Anna
Therese Johanne
(Hannah) Höch est née le 1er novembre
1889 à Gotha, dans une famille aisée. Son père était assureur et sa mère
pratiquait la peinture en amateur.
Hanna, qui est l'aînée de cinq enfants, doit quitter le lycée à quinze ans pour s'occuper de sa jeune sœur Marianne. Elle a presque vingt-deux ans lorsqu’elle peut enfin partir pour Berlin et s’inscrire à l'école des Arts appliqués de Charlottenburg. « L’Académie, qui aurait été mon but constituait un rêve, une demande que je n’osais même pas formuler » écrira-t-elle plus tard dans ses mémoires.
En 1914, l’école ferme ses portes en raison de la guerre et Hannah se met au service de la Croix Rouge pendant un an. Mais, dès janvier 1915, elle revient à Berlin, loue un atelier et étudie le graphisme avec le peintre et graveur Emil Orlik (1870-1932) qui dirige le département d'art graphique et d'illustration des arts appliqués de Berlin.
Elle
rencontre Raoul Hausmann, un artiste éclectique qui travaille un peu tout, de
la peinture au photomontage. Ils engagent une relation amoureuse.
« Réduisant
l'individu à des séries de chiffres, cette tête fait la critique d'une
mécanisation néfaste révélée par la Grande guerre. Elle constitue aussi
l'annonce d'un homme nouveau, rationnel et impersonnel en phase avec la société
moderne. Antibourgeois et corrosif, Raoul Hausmann rejette-il le présent ou se
projette-il dans l'avenir ? » (Notice du musée)
L’année
suivante, Hannah travaille à mi-temps comme dessinatrice de patrons de mode et
de motifs de dentelle pour des périodiques de mode féminine, comme le célèbre Die
Dame.
Selon Hausmann, ce serait pendant des vacances en 1918 qu’Hannah et lui auraient découvert une coutume populaire consistant à coller une photographie détournée sur des photos de soldats prussiens. Ils en auraient tiré leur inspiration pour leurs premiers collages. On en trouve effectivement une trace dans les archives d’Hannah, avec cette planche militaire dont les têtes ont été remplacées :
Hannah rencontre des membres du Novembergruppe (Groupe de Novembre) qui tient son nom des évènements ayant précédé la République de Weimar. Elle participe ponctuellement à leurs expositions annuelles jusqu’en 1931.
C’est
cependant par l’intermédiaire de Hausmann que Hannah se rapproche du mouvement
Dada, à partir de 1919.
A cette époque, elle produit déjà d’étonnantes Poupées dada…
… et des collages assez humoristiques, comme celui qui est considéré comme le portrait de Hausmann qu’elle intitule Da(da) Dandy (le titre figure dans le collage, en haut à gauche et en bas à droite) où l’on perçoit le profil de son amant, constitué d’éléments de visages de femmes découpés dans des magazines. Elle dénonce le « coureur de jupons » et étrille au passage le machisme du groupe dada berlinois !
En
dépit (ou à cause) de la pertinence et de l’acuité de son regard, Hannah n'est pas bien accueillie au
sein du groupe Dada. George Grosz (1893-1959) et John Heartfield (1891-1968) ont pris parti contre
son travail, soit parce qu’elle était une femme, soit parce qu’ils la
trouvaient un peu trop indépendante (soit les deux !) et ont essayé de
l'exclure. Ces deux-là sont difficiles : ils ostracisent aussi Kurt
Schwitters (1887-1948), pourtant créateur du groupe dada de Hanovre, parce
qu’ils le trouvent trop bourgeois et pas assez radical. On reparlera de cet
artiste, ami d'Hannah, un peu plus loin.
Mais Hausmann, qui était lui-aussi une figure centrale du groupe, menace de se retirer si Hannah est exclue. Finalement, Hannah est la seule femme admise (on évoque parfois deux femmes mais je n’ai pas retrouvé l’autre…) à participer, en juillet 1920, à la première foire internationale dada de Berlin. On y voit notamment des œuvres de Grosz, de Heartfield, de Max Ernst (1891-1976) - duquel Hannah restera proche toute sa vie - et de Francis Picabia (1879-1953).
