dimanche 6 août 2023

Vanessa Bell (1879-1961)


Autoportrait – vers 1915
Huile sur toile marouflée sur panneau, 63,8 x 45,9 cm
Yale Center for British Art, New Haven, Connecticut


Vanessa Stephen est née le 30 mai 1879 dans une famille de la classe moyenne supérieure, connue pour ses activités intellectuelles et artistiques. Son père, Sir Leslie Stephen, est écrivain, enseignant et critique littéraire, sa mère Julia, née Jackson a été le modèle préféré de sa tante, la célèbre photographe victorienne Julia Margaret Cameron. Enfin, la sœur cadette de Vanessa deviendra la célèbre romancière Virginia Woolf. La famille compte aussi deux garçons, Thoby et Adrian.

 

Photographe inconnu
Vanessa (à droite) et Virginia jouant au cricket – vers 1894
Harvard University, Massachusetts


Vanessa commence à étudier le dessin en 1896 auprès d’Arthur Stockdale Cope, académicien et portraitiste de la haute société britannique.

 

Arthur Stockdale Cope (1857-1940)
George Armitstead, député de Dundee – 1895
Huile sur toile, 127 x 86,3 cm
Dundee Art Galleries and Museums Collection

 

En 1901, Vanessa est admise comme élève à la Royal Academy de Londres où John Singer Sargent sera son professeur pendant trois ans. Américain, il a étudié à Florence et à Paris où il a fréquenté Monet. Son tableau, Carnation, Lily, Lily, Rose (1886) a été remarqué à la Royal Academy et immédiatement acheté par la Tate. Très novateur, il est en train de devenir la coqueluche de la haute société anglo-saxonne pour ses portraits. Cosmopolite, il encourage ses étudiants à sortir d’Angleterre pour « voir la lumière du soleil et ce qui doit être vu. »

 

John Singer Sargent (1856-1925)
The Wyndham Sisters - 1899
Huile sur toile, 292 x 213,7 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


Lorsque Leslie Stephen meurt en 1904, la famille s’installe 46 Gordon square dans le quartier de Bloomsbury. Dans la nouvelle maison, Vanessa fait peindre les murs en blanc, scandale assuré dans l’Angleterre victorienne !

Les quatre enfants Stephen vont aussi voyager, en Italie où Vanessa découvre les maîtres anciens, puis à Paris où elle visite l’atelier de Rodin et le Salon des artistes français qui n’est pas celui de l’art moderne. Elle rentre à Londres passablement déçue.

A son retour, Vanessa fréquente brièvement la Slade School of Art et fonde, dès l’année suivante, un groupe de discussion entre amis artistes, le Friday Club, auquel participent Mary Creighton, Gwen Raverat, Clive Bell, Ducan Grant, John Nash, Henry Lamb, Bernard Leach, Saxon Sydney Turner et Mark Gertler. Le groupe monte des expositions dans de petites galeries londoniennes.

Vanessa admire déjà la peinture de Ducan Grant. Elle lui achètera bientôt une toile, les Cueilleurs de citron :

 

Duncan Grant (1885–1978)
Lemon Gatherers – 1910
Huile sur toile, 56,5 x 81,3 cm
Tate Britain, Londres


De son côté, son frère, Thoby Stephen, reçoit le jeudi ses amis de Cambridge, écrivains et critiques.

L'écrivain Lytton Strachey, le critique d'art Clive Bell, l'éditeur Leonard Woolf et l'économiste John Maynard Keynes constituent le noyau central du Bloomsbury Group, un groupe de libres penseurs que Richard Sone a décrit en ces termes (traduction personnelle) : « Le style de vie qu’ils ont adopté était un mélange complexe d’héritage et de préférences personnelles. Il y avait une touche de camping, une joyeuse improvisation domestique qui se heurtait de façon comique au confort solide d’une classe moyenne à la culture exigeante. Il n’y avait rien d’affecté là-dedans, même si la jouissance esthétique du cadre de vie était souvent placée avant toute autre considération. Cela paraissait à certains intolérablement bohème et désordonné, pour d’autres, ça ne l’était pas suffisamment. Mais dans ce cadre, il y avait la place pour un travail acharné et une constante activité. » (Richard Stone, Vanessa Bell, Duncan Grant, and their circle, Londres, Phaidon, 1976).

Pour une analyse plus détaillée du Bloomsbury Group , voir la notice de Dora Carrington.

Dans les deux cénacles de Gordon square, on peut échanger des idées librement, sans subir la pesanteur des convenances et de la morale victorienne. Dans une lettre à Clive Bell, Vanessa souligne l’intérêt de ces réunions en petit comité : « Le principal me semble être que, comme vous le dites, il faudrait éradiquer la politesse. Nous pouvons arriver au point de nous traiter mutuellement de connards et d'adultères quand l’audience est restreinte et triée sur le volet, ce que nous ne pourrions pas faire avec un plus grand nombre de personnes qui pourraient ne pas se sentir tout à fait à l’aise. » (Source : Tate Britain)

Ce n’est donc pas un hasard si la conversation et l’échange constituent un thème qui revient régulièrement dans les œuvres de Vanessa, pourtant décrite comme une « taiseuse ». Mais peut-être est-ce chez elle une métaphore de l’échange visuel réciproque entre artistes, au travers de leurs œuvres ?

