dimanche 22 octobre 2023

Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855)

 

Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855)
Autoportrait – sans date
Mine de plomb, crayon noir, rehaut de blanc sur papier, 37,1 x 25,6 cm
Musée du Louvre, Paris

Marie-Victoire Jaquotot est née à Paris, le 15 janvier 1772, seconde d'une fratrie de cinq. Elle est la fille de Denis François Jaquotot, greffier des audiences au Châtelet et de Marie Madeleine Delobel, dont le frère est orfèvre quai de l’Horloge. Dès son enfance, elle évolue donc dans un milieu relativement privilégié et suffisamment ouverts aux arts pour donner un enseignement artistique aux filles, ce que confirment ses dons musicaux, régulièrement soulignés au cours de sa carrière.

Jeune fille, elle entre dans l’atelier du peintre sur porcelaine, Etienne-Charles Leguay (1762-1846) qui exerce son art chez Dihl et Guerhard, une manufacture parisienne créée en 1781 et dont Leguay dirige la production pendant la Révolution.

Dans les années 1790, le créateur de la manufacture, Christophe Erasmus Dihl (1753-1830) met au point des couleurs pour céramique inaltérables à la cuisson. Son rapport sur le sujet, présenté fin 1797 à l'Institut national des sciences et des arts, est publié en janvier 1798 dans le Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des arts et fait grand bruit. Cette innovation technique participe au développement du décor sur porcelaine.

Victoire – je l’appellerai ainsi puisque c’est comme cela qu’elle signe - épouse son professeur le 17 juin 1794. Elle a vingt-deux ans.

 

Charles Etienne Leguay (1762-1846)
Portrait de Marie-Victoire Jaquotot, assise sur un divan – sans date
Miniature sur ivoire, 19 x 13,5 cm
Musée du Louvre, Paris
 

C’est une élève douée qui expose pour la première fois au Salon de 1796, presque clandestinement : « divers dessins de l’épouse du citoyen Leguay » complètent les miniatures présentées par son mari, sous le même numéro du catalogue. 

 

Etienne-Charles Leguay (1762– 1846)
Autoportrait avec son épouse Marie-Victoire Jaquotot – vers 1797/1800
Miniature sur porcelaine, 26 x 23 cm
Manufacture Dihl et Guerhard, Collection E.P.S.

En 1799, elle est inscrite au Salon avec son propre numéro, attribué à la « citoyenne Le Gay ». On comprend qu’il s’agit bien de Victoire car son adresse n’a pas changé, 17 rue de Bondi. Puis l’année suivante, c’est sous le nom de « Mme Leguay née Victoire Jaquotot », qu’elle expose deux études et un portrait. C’est la dernière fois qu’elle apparaîtra au Salon avec le nom de son mari dont elle divorce en 1801.

 

Autoportrait ? – sans date
Graphite sur papier, 34,5 x 28 cm
Manufacture et musées nationaux, Sèvres

En cette même année 1801, Victoire entre à la Manufacture de Sèvres, dirigée par Alexandre Brongniart (1770-1847), fils du célèbre architecte de la Bourse de Paris. Brongniart est un scientifique. Il a étudié la chimie, la pharmacologie, la zoologie, la médecine et a reçu, en 1794, le titre d’ingénieur des mines.

Il est sensible à une question qui agite les amateurs d’art depuis plus d’un siècle, celle de la préservation des chefs d’œuvre de la peinture. En 1727, le pape Benoît XIII, a institué « L’Atelier de mosaïque du Vatican » dont la direction a été confiée au maître mosaïste Pietro Paolo Cristofari. Sous son égide, l’Atelier est devenu une véritable entreprise, chargée d’exécuter des copies en mosaïque de tous les chefs d’œuvre de peinture présents dans la basilique Saint-Pierre, afin de transférer les originaux dans des lieux plus sûrs, tout en gardant intact, sous forme de mosaïques, l’appareil ornemental des autels.

De Rome, où ces copies ont suscité une grande admiration, la question lancinante de la protection des œuvres – et donc de leur reproduction puisque c'est alors la seule façon d'en garder l'image - s’est répandue dans toute l’Europe.

Les reproductions en mosaïque de la Transfiguration de Raphaël, de La Communion de saint Jérôme du Dominiquin, des Funérailles de sainte Pétronille du Guerchin hantent les esprits de nombreux peintres de talent et notamment celui de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) : « Il y a, disait-il, une pensée bien triste qui s’attache à toutes les créations de l’homme, celle de la destruction inévitable qui les attend dans un laps de temps donné : il serait à désirer qu’on s’occupât sans cesse et qu’on s’emparât des moyens d’éloigner, sinon de vaincre ce résultat fatal ». Soutenu par Prosper Mérimée, membre de la commission des Monuments historiques, il n’a de cesse que cette question soit enfin prise en compte par les manufactures de porcelaine car la céramique, réputée « inaltérable » et d’un rendu plus fin que celui de la mosaïque, apparaît alors comme le moyen idéal de préserver le patrimoine pour les générations futures.

Alexandre Brongniart considère donc qu’il relève de sa mission de transcrire sur porcelaine, dans son aspect « original », toute œuvre peinte sur un autre support. C’est la grande idée du moment, que l'on retrouve dans de nombreuses publications de l'époque.

Victoire, entrée à la Manufacture avec le rang de « peintre de figures », particulièrement prestigieux pour une femme - car la plupart des femmes sont « peintres de fleurs » - va servir avec brio l'ambition de Brongniart.

En 1803, Victoire met au monde un fils, Philippe, fils de l’architecte Jean Baptiste André Comairas. Philippe Comairas deviendra peintre, élève d’Ingres à l’école des Beaux-Arts, il sera second prix de Rome en 1833. Sa naissance, hors mariage, constitue un indice de l’émancipation de sa mère qui ne se remariera qu’en 1836 avec un certain Jean Bertrand Isidore Pinet.

A Sèvres, Victoire participe à des ouvrages collectifs comme le « Service olympique », créé en 1805 : cent quarante-quatre pièces ornées de scènes tirées de la mythologie gréco-romaine (d’où son nom) et qui comprenait également un surtout : un char portant Bacchus et Cérès, conduit par des bœufs, deux colonnes surmontées des figures d’Apollon et de Diane, deux rhytons, deux groupes des Trois Grâces en biscuit portant des coupes émaillées et quarante petits vases de quatre formes.

