Maria Melania Klingsland est née à Varsovie, le 25 avril 1876, dans
une famille juive fortunée. Son père, Fabian Klingsland, était propriétaire
d'un grand magasin à Ul et un mécène qui soutenait principalement des
écrivains.
Plus tard, le jeune frère de Melania, Zygmunt, deviendra critique d'art et de littérature. Dès sa jeunesse, Melania est entourée d'écrivains comme le futur prix Nobel de littérature, Wladyslaw Reymont et poète Leopold Staff.
Après
avoir obtenu son diplôme d’études secondaires en 1892, Melania étudie le dessin
et la musique. En 1899, elle entre à l’école de dessin
et peinture de Milosz Kotarbiński, seule structure d’enseignement artistique ouverte
aux femmes dans la capitale d’un pays alors intégré à l’Empire russe.
Cet autoportrait, peint à cette période, montre son intérêt pour le symbolisme et probablement aussi l’influence de James Whistler.
Melania épouse en 1899 un militant
socialiste, écrivain et critique d’art, Michal Mutermilch
puis donne naissance à un petit garçon, Andrzej.
En 1901, la petite famille part s’installer à Paris, 65, boulevard Arago, c’est-à-dire dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « Cité Fleurie » où sont installés une trentaine d’ateliers d’artistes. Dès l’été 1901, ils partent en vacances en Bretagne, où Melania noue ses premiers liens avec les peintres de Pont-Aven, notamment Wladyslaw Slewiński, un ami de Gauguin.
A l’automne, Melania suit des cours à l’Académie Colarossi et à la Grande Chaumière mais ne paraît pas avoir persévéré. Elle indiquera ensuite se considérer comme une artiste autodidacte. Pourtant, selon le répertoire publié en ligne par le musée Bourdelle, elle aurait suivi l'enseignement d’Antoine Bourdelle dans les années 1910-1920, à la Grande Chaumière. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces deux institutions, alors au cœur de la formation des artistes de « l’Ecole de Paris » que Melania noue des relations avec les nombreux Polonais installés dans la capitale, et aussi en participant aux activités de la Société artistique et littéraire polonaise qui s’installe dès cette époque dans le quartier Saint Germain.
« Melanja
Mutermilchowa » expose pour la première fois au Salon de la société
nationale des beaux-arts en 1902, une étude au pastel Ballerina., puis,
sous le même nom l’année suivante, un autoportrait et le Portrait d’un jeune
poète.
Elle n’apparaît pas au Salon l’année suivante mais on la retrouve en 1905 au Salon d’Automne avec quatre peintures, un pastel et un nouveau prénom, Mela ; une nouvelle adresse, aussi, au 8 rue de la Grande Chaumière.
L’une
de ces peintures est probablement celle-ci :
La
même année, Mela expose vingt œuvres à l’exposition de la Société pour
l'encouragement des beaux-arts de Varsovie et figure au catalogue du Salon des
Indépendants, avec huit œuvres nouvelles.
Selon le musée de Varsovie, elle aurait peint à cette période ce vieux marchand ambulant.
« À
cette époque, les sujets de prédilection de Muter étaient les personnes âgées,
les handicapés et les enfants pauvres. […] La peintre a construit une
atmosphère intime avec des couleurs tamisées, elle a utilisé de longues lignes
et de grandes taches de couleur, donner des détails. Elle a introduit
un élément du grotesque – un masque de clown -, qu’elle a juxtaposé au visage
indifférent du vendeur, ce qui donne à l’œuvre un ton dramatique. »
(Extrait de la notice du musée)
Mela continue à se rendre régulièrement en Bretagne l’été et il en reste de nombreux témoignages dans les collections particulières.
Après
une éclipse en 1906, la revoilà à la « Nationale » en 1907, avec deux
dessins et deux peintures, dont ce Triste pays, peint à Concarneau.