 

George Charles Beresford (1864-1938), photographe
Portrait de Vanessa Bell


Clive Bell la demande en mariage à deux reprises mais ce n’est qu’après le décès de Thoby, terrassé par la fièvre typhoïde en 1907, que Vanessa accepte de l'épouser. Ils ont rapidement deux fils, Julian (1908) et Quentin (1910). Vanessa est happée par ces maternités rapprochées et peint ses fils à longueur de journée (elle écrira aussi des nouvelles pour enfants qui ne seront pas publiées). Bell se lasse et les deux époux se séparent juste après la naissance de Quentin mais resteront mariés et solidaires toute leur vie.

 

Julian Asleep – 1908
Huile sur toile, 19 x 29,5 cm
Charleston Farmhouse, Lewes
© The Estate of Vanessa Bell


Vanessa participe en 1909 à la prestigieuse New English Art Club Exhibition. Elle y montre Coquelicots d’Islande, où l’influence de Sargent et plus encore celle de James Abbot McNeil Whistler (1834-1903) qu’elle admire, est sensible. 

Mais la composition est moderne, déjà réduite à l’essentiel : un pot de pharmacie français du XVIIIe siècle, une bouteille contenant un médicament (ou du poison ?), un bol et trois coquelicots coupés (symbole de la mort chez les Préraphaélites), deux blancs, un rouge, une sorte de « vanité ».

La nature morte est alors peu connue en Angleterre. Elle a pu découvrir celles de Chardin, dont des œuvres ont été présentées à Londres en 1907. William Nicholson (1872-1949) a peint ses premières natures mortes en 1907 également. Cela reste donc un choix audacieux.

 

Iceland Poppies -1908/1909
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Charleston Farmhouse, Lewes
© The Estate of Vanessa Bell


Dans une de ses rares critiques d’expositions, Duncan Grant fait l'éloge de « l'exquise nature morte de Mme Clive Bell » et le peintre Walter Sickert (1860-1942), membre influent du Camden Town Group, la complimente également : « Je ne savais pas que vous étiez peintre, continuez ! »

Vanessa resta très attachée à cette œuvre, qu’elle exposait chez elle avec celles des plus grands peintres de sa collection. Elle ne s’en séparera que très tard, pour la donner à Duncan Grant.

 

La même année 1909, Roger Eliot Fry intègre le Friday Club. C’est un peintre et historien de l’art qui a enseigné à la Slade School of Fine Art de Londres et dont les conférences ont enthousiasmé George Bernard Shaw. Il a voyagé en France et en Italie, a participé à la création du Burlington Magazine et rentre à peine de New York où il a été conservateur du département des peintures du Metropolitan.


Roger Eliot Fry (1866–1934)
Studland Bay, Dorset – 1911
Huile sur toile, 62 x 92 cm
Touchstones, Rochdale
© Photo Bridgeman Images

Fry est passionné par Gauguin et Cézanne et organise aux Grafton Galleries, en 1910, une première exposition, intitulée « Manet et les post-impressionnistes », terme qu’il invente pour désigner les courants qu’on appelait alors en France « synthétisme » et « fauvisme ». Il s’agissait de rendre l’art moderne français intelligible pour le public anglais, pour lequel cette exposition a constitué un « tremblement de terre » (Desmond MacCarthy).

Les huit toiles de Manet - dont l’encore scandaleux Bar aux Folies Bergères - sont présentées comme une référence de la modernité car ce qu’il est principalement question de montrer, ce sont Gauguin (36 toiles), Van Gogh (22 toiles) et surtout Cézanne (21 toiles), ainsi que leurs successeurs, Picasso, Matisse, Derain, Seurat, Signac, Sérusier, Vallotton, Redon, etc.

Et surtout, dans l’introduction du catalogue, rédigée par Desmond MacCarthy à partir de notes de Fry, apparaissent plusieurs concepts qui vont jouer un rôle important dans la théorisation du post-impressionnisme en Angleterre.

« Les notions d’expression et de design sont primordiales : à l’imitation passive des apparences naturelles et à tout fonctionnement narratif de l’œuvre d’art se substitue l’expression individuelle de l’artiste, sa capacité de transmettre une émotion née de son interprétation du visible. Le propre du tableau post-impressionniste est sa capacité d’appréhender par la forme les relations essentielles constitutives de l’objet, d’exprimer ce que l’introduction désigne comme ‘’the treeness of the tree’’ (« l’arbritude de l’arbre »). A cet égard le concept de design tient une place fondamentale. La représentation n’est pas imitation des apparences mais design : dessin et dessein ; elle est visée subjective ayant pris forme. » (Anne-Pascale Bruneau, « Aux sources du post-impressionnisme, Les expositions de 1910 et 1912 aux Grafton Galleries de Londres », Revue de l’Art, n°113, 1996-3, p.7 à 18, consultable en ligne.)

 

L’année suivante, les jeunes artistes découvrent les Ballets Russes de Diaghilev qui se produisent pour la première fois à Londres et, avec eux, les décors de Braque, Picasso, Matisse, de Chirico et les costumes de Natalia Gontcharova.

Fry accompagne Vanessa lors d’un voyage en Grèce et en Turquie et ils commencent une relation amoureuse qui ne durera pas, ce dont Fry aura bien du mal à se consoler.