La réalisation des figures des soixante-huit assiettes est inégalement répartie entre plusieurs peintres : quarante et une sont confiées à Jean Georget ; Le Guay et Adam en créent sept chacun et Victoire huit, dont celle-ci :

 

Manufacture impériale de Sèvres
Victoire Jaquotot (1772-1855)
Service Olympique, assiette Apollon et Daphné – 1805
Porcelaine dure, diamètre 24 cm
Manufacture et musées nationaux, Sèvres

Cette unique image d’une assiette attribuée à Victoire me laisse un peu perplexe, quand je lis la description de chercheurs qui ont eu lesdites assiettes sous les yeux :

« Par opposition à la délicate palette d’Adam, les travaux de Marie-Victoire Jaquotot se distinguent par le dynamisme des couleurs et des compositions. Ses héros sont représentés au moment des plus intenses émotions. L’une de ses meilleures assiettes, L’Amour s’aperçoit de la grossesse de Psyché, emploie des tons contrastés de gris et de jaune rosé créant un sentiment de mystère et d’attente. Son superbe et dynamique Céphale et Procris, les amants gravant leurs noms sur le tronc d’un arbre, emploie des tons verdâtres et jaunes.

Le talent de Jaquotot est manifeste dans sa manière d’exprimer le moment du jour où se situe une scène. Il fait nuit dans L’Amour et Psyché, alors qu’une belle et chaude journée ensoleillée éclaire Céphale et Procris. La journée est également le moment choisi de Vénus et Adonis, où la déesse descend de son char sous les yeux surpris et ravis de son amant. Il faut reconnaître que les œuvres de Marie Victoire Jaquotot sont les plus proches par leur qualité des peintures de chevalet. » (Albert Baca et Irina Gorbatova, « Le service olympique du musée des armures au Kremlin », Sèvres. Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, n°5, 1996, p.40)

Hélas, dans cette étude, les chercheurs n’ont reproduit aucune assiette de Victoire et sur le site du Kremlin, on ne voit qu’une assiette de Le Gay, dont la facture paraît bien proche de celle que j’ai montrée plus haut…

 

Manufacture impériale de Sèvres
Pierre-André Le Gay (1772-1817)
Service Olympique, assiette Hélène et Pâris – 1805
Porcelaine dure, diamètre 24 cm
Palais des Armures du Kremlin, Moscou

Pourquoi le Kremlin ? Parce que ce service eut une destinée inattendue : le 26 juin 1807, le tsar Alexandre 1er et Napoléon 1er se rencontrèrent sur un radeau ancré au milieu du Niémen et, le 7 juillet suivant, les deux souverains signèrent les accords de Tilsit qui constituaient un grand succès diplomatique pour Napoléon.

Au cours de l’été 1807, Napoléon fit savoir à Alexandre Brongniart, qu’il souhaitait offrir le « Service Olympique » au tsar de Russie.  Le 14 février de l’année suivante arrivèrent à Saint-Pétersbourg neuf grandes caisses venues de Paris, renfermant le spectaculaire cadeau produit par la manufacture impériale de Sèvres.

En 1808, Victoire participe à la réalisation d’un autre ensemble, le « Cabaret des littérateurs français » (un « cabaret » est composé d’un plateau, de pièces de service et de tasses avec soucoupes). Il semblerait qu’elle soit l’auteur du portrait de ce pot à lait…

 

Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des littérateurs français – 1808
Pot à lait grec, Portrait de Jean Racine
Porcelaine dure, H : 20,2 cm, L : 11,3 cm, D : 8,2 cm
Staatliche Kunstsammlungen, Porzellansammlung, Dresde


… et de ceux de cette coupe, du même service :

 

Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des littérateurs français – 1808
Coupe, Portraits de Voltaire, Buffon et Quinault
Porcelaine dure, H : 148, L : 202 cm
Staatliche Kunstsammlungen, Porzellansammlung, Dresde


A nouveau, ces créations serviront la diplomatie napoléonienne. Lorsqu’en 1809, Napoléon invite à Paris cinq souverains alliés, dont Frédéric-Auguste Ier de Saxe, il leur a réservé un programme soutenu de représentations théâtrales, chasses et visite de la manufacture de porcelaine de Sèvres. Le roi saxon fait alors part de son admiration pour la porcelaine française…. après quoi le Cabaret des littérateurs, accompagné de sculptures, tapisserie et autres vases arriveront au printemps 1810 au palais royal de Dresde.

En 1808, Victoire Jaquotot revient au Salon avec « trois portraits et un camée peint sur porcelaine ». Pour illustrer ce « camée », nous disposons d’un ensemble composé d’un pot en forme d’aiguière dite « Percier » et son bassin… (cliquez pour agrandir !)

 

Manufacture impériale de Sèvres
Pot à eau et son bassin – 1805/1806
Porcelaine dure, aiguière : 37,8 cm, bassin : 47 x 21,5 x 8 cm
Collection particulière (vente 2021)


… dont la figure, peinte façon camée « agate clair », a été confiée à Victoire.

 

Aiguière, détail


Ce bel ensemble fut offert par Napoléon le 16 octobre 1807 à son beau-frère Joachim Murat, futur roi de Naples.

La même année, Victoire exécute aussi les figures d’une paire de vases, qui sera livrée par la manufacture impériale de Sèvres au Petit Trianon, le 2 Messidor de l'an XIII (21 juin 1805), pour la chambre de la princesse Pauline Borghèse.

 

Manufacture impériale de Sèvres
Paire de vases - 1805
Figures de Marie-Victoire Jaquotot, d’après Jean-Jacques Lagrenée
Porcelaine dure et bronze doré, H. 40,6 ; L. 14,6 ; P : 12 cm


Progressivement, Victoire est sollicitée pour l’exécution de décors plus complexes, notamment les portraits de personnalités. Dès 1804, elle a réalisé celui de l’impératrice Joséphine…

 

L’impératrice Joséphine d’après Jean-Baptiste Isabey - 1804
Tasse et soucoupe à café « Calice à volute », fond vert de chrome
Manufacture et musées nationaux, Sèvres
© RMN-Grand Palais (Sèvres – Manufacture et musée nationaux) / Tony Querrec

 

  puis un nouveau portrait en 1809-1810, sur cette tasse à chocolat de forme dite « Jasmin » :

 

Portrait de Joséphine de Beauharnais – 1809
Porcelaine dure, tasse H : 12,6, L : 13, D : 10,5 cm
Manufacture et musées nationaux, Sèvres

