dimanche 20 novembre 2022

Hannah Höch (1889-1978)

 

Photographe inconnu
Portrait d’Hannah Höch avec palette et chevalet  - vers 1939
Tirage argentique, 11 x 85 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie
N.B : la photographie n'est pas datée mais Hannah est en train de peindre son tableau Berg de 1939


Anna Therese Johanne (Hannah) Höch est née le 1er novembre 1889 à Gotha, dans une famille aisée. Son père était assureur et sa mère pratiquait la peinture en amateur.

Hanna, qui est l'aînée de cinq enfants, doit quitter le lycée à quinze ans pour s'occuper de sa jeune sœur Marianne. Elle a presque vingt-deux ans lorsqu’elle peut enfin partir pour Berlin et s’inscrire à l'école des Arts appliqués de Charlottenburg. « L’Académie, qui aurait été mon but constituait un rêve, une demande que je n’osais même pas formuler » écrira-t-elle plus tard dans ses mémoires.

En 1914, l’école ferme ses portes en raison de la guerre et Hannah se met au service de la Croix Rouge pendant un an. Mais, dès janvier 1915, elle revient à Berlin, loue un atelier et étudie le graphisme avec le peintre et graveur Emil Orlik (1870-1932) qui dirige le département d'art graphique et d'illustration des arts appliqués de Berlin.

Emil Orlik (1870-1932)
Pascin, dessinant – 1911
Gravure, pointe sèche et roulette, 9,8 x 12,2 cm
Museum of Modern Art, New York

Elle rencontre Raoul Hausmann, un artiste éclectique qui travaille un peu tout, de la peinture au photomontage. Ils engagent une relation amoureuse.

 

Raoul Hausmann (1886-1971)
Mechanischer Kopf [Tête mécanique] – 1921
Marotte de coiffeur, bois et objets divers
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris
Photographié dans l’exposition du Musée national d’art moderne :
« Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander » en juillet 2022

« Réduisant l'individu à des séries de chiffres, cette tête fait la critique d'une mécanisation néfaste révélée par la Grande guerre. Elle constitue aussi l'annonce d'un homme nouveau, rationnel et impersonnel en phase avec la société moderne. Antibourgeois et corrosif, Raoul Hausmann rejette-il le présent ou se projette-il dans l'avenir ? » (Notice du musée)

 

L’année suivante, Hannah travaille à mi-temps comme dessinatrice de patrons de mode et de motifs de dentelle pour des périodiques de mode féminine, comme le célèbre Die Dame.

Selon Hausmann, ce serait pendant des vacances en 1918 qu’Hannah et lui auraient découvert une coutume populaire consistant à coller une photographie détournée sur des photos de soldats prussiens. Ils en auraient tiré leur inspiration pour leurs premiers collages. On en trouve effectivement une trace dans les archives d’Hannah, avec cette planche militaire dont les têtes ont été remplacées :


Le début du photomontage (mention d'Hannah en bas à droite) 1918
Collage sur feuille commémorative militaire, 42,4 x 51,6 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Hannah rencontre des membres du Novembergruppe (Groupe de Novembre) qui tient son nom des évènements ayant précédé la République de Weimar. Elle participe ponctuellement à leurs expositions annuelles jusqu’en 1931.

Groupe de Novembre, illustration de Cesar Klein
Der Kunsttopf [Le Pot d’Art] – 1920
Couverture du magazine du groupe, 27 x 21,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


C’est cependant par l’intermédiaire de Hausmann que Hannah se rapproche du mouvement Dada, à partir de 1919.

A cette époque, elle produit déjà d’étonnantes Poupées dada

 

Poupées dada – vers 1916/1918
Composition et dimensions non précisées
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


… et des collages assez humoristiques, comme celui qui est considéré comme le portrait de Hausmann qu’elle intitule Da(da) Dandy (le titre figure dans le collage, en haut à gauche et en bas à droite) où l’on perçoit le profil de son amant, constitué d’éléments de visages de femmes découpés dans des magazines. Elle dénonce le « coureur de jupons » et étrille au passage le machisme du groupe dada berlinois !