 

Roger Eliot Fry (1866–1934)
Vanessa Bell painting – vers 1914
Encre sur papier, 25 x 37,4 cm
Museum of Modern Art, New York


Sur le plan de l’histoire de l’art, en revanche, la première tentative de Fry a été plus que productive : en 1912, il peut présenter ensemble peintres français et anglais dans une seconde exposition, mise en scène par lui-même, Vanessa et Grant. Le post-impressionnisme est adopté en tant que mouvement artistique britannique et même les critiques d’art les plus hostiles commencent à adopter le langage de la forme imposé par Fry.

 

Catalogue de l’exposition
Dessin de Duncan Grant
Source : The Frick Collection

Côté français, Van Gogh et Gauguin ont disparu des cimaises. Restent les maîtres, Cézanne, Picasso et Matisse ; des fauves et des cubistes, Braque, Lhote, Derain, Vlaminck, Marchand, Marquet, Bonnard, Doucet et quelques autres, comme Jacqueline Marval, seule représentante féminine de la modernité française. 

Côté britannique, participent à l’exposition Bernard Adeney, Vanessa Bell, Frederick Etchells, Jessie Etchells, Spencer Gore, Duncan Grant, Henry Lamb, Wyndham Lewis, Stanley Spencer, et bien sûr Roger Fry.

L’introduction du catalogue du groupe anglais est rédigée par Clive Bell qui revient sur plusieurs concepts, notamment celui de « forme significative » qu’il explicitera ensuite dans son livre Art, de 1914 : « des lignes et des couleurs combinées d’une manière particulière, certaines formes et des relations de formes, qui suscitent nos émotions esthétiques. »

Vanessa montre quatre toiles, dont La Dame espagnole, Asheham House et Strudland Beach. Tentative réussie.

 

The Spanish Lady – 1912
Huile sur carton, 76,5 x 53 cm


Asheham House – 1912
Huile sur carton 47 x 53,5 cm
Collection particulière
© The Estate of Vanessa Bell

 

La Plage de Strudland, son tableau le plus remarqué, est innovant à plus d’un titre. D’abord par son thème. La plage, que Vanessa avait pratiquée l’été précédent avec des amis, est un loisir peu fréquent à l’époque.

Ensuite, par sa « forme significative », purgée de récit ou de détails circonstanciels et aussi– mais c’est une appréciation personnelle – par la présence de cette cabine de bain qui se profile massivement devant une mer sans horizon. L’œuvre est alors considérée comme l’une des plus radicales de l’époque, en Angleterre.

 

Strudland Beach – 1912
Huile sur toile, 76,2 x 101,6 cm
Tate Britain, Londres

« Les personnages du premier plan semblent observer ceux du coin supérieur droit, attirant l’attention sur l’acte de perception impliqué dans une peinture. Tous les personnages tournent le dos au spectateur, orientés comme le tableau lui-même vers la mer. » (Extrait de la notice du musée)

D’autres peintres ont aussi du succès, comme Spencer Gore, un disciple de Sickert…

 

Spencer Gore (1878-1914)
Letchworth Station – 1912
Huile sur toile, 81,9 x 94,5 cm
National Railway Museum, York


… et Duncan Grant qui montre notamment ces Danseurs :



Ici, petite remarque d’étonnement : selon un conservateur de la Frick Collection, qui a visiblement travaillé longuement le sujet, le tableau ci-dessous a été peint pas Vanessa Bell. Il est aujourd’hui attribué à Roger Fry par le musée d’Orsay où il est conservé…

 

Roger Fry ou Vanessa Bell ?
Une salle à la seconde exposition post-impressionniste – 1912
Huile sur bois, 60,5 x 50,5 cm
Musée d’Orsay, Paris

Deuxième étonnement : on reconnaît clairement, à gauche de la porte, Le Luxe II de Matisse mais… avec une baigneuse en moins.

Henri Matisse (1869-1954)
Le Luxe II – 1907
Détrempe sur toile, 209,5 x 139 cm
Statens Museum for Kunst, Copenhague


L’exposition sera en partie reprise en mai 1912 à la galerie Barbazanges, à Paris, sous le titre « Quelques indépendants anglais. »

Là-dessus, Vanessa et Virginia vont passer l’été dans la maison d’Asheham (résidence de campagne du couple Woolf) et Vanessa peut s’attaquer tranquillement à un thème bien exploré par les peintres modernes…

 

 Landscape with Haystack, Asheham – 1912
Huile sur bois, 60,3 x 65,7 cm
Smith College Museum of Art, Northampton, Massachusetts


On imagine que l’été offre l’occasion de nombreuses Conversation(s)…

 

Conversation Piece at Asheham House – 1912
Huile sur bois, 25 x 30 cm
University of Hull Art Collection


… et elle en profite pour exécuter un portrait de sa sœur auquel elle applique des principes moins rigoureux que ceux qu’elle mettra en œuvre pour son propre portrait, trois ans plus tard (voir l’Autoportrait en exergue). Il se trouve aujourd’hui à la Maison du Moine, dernière maison de Virginia.

 

Portrait de Virginia Woolf – vers 1912
Huile sur panneau, 55 x 45 cm
Monk’s House, Lewes


Mais elle en peint aussi un autre, beaucoup plus radical ! Dans toutes ces œuvres, la même technique du cerne noir et des couleurs, parfois sourdes, parfois exubérantes, appliquées d’un pinceau rapide.

