dimanche 5 février 2023

Mela Muter (1886-1967)

 

Autoportrait aux pinceaux - 1919
Huile sur contreplaqué, 61 x 50 cm


Maria Melania Klingsland est née à Varsovie, le 25 avril 1876, dans une famille juive fortunée. Son père, Fabian Klingsland, était propriétaire d'un grand magasin à Ul et un mécène qui soutenait principalement des écrivains.

Plus tard, le jeune frère de Melania, Zygmunt, deviendra critique d'art et de littérature. Dès sa jeunesse, Melania est entourée d'écrivains comme le futur prix Nobel de littérature, Wladyslaw Reymont et poète Leopold Staff.

Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires en 1892, Melania étudie le dessin et la musique. En 1899, elle entre à l’école de dessin et peinture de Milosz Kotarbiński, seule structure d’enseignement artistique ouverte aux femmes dans la capitale d’un pays alors intégré à l’Empire russe.

Cet autoportrait, peint à cette période, montre son intérêt pour le symbolisme et probablement aussi l’influence de James Whistler.

 

Autoportrait au clair de lune – 1899/1900
Huile sur toile, 72 x 46 cm

Melania épouse en 1899 un militant socialiste, écrivain et critique d’art, Michal Mutermilch puis donne naissance à un petit garçon, Andrzej.

En 1901, la petite famille part s’installer à Paris, 65, boulevard Arago, c’est-à-dire dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « Cité Fleurie » où sont installés une trentaine d’ateliers d’artistes. Dès l’été 1901, ils partent en vacances en Bretagne, où Melania noue ses premiers liens avec les peintres de Pont-Aven, notamment Wladyslaw Slewiński, un ami de Gauguin.

 

Wladyslaw Slewiński (1856-1918)
Nature morte aux pommes et au chandelier – vers 1897
Huile sur toile, 47 x 66 cm
Musée de Pont-Aven
© Photo : Laurent Bruneau / Procolor 29qle


A l’automne, Melania suit des cours à l’Académie Colarossi et à la Grande Chaumière mais ne paraît pas avoir persévéré. Elle indiquera ensuite se considérer comme une artiste autodidacte. Pourtant, selon le répertoire publié en ligne par le musée Bourdelle, elle aurait suivi l'enseignement d’Antoine Bourdelle dans les années 1910-1920, à la Grande Chaumière. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces deux institutions, alors au cœur de la formation des artistes de « l’Ecole de Paris » que Melania noue des relations avec les nombreux Polonais installés dans la capitale, et aussi en participant aux activités de la Société artistique et littéraire polonaise qui s’installe dès cette époque dans le quartier Saint Germain.

« Melanja Mutermilchowa » expose pour la première fois au Salon de la société nationale des beaux-arts en 1902, une étude au pastel Ballerina., puis, sous le même nom l’année suivante, un autoportrait et le Portrait d’un jeune poète.

 

Portrait d’un jeune poète [Leopold Staff]  – 1903
Huile sur carton, 100 x 60 cm


Elle n’apparaît pas au Salon l’année suivante mais on la retrouve en 1905 au Salon d’Automne avec quatre peintures, un pastel et un nouveau prénom, Mela ; une nouvelle adresse, aussi, au 8 rue de la Grande Chaumière.

L’une de ces peintures est probablement celle-ci :

 

Mélancholie (autoportrait) – 1903
Huile sur toile, 26,3 x 38,2 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


La même année, Mela expose vingt œuvres à l’exposition de la Société pour l'encouragement des beaux-arts de Varsovie et figure au catalogue du Salon des Indépendants, avec huit œuvres nouvelles.

Selon le musée de Varsovie, elle aurait peint à cette période ce vieux marchand ambulant.

 

Vieux vendeur de jouets – vers 1905
Huile sur toile, 80 x 65 cm
Musée national de Varsovie

« À cette époque, les sujets de prédilection de Muter étaient les personnes âgées, les handicapés et les enfants pauvres. […] La peintre a construit une atmosphère intime avec des couleurs tamisées, elle a utilisé de longues lignes et de grandes taches de couleur, donner des détails. Elle a introduit un élément du grotesque – un masque de clown -, qu’elle a juxtaposé au visage indifférent du vendeur, ce qui donne à l’œuvre un ton dramatique. » (Extrait de la notice du musée) 

Mela continue à se rendre régulièrement en Bretagne l’été et il en reste de nombreux témoignages dans les collections particulières.