« La tasse est ornée d'un portrait repris du tableau officiel de baron Gérard la représentant couronnée, en costume de sacre. Le fond de la tasse est richement décoré, plein or. Les lettres du prénom de l'impératrice, bruni à l'effet, encadrent le cartel tandis qu'une lyre brossée rappelle les motifs des tentures du salon jaune aménagé pour elle en 1809 à Fontainebleau. Terminée en 1810, quelques mois après le divorce de Joséphine et de Napoléon, la tasse ne quitta jamais Sèvres et fut transférée dans les collections du musée en 1836. » (Notice du musée)

 

En 1811-1812, Victoire participe au « Cabaret des femmes célèbres » …

 

Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des femmes célèbres – 1811/1812
Porcelaine dure
The Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts


… où l’on reconnaît sa signature sur divers portraits. Ceux de la théière dite « Asselin » …

 

Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des femmes célèbres, théière Asselin (détail) - 1811
à gauche : portrait d’Anne d’Autriche, à droite : portrait de Christine de Suède
Porcelaine dure - 20,5 x 21 cm
The Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts

… ceux du pot à sucre…


Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des femmes célèbres, pot à sucre (détail) – 1812
A gauche : Marie Stuart, à droite Elisabeth d’Angleterre
Porcelaine dure, H : 14 cm
The Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts

… et ceux de la jatte hémisphérique :


Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des femmes célèbres, jatte hémisphérique (détail) – 1812
En haut, Marie-Thérèse d’Autrice, en bas : Catherine II de Russie
Porcelaine dure, 14,5 x 21,6 cm
The Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts

La liste des femmes a été établie par Brongniart : aux monarques précitées, s’ajoutent Blanche de Castille, Madame Deshoulières, Madame de Grignan, Madame de Sévigné, Hortense Mancini, la princesse Palatine, Anne Martinozzi, princesse de Conti, Madame de Fontange et, sur le pot à lait, Jeanne d’Arc, coiffée d’un bibi à plumes du plus bel effet !


Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret des femmes célèbres, pot à lait (détail) – 1812
Porcelaine dure
The Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts


C’est ce type de « peinture sur porcelaine » qu’elle montre au Salon de 1812, accompagnées de La belle Ferronnière d’après Léonard de Vinci, d’une Etude de femme d’après Girodet, de la Madone de Foligno et de la Vierge et l’Enfant Jésus, d’après Raphaël.

La Madone ci-dessous est plus tardive, celle de 1812 a probablement été offerte.

 

Madone de Foligno, d’après Raphaël (1483-1520) - 1827
Peinture sur plaque de porcelaine dure
Manufacture et musée nationaux, Sèvres

La seule critique que j’ai trouvée dans la presse de l'époque est assez cocasse : « Un cadre renfermant la Madone de Foligno ; la Vierge et l’Enfant-Jésus, d'après Raphaël. Je pensais qu'on ne pouvait exposer des copies. Nous ne connaissons de cette dame que cela seul, et nous ne nous connaissons point d'ailleurs en fayence. » (La vérité au Salon de 1912 ou critique impartiale des tableaux et sculptures par une société d’artistes, Paris, Chassaignant, 1812, p.22)

Ce sont pourtant ces reproductions d’œuvres qui vont apporter à Victoire sa renommée auprès du public, d’autant qu’elle ne se privait pas de dupliquer certains portraits pour sa clientèle personnelle. Elle disposait déjà d’un atelier où elle formait plusieurs jeunes femmes - les plus connues sont Marie-Adélaïde Ducluzeau (1787-1849) et Clémence Naigeon-Turgan (1802-1854) qui seront peintres à Sèvres également - qu’elle associait ponctuellement à ses travaux pour la Manufacture de Sèvres. 

Mais dans son atelier personnel, elle disposait aussi d'un « four de feu de moufle » et de plaques de porcelaine de Paris, qui lui étaient probablement fournies par d’autres manufactures. C’est ainsi qu’on trouve aujourd’hui sur le marché cette copie de sa main qui ressemble étrangement à celle du Cabaret des femmes célèbres :

  

Portrait miniature de l’impératrice Marie-Thérèse en tenue de veuve – 1828
Peinture sur porcelaine, 20,5 x 19 cm
Collection particulière (vente 2019)

A cette époque, Hortense Haudebourt-Lescot aurait portraiturée Victoire en plein travail. Je précise cependant que ce portrait était attribué à Victoire elle-même, lors de sa vente récente. Mais cette attribution n’a pas été confirmée par le musée où le tableau est conservé.

  

Attribué à Hortense Haudebourt – Lescot (1784-1845)
Portrait de Marie-Victoire Jaquotot – vers 1800
Huile sur toile, 37 x 33 cm
Nationalmuseum, Stockholm

 

En 1812, elle participe avec deux autres peintres, Pierre-André Le Gay et Jean Georget, à la réalisation du « Cabaret des princesses de la famille impériale ». Victoire est chargée des portraits.

 

Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret de princesses de la famille impériale - 1812
Porcelaine dure et vermeil
Musée national du château, Fontainebleau



Manufacture impériale de Sèvres
Cabaret de princesses de la Famille impériale - 1812
Théière ornée d’un portrait de Marie-Louise
Porcelaine dure et vermeil
Musée national du château, Fontainebleau


L’année suivante, Victoire exécute les figures d’un déjeuner « de type égoïste » (c’est-à-dire pour une seule personne), intitulé « Têtes de Madones ». Ce déjeuner qui comporte une théière, un sucrier, un pot à lait, une tasse et un plateau est livré aux Tuileries pour les fêtes de fin d’année. L’impératrice l’offrira à la duchesse de Montebello.

 

 

Déjeuner Têtes de Madones – 1813
(Source : Anne Lajoix, « Les bonheurs du marché de l’art », Sèvres,
Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, n°16, 2007. pp. 103-111)

Probablement l’une des dernières livraisons à la famille impériale, avec ce portrait.

 

Napoléon Ier , d’après Girodet-Trioson - 1814
Plaque en porcelaine de Paris, dans son cadre d'origine en bronze ciselé et doré, 15,5 x 11,5cm
Fondation Napoléon


Après La Vierge à la chaise, d’après Raphaël, et un Portrait de Corvisart d’après Gérard que Victoire expose en 1814, La Belle Jardinière, d’après Raphaël, remporte au Salon de 1817 un succès public remarqué. (Curieusement, le critique a vu aussi La Vierge à l’œillet qui ne figure pourtant pas dans le catalogue du salon … !)