 

Virginia Woolf – 1912
Huile sur bois, 40 x 34 cm
National Portrait Gallery, Londres


De la même année, date aussi cette Dame Byzantine, une expérimentation fauve…

 

Byzantine Lady – 1912
Huile sur toile, 72 x 51,5 cm


Quant à Roger Fry, il a une nouvelle idée. L’année suivante, il crée les « Omega Workshops », pour introduire les nouveaux concepts de design post-impressionnistes dans l'art décoratif. Vanessa et Duncan Grant, qui viennent d’engager une relation amoureuse, prennent la direction des opérations. Et Vanessa produit de nombreux objets, tapis, paravents, tissus d’ameublement, etc. absolument révolutionnaires à côté des productions « Art & Craft » alors très en vogue en Angleterre !

 

Bathers in a Landscape – 1913
Paravent – détrempe sur papier marouflé sur toile
Victoria & Albert Museum, Londres


L’influence de Matisse est ici particulièrement sensible, comme dans le projet de paravent ci-dessous. La Danse n’est pas très loin.

 

Ébauche d'un paravent - Adam et Eve – 1913/1914
Huile, gouache et crayon sur papier, 35,7 x 50,9 cm
The Courtauld Institute Gallery, Londres


Tissus d’ameublement pour Omega Workshops – 1913


Tapis pour Omega Workshops - vers 1914
Victoria & Albert Museum, Londres



Vase of Flowers - 1917
 Design pour Omega Workshops
Huile sur papier marouflé sur carton36,8 x 91,4 cm

Collection particulière (vente 2012)


Tea Things - 1919
Huile sur panneau37,5 x 94 cm
Collection particulière (vente 2012)

 

Ce qui ne détourne pas Vanessa de ses recherches picturales. On en voit les prémices dans la représentation de son univers domestique, où meubles et murs se fondent dans un effet marbré :


Bedroom, Gordon square – 1912
Huile sur toile, 56,3 x 46,2 cm
Art Gallery of South Australia, Adélaïde



Puis elle s’essaie à l’abstraction, dont elle montrera quatre exemples deux ans plus tard, dans l’exposition « The New Movement in Art » à la Mansard Gallery.

 

Abstract painting – vers 1914
Huile sur toile, 44 x 38,7 cm
Tate Britain, Londres


Composition – 1914
Gouache, aquarelle et papier de couleur sur papier, 55 x 43,7 cm
Museum of Modern Art, New York


A ce stade, il me paraît utile de rappeler que si la naissance de l’art abstrait est traditionnellement fixée en 1911, par le fameux Composition V de Kandinsky - a priori inconnu de Vanessa - ni Picasso, ni Braque ne l’ont expérimenté dans leurs collages. En juillet 1912, Delaunay a exposé à Zurich sa série semi-abstraite, Les Fenêtres, et Picabia et Léger des œuvres abstraites au Salon d’Automne. Les a-t-elle vues ? Si non, on peut penser qu’elle se sert de l'abstraction pour analyser les combinaisons de couleurs et leur interaction avec les formes et les textures ; une façon d’explorer la forme significative. Le fait qu’elle n’y reviendra pas ensuite plaide plutôt pour cette hypothèse…


Ceci étant, en janvier 1914, elle avait peint aussi Oranges et citrons, des fruits envoyés par Grant, en voyage en Tunisie. Elle lui avoue alors ne pas avoir alors pensé aux « théories modernes » mais s’être simplement laissée porter par la beauté de leur couleurs, dans son pot jaune italien…

 

Oranges and Lemons – 1914
Huile sur toile, 76 x 54 cm
Collection particulière

En septembre, elle rejoint Grant à Paris, pour l’assister dans la création des costumes de la Nuit des rois, au théâtre du Vieux-Colombier. Elle en profite pour rencontrer Matisse et Picasso dont elle va visiter les ateliers.

Dès son retour à Londres, elle crée une branche « Mode » pour Oméga Workshop et dessine des tenues au design épuré, bordées de tissus modernistes :

 

Corsage pour Omega Workshops – 1914
Lin blanc bordé de lin imprimé motif « Maud » dont un coupon est
conservé au Victoria & Albert Museum
Collection particulière (vente 2013)

Et elle confirme son retour à la peinture figurative avec, notamment, cette Conversation, une de ses très belles réussites à laquelle elle travaille plusieurs années.


A Conversation – 1913-1916
Huile sur toile, 86,6 x 81 cm
The Courtauld Institute Gallery, Londres
© Estate of Vanessa Bell. All rights reserved, DACS 2021


Cette conversation-là n’est sans doute pas une référence à celles du Bloomsbury ! On pense davantage à trois commères en train de fomenter une révolution de paroisse… La dimension humoristique n’échappe pas à Virginia Woolf qui écrit à sa sœur : « Je pense que vous êtes une peintre des plus remarquables. Mais je maintiens que vous êtes par-dessus le marché, une satiriste, une passeuse d'impressions sur la vie humaine : une nouvelliste d'un grand esprit, capable d'exposer une situation d'une manière qui suscite mon envie. » (Source : Tate Britain).

Les deux sœurs sont liées par une admiration réciproque.


Vanessa et Grant peignent parfois ensemble, comme en témoigne ce double Dessus de cheminée de Gordon square. Pour autant, si le thème est identique, l’approche est différente. Vanessa adopté un point de vue en forte contreplongée, mêlant boîtes en carton et fleurs en papier (bien entendu fabriquées par Omega Workshops) qui sont autant de formes fracturées, presque abstraites.