 

Bretonnes – vers 1907
Huile sur lin, 132 x 113 cm
Collection particulière (vente 2017)

Après une éclipse en 1906, la revoilà à la « Nationale » en 1907, avec deux dessins et deux peintures, dont ce Triste pays, peint à Concarneau.

 

Triste pays – 1906
Huile sur toile, 97,5 x 147,5 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń

 

Puis, au Salon de 1909, où elle s’est inscrite en simplifiant son nom en « Meterlich », elle montre à nouveau quatre peintures et quatre œuvres classées en dessins, sans qu’on sache de quel medium il s’agit.

En 1910, toujours à la « Nationale », sur les neuf œuvres présentées, on voit apparaître clairement trois gravures, dont l’une est intitulée La Vieille. Il se pourrait donc qu’il s’agisse de cette pointe sèche que le musée de Varsovie désigne autrement mais on ne saurait faire tout à fait confiance aux traducteurs informatiques…


La Sorcière – vers 1910
Pointe sèche sur papier, 15,2 x 22,7 cm
Musée national de Varsovie

 d'autant qu'elle présente au même Salon un Hiver qu'on dirait bien inspiré par la même dame !

 

L’Hiver – 1910
Huile sur carton épais 82 x 60,8 cm
Collection particulière (vente 2007)

Le critique d'art Louis Vauxcelles l’invite dans une exposition d’artistes féminines qu’il organise aux galeries Devambez. La réaction de certains est un peu rude : « Mme Mela Mutermilch peint les portraits comme un peintre en bâtiment. La mère, pourtant, est plus simple et plus juste. » (Le Gay, « Notes d’Art, Œuvres de femmes », L’Univers, 27-28 juin 1910, p.2)

 

En 1911, la liste des œuvres qu’elle expose au Salon est clairement d’inspiration bretonne : Cimetière à Saint-Tugen (Finistère), Le Bois sacré… que je n’ai pas retrouvés. Mais voici une toile peinte à Audierne où elle a séjourné plusieurs semaines cette année-là.

 

Vieille Bretonne avec un enfant – 1911
Huile sur toile, 85,5 x 100 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Elle expose aussi une Mère et enfant qui n’est pas forcément cette huile de la même année car le thème de la maternité est particulièrement récurrent dans son œuvre.

 

Maternité – 1911
Huile sur toile
Collection particulière

Elle participe aussi au Salon d’Automne, où ses œuvres sont remarquées : « Mme Mela-Mutermilch, parmi les peintres de figures, occupe une place à part. Son art est douloureux et terrible. Elle a le goût du tragique muet, et rend avec une âpre éloquence ce qui l’émeut et la trouble. Sa Fécondité, son François le Bossu, ses deux portraits ont un accent presque désespéré, qui pénètre et qui demeure. » (Jean Claude, « Le Salon d’Automne, La figure humaine », Le Petit Parisien, 9 octobre 1911, p.4)

La même année, le peintre José Dalmau organise une exposition individuelle des œuvres de Mela dans sa prestigieuse Galeria de Arte Contemporanea à Barcelone. A cette occasion, elle offre son portrait à Dalmau :

 

Portrait de José Dalmau – 1911
Huile sur toile, 85 x 100 cm

L'exposition est un succès : « Tous les experts en la matière s'accordent à dire qu'il s'agissait vraiment d'une question de personnalité. Pas étonnant que l'exposition présentée par [Mela Mutermilch] à Barcelone ait fait beaucoup parler d'elle et positivement. [...] Grâce à elle, il a été démontré avec éloquence qu'il est possible d'innover tout en respectant la forme et, de plus, que ce n'est qu'après une étude préalable et assidue qu'il est possible d'atteindre une simplicité réfléchie sans nuire à la structure, à condition que l'essentiel soit préservé. [...] En suivant son œuvre telle qu'elle a été créée, on peut dire que [l'artiste] ne s'est pas arrêtée dans ses recherches : au contraire, elle s'y consacre avec toujours plus de zèle en écoutant les conseils de la nature. ». (M. R. Codola, « Mela Mutermilch », Museum, 1911, Vol.1, p.401-419.)