 

Da Dandy – 1919
Collage 30,5 x 24 cm
Collection particulière



Photographie d’une œuvre d’Hannah intitulé Dada Plastic – 1919
Tirage argentique, 11,2 x 7,9 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


En dépit (ou à cause) de la pertinence et de l’acuité de son regard, Hannah n'est pas bien accueillie au sein du groupe Dada. George Grosz (1893-1959) et John Heartfield (1891-1968) ont pris parti contre son travail, soit parce qu’elle était une femme, soit parce qu’ils la trouvaient un peu trop indépendante (soit les deux !) et ont essayé de l'exclure. Ces deux-là sont difficiles : ils ostracisent aussi Kurt Schwitters (1887-1948), pourtant créateur du groupe dada de Hanovre, parce qu’ils le trouvent trop bourgeois et pas assez radical. On reparlera de cet artiste, ami d'Hannah, un peu plus loin.

Mais Hausmann, qui était lui-aussi une figure centrale du groupe, menace de se retirer si Hannah est exclue. Finalement, Hannah est la seule femme admise (on évoque parfois deux femmes mais je n’ai pas retrouvé l’autre…) à participer, en juillet 1920, à la première foire internationale dada de Berlin. On y voit notamment des œuvres de Grosz, de Heartfield, de Max Ernst (1891-1976) - duquel Hannah restera proche toute sa vie - et de Francis Picabia (1879-1953).


Robert Sennecke (photographe)
Hannah Höch et Raoul Hausmann à l’ouverture de la première foire internationale dada de Berlin
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Le slogan de la manifestation est : « L’art est mort, vive l’art mécanique de Tatlin ». [Vladimir Tatlin (1885-1953) est un architecte et scénographe russe devenu, avec Malevitch, une figure centrale de l’avant-garde artistique soviétique.]

 

John Heartfield et Georges Grosz tenant la pancarte du slogan de la manifestation

« L’Art est mort… » mais pas le machisme : ces deux-là auront l’inélégance d’inscrire Hannah dans le catalogue sous le surnom condescendant d’Hannchen (petite Hanna) et ne rateront aucune occasion de dévaloriser son travail par la suite.

 

Hannah expose deux collages :

Le premier est Dada Rundschau, une parodie du « gigantesque non-sens du monde », à partir de photos du Berliner Illustrirte Zeitung, un journal très populaire couvrant des sujets allant de la politique aux célébrités et aux faits divers (et qui appartient au groupe de presse pour lequel Hannah travaille !). 

 

Dada Rundschau [Revue Dada] - 1919
Collage, gouache et aquarelle sur carton, 43,7 x 34,6 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Au centre, on voit le président allemand nouvellement élu Friedrich Ebert en maillot de bain et, au-dessus de lui, volant à l’horizontal comme un ange, Woodrow Wilson, président américain et lauréat du prix Nobel de la paix… Sachant que l’œuvre a été produite au moment même où l’Allemagne négociait les réparations de guerre qu’elle aurait à verser aux vainqueurs de la Grande Guerre, la satire est osée. Et encore, on n’en comprend pas la totalité aujourd’hui !

 

Le deuxième collage est une grande composition, l’œuvre la plus célèbre d’Hanna aujourd’hui : Schnitt mit dem Küchenmesser Dada durch die letzte Weimarer Bierbauch-Kulturepoche Deutschlands, [Coupe au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle de l'Allemagne, celle de la grosse bedaine weimarienne], une sorte de représentation visuelle du « régime intellectuel » weimarien.

Là encore, le Berliner Illustrirte Zeitung est mis à contribution au service du Grand Art dont Richard Huelsenbeck (1892-1974), un des fondateurs du mouvement, vient de donner la définition dans l’Almanach Dada : « Le plus grand art sera celui qui présentera, par son contenu de conscience, les multiples problèmes de son époque, celui qui fera ressentir qu’il a été secoué par les explosions de la semaine précédente, celui qui, inlassablement, cherchera à se retrouver après l’ébranlement du jour précédent. »

 

Coupe au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle de l'Allemagne,
celle de la grosse bedaine weimarienne - 1919
Collage de 130 fragments de journaux, 114 x 90 cm
Staatliche Museen zu Berlin

Dans l’angle supérieur droit, on voit Guillaume II et ceux qui représentent le « mouvement anti-dada » : les généraux, le gouvernement de Weimar, des militaires casqués. En haut à gauche, Albert Einstein un peu dadaïsé et les figures du mouvement dada qui retirent les cerveaux, démontent les roulements à billes et vivent en équilibre avec, en plein milieu, le visage de Käthe Kollwitz (au-dessus du corps sans tête de la danseuse Niddy Impekoven), en hommage à son rôle de pionnière artistique. Dans la partie basse, à gauche, une foule qui fait face aux dadaïstes berlinois, à droite. Un façon d’exprimer que l’art est politique et, même si Hannah n’a jamais eu d’engagements politiques proprement dits, elle considérait que ses œuvres étaient, de fait, politiquement engagées.