 

Still Life on Corner of a Mantelpiece - 1914
Huile sur toile, 55,9 x 45,7 cm
Tate Britain, Londres

Ducan, lui, s’installe à hauteur et se distingue par l'utilisation de papier découpé collé sur la surface de la peinture et une palette adoucie.

 

Duncan Grant (1885–1978)
The Mantelpiece – 1914
Huile et papier collé sur bois, 45,7 x 39,4 cm
Tate Britain, Londres


Je place ici ce Paysage sans date, onirique et séduisant…

Landscape (verso) – sans date
Huile sur toile, 72,8 x 55,7 cm
Museum The Wilson, Cheltenham

… parce que je suppose que le « recto » de cette toile est cette nature morte qui a les mêmes dimensions, appartient au même musée et qui lui a été offerte à la même date par la même société d’amis du musée… et que la palette de la seconde est celle de la fin des années 10, ce qui ne prouve évidemment pas que les deux faces de la toile ont été peintes à la même période !

 

Window, Still Life – sans date
Huile sur toile, 72,8 x 55,7 cm
Museum The Wilson, Cheltenham

Lorsque la Première Guerre mondiale commence, Grant, qui est objecteur de conscience comme la plupart des membres du Bloomsbury, doit s’exiler à la campagne pour travailler comme ouvrier agricole. Il part avec son amant du moment, le peintre David Garnett.

Pendant ce temps, Vanessa et Clive Bell s’installent dans la maison de Virginia, à Asheham. C’est là que Vanessa conçoit les Bouteilles sur une table, plus tard désignées par Fry sous le titre Triple Alliance, dont je suppose qu’il fait référence à la « Triple entente », accord signé en septembre 1914 entre la France, l’Angleterre et la Russie.

 

Bottles on a Table (Triple Alliance) – 1914
Collage de papier, huile et pastel sur toile, 81,9 x 60,3 cm
The Stanley & Audrey Burton Gallery, University of Leeds


Les historiens d’art soulignent aujourd’hui l’hommage à Picasso que constitue cette nature morte. Il est en effet assez probable que Vanessa a vu ce type de collage dans l’atelier de Picasso, peut-être même la fameuse Bouteille de Suze. Comme Picasso, elle utilise des fragments de journaux qu’on peut lire mais dans le sien, on voit aussi des horaires de train et des publicités. La guerre hante presque clandestinement le quotidien domestique de Vanessa.

« Toute peinture vaut la peine tant que l'on exprime honnêtement ses propres idées. » a-t-elle écrit à Snowden, son ami de la Slade School of Art.

 


Et elle reprend aussi, façon cubiste, un portrait réalisé deux ans plus tôt :

 

Portrait de Molly MacCarthy – 1912
Huile sur panneau59,7 x 44,5 cm
Collection particulière (vente 2004)

Portrait of Molly MacCarthy -1914/1915
Gouache, huile et collage sur panneau, 92 x 75 cm
Collection particulière


En 1916, Grant et Garnett s’installent ensemble à Charleston Farm, à Firle dans le Sussex. Une grosse maison avec de nombreuses dépendances agricoles et un jardin clos. Vanessa et ses enfants viennent les rejoindre. Ceux qui connaissent déjà Dora Carrington ne seront pas surpris, la plupart des membres du Bloomsbury pratiquent une sexualité très libre.

Pour autant, deux tableaux de Vanessa appellent l’attention sur un sentiment qu’elle a parfois laissé entendre dans ses lettres à ses amis du Bloomsbury Group, la jalousie.

Son Portrait de Garnett, d’une part…

 

David Garnett – 1915
Huile et gouache sur carton, 76,4 x 52,6 cm
National Portrait Gallery, Londres

 

… et celui de la romancière Mary Hutchinson, qui se trouve être la maîtresse de Clive Bell. 

 

Mme St John Hutchinson – 1915
Huile sur panneau, 73,7 x 57,8 cm
Tate Britain, Londres


Lors de la première exposition du portrait, à la consternation du galeriste, Vanessa Bell écrit en commentaire : « C’est parfaitement hideux et pourtant tout à fait reconnaissable ». Appréciation que je partage, pour ma part, en ce qui concerne le portrait de Garnett… !

Et je ne résiste pas à l’envie de placer ici une de ses réalisations d'Omega Workshops (en l'occurrence une tête de lit) pour la même Mary Hutchinson. Si l’on se souvient de la symbolique du coquelicot, telle qu’elle l’a développée dans sa première nature morte, on évalue sans peine le degré d’affection qu’elle portait à la dame…


Nude with Poppies – 1916
Huile sur toile, 23,4 x 42,2 cm
Musée et Galerie d’Art de Swindon

Walter Sickert citera cependant le Portrait de Mme Hutchinson - où Vanessa a intégré des éléments géométriques, comme elle le fait souvent - parmi les chefs-d’œuvre de l’art moderne.

Quoi qu’il en soit, Charleston devient rapidement l’un des lieux de villégiature réguliers des membres du Bloomsbury.