Succès qui encourage Dalmau à faire de nouvelles présentations d'art polonais, auxquelles Mela participe. Les expositions sont l’occasion de séjours en Espagne, où l'artiste revient chaque année jusqu'en 1914. 


Deux enfants – 1912
Huile sur toile, 99,5 x 99 cm
Collection particulière (vente 2015)


Les vacances de l’été 1913 se déroulent à Ondarroa, petit port de pêche du pays basque espagnol. 

 

Ondarroa – 1913
Huile sur toile, 115,5 x 89 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń



Danse espagnole – 1913
Huile sur toile, 136 x 143 cm
Collection particulière (vente 2019)

Une Danse espagnole qui deviendra curieusement La Balalaïke lors d’une exposition d’art polonais en 1920… 

 

« L’exposition d’art polonais à la société nationale des beaux-arts »,
Bulletin de la vie artistique, 1er mai 1921, p.278.


En 1912, Mela expose une seule œuvre à la Nationale, Notre Dame des Rues et participe, à la galerie Roger Lévesque, à « l’International art union », un groupement de femmes artistes où dominent les Américaines. Dans Gil Blas (19 novembre 1912, p.4), Louis Vauxcelles indique que Mela est allemande mais note que « Mme Muter se souvient avec intelligence de Van Gogh ». Ce qui laisse penser aussi que dès cette époque, elle a probablement commencé à signer ses toiles « Muter ».

Au début du printemps 1914, les Mutermilch décident de rentrer à Varsovie. Ils quittent leur appartement du 160 boulevard Montparnasse et laissent les meubles et tableaux dans un entrepôt. 

En avril, Mela visite seule Gérone. Sa présence ne passe pas inaperçue et plusieurs chroniqueurs de la ville l’évoquent dans leurs souvenirs : « Une femme exceptionnelle, jeune, extrêmement belle, Mela Mutermilch (Muter), polonaise, artiste d’une forte personnalité et d’une vision admirable de notre région, semblait être celle qui réunissait, autour d’elle, cette jeunesse idéaliste ». (Miquel de Palol i Felip, Gérone et moi, cité dans : Mar Camps « Mela Muter, la pintora polonesa que va captivar Giron », Revista de Girona, p.41)

Elle peint, au hasard de ses balades, les habitants de la ville et les petites rues : « Pendant la journée, elle se promenait dans les ruelles de Gérone avec des toiles sous le bras ; la nuit, elle rencontrait des lettrés et des artistes, réunis autour du sculpteur Manolo Hugué, au Café Norat sur La Rambla. Elle a également visité les marchés des villages environnants, accompagnée de Pere Farró, un jeune artiste de Sarrià de Ter. » (Mar Camps, Ibid., p.42). 

 

En Catalogne – 1914
Huile sur toile
Reproduit dans Revisa de Girona, op.cit., p.40



Carrer Cúndaro – 1914
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Musée d’Histoire de Gérone


Elle y peint aussi cette vue de la rivière de Gérone, l’Onyar, qui fait grande impression. Elle est achetée par le musée de la ville, après une exposition de 17 toiles peintes sur place, à la galerie Athenea. Ce séjour a visiblement constitué pour elle une nouvelle source d’inspiration. Sa touche expressionniste se pare de couleurs plus vives.

 

L’Onyar à Gérone – 1914
Huile sur toile, 100 x 100 cm
Musée d’art de Gérone



Paysage avec des pins – 1914/1915
Huile sur toile, 77 x 83 cm
Collection particulière (vente 2019)

A la déclaration de guerre, les Mutermilch rentrent précipitamment à Paris. Ils louent un petit appartement boulevard de Port Royal. Michal et Zygmunt, le frère de Mela, s'enrôlent comme volontaires dans l'armée française.