On saisit la portée de cet engagement dans son œuvre Roma, qu’elle peint au retour d’un voyage à Rome qu’elle a effectué avec une de ses sœurs, en 1920.

 

Roma – 1925
Huile sur toile, 90 x 106 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Une juxtaposition d’éléments de différents siècles, d’architecture antique et baroque qui composent le paysage romain et un portrait de Mussolini au centre du tableau, à côté de l’actrice Asta Nielsen qui le regarde en biais et paraît lui intimer à grands gestes de quitter Rome…

 

Hannah se sépare de Hausmann en 1922. La même année, elle peint Femme et Saturne :

 

Femme et Saturne – 1922
Huile sur toile, 86,5 x 66,5 cm
Collection particulière (vente 2017)

La femme (très probablement Hannah elle-même) fait littéralement corps avec un nourrisson sans visage et dont le corps est transparent : on voit le sein de sa mère à travers la cuisse de l’enfant, son épaule à travers son crâne. La compréhension du tableau exige d’en savoir un peu plus sur la relation entre Haussmann et Hannah : il était marié et n’a jamais voulu rompre son premier couple, tout en souhaitant avoir un enfant d’Hannah. C’est probablement pour cela qu’elle le représente, au-dessus d’elle, en Saturne (Kronos), celui qui mange ses enfants dans la mythologie, celui qui n’assume pas ses responsabilités dans la vie réelle. Hannah a subi plusieurs avortements pour ne pas mettre un enfant au monde dans les conditions que lui imposait Haussmann. Le nourrisson sans visage est un enfant qui n’est jamais né.

 

La rupture avec Haussmann fait perdre à Hannah tout contact avec la plupart des membres du mouvement dada berlinois mais elle reste proche du groupe Novembre. Elle se rapproche également des artistes constructivistes comme Hans Arp (1886-1966), Théo van Doesburg (1883-1931) et Laszlo Moholy-Nagy (1895-1946), un peintre et photographe hongrois, professeur au Bauhaus. Hanna lui dédicace ce collage où la Haute Finance est assez clairement assimilée aux marchands de canons…

 

Hochfinanz [Haute finance] – 1923
Collage sur papier, 35 x 30 cm
Source : Art Basel 2018


Et chez Doesburg, elle rencontre Mondrian qu’elle reverra lors d’un voyage à Paris en 1927.

Theo van Doesburg (photographe)
Hannah Höch (à droite), Piet Mondrian (au centre) et Nelly van Doesburg (à gauche) 
dans l'atelier de Doesburg – 1924
Tirage argentique, 8,7 x 115,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Hannah continue à appliquer dans sa peinture la méthode dadaïste du photomontage, comme avec Le Moustique est mort, une nature morte qui mêle surréalisme, Nouvelle Objectivité et sans doute aussi le modernisme italien qu’elle a découvert à Rome.


Die Mücke ist tot [Le Moustique est mort] – 1922
Huile sur toile, 78 x 68 cm
Staatliche Museen zu Berlin

La composition, basée sur les couleurs primaires (rouge, bleu, jaune), comprend aussi les trois formes géométriques de base, cercle, rectangle et triangle. On y trouve aussi les trois formes du vivant (végétal, animal et humain) : le caoutchouc, l’homme et le moustique, sous forme de représentations mécaniques. On peut aussi y voir des références au memento mori avec l’insecte mort et le sablier.

 

On retrouve la même logique du photomontage dans Die Treppe où les objets sont disséminés dans un espace pictural composé comme une scène.