 

Photo d’amis dans le jardin de Charleston
Source : Tate Britain

Dans la grande maison un peu délabrée, Vanessa et Grant installent un décor qui ressemble à ceux qu’ils inventent pour Omega Workshops, portes colorées, motifs au pochoir sur les murs, habillage de cheminées, meubles peints et poteries diverses, dont on perçoit l’écho jusque dans les natures mortes de Vanessa :

 

Bottles and Jug on a Table – 1915/1917
Huile sur toile, 81,5 x 62 cm
Monk’s House, Lewes


Penelope Fewster, photographe
Le salon de Charleston tel qu’il est resté, aujourd’hui
© The Charleston Trust


Anne Liébovitz, photographe
L’atelier, Charleston
© The Charleston Trust


Ils vont aussi y installer leurs portraits, comme celui-ci, qu’une photo de l’époque montre posé près d’une bibliothèque.

Duncan Grant (1885–1978)
Vanessa Bell – 1915
Huile et collage sur bois, dimensions non communiquées
Charleston Farmhouse, Lewes

Grant en a peint aussi une version à l’huile, dans la même robe. On ne peut pas dire que ses portraits de son amie soient particulièrement flatteurs…

 

Duncan Grant (1885–1978)
Vanessa Bell – vers 1918
Huile sur toile, 94 x 60,6 cm
National Portrait Gallery, Londres


Le travail de Vanessa reste, dans ses thèmes et son style, d’inspiration très moderniste :


 Seated Female Nude – vers 1915
Huile sur toile, 62,2 x 50,8 cm
Collection particulière (vente 2006)

 

The Tub – 1917
Huile et gouache sur toile, 180,4 x 166,6 cm
Tate Britain, Londres

Cette peinture de grand format était destinée au jardin d'hiver de Charleston Farm. Elle n'a jamais été installée et a été gardée pliée. Elle n’a été redécouverte que dans les années 1970.

Moderniste aussi, son Duncan Grant in front of a Mirror (1916) qu’on peut entrevoir (en tout petit) sur le site du MET et la Vue de l’étang de Charleston, avec son rideau à motifs et ses taches colorées qui évoquent Matisse.

 

View of the Pond at Charleston, East Sussex – vers 1919
Huile sur toile, 79,8 x 84 cm
Museums Sheffield


En 1917, Virginia et son mari, le publiciste Leonard Woolf, créent une maison d’édition, Hogarth Press. Les livres de Virginia y seront publiés, avec des couvertures signées Vanessa Bell.

 

Jaquette conçue par Vanessa Bell pour la première édition de 
To the Lighthouse de Virginia Woolf
Publiée par Hogarth Press en 1927

Jaquette conçue par Vanessa Bell pour la première édition de 
The Waves de Virginia Woolf
Publiée par Hogarth Press en 1931

Jaquette conçue par Vanessa Bell pour la première édition de 
Three Guineas de Virginia Woolf
Publiée par Hogarth Press en 1938

En miroir, Virginia préfacera les catalogues des expositions de sa sœur…

 


Le jour de Noël 1918, Vanessa donne naissance à une fille, Angelica. Probablement parce que Vanessa et Clive Bell sont toujours mariés, Angelica porte le nom de Bell et n’apprendra qu’elle est la fille de Duncan qu’à l’âge adulte. Il semble que cette naissance ait marqué la fin de la relation amoureuse entre les deux peintres mais ils continueront à partager leur espace de vie et leur cheminement artistique.

 

Vanessa Bell, photographe
Angelica, Clive Bell, Stephen Tomlin et Lytton Strachey
dans le jardin de Charleston – 1926
Impression instantanée au bromure, 79 x 103 cm
National Portrait Gallery, Londres


En 1919, Omega Workshops ferme ses portes mais Vanessa et Grant continuent à créer régulièrement des objets, vibrants et audacieux, pour leurs amis et leur clientèle.

 

Duncan Grant (1885-1978) et Vanessa Bell (1879-1961)
Les Muses des Arts et des Sciences – 1920
Etudes de peintures murales pour l’appartement de John Maynard Keynes
 à King's College, Cambridge
Huile sur toile83,8 x 35,5 cm
Collection particulière (vente 2012)

L’année suivante a lieu la première exposition personnelle de Grant. Il a du succès et en profite pour voyager partout en Europe. Vanessa le retrouve à la Maison blanche, louée à Saint Tropez, où ils vont passer plusieurs mois avec les enfants. Vanessa peint son environnement d'une palette douce…

The Harbour, Saint Tropez – vers 1921
Huile sur panneau, 39 x 31 cm
Charleston Farmhouse, Lewes
© Estate of Vanessa Bell, All rights reserved, DACS 2023


Interior with a table – 1921
Huile sur toile, 54 x 64 cm
Tate Britain, Londres


Elle se remet plus intensément à la peinture quand sa fille a un peu grandi. En 1922 et 1923 apparaissent des études de nus d’après modèles. Il en existe un féminin à la Tate Britain et un masculin en collection particulière dont je ne montre qu’un détail pour ne pas choquer d’éventuels visiteurs juvéniles (sait-on jamais !).

Mais comme il a été peint à Charleston, il révèle un petit morceau de la décoration de l’atelier !

 

Seated Model at Charleston (détail) – vers 1922
Huile sur toile, 72,5 x 53,5 cm
Collection particulière (vente 2009)


En 1922, Vanessa bénéficie enfin de sa première exposition personnelle à la London's Independent Gallery. Il semble que cette nature morte y figurait mais je n’ai pas pu vérifier.

