Mariya
Ivanovna Vassilieva est née le 12 février 1884 à Smolensk, une ville proche de
la frontière de l’actuelle Biélorussie. Selon ce qu’elle a raconté elle-même au
magazine Combat, en 1952, sa famille comptait huit enfants, trois
garçons, cinq filles. Son père était « propriétaire terrien important,
comme il y en avait alors beaucoup » et elle fut « en éveil, à
l’instinct, attirée par l’art. »
Ses parents la destinaient à la médecine mais Marie reçoit à dix-huit ans une bourse d’étude de la tsarine Maria Feodorovna, qui la lui versera jusqu’en 1917. Elle s’inscrit à l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg pour étudier la peinture et fait un premier voyage à Paris en 1905 puis se rend à Munich, probablement pour son avant-garde artistique. Après avoir visité l’Italie et l’Espagne, elle pose à nouveau ses valises à Paris, en 1907.
Depuis le début du siècle, de nombreux artistes russes (comme Marc Chagall, Alexander Archipenko, Ossip Zadkine) y sont installés, notamment à La Ruche, une cité d’artistes aménagée par le sculpteur Alfred Boucher (1850-1934) dans diverses structures récupérées après la fermeture de l’Exposition universelle de 1900. Le bâtiment central, issu du « Pavillon des vins de Bordeaux » et dont la structure métallique a été conçue par Gustave Eiffel, offre quatre-vingts petits ateliers en forme de trapèze, étroits comme des alvéoles.
Marie s’inscrit à l’Ecole des beaux-arts, étudie aussi à La Palette, une nouvelle académie où enseignent Jean Metzinger et Marc Chagall. Puis, lorsque Matisse ouvre sa propre académie en 1908, Marie s’y inscrit et y accomplit ses gammes, études de nus et natures mortes. C’est à la seconde adresse de cette académie, 33 boulevard des Invalides, qu’elle se domicilie dans le catalogue du Salon des Indépendants de 1910 auquel elle participe avec six œuvres aux titres évocateurs : Harmonies d’âmes, Symphonie de Cygnes, Symphonie de couleurs (que je n’ai pas retrouvées…). L’année précédente, elle a traduit les Notes d’un peintre d’Henri Matisse. Sa traduction est publiée dans la revue moscovite symboliste La Toison d’or en juin 1909 mais l’article est signé par le rédacteur en chef de la revue, Riabouchinski…
Elle commence à travailler dans une optique cubiste.
C’est
aussi en 1910 – ou à peu près, les témoignages sont imprécis – que Marie s’associe,
au sein de la Société artistique et littéraire russe, à d’autres artistes pour
fonder une académie russe de peinture et de sculpture dont elle est nommée
présidente. L’idée est de réunir des artistes, russes principalement, dans une
société fondée sur l’égalité et le partage. De nombreuses artistes féminines
vont y étudier, comme Natalia Gontcharova, Maria Blanchard et Chana Orloff mais
on y verra aussi Alexander Archipenko, Pinkus Krémègne, Jacques Lipchitz, Chaïm
Soutine et Ossip Zadkine. Il y aurait eu une petite centaine de membres.
L’académie s’installe à la villa Steinheil, impasse Ronsin (15e) et c’est cette adresse que Marie indique dans le catalogue du Salon des Indépendants de 1911. Elle y montre plusieurs portraits, une Mère et enfant et même des Récifs bretons…
Des conférences sont aussi organisées au sein de l’académie et il semble que ce soit dans ce cadre que des tensions vont apparaître, pour des raisons politiques. Marie décide alors de fonder sa propre académie à la fin de l’année 1911. Elle s’installe au 21 avenue du Maine (15e) dans une petite allée privée qui porte aujourd’hui son nom, la Villa Vassilieff.
L’initiative
est visiblement un succès. L’académie devient un lieu culturel qui compte,
artistes et intellectuels s’y rencontrent, comme Paul Fort, Cocteau, Braque,
Apollinaire, Picasso, Foujita, Fernand Léger. Les étudiants s’initient aux
techniques avant-gardistes au sein d’atelier « horizontaux » où tout
le monde apprend de tout le monde. On y pratique le nu le matin, le portrait
l’après-midi et le soir, on travaille le croquis. On y entend aussi des
conférences, notamment celle que Fernand Léger prononce en 1913 sur Les
origines de la peinture et sa valeur représentative dont une phrase est restée
célèbre : « La valeur réaliste d’une
œuvre est parfaitement indépendante de toute qualité imitative. » Toute l’intelligentsia
russe et l’avant-garde la plus brillante se pressent à l’académie.
Au Salon d’Automne de 1912, où Marie expose à nouveau une Mère et enfant, elle est domiciliée avenue du Maine. Elle montre aussi un paysage espagnol, intitulé Fabrique, qui pourrait ressembler à cela… Il a probablement été peint lors des voyages d’étude de paysage que Marie organisait pendant les vacances d’été.
A moins que ledit paysage espagnol n'ait été celui-ci, qui évoque davantage une Fabrique. On peut y voir un grand G majuscule qu'on retrouvera un peu plus tard.