Le slogan de la manifestation
est : « L’art est mort, vive l’art mécanique de Tatlin ».
[Vladimir Tatlin (1885-1953) est un architecte et scénographe russe devenu,
avec Malevitch, une figure centrale de l’avant-garde artistique soviétique.]
« L’Art
est mort… » mais pas le machisme : ces deux-là auront l’inélégance
d’inscrire Hannah dans le catalogue sous le surnom condescendant d’Hannchen
(petite Hanna) et ne rateront aucune occasion de dévaloriser son travail par la
suite.
Hannah
expose deux collages :
Le premier est Dada Rundschau, une parodie du « gigantesque non-sens du monde », à partir de photos du Berliner Illustrirte Zeitung, un journal très populaire couvrant des sujets allant de la politique aux célébrités et aux faits divers (et qui appartient au groupe de presse pour lequel Hannah travaille !).
Collage, gouache et aquarelle sur carton, 43,7 x 34,6 cm
Au
centre, on voit le président allemand nouvellement élu Friedrich Ebert en
maillot de bain et, au-dessus de lui, volant à l’horizontal comme un ange, Woodrow
Wilson, président américain et lauréat du prix Nobel de la paix… Sachant que
l’œuvre a été produite au moment même où l’Allemagne négociait les réparations
de guerre qu’elle aurait à verser aux vainqueurs de la Grande Guerre, la satire
est osée. Et encore, on n’en comprend pas la totalité aujourd’hui !
Le deuxième collage est une
grande composition, l’œuvre la plus célèbre d’Hanna aujourd’hui : Schnitt mit dem Küchenmesser Dada durch die
letzte Weimarer Bierbauch-Kulturepoche Deutschlands, [Coupe au couteau de cuisine dans la
dernière époque culturelle de l'Allemagne, celle de la grosse bedaine
weimarienne], une sorte de représentation visuelle du « régime
intellectuel » weimarien.
Là encore, le Berliner Illustrirte Zeitung est mis à contribution au service du Grand Art dont Richard Huelsenbeck (1892-1974), un des fondateurs du mouvement, vient de donner la définition dans l’Almanach Dada : « Le plus grand art sera celui qui présentera, par son contenu de conscience, les multiples problèmes de son époque, celui qui fera ressentir qu’il a été secoué par les explosions de la semaine précédente, celui qui, inlassablement, cherchera à se retrouver après l’ébranlement du jour précédent. »
Dans l’angle supérieur droit, on voit Guillaume II et ceux qui représentent le « mouvement anti-dada » : les généraux, le gouvernement de Weimar, des militaires casqués. En haut à gauche, Albert Einstein un peu dadaïsé et les figures du mouvement dada qui retirent les cerveaux, démontent les roulements à billes et vivent en équilibre avec, en plein milieu, le visage de Käthe Kollwitz (au-dessus du corps sans tête de la danseuse Niddy Impekoven), en hommage à son rôle de pionnière artistique. Dans la partie basse, à gauche, une foule qui fait face aux dadaïstes berlinois, à droite. Un façon d’exprimer que l’art est politique et, même si Hannah n’a jamais eu d’engagements politiques proprement dits, elle considérait que ses œuvres étaient, de fait, politiquement engagées.
On saisit la portée de cet engagement dans son œuvre Roma, qu’elle peint au retour d’un voyage à Rome qu’elle a effectué avec une de ses sœurs, en 1920.