 

Still Life with Apples in a Bowl – 1919
Huile sur toile30,5 x 35,5 cm
Collection particulière (vente 2008)

Elle expose également avec le London Group qu’elle a rejoint en 1919 (c’est une nouvelle version du Camden Town Group de Walter Sickert) et avec la London Artists 'Association à partir de 1925.

 

Ensemble de neuf carreaux représentant des baigneuses – 1926
Faïence, 46 x 46 cm
Victoria & Albert Museum, Londres
(Matisse, encore…)


Au début des années 30, Vanessa peint ces trois femmes immobiles et silencieuses, dans un espace étrangement encombré de canapés et de fauteuils, de rideaux et d'un vase. Une sorte de résumé de la peinture moderne (et un hommage évident à Matisse). Le titre a-t-il un lien avec le livre de sa sœur, A Room of One's Own (Une chambre à soi) paru l’année précédente ? Est-ce sa façon d’exprimer que la vie créative des femmes est encombrée de choses domestiques ? Est-ce la fin des conversations ?

 

The other Room – 1930
Huile sur toile, 161 x 174
Collection particulière
 © The Estate of Vanessa Bell


Ensuite, alternent portraits familiaux et amicaux, vues de Charleston et de voyages, en France et en Italie…



Aldous Huxley - vers 1931
Huile sur toile, 71,1 x 56 cm
National Portrait Gallery, Londres



Intérieur avec Duncan Grant – 1934
Huile sur toile
Williamson Art Gallery & Museum, Prenton


The Forum, Rome –  1935
Huile sur toile, 53,5 x 37
Charleston Farmhouse, Lewes



Duncan Grant in the Garden at Charleston – vers 1937
Huile sur toile, 45,5 x 36,2 cm
Collection particulière (vente 2001)


Quentin Bell Reading – 1936/1938
Huile sur toile, 58,5 x 43,5 cm
Monk’s House, Lewes



The Goldfish Pond, Charleston - 1939
Huile sur carton entoilé35,6 x 25,4 cm
Collection particulière (vente 2008)


A la fin des années 30, Vanessa participe à la fondation de l’Euston Road School qui s’oppose aux styles avant-gardistes pour des raisons politiques : il s’agit de créer une art compréhensible au plus grand nombre. Il semble bien que temps de l’expérimentation soit fini… mais cela n’empêche pas de s’amuser un peu.

En 1932, Kenneth Clark, nouveau directeur de la National Gallery, a commandé à Vanessa et Grant un service de table sur le thème des femmes célèbres, après avoir lui-même dîné chez un marchand d’art dans un service destiné à la Grande Catherine de Russie.

Deux ans plus tard, Vanessa et Duncan livrent cinquante assiettes dont ils ont eux-mêmes défini la liste, classée en quatre catégories : Beautés, Femmes de lettres, Actrices et Reines. Naturellement, Virginia figure dans les femmes de lettres. Et pour finir, ils se sont ajoutés eux-mêmes… 

La redécouverte de ce service est récente et j’en ai saisi quelques exemples sur le site de Charleston Farmhouse. (n’hésitez pas à cliquer pour agrandir !)

 

The Farmous Women Dinner Service – 1934
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021


Catégorie « Beautés » :  Elisabeth Siddal, artiste préraphaélite, poète
 et modèle d’artistes et Juliette Récamier
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021

A propos de ces deux autrices, on remarquera avec une pointe d’insolence que pour figurer parmi les femmes de lettres, il vaut mieux ne pas avoir été trop belles… 

 

Catégorie « Femmes de lettres » : les deux George…
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021



Catégorie « Reines » qu'il me paraît superflu de vous présenter !
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021


Catégorie « Actrices » : Nell Gwyr, une des actrices les plus célèbres 
de la scène anglaise du XVIIe siècle, et Sarah Bernhardt
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021



Et dans la catégorie « Auteurs de la blague », Vanessa et Duncan !
The Charleston Trust
© The Estates of Vanessa Bell and Duncan Grant, DACS 2021

Après cet épisode joliment créatif, la décennie devient douloureuse : en 1934, Roger Fry meurt brutalement après une chute et en 1937, le fils aîné de Vanessa, Julian, qui s’était engagé comme brancardier pendant la guerre d’Espagne, est tué pendant les combats. En 1941, Vanessa doit aussi affronter le suicide de sa sœur, Virginia Woolf, après avoir vu brûler, à la suite d’un bombardement, son atelier londonien du 8 Fitzroy Street, incendie dans lequel disparaît toute sa production de jeunesse.

Peut-être est-ce pour conjurer sa tristesse en commémorant les conversations qui ont cimenté la cohésion du Bloomsbury Group que Vanessa peint Le Club des Mémoires, où l’on reconnaît ceux qui sont encore vivants, auxquels s’ajoute une jeune recrue, son fils Quentin …

 

The Memoir Club – vers 1943
Huile sur toile, 60,8 x 81,6 cm
National Portrait Gallery, Londres

De gauche à droite, Duncan Grant, Leonard Woolf, Vanessa Bell, Clive Bell, David Garnett, Maynard et Lydia Keynes, Desmond et Molly MacCarthy, Quentin Bell et EM Forster.  Sur le mur derrière eux, les portraits des disparus : Virginia Woolf par Duncan Grant (1911), Lytton Strachey par Duncan Grant (1913) et Roger Fry par Vanessa Bell (vers 1933).