Die Treppe [Les Escaliers] – 1923/1926
Huile sur toile, 77 x 106 cm
Staatliche Museen zu Berlin

On voit le Christ au premier plan, affublé masque à double expression, méchante et désabusée puis un grand escalier (peut-être un souvenir de l’escalier de la basilique de Latran qu’elle a visitée à Rome). Au second plan, une ville enserrée dans une vasque en forme de coquetier, non loin d’une mappemonde. Tout en haut de la toile, un enfant seul et lointain. Enfin, au centre de la composition, une fleur monstrueuse puissamment étalée entre la nature (les petits arbres en dessous) et des machines coincées sous ce qui ressemble à une cloche à fromage…

 

Et collage, encore, pour ces Journalistes qui en prennent pour leur grade (et que leurs contemporains pouvaient sûrement identifier). 

 

Les Journalistes – 1925
Huile sur toile, 86 x 101 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

J’ai eu aussi la surprise de trouver cette nature morte d’Hannah dans l’exposition sur la Nouvelle Objectivité allemande à Beaubourg. Non qu’elle n’ait rien à y faire puisque son travail du médium photographique marque son appartenance à la Neues Sehen [Nouveau Regard], proche de la Nouvelle Objectivité. Simplement, j’ignorais qu’elle s’était avancée aussi loin dans l’hyperréalisme.

Au premier plan, dans un reflet inversé, Hannah s’est représentée à son chevalet devant une fenêtre, comme les peintres du XVIe siècle…

 

Gläser [verres] – 1927
Huile sur toile, 77,5 x 77,5 cm
Sammlung der Moderne, Cassel


Deux détails
Le tout photographié dans l’exposition du Musée national d’art moderne :
« Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander » en juillet 2022


On trouve également des travaux qui rappellent qu’Hannah a fait des études de graphisme…

Frühling-Messe der Kunstgewerbe Gruppe
[Foire de printemps du Groupe Arts & Artisanat] - vers 1925
Lithographie en couleur, 36 x 47 cm
Collection particulière (vente 2015)

Et dans ses collages, Hannah continue à exercer sa veine critique sur la condition des femmes dans la société de la République de Weimar.

Der Traum seinen Lebens [Le Rêve de sa Vie] – 1925
Photographies découpées et collées, coloriées à la main 
et papier imprimé sur papier, 29,8 x 22,2 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York

« Höch, elle-même une nouvelle femme, se moque d'un rôle féminin conventionnel - ainsi que des attentes masculines en matière de beauté - dans Der Traum seinen Lebens (Le rêve de sa vie), qui incorpore plusieurs photographies teintées à la main de la même femme qui prend coquettement la pose dans une robe de mariée et un voile compliqué. Ces images, bordées de bandes de papier imprimées pour ressembler à des cadres, sont collées sur une feuille marbrée de couleurs. Cette composition relativement clairsemée, avec ses cadres imbriqués et son fond décoratif, reflète la formation graphique de Höch. » (Notice du musée)

 

Modeschau [Défilé de mode] – entre 1925 et 1935
Collage sur papier apprêté coloré, monté sur carton, 27,7 x 22,8 cm
Collection particulière (vente 2021)

Sa série Aus einem ethnographischen Museum [Issu d’un musée ethnographique], à laquelle elle travaille de 1924 jusqu’au milieu des années 30, est un ensemble de 17 œuvres qui lui aurait été inspiré par une visite au musée de Leyde, en Hollande, qu’elle fit en compagnie de Kurt Schwitters.

Il n’est probablement pas sans signification que les photographies utilisées par Hannah pour ses montages aient été extraites de la revue Der Querschnitt [La Découpe transversale], mensuel culturel publié de 1921 à 1936 par un marchand d’art et collectionneur Alfred Flechtheim (1878-1937), animé par la volonté de ne pas établir de hiérarchie entre les formes d’art qui figuraient à égale proportion dans la revue.

Ainsi, dans Entführung [Enlèvement], deux mondes, habituellement différenciés, sont confrontés.

 

Entführung [Enlèvement] - 1925
Photomontage, 19,5 x 20 cm
Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin


Le plus souvent, les reproductions d’art tribal servent à masquer les visages des femmes, comme pour signifier que leur véritable nature est réprimée par les codes qui leur sont imposés, comme Die Süsse [La Douce], Fremde Schönheit [Beauté étrange] et Mutter [mère] :

 

Die Süße [La Douce] - 1926
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Photomontage et papier aquarellé, 30 X 15 cm
Museum Folkwang, Essen

La photographie du masque fang de La Douce est extraite du n°2-3 de l’été 1924 de la revue 
Der Querschnitt (entre les pages 136 et 137) Hannah lui a ajouté une bouche et un œil. 