Puis, au Salon de 1909, où elle s’est inscrite en simplifiant son nom en « Meterlich », elle montre à nouveau quatre peintures et quatre œuvres classées en dessins, sans qu’on sache de quel medium il s’agit.
En
1910, toujours à la « Nationale », sur les neuf œuvres présentées, on
voit apparaître clairement trois gravures, dont l’une est intitulée La
Vieille. Il se pourrait donc qu’il s’agisse de cette pointe sèche que
le musée de Varsovie désigne autrement mais on ne saurait faire tout à fait
confiance aux traducteurs informatiques…
… d'autant qu'elle présente au même Salon un Hiver qu'on dirait bien inspiré par la même dame !
Le critique d'art Louis
Vauxcelles l’invite dans une exposition d’artistes féminines qu’il organise aux
galeries Devambez. La réaction de certains est un peu rude : « Mme Mela
Mutermilch peint les portraits comme un peintre en bâtiment. La mère,
pourtant, est plus simple et plus juste. » (Le Gay, « Notes d’Art,
Œuvres de femmes », L’Univers, 27-28 juin 1910, p.2)
En
1911, la liste des œuvres qu’elle expose au Salon est clairement d’inspiration
bretonne : Cimetière à Saint-Tugen (Finistère), Le Bois sacré… que
je n’ai pas retrouvés. Mais voici une toile peinte à Audierne où elle a séjourné plusieurs semaines cette année-là.
Elle
expose aussi une Mère et enfant qui n’est pas forcément cette huile
de la même année car le thème de la maternité est particulièrement récurrent
dans son œuvre.
Elle
participe aussi au Salon d’Automne, où ses œuvres sont remarquées :
« Mme Mela-Mutermilch, parmi les peintres de figures, occupe une place à
part. Son art est douloureux et terrible. Elle a le goût du tragique muet, et
rend avec une âpre éloquence ce qui l’émeut et la trouble. Sa Fécondité,
son François le Bossu, ses deux portraits ont un accent presque
désespéré, qui pénètre et qui demeure. » (Jean Claude, « Le Salon
d’Automne, La figure humaine », Le Petit Parisien, 9 octobre 1911,
p.4)
La même année, le peintre José Dalmau organise une exposition individuelle des œuvres de Mela dans sa prestigieuse Galeria de Arte Contemporanea à Barcelone. A cette occasion, elle offre son portrait à Dalmau :
L'exposition
est un succès : « Tous les experts en la matière s'accordent à dire
qu'il s'agissait vraiment d'une question de personnalité. Pas étonnant que
l'exposition présentée par [Mela Mutermilch] à Barcelone ait fait beaucoup
parler d'elle et positivement. [...] Grâce à elle, il a été démontré avec
éloquence qu'il est possible d'innover tout en respectant la forme et, de plus,
que ce n'est qu'après une étude préalable et assidue qu'il est possible d'atteindre
une simplicité réfléchie sans nuire à la structure, à condition que l'essentiel
soit préservé. [...] En suivant son œuvre telle qu'elle a été créée, on
peut dire que [l'artiste] ne s'est pas arrêtée dans ses recherches : au
contraire, elle s'y consacre avec toujours plus de zèle en écoutant les
conseils de la nature. ». (M. R. Codola, « Mela Mutermilch »,
Museum, 1911, Vol.1, p.401-419.)
Succès qui encourage Dalmau à faire de nouvelles présentations d'art polonais, auxquelles Mela participe. Les expositions sont l’occasion de séjours en Espagne, où l'artiste revient chaque année jusqu'en 1914.
Les vacances de l’été 1913 se déroulent à Ondarroa, petit port de pêche du pays basque espagnol.