Une
juxtaposition d’éléments de différents siècles, d’architecture antique et
baroque qui composent le paysage romain et un portrait de Mussolini au centre du tableau, à côté de l’actrice
Asta Nielsen qui le regarde en biais et paraît lui intimer à grands gestes de
quitter Rome…
Hannah
se sépare de Hausmann en 1922. La même année, elle peint Femme et Saturne :
La
femme (très probablement Hannah elle-même) fait littéralement corps avec un
nourrisson sans visage et dont le corps est transparent : on voit le
sein de sa mère à travers la cuisse de l’enfant, son épaule à travers son
crâne. La compréhension du tableau exige d’en savoir un peu plus sur la
relation entre Haussmann et Hannah : il était marié et n’a jamais voulu
rompre son premier couple, tout en souhaitant avoir un enfant d’Hannah. C’est
probablement pour cela qu’elle le représente, au-dessus d’elle, en Saturne
(Kronos), celui qui mange ses enfants dans la mythologie, celui qui n’assume
pas ses responsabilités dans la vie réelle. Hannah a subi plusieurs avortements
pour ne pas mettre un enfant au monde dans les conditions que lui imposait
Haussmann. Le nourrisson sans visage est un enfant qui n’est jamais né.
La
rupture avec Haussmann fait perdre à Hannah tout contact avec la plupart des
membres du mouvement dada berlinois mais elle reste proche du groupe Novembre. Elle
se rapproche également des artistes constructivistes comme Hans Arp (1886-1966),
Théo van Doesburg (1883-1931) et Laszlo Moholy-Nagy (1895-1946), un peintre et
photographe hongrois, professeur au Bauhaus. Hanna lui dédicace ce collage où
la Haute Finance est assez clairement assimilée aux marchands de canons…
Et chez Doesburg, elle rencontre Mondrian qu’elle reverra lors d’un voyage à Paris en 1927.
Hannah continue à appliquer dans sa peinture la méthode dadaïste du
photomontage, comme avec Le
Moustique est mort, une nature morte qui mêle surréalisme, Nouvelle Objectivité
et sans doute aussi le modernisme italien qu’elle a découvert à Rome.
La composition, basée sur les couleurs primaires (rouge, bleu,
jaune), comprend aussi les trois formes géométriques de base, cercle, rectangle
et triangle. On y trouve aussi les trois formes du vivant (végétal, animal et
humain) : le caoutchouc, l’homme et le moustique, sous forme de
représentations mécaniques. On peut aussi y voir des références au memento mori
avec l’insecte mort et le sablier.
On retrouve la même logique du photomontage dans Die Treppe où les objets sont disséminés dans un espace pictural composé comme une scène.
On voit le Christ au
premier plan, affublé masque à double expression, méchante et désabusée puis un
grand escalier (peut-être un souvenir de l’escalier de la basilique
de Latran qu’elle a visitée à Rome). Au second plan, une ville enserrée dans
une vasque en forme de coquetier, non loin d’une mappemonde. Tout en haut de la
toile, un enfant seul et lointain. Enfin, au centre de la composition, une
fleur monstrueuse puissamment étalée entre la nature (les petits arbres en
dessous) et des machines coincées sous ce qui ressemble à une cloche à fromage…
Et collage, encore, pour ces Journalistes qui en prennent pour leur grade (et que leurs contemporains pouvaient sûrement identifier).
J’ai eu aussi la surprise de trouver cette nature morte d’Hannah dans l’exposition sur la Nouvelle Objectivité allemande à Beaubourg. Non qu’elle n’ait rien à y faire puisque son travail du médium photographique marque son appartenance à la Neues Sehen [Nouveau Regard], proche de la Nouvelle Objectivité. Simplement, j’ignorais qu’elle s’était avancée aussi loin dans l’hyperréalisme.
Au
premier plan, dans un reflet inversé, Hannah s’est représentée à son chevalet
devant une fenêtre, comme les peintres du XVIe siècle…
On trouve également des travaux qui rappellent qu’Hannah a fait des études de graphisme…
Et dans ses collages, Hannah continue à exercer sa veine critique sur la condition des femmes dans la société de la République de Weimar.