La photographie de l’idole de la tribu Bushongo qui figure le corps de La Douce est extraite 
du n°1 de janvier 1925 de la revue Der Querschnitt (entre les p. 8 et 9)
Source : Valentine A. Plisnier, « Le primitivisme dans la photographie : Hannah Höch – Orlan », 
Les actes de colloques du musée du quai Branly Jacques Chirac - 2009


Fremde Schönheit [Beauté étrange] – 1929
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Collage et aquarelle, 11,3 x 20,3 cm
Collection particulière (vente 2020)


Mutter [Mère] – 1930
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Aquarelle et illustrations de magazines découpées et collées sur papier, 25,6 x 20 cm
Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, Paris
© Photo : Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


Sans titre - 1930
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Collage 48,3 x 32 cm
Whitechapel Gallery, Londres

Torse de la déesse Uma
Empire khmer, IXe-Xe siècle 
Museum Rietberg, Zürich
© Photo : Rainer Wolfsberger / Museum Rietberg



Indische Tänzerin [Danseuse indienne] – 1930
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Collage de papier imprimé et feuille métallique sur papier25,7 x 22,4 cm
Museum of Modern Art, New York

« À travers les éléments coupés-collés, Höch a rassemblé des références au cinéma, à la sculpture centrafricaine et à la sphère domestique. Son modèle est l'actrice Renée (Maria) Falconetti (également connue simplement sous le nom de "Falconetti"), apparaissant dans une publicité pour le film de 1928 de Carl Theodor Dreyer La Passion de Jeanne d'Arc. La moitié du visage de Falconetti est remplacée par l'oreille, l'œil et la bouche d'un masque de danse en bois du Cameroun. Au sommet de sa tête repose une couronne de couverts : des formes découpées de cuillères et de couteaux, sur une feuille métallique scintillante. […] . Invoquant une martyre française androgyne du XVe siècle incarnée par une star de cinéma glamour, la coiffant des parures d'une déesse domestique et l'alignant avec un Autre culturel, cette représentation composite examine les facettes complexes de la féminité moderne. » (Notice du musée)

 

Et, avec Hannah, la pointe d’humour n’est jamais très loin :

Mit Mütze [Avec une casquette] – 1924
Série « Aus einem ethnographischen Museum » (Issu d’un musée ethnographique)
Collage sur carton, 13,5 x 8,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Avec son ami Schwitters, Hannah travaille à une  « Anti-revue » intitulée Pire et Mieux  dont j’ai trouvé de multiples traces (des projets de décor, des esquisses de figurines) mais pas de preuve de réalisation…

Scénographie pour l’anti-revue Schlechter und Besser [Pire et Mieux]
avec Kurt Schwitters et Hans Stuckenschmidt – 1925
Aquarelle et encre noire sur carton, 34,9 x 49,8 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Ceci m’amène à évoquer une œuvre assez extraordinaire de Schwitters, intitulée le Merzbau.

Après que sa participation à la première foire internationale dada de Berlin avait été refusée, Schwitters a créé son propre mouvement, le « Merz », un mot inventé à partir de la partie centrale du mot Kommerzbank [banque commerciale]. Le « Merz » constituait l’ambition de créer un art total, mêlant architecture, sculpture, poésie, etc. Schwitters mit son objectif en pratique dans sa propre maison à Hanovre : des volumes en plâtre, imbriqués les uns dans les autres dans lesquelles il installait des cavités destinées à recevoir les œuvres d’amis artistes. Schwitters donne à cet ensemble le nom de Merzbau [Construction Merz].

Le projet a prospéré jusqu’à envahir complètement la maison de l’artiste, comme on le voit sur les photos de l’époque.

 

Hannover Merzbau - 1933
Entrée et colonne avec une tête du bébé
Source : Gwendolen Webster, Kurt Schwitters’ Merzbau,
Thèse de doctorat en histoire de l’art, Open University, Milton Keynes, 2007, p.289

 

Hannover Merzbau - 1933
Die grosse Gruppe [Le grand groupe]
Source : Gwendolen Webster, Kurt Schwitters’ Merzbau,
Thèse de doctorat en histoire de l’art, Open University, Milton Keynes, 2007, p.290

Plusieurs artistes importants ont apporté leur concours à cette œuvre totale, considérée comme précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui « art in situ ». Hannah aurait, pour sa part, participé à une installation sobrement intitulée Le Bordel, avec une Dame à trois pattes, dont il ne reste hélas pas trace, le Merzbau ayant été détruit par un bombardement en 1943…

 

C’est chez les Schwitters qu’Hannah rencontre en 1926, la poète et romancière néerlandaise Til Brugman (1888-1958), qui devient sa compagne. Elle s’installe avec elle à La Haye, où elle est en contact avec le groupe De Stijl.