« Glorieusement escortée de ces deux talens [Mmes Charrin et Debon, ses élèves] qu'elle a formés, madame Jaquotot se présente dans le temple des arts avec deux tableaux d'après Raphaël. Peintre, elle obtient un double triomphe ; musicienne, elle pourroit elle-même chanter ses deux victoires ; car madame Jaquotot excelle dans la musique comme dans la peinture.

Le premier de ces tableaux est La Vierge aux œillets. Les personnes qui n'ont pas vu l’ouvrage de Raphaël n'auront qu'une idée imparfaite des qualités qui distinguent la copie ; les personnes qui l'ont vu, et qui savent avec quel sentiment madame Jaquotot a exprimé toutes les finesses quelle avoit à rendre, avec quelle heureuse audace elle a complété son modèle , en restituait certaines parties très-endommagées et en peignant, d'après nature, les mains tout-à-fait négligées par Raphaël, peuvent seuls bien apprécier le mérite de cette porcelaine, qui est pourtant un peu froide de ton.

 

La Vierge à l’œillet, d’après Raphaël (1483-1520) - 1817
Peinture sur plaque de porcelaine dure, 29 x 23 cm
Manufacture et musée nationaux, Sèvres

L'autre tableau La Belle Jardinière, est connu de tout le monde, et madame Jaquotot n'a pu qu'y gagner. Cette copie a constamment attiré le public ; elle étoit digne d'un tel succès, puisqu'elle retrace le style du premier des peintres. J'ai alternativement contemplé la peinture originale et l’imitation : j'ai retrouvé dans l’imitation la naïveté, la pureté, la grâce de la peinture originale, j'ai admiré un faire grand dans un travail délicat, une finesse extrême dans les demi-teintes, et la richesse des tons unie à la Correction du trait. Le talent de madame Jaquotot s'est identifié avec le talent de Raphaël. Raphaël se reconnaîtrait dans cette répétition fidèle d'un de ses plus charmans ouvrages. L'exécution de ce morceau, outre son mérite propre, est, non moins que la belle gravure de M. Desnoyers, un service important rendu à l'art, puisque le tableau est extrêmement fatigué, et que la peintre et le graveur, en le reproduisant, l'ont rendu indestructible. Mais quel éloge peut approcher du compliment adressé par le roi à madame Jaquotot, en présence de l’ouvrage ? "Madame, si Raphaël vivait, vous le rendriez jaloux" » (François Miel, Essai sur le Salon de 1817, Paris, Didot le jeune, p.462 et suiv.)

 

La Belle Jardinière, d’après Raphaël (1483-1520) – 1814
Peinture sur plaque de porcelaine dure 
Manufacture et musée nationaux, Sèvres


Car la Restauration n’a pas atteint le prestige de Victoire, bien au contraire. C’est en effet cette Belle Jardinière qui lui vaut d’être nommée par Louis XVIII « peintre sur porcelaine du Cabinet du Roi » dès 1816. Elle va dès lors abandonner les décors d’objets utilitaires pour se consacrer exclusivement à la reproduction de tableaux de maîtres et aux portraits.

L’épisode de sa présentation à Louis XVIII a été représenté sur porcelaine :

 

Jean-Charles Develly, Pierre Huard, François-Antoine Boullemier
Plateau ovale, 1ère grandeur du Déjeuner l’Art de la porcelaine - 1816
La visite du roi Louis XVIII au magasin de vente de la manufacture de Sèvres, le 25 juin 1816
Porcelaine dure, 43,7 x 34,4 cm
Manufacture et musée nationaux, Sèvres
© RMN-Grand Palais (Sèvres-Manufacture et musée nationaux) / Jean-Marc Anglès

 

Détail du plateau de L'Art de la porcelaine 

Le directeur, Alexandre Brongniart, vêtu du costume officiel des hauts fonctionnaires (habit bleu brodé de lauriers) présente à Louis XVIII, assis, La Belle Jardinière d'après le tableau de Raphaël et son auteur, Marie-Victoire Jaquotot.

Le roi décida d’acquérir cette œuvre ainsi qu'un Déjeuner des récoltes agrestes (visible dans le coffret à l’arrière) par Jean-Charles Develly (1783-1862). Ce dernier est rapidement chargé de représenter la visite royale. (Source : Sonia Banting. « Un exceptionnel témoignage de l’art de la porcelaine », Sèvres. Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, n°29, 2020, pp. 106-113)

 

On ne sait pas exactement comment surgit l’idée de réaliser pour le roi le coffret à portraits qui se trouve aujourd’hui au Louvre. Il avait deux fonctions, présenter les miniatures peintes par Victoire et permettre au roi d’en prélever une pour décorer sa tabatière et d’en changer régulièrement !

 

Coffret de la tabatière de Louis XVIII – 1819/1820
Bois, vermeil, velours, H : 23 cm, L : 38 cm, P : 26 cm
Musée du Louvre, Paris


Comme on le voit ci-dessus, le coffret contient trois plaques coulissantes, chacune pouvant recevoir huit miniatures, soit vingt-quatre au total, plus une placée sur la tabatière.

 

Une plaque du coffret à portraits
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Guy Vivien


Les six premiers portraits, commandés à Victoire en avril 1818, sont « les rois Henri IV et Louis XIV, les reines Anne de Bretagne, Anne d’Autriche et Marie-Antoinette et le chevalier Bayard. Ils seront payés à l’artiste 1.500 francs chacun. » (Source : Anne Lajoix, « Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855) et ses portraits pour la tabatière de Louis XVIII », communication en séance du 2 décembre 1989, Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français, année 1990, pp. 153-171)

 

 

Portraits de Henri IV d’après Frans II Pourbus
et de Louis XIV d’après Hyacinthe Rigaud - 1818
Miniatures sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris

 

Portraits de Marie-Antoinette d’après Elisabeth Vigée -Lebrun - 1818
et d’Anne de Bretagne d’après Jean Bourdichon – 1819
Miniatures sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris

Les dix premiers portraits terminés sont exposés au Salon de 1819, avec huit autres miniatures diverses sur porcelaine.