« Höch,
elle-même une nouvelle femme, se moque d'un rôle féminin conventionnel - ainsi
que des attentes masculines en matière de beauté - dans Der Traum
seinen Lebens (Le rêve de sa vie), qui incorpore plusieurs photographies
teintées à la main de la même femme qui prend coquettement la pose dans une
robe de mariée et un voile compliqué. Ces images, bordées de bandes de
papier imprimées pour ressembler à des cadres, sont collées sur une feuille
marbrée de couleurs. Cette composition relativement clairsemée, avec ses
cadres imbriqués et son fond décoratif, reflète la formation graphique de Höch. »
(Notice du musée)
Collage sur papier apprêté coloré, monté sur carton, 27,7 x 22,8 cm
Sa
série Aus einem ethnographischen
Museum [Issu d’un musée ethnographique], à laquelle elle
travaille de 1924 jusqu’au milieu des années 30, est un ensemble de 17
œuvres qui lui aurait été inspiré par une visite au musée de Leyde, en Hollande, qu’elle fit en compagnie de Kurt
Schwitters.
Il n’est probablement pas sans signification que les photographies utilisées par Hannah pour ses montages aient été extraites de la revue Der Querschnitt [La Découpe transversale], mensuel culturel publié de 1921 à 1936 par un marchand d’art et collectionneur Alfred Flechtheim (1878-1937), animé par la volonté de ne pas établir de hiérarchie entre les formes d’art qui figuraient à égale proportion dans la revue.
Ainsi, dans Entführung [Enlèvement], deux mondes, habituellement différenciés, sont confrontés.
Le plus souvent, les
reproductions d’art tribal servent à masquer les visages des femmes, comme pour
signifier que leur véritable nature est réprimée par les codes qui leur sont
imposés, comme Die Süsse [La
Douce], Fremde Schönheit [Beauté
étrange] et Mutter [mère] :
« À
travers les éléments coupés-collés, Höch a rassemblé des références au cinéma,
à la sculpture centrafricaine et à la sphère domestique. Son modèle est
l'actrice Renée (Maria) Falconetti (également connue simplement sous le nom de
"Falconetti"), apparaissant dans une publicité pour le film de 1928
de Carl Theodor Dreyer La Passion de Jeanne d'Arc. La moitié du
visage de Falconetti est remplacée par l'oreille, l'œil et la bouche d'un
masque de danse en bois du Cameroun. Au sommet de sa tête repose une couronne
de couverts : des formes découpées de cuillères et de couteaux, sur une feuille
métallique scintillante. […] . Invoquant une martyre française androgyne
du XVe siècle incarnée par une star de cinéma glamour, la coiffant des parures
d'une déesse domestique et l'alignant avec un Autre culturel, cette
représentation composite examine les facettes complexes de la féminité
moderne. » (Notice du musée)
Et, avec Hannah, la pointe d’humour n’est jamais très loin :
Avec son ami Schwitters, Hannah travaille à une « Anti-revue » intitulée Pire et Mieux dont j’ai trouvé de multiples traces (des projets de décor, des esquisses de figurines) mais pas de preuve de réalisation…
Ceci m’amène à évoquer une œuvre assez extraordinaire de Schwitters,
intitulée le Merzbau.
Après que sa participation à la première foire internationale dada de Berlin avait été refusée, Schwitters a créé son propre mouvement, le « Merz », un mot inventé à partir de la partie centrale du mot Kommerzbank [banque commerciale]. Le « Merz » constituait l’ambition de créer un art total, mêlant architecture, sculpture, poésie, etc. Schwitters mit son objectif en pratique dans sa propre maison à Hanovre : des volumes en plâtre, imbriqués les uns dans les autres dans lesquelles il installait des cavités destinées à recevoir les œuvres d’amis artistes. Schwitters donne à cet ensemble le nom de Merzbau [Construction Merz].
Le projet a prospéré jusqu’à envahir complètement la maison de l’artiste, comme on le voit sur les photos de l’époque.
Plusieurs artistes importants ont apporté
leur concours à cette œuvre totale, considérée comme précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui
« art in situ ». Hannah aurait, pour sa part,
participé à une installation sobrement intitulée Le Bordel, avec une Dame
à trois pattes, dont il ne reste hélas pas trace, le Merzbau ayant
été détruit par un bombardement en 1943…
C’est chez les Schwitters qu’Hannah
rencontre en 1926, la poète et
romancière néerlandaise Til Brugman (1888-1958), qui devient sa compagne. Elle
s’installe avec elle à La Haye, où elle est en contact avec le groupe De Stijl.