Aux Indépendants de 1913, Marie expose une Etude, une Nature
morte et une Tête, à nouveau impossibles à retrouver. Pour les
évoquer, je place ici trois toiles de cette année-là, remarquables par leurs
couleurs éclatantes, presque fauves, et, en ce qui concerne les Nus,
pour l’effet de perspective créé par les fonds, un cubisme joyeux et personnel …
Ce couple est peint recto-verso de la même toile (cliquez pour agrandir)…
A titre de comparaison, voici où en est le cubisme dit « analytique », à la même époque.
On dispose d’une image certaine du Salon des Indépendants de
1914, où Marie expose trois tableaux cubistes, Composition et Recherche
I et II.
Quand la Grande Guerre commence, Marie doit fermer l’atelier
et entreprend des études d’infirmière pour aider la Croix-Rouge.
Mais
dès la fin de l’année, elle décide d’ouvrir une cantine à destination des
artistes : du mobilier trouvé au Puces mais pour assurer le décor, il y a
des dessins de Picasso et de Léger, des toiles de Chagall et de Modigliani, une
sculpture de Zadkine ; « pour soixante centimes, on pouvait manger
une soupe, un plat de viande et un dessert, et pour deux sous boire un verre de
vin » raconte-t-elle dans ses mémoires. Chacun participait à la
préparation des repas. Luxe suprême, le soir, on pouvait s’y réunir sans
craindre le couvre-feu. Et il y a de l’ambiance : Picasso fait le toréador, Marie exécute des
danses cosaques et Zadkine interprète le « tango du chameau ». Des années plus tard, Foujita en parlait encore…
Fin 1915, Marie rentre en Russie, rendre visite à ses parents. Elle en profite pour participer à de prestigieuses expositions, « 0.10 » à Saint-Pétersbourg en 1915 (celle où Malevitch expose son fameux Carré noir sur fond blanc) et « Magasin » à Moscou début 1916, organisée par Tatline. C’est pendant cette période qu’elle aurait créé sa première poupée, pour des enfants russes.
Elle revient à Paris en avril 1916 et participe à l’une des rares expositions prestigieuses de la période, « L’Art moderne en France » organisée par la galerie Barbazanges en juillet 1916, sous l’égide de Paul Poiret qui l’accueille dans son hôtel particulier, avenue d’Antin. Dans ce « Salon d’Antin », Picasso aurait exposé pour la première fois ses Demoiselles d’Avignon de 1907 (qu’on peut aller voir sur le site du MOMA).
Et,
bien sûr, Marie rouvre sa cantine qui retrouve bien vite son atmosphère
festive.
« La
vie du Quartier Latin, éclipsée par des rues sombres et des cafés fermés depuis
le début de la guerre, a de nouveau brillé au 21 avenue du Maine, la veille de
Noël. Les grands, les presque grands et
les futurs futuristes, cubistes, postimpressionnistes et toutes les autres
variétés d’artistes de Paris se sont réunis pour un dîner qu’ils ont préparé
eux-mêmes, après quoi il y avait un arbre de Noël, avec de la musique et du
plaisir jusqu’à une heure où il valait à peine la peine de penser à aller au
lit.
La compagnie qui se réunit tous les soirs au 21 avenue du Maine est toujours
joyeuse et bohème, mais la veille de Noël, elle a été rejointe par un certain
nombre de visiteurs spéciaux, qui ont contribué à rendre la soirée
inhabituelle. Le compositeur suédois M. Melkers était parmi les invités et a
joué certaines de ses propres compositions, ainsi que les hymnes nationaux de
la France et de la Belgique. Mlle Marie Vassilieff a lu certains de ses propres
poèmes et l’hymne russe, et, après l’allumage des bougies sur l’arbre, des
télégrammes imaginaires des tranchées ont été lus, ce qui a ajouté à la gaieté.
Des toasts étaient portés à presque tout le monde à l’intérieur ou à
l’extérieur du "Bottin", depuis le cuisinier du soir jusqu’au général Joffre.
Le cadre de cette cantine unique était parfait. Avec des murs recouverts de
toiles du fin du fin du "cubisme" et la table du dîner dressée de toutes les sortes
et types de plats que des peintres peuvent collectionner, aucun tempérament
artistique n’aurait pu souhaiter une ambiance plus parfaite. » (Anonyme,
« Noël bohémien au Quartier Latin », The New York Herald, Paris,
26 décembre 1916, p.2)
On comprend que le journaliste ait été bluffé. D’autant qu’il y avait peut-être au mur quelques toiles de Marie et ce qu’elle peint à l’époque est assez séduisant…
… et plutôt osé pour l’époque ! L’arrière-plan de Scipion serait une évocation des tableaux de scènes urbaines de Giorgio de Chirico dont le grand « G » serait l’initiale, une lettre déjà présente dans le Paysage, un peu plus haut.
En
janvier 1917, c’est naturellement dans cette cantine qu’est accueilli le Banquet
Braque, organisé en l’honneur de Georges Braque, de retour du front où il
avait été blessé.
Marie en fait un dessin quelques années plus
tard : on la voit brandir un grand couteau, face à Matisse qui tient un volatile, Braque et sa femme coiffés de couronnes de laurier, Blaise Cendrars (amputé du bras droit) est assis en face de Picasso, tandis
que Modigliani, ivre comme à son habitude, menace les convives avec un pistolet…
on avait peut-être oublié de l’inviter.
