d'une jeune fille, peut-être celui-ci :
A partir de 1903, ses présentations au Salon sont systématiquement commentées, toujours positivement : « Mlle Olga de Boznanska, pour ses portraits ou figures, où s’affirme un art original très personnel, et dont l’expression est toujours intéressante. » (A.E. Guyon-Verax, « Société nationale des Beaux-Arts, Figures, portraits, etc. » Journal des Artistes, 31 juin 1903, p.4155)
Et
l’Etat français n’est pas en reste, puisque, après sa présentation au Salon de
1904, il achète pour le musée du Luxembourg, alors consacré aux artistes
vivants, ce Portrait d’une jeune dame :
« Mlle de Boznanska, avec un Portrait de Jeune Dame, doucement estompé comme une vision du matin, mais émouvant comme un rêve et possédant un charme expressif. » (Eugène Hoffmann, « Compte rendu des expositions, le Salon de la Société nationale des Beaux-Arts » Journal des Artistes, 19 juin 1904, p.4468)
Elle montre au même Salon, Deux sœurs dont rien ne dit qu’elles soient les Deux jeunes femmes ci-dessous mais je les trouve intéressantes.
En
1905, faute de Salon de la Nationale, Olga participe au Salon d’Automne et voyage
en Italie où elle peint cette étonnante vue nocturne de la cathédrale de Pise
où apparaît l’ombre portée de la tour penchée.
Quant à cette Femme à la blouse blanche, au regard âpre et suspicieux, elle souligne qu’Olga s’intéressait aussi aux personnalités moins lisses que celles des portraits qu’on trouve aujourd’hui dans les musées…
Se succèdent les Salons de la Société nationale des beaux-arts dont, signe de sa notoriété, elle devient sociétaire en 1906.
Ces
deux enfants aux robes vaporeuses sont pas ceux qu’elle a montrés en 1907 au
Salon (ils figurent ci-dessous !). Mais je trouve ces petites filles étonnantes
de distance réservée. Eugène Hoffmann, définitivement séduit, évoque le
caractère original des portraits parlants d’Olga.
Elle peint la même année un Atelier d’artiste, thème fréquent chez tous les peintres de l’époque, que le musée de Cracovie tient visiblement beaucoup à situer à Cracovie, au motif qu’il aurait la même disposition que celui de 1896 ! J’aurais tendance à le croire, mais pour une autre raison : la fenêtre, avec sa bande vitrée au-dessus des ouvrants, n’a pas une allure très française, en effet.
L’année suivante, elle participe à la grande exposition du Carnegie Institute
à Pittsburgh et y reçoit une médaille d’or pour une Femme en noir
qui se trouve toujours au musée aujourd’hui.
Au
sein de la Szuka, « société des meilleurs artistes polonais dont le
siège est à Cracovie », nous dit William Ritter dans L’Art et les
artistes (1er avril 1908, p.178), elle expose aussi au Hagenbund de
Vienne. Le journal publie un portrait de femme qui dût avoir beaucoup de succès
car je l’ai vu reproduit plusieurs fois mais n'ai pas pu trouver où il est conservé…
Le premier article
important sur Olga est écrit par Jules Rey dans le supplément d’Art et décoration
de mars 1910, à propos de l’exposition qui s’est tenue du 6 décembre 1909 au 5
janvier 1910 au Petit Musée Baudoin. Il n’est pas illustré « à
regret » car « la photographie trahit les portraits de Mlle de
Bosnanska. La subtilité et l'enveloppe de ses valeurs et de ses nuances
s'évanouissent complètement dans une reproduction en noir. »
Olga y a montré trente portraits : « L'air tiède, lentement, le clapotis des gouttes, le frisson lumineux de ces trente portraits nous captivent comme un de ces bassins d'où, pareil à leurs yeux, surgit le sceptre des lotus. Ils ne nous fixent pas, ces yeux, mais ils s'intériorisent. Autant de testaments d'exilés.