Viendront ensuite (assemblés à ma guise !) :

 

Portraits de Molière d’après Pierre Mignard - 1820
et de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné d’après Pierre Mignard – 1820
Miniatures sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris



Portraits de Marie Leszczinska, reine de France, d’après Jean-Marc Nattier - 1820
et d’Hortense de Mancini, duchesse de Mazarin, d’après Claude Lefebvre - 1821
Miniatures sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris

La production de ces miniatures se poursuit jusqu’en 1836, c’est-à-dire sous le règne de Charles X puis de Louis-Philippe.  En 1824, Victoire a elle-même sollicité l’autorisation de compléter la collection, demande soutenue par le vicomte de la Rochefoucauld, chargé du département des Beaux-Arts. Le 16 novembre suivant, l’autorisation de Charles X est accordée. L’artiste renouvelle ses demandes plusieurs fois, jusqu’en 1836, date à laquelle on lui commande le portrait de Gaston d’Orléans. Au total, elle en a réalisé cinquante-trois. (Source : Anne Lajoix ,ibid.)

 

Portraits de Gaston de France, duc d'Orléans (1608-1660), 
frère de Louis XIII, d’après Philippe de Champaigne – 1836
et de Louis, dauphin de France, deuxième fils de Louis XVI (1785-1795)
peut-être d’après Alexandre Kucharski – 1829
Miniature sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris

Je ne peux pas les montrer tous (on peut en voir quarante-sept sur le site des collections en ligne du Louvre). Mais l’un de ces médaillons, parmi les plus tardifs, m’interpelle. Selon le Louvre, il s’agirait de Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort dont on ne connaîtrait pas l’éventuel modèle.

 

Portrait dit de Gabrielle d’Estrées (1573-1599) - 1833
Miniature sur porcelaine, ovale 6,8 x 5,5 cm
Musée du Louvre, Paris

Mais quand on s’intéresse un peu aux peintres féminines en général, cette miniature fait immédiatement penser à… Lavinia Fontana, dont le Venus et Cupidon paraît être, assez indiscutablement, le modèle de ce portrait. Tout y est, même la parure de perles posée sur l’oreille et le dessin exact du voile transparent qui se replie sur la poitrine. Seul Cupidon a disparu.

  

Lavinia Fontana (1552-1614)
Vénus et Cupidon – 1592
Huile sur toile, 75 x 60 cm
Musée des Beaux-Arts de Rouen

Selon le musée de Rouen : « Il s’agit ici sans doute d’une dame de la famille Ruini comme le montre un dessin au visage similaire de Cristoforo dell’Altissimo et conservé au palais Pitti de Florence ; peut-être s’agit-il d’un portrait de fiançailles envoyé au futur époux. » Certes, Lavinia aurait pu peindre Gabrielle d’Estrée. Toutefois, à ma connaissance, elle n’a jamais mis le pied au royaume de France …

 

Mais revenons à Victoire qui n’en continue pas moins de produire un nombre assez époustouflant de copies diverses pendant la période car on n’hésite pas à décrocher des cimaises des musées les œuvres qu’elle doit copier dans son atelier !

 

Vierge de François 1er, d’après Raphaël (1483-1520) – 1820
Peinture en grisaille sur plaque de porcelaine dure, 31 x 22 cm
Musée national Adrien Dubouché, Limoges


Au Salon de 1824, le public s’extasie devant La Sainte famille :

 

La Sainte Famille, d’après Raphaël (1483-1520) – 1822
Peinture sur plaque de porcelaine, 46,9 x 34 cm
Manufacture et musée nationaux, Sèvres

 

« Peintres en émail et sur porcelaine. Plusieurs morceaux, très-capitaux, ont excité l’attention et réuni les suffrages des connaisseurs : […] cinq ou six copies par Mme Jacotot [sic] d’après Raphaël, Léonard de Vinci et d’autres peintres célèbres, tant anciens que modernes. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1824, Tome 2, Paris, Bureau des Annales du musée, 1824, p.92)

« Lorsque madame Jaquotot suit Raphaël ou M. Gérard, Vander Werff ou Holhein, on croirait toujours qu’elle a fait une étude particulière et approfondie de chacun de ses modèles. Dans l’art de peindre sur porcelaine, l’excellente et laborieuse madame Jaquotot est, sans contredit, la première notabilité féminine. » (M. Chauvin, Salon de 1824, Paris, Pillet Ainé, 1825, p. 195-196.)

 

Preuve de la considération dont jouit Victoire à cette époque, elle est une des rares femmes représentées, avec Hortense Haudebourt-Lescot (voir sa notice où figure l’œuvre en question), dans le célèbre tableau de François Joseph Heim, Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants du salon de 1824 au Louvre, le 15 Janvier 1825. Le Louvre, qui conserve le tableau, confirme que Mme Jaquotot est bien là mais ne dit pas où… heureusement, Heim a réalisé des croquis préparatoires des personnalités présentes…

 

François Joseph Heim (1787-1865)
Mme Jaquotot, peintre sur émail – 1826
Crayon noir et rehauts de crayon blanc sur papier beige, 21,6 x 17,9 cm
Musée du Louvre, Paris

… ce qui me conduit à penser que Victoire se trouve ici (mais je peux me tromper !) :

 

François Joseph Heim (1787-1865)
Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants
du salon de 1824 au Louvre, le 15 janvier 1825 (détail) - 1827
Huile sur toile, 173 x 256 cm
Musée du Louvre, Paris


Au Salon de 1827, le public et la critique sont unanimes :

 « Depuis long-tems la peinture sur porcelaine n’avait produit autant de morceaux distingués et en aussi grand nombre qu’au Salon de cette année. Nous citerons […] tous les ouvrages de madame Jaquotot, devant lesquels la foule s’est constamment arrêtée, Psyché et l’Amour, d’après Gérard, Corinne, d’après le même, Danaë, d’après Girodet, le Portrait d’Anne de Boulen, d’après Holbein, un Portrait d’homme, d’après Van-Dick, la Madona del Fogligno, d’après Raphaël. Ces excellens morceaux, qui, traités chacun d’une manière différente, exigeaient toutes les ressources de l’art et une expérience consommée, ont mis le sceau à la réputation de madame Jaquotot, nommée tout récemment premier peintre de la porcelaine du Roi. » (Antony Beraud, Annales de l’Ecole française des Beaux-Arts, Paris, Pillet Aîné, 1827, pp.181,182)

 

Psyché et l’Amour, d’après François Gérard (1770-1837) – 1824
Peinture sur plaque de porcelaine dure, 58 x 40 cm
Manufacture et musée nationaux, Sèvres


Corinne au cap Misène (que le Louvre, sur son site, montre curieusement à l’envers) ne reproduit que la partie droite du tableau original :

 

Corinne au cap Misène, d’après François Gérard (1770-1837) – 1825
Peinture sur plaque de porcelaine dure, 59 x 48,5 cm
Manufacture et musées nationaux, Sèvres


François Gérard (1770-1837)
Corinne au cap Misène – 1818/1821
Huile sur toile, 256,5 x 277 cm
Musée des Beaux-Arts de Lyon

L’autre bizarrerie que j’ai trouvée à propos de ce Salon est la Danaë d'après Girodet, censée se trouver au musée Fabre de Montpellier. Or, voici ce que l’on trouve sur le site de collections en ligne du musée :

 

Portrait de Mlle Lange en Vénus – 1827
Peinture sur porcelaine, 55,5 x 17,7 cm
Musée Fabre, Montpellier

Selon le musée Carnavalet, qui conserve une autre copie de l’œuvre de Girodet, l'original se trouverait au musée de Leipzig qui ne le montre pas en ligne mais la gravure de Carnavalet, bien qu’inversée, confirme qu’il s’agit bien de la Danaé de Girodet, peinte en 1798.