Marie a rencontré un officier marocain, Omar Chrouat, qui sera le père de son fils, Pierre, né en 1917. Cette naissance inspire à Marie de nombreux Enfants qu’elle exposera aux Indépendants dans les années 20. Car, pour l’heure, elle n’est plus disponible : accusée de bolchévisme à la suite du traité de Brest-Litovsk, elle est placée en détention près de Fontainebleau pendant dix-huit mois…
Puis
tout repart à nouveau : ses participations au Salon d’Automne de 1919 et
aux Indépendants de 1920 sont largement relayées par la presse :
« Parmi les Russes, Marie Vassilieff […] offre un très grand talent, tout à fait original et hardi : cette artiste a le sens - rare - de la caricature sans avilissement, et réussit dans une forme très libre, et dégagée de toute influence, des œuvres de satire et de tendresse. » (Jacques Olivier, « Le Salon d’Automne », L’Art libre, 1er janvier 1920, p.10)
« La salle Léger où les cubistes dominent est gaie, lumineuse. C'est un feu d'artifice, un amoncellement de couleurs. La grande toile de Léger, les Disques de la Ville, très décorative, est d'un art déconcertant, mais fort intéressant. Léger est un chercheur, un des rares qui aient une personnalité en dehors de Picasso. Marie Vassilieff expose un Manège de couleurs vives, fort joli. » (M. Castaing, « Le Salon des Indépendants », Floréal, 14 février 1920, p.160)
Elle y montre plusieurs tableaux d’enfants, dont L’enfant à la poupée…
En
1922, elle a aussi exposé aux Indépendants une Mère et enfant. C’est
peut-être ce tableau de 1921, considéré comme un autoportrait, qui n’est
pourtant pas un souvenir. Lorsque son fils était bébé, Marie était en
détention. Ici, elle se représente en Madone, dans un théâtre social.
Le
choix de la Rotonde n’est sans doute pas un hasard : elle est tenue depuis
1911 par Victor Libion, un patron facile à vivre : il n'exige pas de ses
clients qu'ils renouvellent leurs consommations, s’abonne aux journaux du monde
entier et n’a rien contre le fait d’être payé en œuvre d’art, ce qui fait bien
l’affaire de Modigliani et Kisling, entre autres. Bref, la Rotonde a été la
providence des artistes du Montparnasse d’avant-guerre.
Mais ce qui fait grand bruit, ce sont les Composition (poupées), que Marie commence à exposer aux Indépendants entre 1920 et 1923 : « Quant à Marie Vassilieff, ses poupées sont de véritables œuvres d'art. Nul ne peut s'y tromper, elles ont un tel caractère qu'on les reconnaîtrait entre mille. Pour chacune, elle fait de nombreux croquis et, par la puissance du modelé, la solidité de la construction qui s'appuie sur le meilleur cubisme, la technique sans cesse renouvelée, elle accuse un caractère, souligne une hérédité, crée des personnages doués de sentiments et de passions, donne enfin la vie à des matières inertes ; et les portraits de Poiret, Picasso, Derain, d'André Salmon et de sa femme, sont criants de vérité. » (Marie Dormoy, « Poupées nouvelles », Art et décoration, juillet 1920, p.95)
« Que
d'esprit et que d'observation dépense Mme Marie
Vassilieff en ses poupées, qui caricaturent si plaisamment André
Salmon, Pitoëff, Paul Poiret ! On ne s'ennuie pas un instant dans cette
galerie. » (L’imagier, « Retour aux Indépendants », L’Œuvre,
9 février 1920, p.3)
Pour
en avoir une idée plus précise, en voici deux récemment vendues. Comme on le
voit, ce sont des poupées assez naturalistes. Les traits du modèle sont
accentués et sa tête, dont les yeux en amandes ont des paupières fabriquées en
membrane de cuir, est disproportionnée par rapport au corps, ce qui confère à
l’ensemble un aspect caricatural.
Et
puis, il y a aussi les portraits « primitivistes » qui contribuent à
enrichir le répertoire de formes et de techniques, comme l’Autoportrait
que j’ai placé en exergue et ce portrait-chaussure…
…
ou celui de cette actrice américaine, que je trouve absolument fascinant.
Il
faut peut-être, à ce stade, donner un début d’explication car certains auteurs
ont considéré qu’en choisissant de s’exprimer à travers cet art « mineur »
Marie aurait, en quelque sorte, cédé à la facilité. Mais il faut mettre son intérêt pour la poupée
en perspective avec le souhait, partagé par de nombreux artistes d’avant-garde,
de s’intéresser aux divertissements pour enfants et au théâtre de marionnettes,
comme la pionnière, Sophie Taeuber-Arp, puis Paul Klee et Alexandra Exter, dont
les poupées sont contemporaines de celles de Marie.