Une
Danse espagnole qui deviendra curieusement La Balalaïke lors
d’une exposition d’art polonais en 1920…
En 1912, Mela expose une seule œuvre à la Nationale, Notre Dame des
Rues et participe, à la galerie Roger Lévesque, à « l’International art
union », un groupement de femmes artistes où dominent les Américaines. Dans Gil Blas (19 novembre 1912,
p.4), Louis Vauxcelles indique que Mela est allemande mais note que « Mme
Muter se souvient avec intelligence de Van Gogh ». Ce qui laisse penser
aussi que dès cette époque, elle a probablement commencé à signer ses toiles
« Muter ».
Au début du printemps 1914, les Mutermilch décident de rentrer à Varsovie. Ils quittent leur appartement du 160 boulevard Montparnasse et laissent les meubles et tableaux dans un entrepôt.
En avril, Mela visite seule Gérone. Sa présence
ne passe pas inaperçue et plusieurs chroniqueurs de la ville l’évoquent dans
leurs souvenirs : « Une femme exceptionnelle, jeune, extrêmement
belle, Mela Mutermilch (Muter), polonaise, artiste d’une forte personnalité et
d’une vision admirable de notre région, semblait être celle qui réunissait,
autour d’elle, cette jeunesse idéaliste ». (Miquel de Palol i Felip, Gérone
et moi, cité dans : Mar Camps « Mela Muter, la pintora polonesa
que va captivar Giron », Revista de Girona, p.41)
Elle peint, au hasard de ses balades, les habitants de la ville et les petites rues : « Pendant la journée, elle se promenait dans les ruelles de Gérone avec des toiles sous le bras ; la nuit, elle rencontrait des lettrés et des artistes, réunis autour du sculpteur Manolo Hugué, au Café Norat sur La Rambla. Elle a également visité les marchés des villages environnants, accompagnée de Pere Farró, un jeune artiste de Sarrià de Ter. » (Mar Camps, Ibid., p.42).
Elle
y peint aussi cette vue de la rivière de Gérone, l’Onyar, qui fait grande
impression. Elle est achetée par le musée de la ville, après une exposition de
17 toiles peintes sur place, à la galerie Athenea.
A
la déclaration de guerre, les Mutermilch rentrent précipitamment à Paris. Ils
louent un petit appartement boulevard de Port Royal. Michal et Zygmunt, le
frère de Mela, s'enrôlent comme volontaires dans l'armée française.
Pendant la guerre, Mela se rend avec son fils en Suisse, notamment à Gandria, petite localité devenue depuis un quartier de Lugano (Tessin). Elle rencontre le célèbre écrivain Henryk Sienkiewicz et, comme Olga Boznańska deux ans plus tôt, peint son portrait.
A nouveau, elle rapporte des paysages.
De
retour à Paris, le petit Andrzej tombe malade, on lui diagnostique une
tuberculose osseuse. On ne sait pas exactement comment Mela vit la période de
la guerre. René-Xavier Prinet, qu’elle connaît sûrement par la Société
nationale des beaux-arts dont il est le secrétaire, fait son portrait.
En
mai 1917, Mela rencontre Raymond Lefebvre (1891-1920), intellectuel et militant
socialiste, dont elle s’éprend. Elle commence à l’aider dans ses activités
politiques et sociales et rencontre, dans son cercle, de nombreux écrivains,
ainsi que des militants socialistes, Romain Rolland, Henri Barbusse et Paul
Vaillant-Couturier.
Raymond Lefebvre est une personnalité importante du mouvement Clarté ; un jeune homme qui se présente comme le porte-parole d’une « génération massacrée », ceux qui ont fait la guerre dans leur vingtième année. Cette expérience a scellé sa rupture avec la « société bourgeoise » dont il est issu. Il est un des fondateurs de la revue Clarté à laquelle Mela participe en fournissant des illustrations.
Mais Mela doit aussi confier son fils à une clinique de Berck et lui rend de fréquentes visites jusqu’en 1918.
Lorsque Michal Mutermilch rentre de la guerre, Mela quitte l’appartement du boulevard de Port-Royal, où vivent son fils et son mari, et emménage dans un studio boulevard St. Jacques.