Pendant la guerre, Mela se rend avec son fils en Suisse, notamment à Gandria, petite localité devenue depuis un quartier de Lugano (Tessin). Elle rencontre le célèbre écrivain Henryk Sienkiewicz et, comme Olga Boznańska deux ans plus tôt, peint son portrait.

 

Portrait d’Henryk Sienkiewics – 1915
Huile sur toile
Collection particulière


A nouveau, elle rapporte des paysages.


Paysage de Gandria I – 1915
Huile sur toile, 79,7 x 79,7 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Paysage de Gandria II – 1915
Huile sur toile, 81,4 x 65,2 cm


De retour à Paris, le petit Andrzej tombe malade, on lui diagnostique une tuberculose osseuse. On ne sait pas exactement comment Mela vit la période de la guerre. René-Xavier Prinet, qu’elle connaît sûrement par la Société nationale des beaux-arts dont il est le secrétaire, fait son portrait.

 

René-Xavier Prinet (1861-1946)
Mela Muter - 1916
Huile sur carton, 46 x 35 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo : Hervé Lewandowski / RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)


En mai 1917, Mela rencontre Raymond Lefebvre (1891-1920), intellectuel et militant socialiste, dont elle s’éprend. Elle commence à l’aider dans ses activités politiques et sociales et rencontre, dans son cercle, de nombreux écrivains, ainsi que des militants socialistes, Romain Rolland, Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier.

Raymond Lefebvre est une personnalité importante du mouvement Clarté ; un jeune homme qui se présente comme le porte-parole d’une « génération massacrée », ceux qui ont fait la guerre dans leur vingtième année. Cette expérience a scellé sa rupture avec la « société bourgeoise » dont il est issu. Il est un des fondateurs de la revue Clarté à laquelle Mela participe en fournissant des illustrations.

Mais Mela doit aussi confier son fils à une clinique de Berck et lui rend de fréquentes visites jusqu’en 1918.

Lorsque Michal Mutermilch rentre de la guerre, Mela quitte l’appartement du boulevard de Port-Royal, où vivent son fils et son mari, et emménage dans un studio boulevard St. Jacques.

En 1919, après plusieurs voyages avec Raymond Lefebvre – qui doit soigner une tuberculose - dans les Pyrénées et les Alpes, où elle peint de nombreux paysages de montagne, Mela s’installe avec lui à Montmorency.

Elle continue à peindre des portraits, tout en continuant à s'impliquer, discrètement mais activement, dans ses activités politiques. 


Fillette sur une chaise – vers 1919
Huile sur contreplaqué, 45,5 x 38,8 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Femme avec un chat – 1918/1921
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Villa La Fleur, Konstancin-Jeziorna



Portrait d'un vieil homme au chapeau - vers 1919
Huile sur toile, 81 x 60 cm
Source : Musée de l'Université Nicolas Copernic, 

Toruń




Femme à l’étole – 1919
Huile sur toile, 100 x 100 cm
Collection particulière (vente 2017)


Sous l’influence de ses amis, Albert Gleizes (1881-1953) et Gino Severini (1883-1966), Mela commence à s’intéresser au cubisme mais ne poursuivra pas longtemps dans cette voie, même si son style en conservera des traces, notamment dans ses paysages.


Nu cubiste – 1919/1923
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Collection particulière
Photographié dans l’exposition Pionnières, Artistes dans le Paris des années folles,
Musée du Luxembourg, Paris, juillet 2022


Après s’être présenté sans succès aux législatives de la fin 1919, Lefebvre décide de partir à Moscou avec deux camarades, pour assister au deuxième congrès de l’Internationale communiste et témoigner ensuite des réalisations de la Révolution soviétique. Il passe l’été à Moscou puis se rend en Ukraine et rentre en bateau en passant par la Norvège. Son bateau disparaît mystérieusement en mer Blanche, près de Mourmansk, et la mort des trois hommes est confirmée fin novembre, ce qui donne lieu à des soupçons d’assassinat politique dans la presse. 

Très affectée, Mela se consacre à des activités caritatives organisée sous l’égide de Marguerite de Saint-Prix, notamment en faveur d’un comité d’aide aux malades en Union soviétique et participera aussi à la vente aux enchères organisée par le Comité d’aide au peuple russe, pendant la famine de 1921-1922.