Marie a effectivement indiqué avoir commencé à créer ses poupées pour des enfants, d’abord en Russie en 1915, puis un peu plus tard : « Il fallait des jouets à mon gosse, pendant la guerre… C’était alors un poupon criard et exigeant… Je lui fis une poupée à l'image de sa mère, puis une autre à l'image de son père, un Caïd magnifique et splendide. Mon fils ne s’endormit plus qu’en tenant dans ses bras ces deux nouvelles créatures. Des amis me firent quelques compliments, Allons-y !... Moyennant quelques matériaux vulgaires, des bouts d'étoffe, du carton, du celluloïd, des fils d’or et d’argent, des boutons, de la peau, j'imaginais des fantoches qui ressemblèrent aux grands de ce monde, ou à mes camarades… Je fis ainsi Maginot, Poincaré, Trotski, la comtesse Greta Prozor, Joséphine Baker… Guillaume Apollinaire, qui était mon ami, me dit une fois : "Je voudrais aussi mon portrait par toi…" Ainsi je fis une poupée qui lui ressemblait et pour laquelle il m'adressa beaucoup de louanges, pour me remercier, il me disait des vers… » (Michelle Deroyer, « Quand Marie Vassilieff parle des poupées », La Semaine à Paris, 30 décembre 1932, p.9 et 10)
Et
Marie ne raconte pas d’histoire, elle a vraiment créé des poupées Maginot et
Trotski ! Grâce à elle et aux photos de Pierre Delbo (son photographe
préféré), nous disposons aujourd’hui d’une très belle galerie de
portraits-charge des « people » de l’après-guerre !
Elle
sera même immortalisée avec une poupée par la coqueluche du moment, le
photographe Man Ray qui a débarqué à Paris en juillet 1921.
Par
ailleurs, Marie est une artiste fortement motivée par la volonté de pratiquer
un art démocratisé. Pour elle, la poupée est une sculpture, « en réalité
des démonstrations contre la sévère banalité de la sculpture moderne et
classique, celle-ci ayant à sa disposition toute la richesse de la matière, ne
sait pas l'exploiter. Est-ce donc un crime que de cueillir un fruit nouveau,
est-ce que l'art est limité aux couleurs à l'huile et au marbre de Carrare ? L’art étant une chose naïve et enfantine et
pleine de joie et de création- pourquoi donc imiter les autres autant en esprit
qu’en matériel ? » (Marie Vassilieff, Mes poupées Montparnasse,
1925, Fonds d'archives privé, Collection Claude Bernès, Paris.)
« Maintenant j'admire, sur la table, la copieuse galerie de poupées. Non pas poupées-bibelots, vénitiennes, arlequins ou pierrots de fauteuils et de divans — caprices qu'impose la mode à toute cervelle d'oiseau qui se respecte — mais poupées d'art, la plupart têtes seulement, fichées sur un simple pied de bois blanc. Des pierrots excentriques, fantasques, effarants, en toile peinte ou peau de suède, yeux de cristal, cils en velours. […] La compréhension du modèle est très juste et la preuve en est dans cette infinie variation de toutes les poupées-portraits qu'elle a fait. On a dit à ce propos très justement : "La vérité parait cruelle sans qu'elle le soit." Ses derniers tableaux ont pris un sentiment et une poésie qui s'apparentent miraculeusement à la poésie et à la peinture byzantines, sans être pour cela byzantinisés, car les moyens qu'elle emploie sont tout autres et la facture des œuvres trop personnelle.
Là ne s'arrêtera point la belle et originale destinée de Marie Vassilieff. Nous aurons de nouvelles et
inattendues acrobaties, nous tressaillerons encore de saint émoi devant
d'audacieux efforts et de splendides réussites. » (Paulette Malardot,
« Figures de Femmes, Marie Vassilieff », La Femme de France, 5
septembre 1926, p.22)
En
1925, Marie participe à l’Exposition Internationale des Arts décoratifs et
Industriels Modernes de Paris, grâce à Paul Poiret qui installe à cette
occasion trois péniches amarrées près du pont Alexandre III, pour mettre en
valeur les productions de sa maison de couture, dans des mises en scène
« art de vivre ». Marie y expose des poupées-mobiliers sous forme de
meubles anthropomorphes.
La
visibilité que Marie acquiert grâce à l’Exposition lui vaudra d’être invitée à
Londres en 1928, à la Beaux-Arts Gallery.
Elle sera présente aussi, fin 1925 chez Rolande, une des boutiques de Paul Poiret, dans une exposition intitulée « Marie Vassilieff expose ses Meubles, Tableaux, Poupées-Frivolités » et, la même année, elle crée un poupée pour la promotion du parfum « Arlequinade », Eau de Rosine, de Poiret dont elle a aussi dessiné le flacon, deux ans auparavant.