En 1919, après plusieurs voyages avec Raymond Lefebvre – qui doit soigner une tuberculose - dans les Pyrénées et les Alpes, où elle peint de nombreux paysages de montagne, Mela s’installe avec lui à Montmorency.
Elle continue à peindre des portraits, tout en continuant à s'impliquer, discrètement mais activement, dans ses activités politiques.
Toruń
Sous l’influence de ses amis, Albert Gleizes (1881-1953) et Gino Severini (1883-1966), Mela commence à s’intéresser au cubisme mais ne poursuivra pas longtemps dans cette voie, même si son style en conservera des traces, notamment dans ses paysages.
Après s’être présenté sans succès aux législatives de la fin 1919, Lefebvre décide de partir à Moscou avec deux camarades, pour assister au deuxième congrès de l’Internationale communiste et témoigner ensuite des réalisations de la Révolution soviétique. Il passe l’été à Moscou puis se rend en Ukraine et rentre en bateau en passant par la Norvège. Son bateau disparaît mystérieusement en mer Blanche, près de Mourmansk, et la mort des trois hommes est confirmée fin novembre, ce qui donne lieu à des soupçons d’assassinat politique dans la presse.
Très
affectée, Mela se consacre à des activités caritatives organisée sous l’égide
de Marguerite de Saint-Prix, notamment en faveur d’un comité d’aide aux malades
en Union soviétique et participera aussi à la vente aux enchères organisée par
le Comité d’aide au peuple russe, pendant la famine de 1921-1922.
En 1920, elle est citée dans un article relatant le nouvel accrochage des collections après le réaménagement du Petit Palais, à Paris. Ses Soudanais y sont remarqués. (« Au Petit Palais », Bulletin de la vie artistique, 15 juillet 1920, p.449)
Elle est devenue une portraitiste reconnue et sollicitée par une clientèle diverse, au premier rang de laquelle figurent naturellement ses amis :
Dans le milieu artistique aussi : cet historien d’art deviendra conservateur du musée de Nantes à la
fin des années 40.
Huile sur toile, 99,5 x 98,7 cm
Après avoir participé aux travaux du Jury
du Salon d’Automne de 1921, elle se rend au Trayas, sur la Côte d’Azur, à
l’invitation d’Henri Barbusse. Elle y peint plusieurs paysages.
Elle exécutera aussi le portrait d’Henri Barbusse dont je n’ai pu retrouver que ce petit dessin de presse, de sa main :
Après
avoir passé l’été à Saint-Tropez avec son fils, elle rejoint Collioure où elle
est employée comme professeur de peinture par une riche américaine avec
laquelle elle voyage en Espagne et dans le sud de la France. Elle reviendra à Collioure plusieurs fois au cours des années 20.
Les expositions se succèdent, à Paris comme à Varsovie.
Elle perd son père, en 1922 puis, brutalement, son fils en 1924 et sombre dans la dépression…
En 1925, l’énergie revient. Elle rencontre Rainer Maria Rilke avec lequel elle échangera une correspondance très soutenue jusqu’à la fin de la vie de Rilke.
Elle achète un terrain à bâtir 114 bis rue Vaugirard. C’est Auguste Perret
qui lui construit un logement avec un vaste atelier, selon le même système
constructif que celui qu’il a conçu pour l’atelier de Chana Orloff en 1926 :
ossature en béton armé et appareillage de briques.
Où, bien sûr, elle portraiture le grand architecte !
Et aussi Georges Clemenceau et son frère Paul…
…
et Georges Courteline, dont les portraits – il y en a au moins deux – sont
reproduits de nombreuses fois dans la presse, jusqu’au milieu des années 30.