En 1920, elle est citée dans un article relatant le nouvel accrochage des collections après le réaménagement du Petit Palais, à Paris. Ses Soudanais y sont remarqués. (« Au Petit Palais », Bulletin de la vie artistique, 15 juillet 1920, p.449)

 

Les Soudanais – vers 1919
Huile sur toile, 100 x 100 cm
Musée d’Art moderne de la ville de Paris
© Photo : Eric Emo/Parisienne de Photographie

Elle est devenue une portraitiste reconnue et sollicitée par une clientèle diverse, au premier rang de laquelle figurent naturellement ses amis :


Portrait de Romain Rolland – 1920
Huile sur toile, 80 x 60 cm
Collection particulière


Portrait de femme – vers 1920
Huile sur toile, 80,5 x 64,5 cm
Collection particulière (vente 2022)

 

Dans le milieu artistique aussi : cet historien d’art deviendra conservateur du musée de Nantes à la fin des années 40.


Portrait de Luc Benoit – sans date
Huile sur bois, 73 x 59,8 cm
Musée d’arts de Nantes
© Photo : Alain Guillard/Musée d'arts de Nantes



Portrait du violoniste Bronisław Huberman – 1924/1927
Huile sur toile, 99,5 x 98,7 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń

 

Ou le milieu littéraire :

Portrait de l’écrivain Georges Polti - 1919/1920
Huile sur toile
Collection particulière (TEFAF 2016)


Après avoir participé aux travaux du Jury du Salon d’Automne de 1921, elle se rend au Trayas, sur la Côte d’Azur, à l’invitation d’Henri Barbusse. Elle y peint plusieurs paysages.

 

Paysage du Trayas, Roches rouges – 1921
Huile sur toile, 89 x 80 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Promenade – 1921
Huile sur toile, 73 x 92 cm
Collection particulière (vente 2020)

 

Elle exécutera aussi le portrait d’Henri Barbusse dont je n’ai pu retrouver que ce petit dessin de presse, de sa main :

L’Humanité, 20 février 1923, p.1


Après avoir passé l’été à Saint-Tropez avec son fils, elle rejoint Collioure où elle est employée comme professeur de peinture par une riche américaine avec laquelle elle voyage en Espagne et dans le sud de la France. Elle reviendra à Collioure plusieurs fois au cours des années 20.

 

Le port de pêche à Saint Tropez – 1921/1922
Huile sur toile, 80 x 89 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń



Vue du port de Collioure – vers 1925
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Collection particulière (vente 2022)

 

Les expositions se succèdent, à Paris comme à Varsovie.


Péniches sur la canal Saint-Martin, Paris – 1922
Huile sur toile, 50 x 61,5 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Elle perd son père, en 1922 puis, brutalement, son fils en 1924 et sombre dans la dépression…

En 1925, l’énergie revient. Elle rencontre Rainer Maria Rilke avec lequel elle échangera une correspondance très soutenue jusqu’à la fin de la vie de Rilke. 

Elle achète un terrain à bâtir 114 bis rue Vaugirard. C’est Auguste Perret qui lui construit un logement avec un vaste atelier, selon le même système constructif que celui qu’il a conçu pour l’atelier de Chana Orloff en 1926 : ossature en béton armé et appareillage de briques.

 

La façade du 114 bis, rue de Vaugirard, Allée Maintenon


Mela Muter dans l’atelier du 114 bis rue de Vaugirard
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


Où, bien sûr, elle portraiture le grand architecte !