C’est à La Hague qu’elle peint cette toile surréaliste assez angoissante…

 

Kubus [Cube] – 1926
Huile sur toile, 65,5 x 72,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

 

Puis Hannah et Til reviennent ensemble à Berlin en 1929.

Annonce du retour d’Hannah et Til Brugman à Berlin - 1929
Linogravure et aquarelle sur papier Japon, 14,1 x 14,9 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Hannah se consacre désormais prioritairement à la peinture mais elle ne cesse pourtant pas de composer des collages, souvent avec humour, telle cette Fille allemande :


Deutsches Mädchen [Fille allemande] – 1930
Collage sur carton : 21,6 x 11,6 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

… ou ce photomontage destiné à un couple d’amis, César Domela (les jambes) et sa femme Ruth (la poitrine) :


Ruth und Ces im Bade [Ruth et Cés(ar) au bain] – 1931
Illustrations de magazines et papiers découpés et collés sur carton argenté, 25,3 x 16,3 cm
Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, Paris
© Photo : Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


César Domela (1900-1992) est un peintre et sculpteur néerlandais qui vivait à Berlin et y a organisé en 1931 une exposition intitulée « Fotomontage » à laquelle Hannah a participé, avec Haussmann, Laszlo Moholy-Nagy et Rodtchenko.

Catalogue de l'exposition Fotomontage
Atrium de l'ancien Kunstgewerbemuseum, Prinz-Albrecht-Straße 7, Berlin
du 25 avril au 31 mai 1931
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Marlene – 1930
Aquarelle, pastel blanc et collage de papier imprimé sur papier, 36,6 x 24,6 cm
Collection particulière (vente 2005)

Keuschheit (Chasteté) – vers 1930
Collage, 21 x 14,5 cm
Hamburger Kunsthalle, Hambourg

En 1932, une exposition des collages d’Hannah est prévue au Bauhaus de Dessau. Mais au conseil municipal de Dessau, le groupe national-socialiste est devenu majoritaire en septembre 1932. Le Bauhaus est fermé et l’exposition annulée. En 1933, le travail d'Hannah reçoit le qualificatif de « bolchévisme culturel ». Elle n’échappe à l’exposition sur « l’art dégénéré » que parce qu’aucune de ses œuvres n’a été acquise par un musée…

 

A cette époque, Hannah travaille aussi à un projet personnel qui n’a été édité intégralement qu’en 2004, son Album qu’elle termine vers 1933.

Il est composé de deux exemplaires de Die Dame, soit 114 pages, sur lesquels sont superposées par collage 421 photographies, provenant d’autres images de presse et des textes manuscrits, l’ensemble occultant la quasi-totalité des pages. Un palimpseste sur magazine, moitié scrapbook, moitié cahier de classement d’images.

Deux pages de l’Album

La logique d’assemblage des photographies paraît être un processus de catégorisation : des éléments associés par thèmes ou en raison de leur ressemblance formelle, dans une logique principalement subjective mais qui éclaire sur la vie sociale et culturelle de l’époque, comme sur l’imaginaire photographique des médias de masse. On y découvre de nombreux sujets féminins (et des photos de Joséphine Baker et Kiki de Montparnasse), des évocations d’activités physiques (danse, gymnastique), auxquels s’ajoutent des thèmes strictement personnels comme les jeunes enfants, les chats, les plantes, les oiseaux. Hannah n’est pas la seule artiste à avoir travaillé de cette façon. On trouve aussi ce type de palimpseste chez Kurt Schwitters.


Deux autres pages de l’Album
Source : site de l’éditeur en 2004, Hatje Cantz


Vers 1935, Hannah se sépare de Til Brugman qui quitte Berlin, comme de nombreux artistes avant-gardistes, à la fin des années 30.