 

Hyacinthe Aubry-Lecomte (1797-1858)
Danaé, d’après Girodet – 1824
Estampe, 54 x 39 cm
Musée Carnavalet, Histoire de Paris

En conclusion, bien que désignée par un autre titre, c'est bien la Danaé d’après Girodet qui figure sur le site du musée Fabre, comme le confirme le dossier d’œuvre du musée, qu’on peut consulter en ligne.

 


Ce titre étrange est sans doute lié au fait que Mlle Lange, une actrice, a eu maille à partir avec Girodet qui a présenté au Salon de 1799 un Portrait de la Citoyenne M. Simons, née Lange lequel a si fortement déplu à la dame qu’elle a exigé son retrait du Salon. Pour se venger, Girodet l’a représentée en Danaé vaniteuse et cupide, récupérant avidement des pièces d'or (Zeus transformé en pluie d’or) et il a agrémenté la scène de quelques détails cinglants comme la dinde, au premier plan à gauche, qui porte une alliance et représente l’homme que l’actrice a épousé pour sa fortune. 

Pour autant, on peut constater que ce tableau n’a rien de commun avec la première Danaé de Girodet…

 

Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson (1767-1824)
Portrait de Mlle Lange dans le rôle de Danaé – 1799
Huile sur toile, ovale : 60,33 x 48,58 cm
Minneapolis Institute of Art, Indiana


Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la gloire de Victoire, l'objectif est atteint :

« Les arts ont aussi leurs conquêtes, et les plus heureuses sont celles qui contribuent à éterniser leur règne. La peinture a fait de nos jours une découverte vraiment précieuse, c’est de transporter sur un fond moins léger, moins périssable que la toile, les merveilles du coloris. […] La peinture sur porcelaine n’est point une création de nos jours ; mais sur ce point comme dans tout, l’origine véritable d’une découverte date non pas de l’époque incertaine où l’on a fait les premiers essais, mais du moment où un heureux développement féconde une carrière agrandie. C’est ainsi que l’importance des résultats, le choix des sujets et la beauté de l’exécution, placent maintenant la peinture sur porcelaine au rang des premières productions de l’art du dessin. C’est à Mme Jaquotot qu’appartient cette gloire. Cette dame vient d’exposer chez elle la plus grande partie de ses ouvrages, ordinairement disséminés et tous les grands artistes, des personnages éminens, [sic] une foule d’amateurs éclairés, se sont convaincus que les travaux de Mme Jaquotot étaient un véritable progrès de l’art, une conquête précieuse, dont les grands peintres la félicitent, dans l’espérance de voir leurs chefs-d'œuvre renaître sous ses doigts, pour jouir d’un immortalité que ne leur garantit pas la fragilité du tissu sur lequel ils déposent le fruit de leurs brillantes conceptions. » (« Peinture sur porcelaine, Madame Jaquotot », Courrier des théâtres, 13 novembre 1827, n.p.)

 

Le 24 mai 1828, Victoire reçoit le titre de « Premier peintre sur porcelaine de Sa Majesté ».

 

Portrait d’homme d’après Anton Van Dyck (1599-1641) – 1826
Peinture sur plaque de porcelaine dure
Manufacture et musées nationaux, Sèvres
©RMN-Grand Palais (Sèvres - Manufacture et musée nationaux) / Martine Beck-Coppola

Le 28 novembre 1829, le vicomte de la Rochefoucauld, déjà évoqué plus haut, écrit au baron de la Bouillerie, intendant général de la Maison du Roi, une lettre dans laquelle on peut lire : « Les services rendus par Mme Jaquotot à la peinture sur porcelaine sont très grands et incontestables. On ne saurait nier qu'elle a porté cet art à un degré de perfection inconnu avant elle. Si même d'autres artistes, tels que MM. Constantin, Robert Béranger, ont produit, chacun dans son genre, des ouvrages dignes d'être comparés aux siens, leurs efforts doivent être attribués, en grande partie, à l'impulsion qu'elle a donnée et à l'émulation que son exemple a inspirée. » Difficile d’être plus clair.

On voit régulièrement les « ouvrages » de Victoire à l’exposition annuelle des manufactures royales et ils s’attirent les mêmes appréciations louangeuses : « Mme Jaquotot, qui jouit déjà d'une réputation européenne, s'est surpassée elle-même dans la belle copie quelle a faite du tableau Atala au tombeau de Girodet. Imiter ainsi c'est créer. » (Anonyme, « Exposition annuelle des produits des manufactures royales », Courrier français, 1er janvier 1830, p.4)

La monarchie de Juillet est cependant beaucoup moins bienveillante avec Victoire que l’ont été les précédentes. La pension annuelle de 1.000 francs, qu’elle recevait au titre de ses fonctions, est supprimée et elle n’a plus d’accès privilégié aux œuvres des musées.

Pour autant, la critique continue à lui être favorable. 