Elle est à présent une peintre reconnue qui
fait très régulièrement l’objet d’articles élogieux, comme celui de Robert Rey,
alors inspecteur général des beaux-arts : « C'est en 1913 que j'ai vu pour la
première fois des œuvres signées Mela Muter. Sa technique me semblait très
particulière à l'époque. Entre les touches du pinceau, il y avait un
intervalle pendant lequel la toile restait nue ; mais il ne pouvait être
rempli que de variations inévitables. Si oui, pourquoi les remplir
? […] C'est un espace où les rêves sensibles de la mémoire reproduisent
librement la couleur et le ton ; librement, non ? […] L'artiste, en
effet, ne laisse pas le spectateur libre de se soumettre à des suppositions
chromatiques libres dans ces "blancs". Mais seule la couleur est possible,
ici ou là-bas ; exactement celui que le peintre aurait été contraint de
choisir s'il n'avait pas décidé d'éclaircir sa toile et laissé la couleur
sortir d'elle-même. […] » (Robert Rey, « Mela Muter », Art et
Décoration 1927, n° 303, p. 65.)
En 1927, Mela demande et obtient la nationalité française.
« Avec Luisa Hervieu et Maria Laurencin, Mela Muter est l'une des grandes figures féminines de la peinture contemporaine. Le travail de Luisa est l'expression de la passion, celui de Maria - la grâce et la délicatesse, et celui de Mela - la force pure et éblouissante. […] Pour la Pologne ! – c'est toi qui as ressuscité de tes rêves, de tes souffrances, de tes ravissements du martyre, ces deux belles figures d'artistes : Wanda Landowska, notre reine du clavecin, et Mela Muter, la souveraine du dessin et de la couleur. » (G. Revau, « Visages de femmes de Mela Muter », L'Avenir de Paris - L'Eclair, 21 mai 1928)
L’Etat commence à lui acheter des œuvres :
En mars 1929, Mela entre officiellement au Palais du Luxembourg, à la faveur d’une nouvelle présentation des collections, après le transfert au Louvre d’une partie des œuvres des peintres impressionnistes. Je les ai comptées, elles sont quatorze femmes que je me plais à citer, par ordre d’apparition dans le catalogue (consultable sur Gallica) : Virginie Demont-Breton, Hélène Dufau, Angèle Delasalle, Suzanne Valadon, Jacqueline Marval, Marie Laurencin, Odette Des Garets, Fernande Cormier, Adrienne Jouclard, Marcelle-Andrée Rondenay, Elisabeth Chaplin, Marie-Anne Camax-Zoegger et Jeanne Laroze.
Mela est présentée dans la salle VI, avec une Nature morte et dans la salle XI avec La Grande Sœur. Par déduction, puisque le catalogue de Beaubourg indique qu’elles sont entrées dans les collections en 1929, il pourrait s’agir de ces deux œuvres (toutes ces photos ont été trouvées sur le net, le MNAM n’en publie aucune en ligne) :
Puis l’Etat acquiert le portrait du
sculpteur François Pompon en 1933, Le
Buveur en 1934 et le portrait du compositeur Albert Roussel en 1935, probablement à l’occasion des Salons d’Automne auxquels elle participe
régulièrement : « De
Marie-Mela Muter, un superbe et cruel portrait d’homme où l’être entier s’exprime,
dépouillé, nous confirme son beau talent sobre et mesuré, où s’équilibre
heureusement la recherche psychologique et la conscience de bien peindre. »
(Germaine Loiseau, « La Femme au Salon d’Automne », La Presse,
14 novembre 1934, p.6)
« Plus qu’aucune autre artiste, j’étais curieux de connaître Mela Muter, cette Polonaise de naissance, Française de cœur, que j’imaginais mal à travers ses portraits vigoureux, cruels, traités avec une virilité assez rare chez une femme, un sens aigu de la psychologie, une sûreté de chirurgien maniant le scalpel » (Jean Maréchal, « Chez Mela Muter », Le Petit Parisien, 15 avril 1936, p.9)
Ah, le fameux « talent viril » … !
En 1937, Mela reçoit une médaille d’or à l’Exposition
universelle de Paris, mais je n’ai pas pu trouver si cette distinction était
liée à une œuvre particulière ou pour l’ensemble de son travail.