Carrière auquel on a trop souvent comparé Mlle de Bosnanska, disait : "les imbéciles qui se jettent sur les yeux, sur le nez, la bouche, sont des gens qui veulent ouvrir la fenêtre avant d'avoir élevé le mur". Evidemment elle construit, elle soutient, comme il faisait, ses effigies d'une atmosphère pathétique. Qu'au lieu d'une pénombre sculpturale, l'éclat de l'émeraude y fuse à la lueur des turquoises mourantes, ce serait peu pour différencier deux techniques. Mais, tandis que Carrière étreint passionnément les volumes, sur le masque accumule la nébuleuse de l'espèce, tout est scrupule ici, frémissement et désespoir. Tant d'abandon ne rompt pas la synthèse de ces portraits. Evoquez Monet ou Whistler ; il reste à expliquer l'essentiel : cette peinture rapide et nulle part sommaire, subtile et jamais superflue, aigüe et d'autant pitoyable, mobile, musicale, qui se résout dans la mémoire en cendres bleuissantes, et que c'est d'une femme et d'une Polonaise.
Rien, semble-t-il, ne la distrait de fixer des visages, de scruter la continuité d'une vie à la lumière de l'instant : ni la joie des saisons, ni la fable des siècles. A peine quelques fleurs, dans leur masse dolente (roses, phlox). Pas un nu. La ville, apparaissant par aventure, n'offre que sa misère en miroir contrasté (portrait de jeune fille). On dirait que des formes flottantes habitent l'Intérieur ; la fatigue du jour et le geste envolé glissent des cadres aux coussins. A jouer sur un mot connu, l'artiste est de ces initiés pour qui le monde infravisible existe.
De ces portraits, un seul peut-être, a "du style". Les autres ont leur style. Ils le tirent de leur essence. L'accessoire n'y est de rien : Voyez ces corps inoccupés et ces décors diffus. Un milieu monotone suffit à des apparitions qui nous imposent, une à une, leur raison de vivre, leur mission de souffrir. Femme peignant des femmes, Mlle de Bosnanska sait les détours où leur grâce se blesse. A l'esclavage du désir, elle préfère la rédemption de la douleur. Cette catégorie d'une beauté, pareille à la beauté virile, plus morbide, l'art moderne ne l'a pas découverte ; mais, sans esprit de revendication, en caractérisant seulement notre siècle, il collabore au féminisme. Trente portraits ici fortifient l'argument que l'on tire de l'œuvre de Berthe Morisot et de Mary Cassatt. » (Jules Rey, op.cit., p.1-3)
Le
second grand article paraît dans L’Art et les artistes en 1913. Il est illustré de sept portraits dont celui
des Trois sœurs du musée de Cracovie…
…
et celui de la Jeune femme en blanc, présenté au Salon de 1912 et
acheté pour le musée du Luxembourg.
Et enfin celui du comte Zygmunt Puslowski, un ami et mécène d’Olga, que j’ai dû « piquer » dans une vidéo à laquelle on peut accorder sa confiance :
« "Une séance de portrait, disait un jour M. Albert Besnard, est un duel !" Hélas ! Ce duel est souvent "chiqué", et le peintre se fait parfois complice
du modèle. Mlle Olga de Boznanska ne connaît point ces petites lâchetés. Son
art est d'une sensibilité toute féminine, et la mièvrerie, pourtant, en est
exclue. Certes, elle se plaît aux arabesques ondoyantes, elle affectionne le
contour sinueux, ce que Hogarth nomme joliment "la ligne de grâce" mais la
vérité psychologique reste le principal objectif de notre portraitiste.