Je n’ai pas trouvé Victoire dans le catalogue du Salon de 1831 mais elle devait s’y trouver puisque Charles Landon l’évoque dans son compte rendu annuel : « Mme Jaquotot tient toujours le sceptre de la peinture sur porcelaine ; La belle Ferronnière, l’Atala et la Danaé, de Girodet, L’Espérance, d'après M. Gérard, sont des productions d'un mérite supérieur et des brevets d'immortalité pour les peintres dont les compositions sont ainsi reproduites d'une manière inaltérable. Mille Jaquotot a en outre exposé une collection de portraits historiques pour laquelle elle n'a épargné ni soins ni recherches, et qui est exécutée avec la rare perfection qu'on admire dans tous ses ouvrages. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1831, Tome 2, Paris, Pillet Ainé, 1831, p.252)

Le Journal des Artistes nous apprend pourquoi elle ne paraîtra pas au Salon suivant : « madame Jaquotot a voyagé, elle a vu l'étranger, elle a visité d'autres cours. […] Toujours est-il que Mme Jaquotot est Française, qu'elle est en France, et qu'elle vient de mettre au monde un chef-d’œuvre nouveau dans la reproduction sur porcelaine d'un ancien chef-d’œuvre de Raphaël, la Vierge dite au linge, qu'on eût mieux fait d'appeler Vierge au voile. Il est vrai qu'elle y a mis le temps. Si nous sommes bien informés, c'est dans les premiers mois de 1830 que cette œuvre a été demandée à l'artiste, et c'est en août 1834 que la porcelaine va voir le feu pour la dernière fois. On assure aussi que, après de longues méditations, quand l'artiste a voulu se mettre à l'ouvrage, l'administration s'est mise à méditer longuement, à son tour, sur l'opportunité de lui en faciliter les moyens, et de lui mettre entre les mains une des perles du Musée royal, comme jadis on lui en avait mis d'autres. Eh ! grand Dieu, de quoi s'avisait l’administration ? N'était-elle pas heureuse que l'artiste se souvînt de sa commande, et n'avons-nous pas dit plus haut, que les droits du talent, mais du talent tel que nous l'entendons, sont imprescriptibles.

Mme Jaquotot a donc fait encore une répétition d'un tableau du divin Raphaël, de la Vierge au linge, l'un des chaînons marquans [sic] dans la série de ceux qu’elle a déjà reproduits, et qui désignent si bien les diverses phases du génie de ce sublime peintre. […] . Il faut le redire : les œuvres de Raphaël périront, ou plutôt, elles devaient périr ; mais Mme Jaquotot a reçu du ciel mission de les sauver. » (F. « Raphaël et Madame Jaquotot », Journal des Artistes, n° 7, 17 août 1834, p.97 à 100)

En effet, d’avril 1832 à janvier 1833, Victoire est en Allemagne où elle reçoit un accueil chaleureux.

La Vierge au voile sera exposée au Salon de 1836 où elle sera remarquée par un visiteur de choix : « Avant de descendre à la salle des sculptures, il ne faut pas oublier Mme Jaquotot ni les émaux de M. Kanz. […] Il n’y a qu’un seul mot à dire de la copie sur porcelaine que M. Jaquotot a faite de la Vierge au voile : c’est aussi beau que Raphaël. » (Alfred de Musset, « Salon de 1836 », Revue des Deux Mondes, Tome 6, p.172).

Selon Roger Payre, qui considère aussi cette copie comme une œuvre éminente, La Vierge au voile de Victoire fut offerte au pape Grégoire XVI (La céramique française, Paris, Flammarion, 1910, p.216). Je ne suis pas parvenue à la retrouver dans le catalogue en ligne du Vatican…

Ce sera le dernier Salon de Victoire. Ensuite, ses œuvres paraîtront ponctuellement aux expositions des manufactures royales : « Madame Jaquotot, dont on n'avait rien vu depuis long-temps, a exposé cette année deux copies : l'une de Jeanne d'Arragon [sic], de Raphaël, l'autre, d'un Portrait de Jean Bart. On trouve, dans ces deux copies, un coloris vigoureux, un dessin correct. La première rend très bien la finesse et la pureté de modelé de Raphaël ; et l'autre, le caractère mâle et énergique du brave marin qu'elle représente. » (Anonyme, « Exposition des produits des manufactures royales », Journal des beaux-arts et de la littérature, 20 mai 1838, p.260)

 

Portrait d'Isabel de Cardona de Requesens, vice-reine de Naples,
Dit Portrait de Jeanne d’Aragon
d’après Raphaël (1483-1520), d’après Giulio Pippi (1499-1546) – 1837
Peinture sur plaque de porcelaine, 36 x 28 cm
Manufacture et musée nationaux, Sèvres



Portrait de Jean Bart – 1836
Peinture sur plaque de porcelaine dure
Manufacture et musée nationaux, Sèvres
(photo trouvée sur Internet)

Selon l’article de René-Jean (1879-1951), conservateur et critique d’art, « en octobre 1839, Mme Jaquotot part en Italie […] où de nombreuses satisfactions d'amour-propre lui sont données : à Turin, elle reçoit des visites royales ; à Milan, un banquet lui est offert ; à Bologne, on lui ménage un atelier dans la galerie de peintures ; à Florence, la cour vient la visiter.  […]  Elle rentre en France à la fin de 1840 avec plusieurs travaux achevés ; les principaux sont à Sèvres. » (René-Jean, « Madame Victoire Jaquotot, peintre sur porcelaine », Mélanges offerts à Henry Lemonnier par la Société de l’art français, Paris, Edouard Champion, 1913, pp.510 et suiv.)

« La célèbre peintre sur porcelaine, madame Victoire Jaquotot, après un long séjour en Italie, est de retour à Paris. On sait qu'elle s'est surtout étudiée à reproduire les chef d'œuvres de Raphaël. Elle rapporte de son voyage des copies du portrait de Raphaël, de la sainte Cécile et du fameux portrait de Jules II, etc. Cette importante et si honorable mission lui avait été confiée par le roi. Ces nouvelles productions de madame Jaquotot sont des plus remarquables. » (Anonyme, « Nouvelles des Arts », Journal des Artistes, 18 juillet 1841, p.48)

 

Sainte Cécile, d’après Raphaël (1483-1520) – 1839
Peinture sur plaque de porcelaine
Manufacture et musée nationaux, Sèvres

 

Portrait de jeune hommed’après Raphaël (1483-1520) - 1840
Peinture sur plaque de porcelaine dure
Manufacture et musées nationaux, Sèvres
©RMN-Grand Palais (Sèvres - Manufacture et musée nationaux) / Martine Beck-Coppola


Portrait de Jules II d’après Raphaël (1483-1520) - 1840
Peinture sur plaque de porcelaine dure, 73,5 x 65 cm
Manufacture et musées nationaux, Sèvres
©RMN-Grand Palais (Sèvres - Manufacture et musée nationaux) / Martine Beck-Coppola

 

Après ces derniers succès, Victoire semble avoir rapidement perdu toute notoriété. La notice nécrologique qui paraît lors de son décès, le 27 avril 1855 à Toulouse, est assez éloquente : « Nous apprenons la mort d'une artiste qui s’est rendue célèbre par la perfection et les perfectionnements qu’elle a apportés dans l’art de peindre sur la porcelaine » et si l’article est louangeur, on sent bien qu’il s’adresse à un public qui ne la connaît déjà plus : « Jusqu’à Mme Jaquotot, la peinture sur porcelaine ne s’élevait guère au-dessus d’un genre de pur agrément, dont l’emploi se bornait à orner la vaisselle précieuse ou les bijoux ; mais depuis que cette dame s’est emparée de cet art, elle l’a rendu sérieux et important au point de l’associer en quelque sorte à celui des plus grands maîtres. En effet, si l’on réfléchit à la destruction probable dans un temps donné des ouvrages des grands maîtres contre lesquels le temps exerce incessamment ses ravages, quel prix ne doit-on pas attacher à de belles copies imprimées à tout jamais sur une matière sur laquelle le soleil, l’air et l’humidité n’ont aucune puissance ?