Mela Muter et Auguste Perret dans l’atelier de Vaugirard


Et aussi Georges Clemenceau et son frère Paul

 

Portrait de Georges Clémenceau – sans date
Huile sur toile, 92 x 73 cm
Collection particulière (vente 2008)


… et Georges Courteline, dont les portraits – il y en a au moins deux – sont reproduits de nombreuses fois dans la presse, jusqu’au milieu des années 30. « Ces portraits sont une des faces les plus marquées du talent de Mela Muter » (G. Rémon, « L’exposition Mela Muter », Le Radical, 14 juin 1924, p.2)

 

Mobilier et décoration, 1er janvier 1932, p.493

Elle est à présent une peintre reconnue qui fait très régulièrement l’objet d’articles élogieux, comme celui de Robert Rey, alors inspecteur général des beaux-arts : « C'est en 1913 que j'ai vu pour la première fois des œuvres signées Mela Muter. Sa technique me semblait très particulière à l'époque. Entre les touches du pinceau, il y avait un intervalle pendant lequel la toile restait nue ; mais il ne pouvait être rempli que de variations inévitables. Si oui, pourquoi les remplir ? […] C'est un espace où les rêves sensibles de la mémoire reproduisent librement la couleur et le ton ; librement, non ? […] L'artiste, en effet, ne laisse pas le spectateur libre de se soumettre à des suppositions chromatiques libres dans ces "blancs". Mais seule la couleur est possible, ici ou là-bas ; exactement celui que le peintre aurait été contraint de choisir s'il n'avait pas décidé d'éclaircir sa toile et laissé la couleur sortir d'elle-même. […] » (Robert Rey, « Mela Muter », Art et Décoration 1927, n° 303, p. 65.)

En 1927, Mela demande et obtient la nationalité française.

« Avec Luisa Hervieu et Maria Laurencin, Mela Muter est l'une des grandes figures féminines de la peinture contemporaine. Le travail de Luisa est l'expression de la passion, celui de Maria - la grâce et la délicatesse, et celui de Mela - la force pure et éblouissante. […] Pour la Pologne ! – c'est toi qui as ressuscité de tes rêves, de tes souffrances, de tes ravissements du martyre, ces deux belles figures d'artistes : Wanda Landowska, notre reine du clavecin, et Mela Muter, la souveraine du dessin et de la couleur. » (G. Revau, « Visages de femmes de Mela Muter », L'Avenir de Paris - L'Eclair, 21 mai 1928)

Portrait de Paul Vaillant-Couturier 
Source : Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux
(Reproduit dans l’article de Jean Pierre, « Mela Muter honore l’art polonais et l’Ecole de Paris »,
Les Lettres françaises, 24 août 1950, p.7)

L’Etat commence à lui acheter des œuvres :

En mars 1929, Mela entre officiellement au Palais du Luxembourg, à la faveur d’une nouvelle présentation des collections, après le transfert au Louvre d’une partie des œuvres des peintres impressionnistes. Je les ai comptées, elles sont quatorze femmes que je me plais à citer, par ordre d’apparition dans le catalogue (consultable sur Gallica) : Virginie Demont-Breton, Hélène Dufau, Angèle Delasalle, Suzanne Valadon, Jacqueline Marval, Marie Laurencin, Odette Des Garets, Fernande Cormier, Adrienne Jouclard, Marcelle-Andrée Rondenay, Elisabeth Chaplin, Marie-Anne Camax-Zoegger et Jeanne Laroze.

Mela est présentée dans la salle VI, avec une Nature morte et dans la salle XI avec La Grande Sœur. Par déduction, puisque le catalogue de Beaubourg indique qu’elles sont entrées dans les collections en 1929, il pourrait s’agir de ces deux œuvres (toutes ces photos ont été trouvées sur le net, le MNAM n’en publie aucune en ligne) :

 

Les poissons [Nature morte ?]– vers 1920
Huile sur toile, 75,5 x 85,3 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris



Les deux sœurs [La grande sœur ?] – vers 1911
Huile, sable et gouache sur carton, 105 x 76 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris

 

Puis l’Etat acquiert le portrait du sculpteur François Pompon en 1933, Le Buveur en 1934 et le portrait du compositeur Albert Roussel en 1935, probablement à l’occasion des Salons d’Automne auxquels elle participe régulièrement : « De Marie-Mela Muter, un superbe et cruel portrait d’homme où l’être entier s’exprime, dépouillé, nous confirme son beau talent sobre et mesuré, où s’équilibre heureusement la recherche psychologique et la conscience de bien peindre. » (Germaine Loiseau, « La Femme au Salon d’Automne », La Presse, 14 novembre 1934, p.6)

 