 

Pendant la guerre, Vanessa collabore avec ses deux enfants, Quentin et Angelica, à la réalisation des peintures murales de de l'église de Berwick dans le Sussex. C’est Angelica qui pose pour le personnage de Marie.


Annunciation– 1941/1943
Eglise de Berwick, Sussex


Ensuite, quelques voyages…

 

On the Steps of Santa Maria SaluteVenice – 1948
Huile sur toile, 49 x 36,5 cm
Collection particulière

The Duomo in Lucca – vers 1949
Huile sur toile, 44,5 x 37
Charleston Farmhouse, Lewes

 

…quelques créations décoratives…

 

Summer and Winter, design pour King’s College – vers 1950
Huile sur papier et collage, 76,2 x 61 cm (chacune)
Collection particulière (vente 2007)


… quelques natures mortes…


Nature morte, Asolo, Italie - 1955
Huile sur toile, 45,7 x 38,1 cm
Collection Particulière



… mais il semble bien que les Conversations soient terminées.


Autoportrait - vers 1958
Huile sur toile, 45 x 37 cm


Vanessa Bell est morte le 7 avril 1961 dans sa maison de Charleston.

 

*

 

Considérée dès son vivant comme la « mère au foyer » du Groupe de Bloomsbury, Vanessa Bell a disparu des mémoires à une vitesse record. Il faut dire que, non contente de ne parler ni de son travail ni d'elle-même, elle n’a jamais rien publié non plus. Nantie d’un époux critique d’art, d’un amant artiste à succès et d’une sœur volubile, avait-elle vraiment la place d’exister ?

Pourtant, elle avait des supporters : trois ans après sa mort, l’Arts Council Gallery de Londres monte « Vanessa Bell 1879–1961 : A Memorial Exhibition of Paintings » ; puis à la fin des années 60, la Tate achète deux de ses toiles, Still Life on Corner of a Mantelpiece et Helen Dudley. En 1976, la publication du livre de Richard Stone, Bloomsbury Portraits, relance un peu l’intérêt pour sa peinture.

En dépit de nombreuses expositions, à Londres et à New York, sur le Bloomsbury Group, elle reste suffisamment ignorée pour que le Royal Museum de Canterbury organise une exposition en 1983, afin de la remettre en lumière. Rien n’y fait.

En 1986, sa maison de Charleston est ouverte au public. Mais sur le site de Charleston aujourd’hui… à ma grande surprise, il n’y en a que pour Duncan Grant : « Collection été 2023 de Dior inspirée des tenues de Duncan », « Sélection de dessins érotiques de Duncan Grant, récemment découverts », « L’artiste contemporain Linder rassemble une série d’objets en dialogue avec Duncan Grant et Charleston », etc.

Heureusement, il y a un article sur la première nature morte de Vanessa, Iceland Poppies et, grâce à la « Journée internationale des femmes », l’historienne d’art Katie Hessel nous invite à découvrir « la vie extraordinaire et l’art révolutionnaire de l’artiste moderniste Vanessa Bell ». Ouf ! Mais c’est quand même un peu maigre.

Pourtant, en 1999, lorsque l’œuvre de Vanessa est présentée à la Tate dans le cadre de l’exposition « The Art of Bloomsbury », la critique d’art Fiona MacCarthy écrivait déjà que « la peintre Vanessa Bell était aussi radicale que l’écrivain Virginia Woolf ». Il suffit, pour s’en convaincre de regarder son Autoportrait de 1915 où elle s’enlaidit à plaisir, elle qui était si jolie, par refus de l’image conventionnelle de la beauté.

Vanessa Bell n’a pas été seulement la sœur de Virginia et l’amante de Roger Fry ou de Duncan Grant, mais une artiste qui a conversé longuement et avec succès avec le réseau européen de l’art moderne, depuis son petit atelier de Grande Bretagne. 

La dernière exposition « Vanessa Bell, 1879-1961 » a eu lieu en juin 2017 à la Dulwich Picture Gallery. J'ai eu le sentiment, en lisant les articles, que le public l'avait compris.

 

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Je termine en alternant natures mortes de vacances et celles peintes dans l’atelier de Londres ou à Charleston, dont on reconnait tout de suite l’atmosphère particulière.

 

Autumn Bouquet – 1912
Huile sur panneau, 73 x 51,7 cm
Collection particulière (vente 2021)


Arum Lilies – vers 1919
Huile sur toile, 74 x 45,8 cm
The Courtauld Institute Gallery, Londres
© Estate of Vanessa Bell. All rights reserved, DACS 2023


Aubergines and Onions, Saint Tropez – 1921
Huile sur panneau, 38 x 53,3 cm
Collection particulière (vente 2020)


Still life at a Window– 1922
Huile sur toile, 59,8 x 35,7 cm
The Courtauld Institute Gallery, Londres
© Estate of Vanessa Bell. All rights reserved, DACS 2023


Still Life of a Vase and Vegetables – vers 1928/1939
Huile sur panneau, 43,5 x 54 cm
Monk’s House, Lewes



White Roses – sans date
Huile sur toile, 51 x 40,5 cm
Collection d’Art du Gouvernement britannique


Flowers in a Ginger Jar – 1931
Huile sur toile, 61,7 x 51 cm
Musée de l’Ulster, Belfast

 





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