Aussi, c'est avec joie— j'allais écrire avec reconnaissance — que l'on retrouve
chaque année, au milieu du Salon de la "Société Nationale", les effigies d'un
art si humain, si tendre, si compréhensif, de M"° Olga de Boznanska. Elle
ne peint pas des yeux, mais des regards ; non une bouche mais un sourire ou un
sanglot, un rictus barbare ou candide. Elle possède le don merveilleux d'exprimer la
spiritualité qui se dégage d'une main : tout doit lui servir à rendre
matériellement visible une âme inquiète qui se cache, se sachant observée. […]
Du fond d'un cadre ancien, un visage vient lentement vers nous, sourit de ses yeux rêveurs, de sa bouche appâlie. Le regard interroge et fascine. L'image luit avec douceur, tel un rubis dans l'ombre riche de Rembrandt. Art de suggestion, d'envoûtement, d'enveloppe vaporeuse et de mystère. Et sous ce flou apparent, sous cette imprécision caressante et voulue, s'inscrit le plus ferme modelé, le plus sûr dessin. »
« Outre
le passionnant intérêt psychologique que révèle cet art subtil et délicat, il y
faut admirer la très belle matière picturale, vivante, semble-t-il, comme celle
des plus savoureux Renoir. Le coloris n'éclate pas en fanfares assourdissantes
; il chante mezzo voce de prenantes mélodies. Accords expressifs, harmonies
rares et raffinées des tons : gamme nuancée des roses pâles, des gris perle,
des verts d'eau, des beiges légers, des bleus tendres. Brumes ouatées ;
mousselines aériennes.
Je ne vous ferai point, à mon tour, le portrait de Mlle Olga de Boznanska ; regardez ses toiles : elles vous parleront d'elle, bien mieux que je ne saurai jamais le faire. […] Elle est sociétaire à la Société Nationale des Beaux-Arts et à "l’International Society" de Londres. Quatre médailles d'or — qui lui furent décernées à Vienne en 1894, à Londres en 1900, à Munich en 1905, à Pittsburgh en 1907 vinrent sanctionner son admirable effort, sa vie de labeur opiniâtre et tranquille. » (Max Goth, « Olga de Boznanska », L’Art et les artistes, 1er octobre 1913, p. 129 à 134)
Un autre portrait d’Olga rencontre un bon succès critique du Salon de 1913, celui d’Henryk Sienkiewicz (1846-1916), romancier, chroniqueur et lauréat du prix Nobel de littérature en 1905, dont le roman Quo Vadis ? (1896) connut un grand succès lors de sa publication en France, en 1900.
Bien
que peu mondaine et d’un tempérament solitaire, Olga est intensément impliquée sur
la scène artistique et enseigne la peinture à l’Académie Colarossi et à
l’Académie de la Grande Chaumière.
Je suis très sensible à cette Vue brumeuse et peine de charme qu’il faut regarder agrandie pour en saisir toute l'intensité. Olga, très timide, ne peignait jamais en plein air. Toutes ses vues extérieures sont peintes depuis une fenêtre.
En
1932, Olga figure dans le catalogue de l’exposition des Femmes Artistes Modernes
(FAM), où elle montrait deux portraits de femmes.
Sa consécration arrive en 1938, quand elle reçoit la plus haute décoration civile de Pologne, la médaille de l’ordre Polonia Restituta.
Mais c’est aussi le moment où décline l’intérêt du public pour ses portraits mystérieux.
La fin de sa vie est difficile. Presque sans revenu, à part celui du loyer de sa maison de Cracovie héritée de son père, affectée par le suicide de sa sœur, elle est séparée de ses amis polonais par le début de la Seconde guerre mondiale.
Elle meurt seule, le 26 octobre 1940, à l’hôpital parisien des sœurs de la Miséricorde puis est inhumée au cimetière polonais des Champeaux, près de Paris.
Aujourd'hui, Olga Boznańska est considérée comme l'une des peintres les plus importants de l'histoire
de l'art polonais mais il a fallu attendre 2014 pour que le musée de Cracovie,
puis celui de Varsovie en 2015, lui accordent enfin l’honneur d’une exposition
rétrospective.
Je termine évidemment par quelques natures mortes, parfois proches de l'abstraction. Elles lui ont permis de tenir lorsque ses portraits se sont moins bien vendus.
Et
enfin, cette charmante Nature morte au réveil que le musée de Kielce ne
montre hélas pas en ligne…
*
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