 

Der Berg – 1939
Huile sur toile, 75,3 x 70,5 cm
Collection particulière (vente 2021)


Hannah reste à Berlin car elle a eu l’opportunité d’acheter une petite maison dans le quartier d’Heiligensee (au nord-ouest du Grand Berlin), avec l’économiste Kurt Heinz Matthies qu’elle a épousé en 1938. Ils retapent la maison ensemble, entre deux voyages en caravane en Allemagne… mais Kurt la quitte brutalement en 1942 et Hannah vivra seule, isolée dans sa maison, « douze ans de misère, imposée par une clique folle, inhumaine et bestiale ».

 

Drei Gesichter [Trois visages] – début années 40
Huile sur toile, 65 x 53,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Kicken Berlin [Coup de pied de Berlin] – 1943/1946
Collage 22,8 x 21,8 cm
Source : Art Basel 2018



Totentanz I [Danse macabre I] – 1943
Aquarelle sur papier vergé gris-bleu, 48,3 x 62,7 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Elle cache ses propres œuvres – avec celles qu’elle détient d’Hausmann, de Schwitters et d’autres – et ses archives dada dans des caisses en métal qu’elle enterre dans son jardin. Elle survit difficilement, vendant même au marché les légumes qu’elle fait pousser…en espérant que ses voisins ne la reconnaitront pas. 

Un œuvre exprime ce qu’elle ressent à la fin de la guerre. Elle l’a imaginée pendant les bombardement de 1943 mais n’a pu la réaliser qu’en 1945 quand elle a pu à nouveau avoir accès à une toile. On la croirait peinte par Käthe Kollwitz…

 

Klagende Frauen [Femmes en deuil] – 1945
Huile sur toile, 62 x 79 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Il est un peu difficile de suivre sa vie d’après-guerre.

Elle a produits ces collages pour une publication de 1945 que je veux mentionner même si je n’ai pas trouvé dans quel cadre elle l’a réalisée. Un petit livre pour enfants, composés d’animaux improbables, accompagnés de petits poèmes.

 

Couverture


Deux pages intérieures du Bilderbuch
(photos d'une librairie en ligne)

La poésie des collages apparaît comme un refuge, en dépit de leur fond vaguement inquiétant. Ses peintures, en revanche…


Doppelkopf [Double Tête] – vers 1946
Huile sur masonite, 70.3 x 79.9 cm
Collection particulière (vente 2022)


Zeinchen [Pancarte] – vers 1948
Huile sur toile, 90 x 65 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Après-guerre, Hannah devient une artiste reconnue et expose régulièrement, en Allemagne et à l’étranger mais sa notoriété est en partie fondée sur sa période dada (dont elle détient une bonne partie des archives), notamment grâce à la publication, par le magazine politique et culturel Der Monat [Le Mois], d’un entretien avec le journaliste et critique d’art Edouard Roditi en 1959.

Les anciens dadaïstes, très attentifs à la diffusion de ce qui les concerne - et extrêmement jaloux de leurs notoriétés respectives - lui reprocheront amèrement les termes de cet article, l’un parce qu’il n’avait pas été cité (Huelsenbeck), l’autre parce qu’il estimait qu’elle avait dénaturé son image (Haussmann) et tous pour discuter sa place dans le groupe dada.

La controverse durera des années et s’avère d’autant plus injustifiée qu’elle s’était mise en danger pour conserver les œuvres de ses détracteurs.  Outre le fait que ces attaques devaient être extrêmement rudes à vivre, elles ont contribué à minimiser son travail de façon prolongée, en opposant le caractère « viril » qui serait intrinsèque au mouvement dada aux qualités féminines d’Hannah dont on ira même jusqu’à écrire qu’elle s’était « rendue indispensable au cours des soirées d’atelier de Hausmann, tant par le contraste frappant entre sa grâce monacale et le côté poids lourd de son maître, que par les petits sandwichs accompagnés de café et de bière dont elle parvenait à nous pourvoir comme par miracle, malgré le manque d’argent. »

Bref, elle était celle qui faisait le café !!!

 

Oublions ça pour examiner ce qu’elle produit dans les années 50 et 60. 

La plupart de ses peintures sont des compositions dynamiques et presque abstraites où se mêlent parfois des réminiscences de la technique du collage (les bouches des Tempéraments).