Mais
revenons un peu à la vie (festive) de Marie ! Guidée par son sens de
l’entraide, elle s’investit également dans l’Union des Artistes russes, à
laquelle participe également Natalia Gontcharova. L’Union organise
régulièrement des expositions collectives et, pour trouver des financements,
organise des bals costumés thématiques. C’est dans ce cadre que Marie invente les
deux costumes qui sont fréquemment reproduits aujourd’hui :
« L’un des costumes les plus originaux du Bal Olympique a été porté par Marie Vassilieff. Je ne connais personne d’autre dans le Quartier qui se donne autant de mal pour des costumes que ce peintre russe. Les créations de Vassilieff sont généralement grotesques, un peu à la mode de la sculpture nègre africaine. Ils sont toujours l’expression de l’artisanat raffiné qui caractérise tout le travail de cette artiste. Marie Vassilieff est célèbre depuis quelques années pour ses poupées caricaturales extrêmement astucieuses. Tous ceux qui visitent La Rotonde sont familiers de ses portraits de poupées de Matisse, Picasso, Derain, et Paul Poiret. Plus récemment, Vassilieff s’est occupée de créer ce qu’elle appelle des meubles futuristes. Aucune fête dans le quartier n’est complète sans la participation active de Marie Vassilieff. Elle peut faire une danse paysanne russe comme le meilleur des hommes. Marie Vassilieff expose chaque année ses peintures aux Salons d’Automne et des Indépendants, ainsi que chez Martine. » (Arthur Moss, « Over the River », The Paris Times, 15 juillet 1924, p.7)
Et,
bien sûr, Marie est aussi à la manœuvre pour la réalisation des affiches ! (Sa signature est sous le 2 de 23)
Et
Marie s’édite également elle-même, en réalisant des portfolios de présentation
de ses œuvres, qu’il s’agisse de ses tableaux ou de ses poupées. Ce sont des
œuvres à part entière, exemplaires de sa volonté d’étendre l’art à tous les
aspects de la vie.
Cet
album contenait notamment les portraits de :
Les « Ballets suédois », justement ! On se
souvient du scandale du Sacre du Printemps, le 29 mai 1913 et de la
débauche de couleurs vives qui submergeait sa chorégraphie. Premier acte de la
modernité, portée par l’avant-garde russe, Bakst, Larionov et Gontcharova.
Le second acte du renouveau théâtral est celui de Parade, le 18 mai 1917, au Châtelet. C’est Picasso qui a peint le rideau de scène (qu’on peut voir dans les collections en ligne de Beaubourg) et créé les Managers, des constructions cubistes en mouvement. La partition de Satie, bruits de machines à écrire sur fond de fête foraine, reçoit sa dose d’injures.
Et sa copie, réalisée en 1979 par les ateliers de l'Opéra national de Paris.
En
1920, l’industriel et mécène Rolf de Maré fonde les Ballets suédois, installés
au théâtre des Champs-Elysées. Jean Börlin, danseur vedette de la troupe,
crée les chorégraphies. Marie, bien sûr, en fait une poupée (dont, comme la
plupart du temps, seule la tête a été photographiée).
Chirico,
Foujita et surtout Fernand Léger sont les principaux créateurs des décors et
des costumes.
Le ballet Skating Ring de 1921 a été considéré comme le premier « ballet cubiste » dont les danseurs se déplaçaient en mouvement mécaniques et saccadés. Je vous laisse imaginer les réactions de la critique.
Pour la saison 1923-1924, Marie supervise la confection des costumes de Léger pour La Création du Monde…
… et elle crée le carton d’invitation de la saison suivante.
Ce
n’est pas la seule expérience théâtrale de Marie, toujours attachée à son idéal
d’art total. Elle propose à son ami Claude Duboscq, musicien et poète très
impliqué dans une communauté religieuse, une idée de spectacle chrétien. Le
spectacle, intitulé Avant-Pendant-Après, se présente comme une parade en
trois tableaux soutenue par des chœurs a capella. Marie confectionne les
costumes du troisième volet intitulé Bal de la Misère noire.
Grâce aux articles de presse, on comprend qu’il s’agissait d’un bal de charité : « Cyrille Polissadiw, doyen de la misère noire, protecteur de la pauvreté claire offre, sous la présidence de M. Rolf de Maré, le 17 février 1927, au Théâtre des Champs-Elysées, de 10 h. du soir à 5 h. du matin, un Bal costumé, exalté par les chœurs et les ballets de son amie « La pauvreté claire ». Musique et scénario de Claude Duboscq. Programme officiel : […] 4 Indignation des colombes. Chœurs dansés. Costumes de Marie Vassilieff, Mise en scène de MM. Robert Rist et Etienne Rajk. » (Anonyme, « Un bal de charité au Théâtre des Champs-Elysées », Le Rappel, 12 février 1927, p.3)
Pour une raison obscure, le spectacle sera finalement interdit par le ministre de l’Intérieur…
Le
même mois, « La Coupole », est inaugurée au 102 boulevard du
Montparnasse, à l'emplacement d'un ancien magasin de bois et charbon.
L’établissement propose un restaurant, un dancing en sous-sol et son bar va
devenir légendaire.
La grande salle du restaurant, haute de cinq mètres, repose sur des piliers décorés par Léger, Kisling et… Marie. Et devinez qui est le joueur de flûte aux lunettes rondes, sur lequel grimpe un renard, en dessous d’une vierge noire ? Claude Duboscq, bien sûr !
En parcourant la presse de l’époque, on mesure l’énergie et l’activité de Marie : les expositions se succèdent (et les commentaires ne sont pas tous agréables).