C’est
à La Hague qu’elle peint cette toile surréaliste assez angoissante…
Puis
Hannah et Til reviennent ensemble à Berlin en 1929.
Hannah se consacre désormais prioritairement à la peinture mais elle ne cesse pourtant pas de composer des collages, souvent avec humour, telle cette Fille allemande :
En
1932, une exposition des collages d’Hannah est prévue au Bauhaus de Dessau.
Mais au conseil municipal de Dessau, le groupe national-socialiste est devenu
majoritaire en septembre 1932. Le Bauhaus est fermé et l’exposition annulée. En
1933, le travail d'Hannah reçoit le qualificatif de « bolchévisme culturel ».
Elle n’échappe à l’exposition sur « l’art dégénéré » que parce
qu’aucune de ses œuvres n’a été acquise par un musée…
A
cette époque, Hannah travaille aussi à un projet personnel qui n’a été édité
intégralement qu’en 2004, son Album qu’elle termine vers 1933.
Il est composé de deux exemplaires de Die Dame, soit 114 pages, sur lesquels sont superposées par collage 421 photographies, provenant d’autres images de presse et des textes manuscrits, l’ensemble occultant la quasi-totalité des pages. Un palimpseste sur magazine, moitié scrapbook, moitié cahier de classement d’images.
La logique d’assemblage des photographies paraît être un processus de catégorisation : des éléments associés par thèmes ou en raison de leur ressemblance formelle, dans une logique principalement subjective mais qui éclaire sur la vie sociale et culturelle de l’époque, comme sur l’imaginaire photographique des médias de masse. On y découvre de nombreux sujets féminins (et des photos de Joséphine Baker et Kiki de Montparnasse), des évocations d’activités physiques (danse, gymnastique), auxquels s’ajoutent des thèmes strictement personnels comme les jeunes enfants, les chats, les plantes, les oiseaux. Hannah n’est pas la seule artiste à avoir travaillé de cette façon. On trouve aussi ce type de palimpseste chez Kurt Schwitters.
Vers
1935, Hannah se sépare de Til Brugman qui quitte Berlin, comme de nombreux
artistes avant-gardistes, à la fin des années 30.
Hannah
reste à Berlin car elle a eu l’opportunité d’acheter une petite maison dans le
quartier d’Heiligensee (au nord-ouest du Grand Berlin), avec l’économiste Kurt Heinz Matthies qu’elle a
épousé en 1938. Ils retapent la maison ensemble, entre deux voyages en caravane
en Allemagne… mais Kurt la quitte brutalement en 1942 et Hannah vivra seule,
isolée dans sa maison, « douze
ans de misère, imposée par une clique folle, inhumaine et bestiale ».
Elle cache ses propres œuvres – avec celles qu’elle détient d’Hausmann, de Schwitters et d’autres – et ses archives dada dans des caisses en métal qu’elle enterre dans son jardin. Elle survit difficilement, vendant même au marché les légumes qu’elle fait pousser…en espérant que ses voisins ne la reconnaitront pas.
Un œuvre exprime ce qu’elle ressent à la
fin de la guerre. Elle l’a imaginée pendant les bombardement de 1943 mais n’a
pu la réaliser qu’en 1945 quand elle a pu à nouveau avoir accès à une toile. On
la croirait peinte par Käthe Kollwitz…
Il est un peu difficile de suivre sa vie
d’après-guerre.
Elle a produits ces collages pour une publication de 1945 que je veux mentionner même si je n’ai pas trouvé dans quel cadre elle l’a réalisée. Un petit livre pour enfants, composés d’animaux improbables, accompagnés de petits poèmes.
La poésie des collages apparaît comme un refuge, en dépit de leur fond
vaguement inquiétant. Ses peintures, en revanche…
Après-guerre, Hannah devient une artiste
reconnue et expose régulièrement, en Allemagne et à l’étranger mais sa
notoriété est en partie fondée sur sa période dada (dont elle détient une bonne
partie des archives), notamment
grâce à la publication, par le magazine politique et culturel Der Monat
[Le Mois], d’un entretien avec le journaliste et critique d’art Edouard Roditi
en 1959.