 

Die Temperamente [Les Tempéraments] – 1954
Huile sur toile, 84,5 x 97,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Schwebende Formen [Formes flottantes] – 1958
Huile sur toile, 90 x 60 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Celle-ci, dont le musée considère qu’elle date « vraisemblablement de l’après-guerre » ferait aussi penser à une composition abstraite si le titre n’identifiait pas la sphère rouge…

 

Devant un soleil rouge du soir – sans date
Huile sur toile, 79,3 x 74,9 cm
National Museum of Women in the Arts, Washington, D.C.
© Photo : Lee Stalsworth


Ses collages des années 50, en revanche, restent assez proches de l’inspiration dada pour ce qui paraît être une critique de l’urbanisation d’après-guerre (?) à moins qu’il s’agisse d’évoquer son désir de regarder le monde d’en haut, une idée qui l’a toujours accompagnée (elle voulait voir le monde comme une fourmi ou comme un oiseau).

 

Fortgeschritten (Avancé) – vers 1958
Photomontage
Berliner Sparkasse – VG Bild-Kunst, Bonn 

Von Oben gesehen [Vu d’en haut] – 1959
Collage de papier sur carton, 23 x 20 cm
Collection particulière (vente 2018)

Son style évolue dans les années 60 et elle est la première à intégrer des photographies en couleurs, ce que ses « amis » dada ne manqueront pas de lui reprocher en l’accusant de créer des œuvres « décoratives ».

 

Wenn die Düfte blühen… [Quand fleurissent les senteurs] – 1962
Collage sur carton, 21 x 22,5 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Mais je trouve qu’elle n’a perdu ni sa force d’évocation…

 

Loch im Himmel [Trou dans le ciel] – 1965
Collage sur carton, 34,3 x 16,2 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie

Der Baumzingel [L’Anneau des arbres] - 1966
Collage sur carton, 37,8 x 26,2 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


Magie – 1966
Collage sur carton, 38,4 x 32 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie


… ni sa ravageuse causticité !

Grotesk [Grotesque] – 1963
Photomontage, 25 x 17 cm
 Institut fur Auslandsbeziehungen, Stuttgart


Et, comme dans les années 20, ses œuvres restent éminemment significatives de l’imaginaire des media de son temps.


Das ewig Weibliche II (Eternel féminin II) – 1967

Collage, 51 x 26,8

Collection particulière



Augen [Yeux] – vers 1967
Collage sur carton, 31 x 41,5 cm
Collection particulière (vente 2022)

 

Dernier clin d’œil de l’artiste, le grand collage ci-dessous, réalisé à l’occasion de l’exposition Höch à l’Académie des Arts de Berlin en 1971 qui montrait ses collages 1916/1971.

Si l’image multipliée de la vieille dame aux cheveux blancs saute aux yeux, une approche plus attentive permet de distinguer, dans la partie haute à gauche, plusieurs photos des œuvres qu’elles devait considérer comme significatives, la Jeune Allemande, La Douce, L’éternel féminin… On voit aussi les nombreux cactus qui agrémentaient le jardin berlinois d’Hannah, les enfants, les chats et même une poupée dada.

Une autobiographie visuelle.


En 1976, une exposition rétrospective de son œuvre est organisée au musée d’Art moderne de la ville de Paris (MAVP) puis à la Nationalgalerie de Berlin. A cette occasion paraît un entretien réalisé par Suzanne Pagé (future directrice du MAMVP), qui contribuera également à sa notoriété.

Dans un autre entretien réalisé un an avant sa mort, Hannah déclare à propos de ses collages : « Jusqu’à ce jour, j’ai tenté d’exprimer, avec ces techniques, mes pensées, mes critiques, mes sarcasmes, mais aussi le malheur et la beauté ».

La dernière exposition où l'on a vu des œuvres d’Hannah à Paris a eu lieu à l’Orangerie fin 2017. Elle était intitulée « Dada Africa ».

 

Hannah est morte le 31 mai 1978 à Berlin. Toute sa vie, elle a porté haut sa devise :

 

Schrankenlose Freiheit für H.H 

[Liberté sans borne pour Hannah Höch]

 

 

Dessin – sans date
Stylo feutre sur papier marouflé sur carton, 11,9 x 8,8 cm
Berlinische Galerie, Berlin
© VG Bild-Kunst, Berlinische Galerie




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