« Les tableaux de Mme Marie Vassilieff, à la Galerie "Mots et Images", écœurent par leur puérilité et leur prétention. Mais ses têtes, où elle s’inspire des masques nègres, manifestent beaucoup d’imagination décorative, d’esprit, et de malice. Un Paul Poiret noir et or, à la barbe et aux cils de frange dorée, est inoubliable. » (François Foska, « Chroniques », L’Amour de l’Art, janvier 1927, p.100)
« Marie Vassilieff expose à Fermé la Nuit un terrible jeu de massacres. Elle se livre à une façon de danse du scalp autour des personnalités parisiennes. Les masques qu'elle a réalisés d'après eux et qui tiennent de l'art nègre et du grigri, feraient autour d'une case une impressionnante décoration. Etonnamment ressemblants d'ailleurs ces masques ! Ressemblants par le caractère exprimé. Marie Vassilieff a plus de pessimisme peut-être que de fantaisie. Je ne le lui reprocherai pas. Elle dit aux gens leur vérité, mais, comme elle le dit sur le plan de Guignol, "les victimes peuvent avoir l'air de ne pas s'en apercevoir". Décidément Marie Vassilieff est très forte. » (Louis Léon-Martin, « Les Arts », Gringoire, 28 décembre 1928, p.3)
Je précise, au passage, que si je reproduis ici un article de Gringoire, c’est qu’il était encore fréquentable à l’époque : Jean Moulin y publiait des caricatures, sous pseudonyme, bien sûr, car il était déjà sous-préfet !
Le
Bal de la Misère noire, devenu La Pauvreté claire, sera
finalement joué le 5 février 1928 au Théâtre du Bourdon d’Onesse, village natal
de Duboscq, sous un chapiteau de 700 places. Il comporte un intermède de
marionnettes réalisées par Marie Vassilieff. Gros succès de la
représentation !
Il
y aura ensuite un autre spectacle, intitulé Le Château du roi, pour
lequel Marie produira d’autres personnages et une collaboration avec le plasticien
hongrois Geza Blattner (1893-1967), au théâtre de l’Arc-en-ciel, fondé en 1929.
« Le spectacle commencera par une représentation du Pauv’Clair, théâtre de poupées, avec "Le Château du Roi", scénario de Philippe Duboscq. Cette œuvre est basée sur une technique d’art rythmique dont la qualité met en valeur les remarquables poupées de Marie Vassilieff. » (Anonyme, « Spectacle d’art à Onesse », L’Indépendants des Basses Pyrénées, 21 août 1930, n.p.)
Entre autres scènes du programme, Le Mariage d'un nu, dont elle est l'auteure et dont elle a conçu les marionnettes « … des personnages stylisés, de fort heureuse façon. C'est à la fois du cubisme et de la synthèse et nous apprécierions davantage si le cinéma ne nous gâtait parfois avec ses figurines décomposées qui ne sont pas une de ses moindres réussites. Figures de bois ou de carton, déjà "articulées", aux lignes et aux gestes cauchemardant… La tête se détache parfois du tronc à seule fin d'être plus expressive. La fantaisie et les jeux de couleurs et de lumière y ajoutent. Ainsi applaudîmes-nous au "Mystère érotique", conçu par Mme Marie Vassilieff et M. Louis-Henry Proot. » (Armory, « Les Marionnettes de l’Arc-en-ciel », Comœdia, 3 décembre 1930, p.2)
Et Marie continue à peindre, des portraits au style curieusement maniériste…
… parfois interprétés en collages poétiques :
… des portraits où l’on retrouve aussi l’inspiration primitiviste de ses poupées, comme dans ce très touchant Autoportrait :
« Les
peintres qui ne vivent que dans le monde visible ne dédaignent pas la publicité
par les ondes invisibles. C'est ainsi que quelques artistes femmes exposant à «
Fermé la Nuit » ont confié leurs impressions au micro. Ce nous fut une occasion
d'entendre Marie Vassilieff et Chériane
qui ont autant d’esprit que de talent. » (Anonyme, « Peinture et T.
S. F. », La Parole libre, 18 mai 1930, p.3)
En dépit de son insatiable activité, la situation de Marie reste précaire même si elle préfère en rire :
« L'atelier de Marie Vassilieff respire l’art, la gentillesse, la bienveillance… et la cuisine… Et la maîtresse de maison est tour à tour… tout ce qu'on veut… Juste sous mes yeux, pendue à la fenêtre voilà-t-il pas une pancarte qui résume l'artiste, la pancarte dit : "Marie Vassilieff fait la bonne aventure, Marie Vassilieff fait des vierges miraculeuses, Marie Vassilieff récite sa poésie et sa prière, Marie Vassilieff fait des conférences et la bonne à tout faire" […] Maintenant, vous faites encore des poupées ? Oui, oui, mais je suis si pauvre que je n'ai plus d'argent pour acheter les matériaux qui les composaient naguère. Alors, j'en invente que je fabrique avec des légumes. […] Quand je dis qu'on peut créer de la beauté avec tout… Là, c’est doublement une bonne affaire. Quand on a fini de contempler son œuvre, on peut se jeter dessus et la manger." » (Michelle Deroyer, « Quand Marie Vassilieff parle des poupées », La Semaine à Paris, 30 décembre 1932, p.9 et 10)
Comme beaucoup de peintres étrangers, elle a quitté les Indépendants pour exposer au Salon des Tuileries, fondé en 1923.