Les anciens dadaïstes, très attentifs à la diffusion de ce qui les concerne - et extrêmement jaloux de leurs notoriétés respectives - lui reprocheront amèrement les termes de cet article, l’un parce qu’il n’avait pas été cité (Huelsenbeck), l’autre parce qu’il estimait qu’elle avait dénaturé son image (Haussmann) et tous pour discuter sa place dans le groupe dada.
La controverse durera des années et s’avère d’autant plus injustifiée qu’elle s’était mise en danger pour conserver les œuvres de ses détracteurs. Outre le fait que ces attaques devaient être extrêmement rudes à vivre, elles ont contribué à minimiser son travail de façon prolongée, en opposant le caractère « viril » qui serait intrinsèque au mouvement dada aux qualités féminines d’Hannah dont on ira même jusqu’à écrire qu’elle s’était « rendue indispensable au cours des soirées d’atelier de Hausmann, tant par le contraste frappant entre sa grâce monacale et le côté poids lourd de son maître, que par les petits sandwichs accompagnés de café et de bière dont elle parvenait à nous pourvoir comme par miracle, malgré le manque d’argent. »
Bref,
elle était celle qui faisait le café !!!
Oublions ça pour examiner ce qu’elle produit dans les années 50 et 60.
La plupart de ses peintures sont des compositions dynamiques
et presque abstraites où se mêlent parfois des réminiscences de la technique du collage (les
bouches des Tempéraments).
Celle-ci, dont le musée considère qu’elle
date « vraisemblablement de l’après-guerre » ferait aussi penser à
une composition abstraite si le titre n’identifiait pas la sphère rouge…
Ses collages des années 50, en revanche,
restent assez proches de l’inspiration dada pour ce qui paraît être une
critique de l’urbanisation d’après-guerre (?) à moins qu’il s’agisse d’évoquer
son désir de regarder le monde d’en haut, une idée qui l’a toujours accompagnée
(elle voulait voir le monde comme une fourmi ou comme un oiseau).
Son style évolue dans les années 60 et elle est la première à intégrer des photographies en couleurs, ce que ses « amis » dada ne manqueront pas de lui reprocher en l’accusant de créer des œuvres « décoratives ».
Mais je trouve qu’elle n’a perdu ni sa
force d’évocation…
… ni sa ravageuse causticité !
Dernier clin d’œil de l’artiste, le grand collage ci-dessous, réalisé à l’occasion de l’exposition Höch à l’Académie des Arts de Berlin en 1971 qui montrait ses collages 1916/1971.
Si
l’image multipliée de la vieille dame aux cheveux blancs saute aux yeux, une
approche plus attentive permet de distinguer, dans la partie haute à gauche,
plusieurs photos des œuvres qu’elles devait considérer comme significatives, la
Jeune Allemande, La Douce, L’éternel féminin… On voit
aussi les nombreux cactus qui agrémentaient le jardin berlinois d’Hannah, les
enfants, les chats et même une poupée dada.
Une autobiographie visuelle.
En
1976, une exposition rétrospective de son œuvre est organisée au musée d’Art moderne
de la ville de Paris (MAVP) puis à la Nationalgalerie de Berlin. A cette
occasion paraît un entretien réalisé par Suzanne Pagé (future directrice du MAMVP),
qui contribuera également à sa notoriété.
Dans un autre entretien réalisé un an avant sa mort, Hannah déclare à propos de ses collages : « Jusqu’à ce jour, j’ai tenté d’exprimer, avec ces techniques, mes pensées, mes critiques, mes sarcasmes, mais aussi le malheur et la beauté ».
La
dernière exposition où l'on a vu des œuvres d’Hannah à Paris a eu lieu à
l’Orangerie fin 2017. Elle était intitulée « Dada Africa ».
Hannah
est morte le 31 mai 1978 à Berlin. Toute sa vie, elle a porté haut sa
devise :
Schrankenlose Freiheit für H.H
[Liberté sans borne pour Hannah Höch]
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