Mme Jaquotot, outre les regrets que sa perte inspire à ceux qui l’ont connue, mérite donc aussi la reconnaissance de tous ceux à qui les arts sont chers. C’était d’ailleurs une personne aimable, spirituelle, et qui se délassait de ses grands travaux en se livrant à un autre art qu’elle chérissait et cultivait d’une manière fort agréable. Elle était musicienne et a laissé même des compositions agréables dont quelques-unes ont été gravées. » (E.-J. Delécluze. Notice nécrologique, Journal de Toulouse, 15 mai 1855, p.2)


Trente ans plus tard, on s'interroge déjà sur l’intérêt d’une telle production mais pour en souligner, malgré tout, la qualité intrinsèque : « Évidemment c’est là un genre faux, et nous préférons de beaucoup un beau vase de porcelaine bien complet à la plus belle plaque de la Manufacture ; mais nous ne pensons pas qu’il y ait lieu de regretter l’argent que la monarchie a dépensé pour la reproduction des tableaux. Ces peintures ont contribué à la gloire de Sèvres, et en ceci notre amour-propre national est flatté ; elles n’ont absolument rien de commun avec les faïences italiennes qui montrent des sujets d’après les grands maîtres, sujets souvent arrangés selon la fantaisie du décorateur ; elles constituent un genre très particulier, unique dans la céramique, et qui exigeait de la part des artistes un talent hors ligne. Il est possible que les peintres de Sèvres qui se sont adonnés exclusivement à cette peinture n’eussent pas réussi dans la composition, mais il faut admirer leur légèreté de main, leur sentiment de la couleur et leur abnégation, car c’est toujours un mérite pour un artiste de se consacrer à faire valoir les qualités d’un autre artiste plus grand. Et puis, quelque faux que soit le genre, il a un charme d’expression qui est bien à lui, il séduit. Lorsqu’on les a vus, on ne peut plus oublier, les Vierges de Raphaël, Psyché et l’Amour du baron Gérard, Atala de Girodet-Trioson, par Mme Jaquotot, le Portrait de Van Dyck, et surtout le fameux Portrait d’homme à la barbe rousse et face velue, par Mme Ducluzeau. » (Georges Vogt, La Porcelaine, Bibliothèque de l’enseignement des arts, Paris, Ancienne Maison Quentin, 1893, p.79 et suiv.)

Dix ans après, le coup de grâce arrive avec l’article de René-Jean, déjà évoqué : « Lorsque l'on passe, dans les salles du Musée de Sèvres, devant les copies de Mme Jaquotot, on ne s'explique pas la réputation de leur auteur. Elles sont, dans l'évolution artistique, d'une importance bien minime. Leur intérêt technique est peut-être plus grand et des spécialistes vantent la perfection de leur métier. Mais c'est à une mode que Mme Jaquotot a dû son renom, et la mode qui élève ses idoles avec rapidité ne leur permet pas de subsister longtemps : elle les plonge dans l'oubli avec la rapidité qui est sa raison d'être. » (René-Jean, ibid.)

Toutefois, le notice de René-Jean contient des considérations si délibérément fielleuses – notamment sur la physionomie et le caractère de l’artiste - qu’on comprend entre les lignes que ce qu’il lui reproche principalement, c’est :

-      d’avoir signé ses œuvres de son nom : « elle épousa son maître pour divorcer peu après et se remarier avec un M. Pinet dont le nom, pas plus que celui de son premier mari, ne devait jamais figurer sur ses œuvres. »

-      d’avoir exigé d’être rémunérée à la hauteur de sa notoriété : « En 1818, alors que l'on réduit à 400 francs le prix d'un portrait exécuté par Augustin, ceux de Mme Jaquotot lui sont payés 1.500 francs »

-      parfois même d’être restée fidèle à l’esprit de ses modèles : « la copie de l'Amour et Psyché que le Musée de Sèvres garde avec respect et qui a le mérite d'être bien dans l'esprit de l'original : on y trouve la même grâce maniérée, les mêmes attitudes un peu raides, la même minutie de détails que dans la toile du baron Gérard. »

Célèbre, Victoire était sans doute un peu « diva ». Musicienne de talent, elle savait recevoir brillamment, à la fois ses amis peintres, comme le baron Gérard et Girodet-Trioson dont elle reproduisait les œuvres, les célébrités de son temps, comme Georges Cuvier (1769-1832), Madame Récamier (1777-1849) ou Dominique-Vivant Denon (1747-1825), directeur du Louvre jusqu’en 1814 et, bien sûr, des clients potentiels fortunés. Elle mentait un peu, aussi, comme lorsqu’elle a prétendu que Napoléon avait posé pour elle, alors que le portrait qu’elle en a fait est évidemment une copie d’après Girodet

Bien qu'établie par une plume à l’élégance discutable, la réputation de harpie cupide qui lui a ainsi été faite l’a poursuivie d’autant plus aisément que l’intérêt intrinsèque des copies a diminué à mesure des progrès de la photographie et de ceux des techniques de restauration des œuvres originales.


Il reste heureusement des historiens de l’art pour s’intéresser à ces artistes particuliers que furent les peintres sur porcelaine. Si vous souhaitez en savoir davantage sur Marie-Victoire Jaquotot, je vous engage à consulter le savant ouvrage de Marie Lajoix :  Marie-Victoire Jaquotot 1772-1855. Peintre sur porcelaine, Paris, Société de l’histoire de l’art français. Archives de l’Art français, Nouvelle période – Tome XXXVIII, 2006, 245 p.

 

 


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