« Enfin, nous ne voulons pas terminer ce tour de salles sans nommer Marie Vassilieff et Suzanne Roche, sur les œuvres desquelles nous regrettons de ne pouvoir nous attarder plus longuement… » (Gilles de Chaudenay, « Le Salon des Tuileries », Le Journal de débats, 15 mai 1934, p.3)
« La
peinture subit une crise sévère. Aussi l'excellente Marie Vassilieff a dû avoir
recours à son ingéniosité pour subsister : elle a réuni toutes ses œuvres chez
elle, avenue du Maine, et créé ainsi dans son appartement "le musée
Vassilieff". Il y a un tronc pour l'entretien du musée ; le montant des dons
étant laissé à la générosité des visiteurs. Mais comme Marie Vassilieff est une modeste et qu'elle
ne compte point trop sur cette générosité, elle s’est établie en même temps
chiromancienne. Voici un "violon" que
M. Ingres n'avait pas prévu. » (Pierre Lazareff, « Un nouveau
musée », Paris-Midi, 30 novembre 1934, p.2)
Et Marie continue à toucher à tout, à être de toutes les initiatives :
« Dans le cadre charmant des Archives de la Danse - pavés égayés de gazon, lierres et pergolas - c'était fête l'autre soir. Danseurs, danseuses, et les artistes qui les ont peints, sculptés ou "croqués", s'étaient réunis pour célébrer la plus légère des Muses. Ils avaient donné à l'Exposition un titre charmant : "Ballerines, coryphées, funambules". Entre les danses on allait admirer les dessins et les tableaux de Matisse et de Van Dongen, de Chagall et de Fernand Léger, de Touchagues et de Paul Colin, de Marie Vassilieff, de Hambourg et d'Yves- Bonnat. » (C.C., « Vive Terpsichore », Marianne, 7 juillet 1937, p.21)
En cette année 1937, Marie reçoit de l’Etat une commande pour la réalisation d’un panneau pour la gare Montparnasse, intitulé L’Eté-L’Etat et figure dans le catalogue de l’Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie moderne, dans la « classe 70, Décors et costumes de théâtre » ; on la trouve p.515, enregistrée comme « artiste peintre décorateur » où il est précisé qu’elle a réalisé les maquettes de la « Boutique Fantasque, masques et accessoires ».
Elle a aussi, la même année, fabriqué les costumes d’un spectacle sur Voyelles de Rimbaud : le corps de chaque comédienne représentant une voyelle était enfermé dans une structure composée d’éléments en rhodoïd, éclairée de l’intérieur par une lumière de sa couleur correspondante (« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu »).
Il est aussi intéressant de noter que ce spectacle était monté par la compagnie « Théâtre Art et Action » dirigée par l’architecte Édouard Autant (1872-1964) et la comédienne Louise Lara (1876-1952), les parents de Claude, affectueusement surnommés « Père Système et Dame Abeille » et dont la devise devait plaire à Marie :
« Mieux vaut faire un faux pas en avant et se
relever avec courage que bien faire et rester stationnaire. »
L’année
suivante, Marie s’installe à Cagnes-sur-Mer. Elle continue à
peindre, ses amis, comme Claude Duboscq dont on retrouve le portrait dans une
photo de Marie dans son atelier :
Ou bien celui de Didier Cottoni, qu’on peut considérer comme son mécène puisqu’à la vente de
sa collection, en mars 1972, les œuvres de Marie représentaient 23 tableaux, 61
céramiques, 23 poupées et 14 masques (source : Cercle de la Librairie, 12 janvier 1972).
En avril 1939, elle participe à l’Exposition des femmes peintres et sculpteurs, à la galerie d’Anjou, « à côté des noms glorieux de Suzanne Valadon, Louise Hervieu, Marie Laurencin, etc. les talents les plus caractéristiques de l’art féminin, Valentine Prax, Chériane, Valentine Hugo, Andrée Fontainas, Greta Kunston, etc. » (« Le marchand de couleurs », Ce soir, 21 avril 1939, p.2)
Puis on n’entend plus parler d’elle dans la presse. Elle continue à travailler, pourtant, essentiellement la peinture.
Dès
la fin de la guerre, son nom réapparaît, associé à celui de Montparnasse :
« Intéressante et des plus émouvantes est l’exposition, des « Montparnos
», au Foyer Montparnasse (89, boulevard du Montparnasse) ; organisée par le
sympathique photographe Marc Vaux, au profit du Comité d'entraide des artistes
et intellectuels du sixième arrondissement, elle groupe à la fois des documents
et des œuvres. On y voit le masque mortuaire de Modigliani, que l’on croyait
perdu ; des souvenirs de bals fameux […] C’est une évocation tour à tour sombre
et brillante et que complète, à la cimaise, un heureux choix de peintures,
d’aquarelles, de gravures et de dessins, par Modigliani (Portrait de Max
Jacob), Soutine, Pascin, Guillaume Apollinaire, Fernand Léger, Foujita, Marie Vassilieff, Picasso, […] Il serait certes
facile d’y signaler quelques remarquables absences : celles d’Eugène Zak, par
exemple, de Maria Blanchard, de Gargallo. Mais il s’agissait surtout de
ressusciter une certaine qualité d’atmosphère et l’on y a, en somme, réussi.