Deux ans plus tard, à cause de ses origines mais aussi de ses sympathies communistes, elle juge plus prudent de quitter Paris. Elle loue son atelier à Jean Dubuffet et se rend à Avignon où la ville la loge dans une petite maison, en contrepartie d’un enseignement de dessin dans un collège.
De cette période difficile date cet autoportrait inachevé où, comme tous ses modèles, elle garde les yeux baissés …
Mais elle peint aussi de nombreux paysages lumineux, d’une palette nouvelle où dominent
les bleus profonds, les verts gris et les ocres :
Son retour à Paris sera
difficile : profitant de la nouvelle législation sur le logement, Jean
Dubuffet refuse de lui rendre son atelier et les œuvres qui y étaient entreposées.
Elle doit s’installer ailleurs et, finalement, dans l'atelier sombre et humide
d’un rez-de-chaussée 40, rue Pascal.
Elle bénéficiera pourtant d’expositions régulières, à Avignon en 1948, à Lyon, en 1952, à Marseille en 1955.
« Quel
dessin et quelle couleur, quel équilibre et quel optimisme dans ces paysages
provençaux, dans lesquels le peintre a su respecter la pudeur, plus réelle
qu'un profane ne pourrait l'imaginer. Le bleus et les bistrots rendent la
palette de Muter proche des impressionnistes. La lumière transforme ses
horizons […] ». (CG, « A la Galerie Bellecour des paysages provençaux
de Mella [sic] Muter », L'écho liberté 1952)
Mais, après 1950, sa vue commence à décliner, son travail s’en ressent.
Les critiques sont toujours positives mais l'évoquent souvent au passé : « Une inspiration sociale, une vue physique et morale des êtres ont conduit Mela Muter à faire dans son œuvre une très large place à la représentation humaine, directe. Enfants, malades, infirmes… ont été pour elle des thèmes fréquents. Un sujet, tout particulièrement, l’a constamment attirée : la conception, la maternité, images de lassitude, de douleur, de souffrance ; mais également promesse d’amour et d’avenir. […] Mais c’est surtout comme portraitiste que Mela Muter a connue le succès. Un portrait est une œuvre angoissante et difficile. […] La ressemblance physique n’est ici qu’une partie du problème, car il s’agit surtout de s’élever à la ressemblance morale et de traduire des éléments de grandeur, liés chez un être à la sensation de la vie. […] Par leur robustesse picturale, par un équilibre qui va bien au-delà de l’artifice plastique, par leur vérité saisissante, les portraits de Mela Muter sont une leçon magistrale. Il serait sage de ne pas l’oublier au moment où la peinture retrouve les voies salutaires du réalisme et semble redécouvrir un genre qu’elle avait abandonné. […] Mela Muter a tout demandé, tout donné à la peinture. Elle mérite une place d’honneur parmi les peintres de notre époque. » (Jean Pierre, « Mela Muter honore l’art polonais et l’Ecole de Paris », Les Lettres françaises, 24 août 1950, p.7)
En 1962, elle obtient, grâce à un ami, de récupérer ses œuvres entreposées sans soin dans un entrepôt et de poursuivre Dubuffet qui, pour autant, ne lui rend pas son atelier.
En 1966, elle est à nouveau exposée à la galerie Bellier à Paris, puis à Oslo et à San Francisco. Enfin, en janvier 1967, la Hammer Gallery de New York l’expose quelques mois avant sa mort, le 14 mai 1967, dans l’obscur petit atelier de la rue Pascal.
Sa ville natale lui a rendu un premier hommage en organisant, pendant trois semaines, une exposition de 17 tableaux en octobre 2017… sauf erreur de ma part, elle n'a jamais fait l'objet d'une exposition personnelle en France depuis sa mort.
Un dernier regard sur les natures mortes qu'elle a réalisées tout au long de sa carrière.
*
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