(Le flâneur des deux rives, « Les Nouvelles Artistiques », Les
Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 18 avril 1946, p.6)
Elle
participe à nouveau au Salon des Indépendants en 1949, 50, 51et 53. Elle a dû
perdre son atelier de Montparnasse car elle habite à présent 19 bis rue de
Boulainvilliers (16e) et elle montre une vitrine de céramique qu’elle
a créé grâce à la commande d’un mécène, Edmond Didier. Marc Vaux, le photographe
des artistes parnassiens, organisera la même année une exposition sur elle, au Foyer
d’Entr’aide aux artistes de Montparnasse. Ce que j’ai trouvé sur le sujet n’est
sans doute qu’anecdotique…
La critique s’intéresse à ses tableaux d’inspiration religieuses qui constituent l’essentiel de ses présentations aux Salons : « Dans le tourbillon du Montparnasse d’avant-guerre, Marie Vassilieff avait su s’imposer à l’estime de ceux qui prisent avant tout la personnalité pourvu qu’elle se traduise par une facture révélatrice d’une authentique culture plastique. Ce qui caractérisait ses œuvres, c’était une étonnante faculté d’imagination et une fraîcheur de coloris dignes des miniatures d’antan ou des plus séduisants folklores. Les ans ont passé : Vassilieff, haute comme une grande poupée, garde, sous ses cheveux blancs, la même jeunesse vivace du talent, les mêmes dons inventifs de poète ingénu, la même piété ; elles lui inspirent des tableaux dont devraient s’orner des oratoires, des chapelles, des tableaux d’exquise gentillesse qui sont autant de modèles de mosaïques, de vitraux ou de fresques… Ah ! que l’hagiographie a donc du charme traduite par ce peintre-fée ! » (Guy Bornand, « Marie Vassilieff et ses fraîches icônes », Libération, 10 juillet 1951, p.2)
Et sa peinture « profane » est étonnante de fraîcheur et de légèreté d'inspiration.
Pourtant,
Marie est confrontée à une fin de vie difficile.
« Le nom de Marie Vassilieff est inséparable de toute une proche et féconde période de l’art. Son rôle et son talent sont liés avec le souvenir de M. Modigliani et d’Apollinaire, à la phase légendaire de Montparnasse, celle qui va des année précédant la guerre de 1914 à l’époque charnière de 1930. Les dessins, les peintures, les céramiques de Marie Vassilieff jouirent d’une vogue qui ne l’a pas enrichie, et ses fameuses poupées, de types imaginatifs ou à la ressemblance de personnalités du jour, ont consacré sa renommée de fée créatrice, habilleuse, au sceau caractéristique. Maintenant, devenue une vieille femme, plus menue que jamais, Marie Vassilieff s'obstine, avec une opiniâtreté et une discrétion farouches, à lutter contre le sort hostile, dans les deux humbles pièces qu’elle occupe en un rez-de-chaussée sur cour de la rue de Boulainvilliers. […]
Marie Vassilieff est accoudée du bras droit sur sa petite table de travail, couverte d’instruments, d’outils plus ou moins improvisés, dont elle continue à tirer les bizarres chefs-d’œuvre d’art appliqué, les ingénieuses céramiques, les allégories déconcertantes qu’elle préfère concevoir désormais. […] Mon existence a été brisée, dans les chances de mon travail, quatre fois, dit Marie Vassilieff. Elle n’ajoute pas que, la quatrième fois est la présente, mais je sais que le billet quotidien de métro lui est trop onéreux pour se rendre à son atelier. Elle n’en dessine pas moins de vierges dont la suavité et la candeur sont imprégnées de sérénité céleste. » (Gaëtan Sanvoisin, « La grande artiste Marie Vassilieff, magicienne des poupées, ne va plus à son atelier pour éviter les frais de métro », Combat, 1er juillet 1952, p.3)
Bien que Russe - une nationalité qu’elle n’avait pas souhaité abandonner - Marie a finalement été admise à la Maison de retraite des artistes, à Nogent-sur-Marne, réservée aux artistes français, en 1953.
Marie
Vassilieff est morte le 14 mai 1957, à Nogent-sur-Marne.
Elle
a représenté un nouveau style d’artiste anticonformiste, d’une indéniable liberté
créative ouvrant la voie d’une pratique multidisciplinaire, fréquente chez les
plasticiens d’aujourd’hui. Bien qu’elle ait été mise récemment à l’honneur par
la ville de Paris qui a rebaptisé la rue privée de son atelier « Villa
Vassilieff », elle reste encore méconnue aujourd’hui, notamment en France,
son pays d’adoption. Ni le musée national d’art moderne, ni celui de la ville
de Paris ne conservent d’œuvres d’elle et, pour peu qu’elle soit à jour, la base
Joconde des musées de France ne la connaît pas non plus.
En
2019, la Fondation des artistes, le lieu où elle a fini sa vie, a organisé une exposition
« Une journée avec Marie Vassilieff », où ses œuvres étaient
confrontées à celles d’artistes contemporains.
Enfin, elle était présente en 2021 dans l’exposition « Muses de Montparnasse » du musée Pouchkine. Il serait peut-être temps qu’une institution culturelle parisienne lui emboîte le pas…
*
Comme il se doit ici, nous terminons avec une petite nature morte !
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