Portrait de François Pompon – 1924
Huile sur toile, 146 x 114 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne, Paris
Actuellement en dépôt au musée de Dijon



Le Buveur – 1924
Huile sur contreplaqué, 73 x 60 cm


Portrait du compositeur Albert Roussel - vers 1928
Huile sur toile, 90 x 100 cm
Centre national d’arts plastiques FNAC -13616
En dépôt au Musée des Beaux-Arts de Nantes
© Photo : CNAP

« Plus qu’aucune autre artiste, j’étais curieux de connaître Mela Muter, cette Polonaise de naissance, Française de cœur, que j’imaginais mal à travers ses portraits vigoureux, cruels, traités avec une virilité assez rare chez une femme, un sens aigu de la psychologie, une sûreté de chirurgien maniant le scalpel » (Jean Maréchal, « Chez Mela Muter », Le Petit Parisien, 15 avril 1936, p.9) 

Ah, le fameux « talent viril » … !


En 1937, Mela reçoit une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris, mais je n’ai pas pu trouver si cette distinction était liée à une œuvre particulière ou pour l’ensemble de son travail.

Deux ans plus tard, à cause de ses origines mais aussi de ses sympathies communistes, elle juge plus prudent de quitter Paris. Elle loue son atelier à Jean Dubuffet et se rend à Avignon où la ville la loge dans une petite maison, en contrepartie d’un enseignement de dessin dans un collège.

De cette période difficile date cet autoportrait inachevé où, comme tous ses modèles, elle garde les yeux baissés …

 

Autoportrait inachevé – vers 1939
Huile sur toile, 83 x 64 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń



Portrait de Madame Isabelle Colom – 1939/1945
Huile sur toile, 73 x 69 cm
Collection particulière (vente 2024)

Mais elle peint aussi de nombreux paysages lumineux, d’une palette nouvelle où dominent les bleus profonds, les verts gris et les ocres :

 

Saint Agricol, Avignon – vers 1939
Huile sur panneau, 50 x 61 cm
Collection particulière (vente 2022)



Vallée du Rhône – 1940/1945
Huile sur toile, 75 x 85
Collection particulière



Le Fort Saint André, Villeneuve-lès-Avignon – non daté
Huile sur toile, 81,5 x 65,5 cm
Collection particulière (vente 2010)

Son retour à Paris sera difficile : profitant de la nouvelle législation sur le logement, Jean Dubuffet refuse de lui rendre son atelier et les œuvres qui y étaient entreposées. Elle doit s’installer ailleurs et, finalement, dans l'atelier sombre et humide d’un rez-de-chaussée 40, rue Pascal.

Elle bénéficiera pourtant d’expositions régulières, à Avignon en 1948, à Lyon, en 1952, à Marseille en 1955.  

« Quel dessin et quelle couleur, quel équilibre et quel optimisme dans ces paysages provençaux, dans lesquels le peintre a su respecter la pudeur, plus réelle qu'un profane ne pourrait l'imaginer. Le bleus et les bistrots rendent la palette de Muter proche des impressionnistes. La lumière transforme ses horizons […] ». (CG, « A la Galerie Bellecour des paysages provençaux de Mella [sic] Muter », L'écho liberté 1952)

Mais, après 1950, sa vue commence à décliner, son travail s’en ressent.

Les critiques sont toujours positives mais l'évoquent souvent au passé : « Une inspiration sociale, une vue physique et morale des êtres ont conduit Mela Muter à faire dans son œuvre une très large place à la représentation humaine, directe. Enfants, malades, infirmes… ont été pour elle des thèmes fréquents. Un sujet, tout particulièrement, l’a constamment attirée : la conception, la maternité, images de lassitude, de douleur, de souffrance ; mais également promesse d’amour et d’avenir. […] Mais c’est surtout comme portraitiste que Mela Muter a connue le succès. Un portrait est une œuvre angoissante et difficile. […] La ressemblance physique n’est ici qu’une partie du problème, car il s’agit surtout de s’élever à la ressemblance morale et de traduire des éléments de grandeur, liés chez un être à la sensation de la vie. […] Par leur robustesse picturale, par un équilibre qui va bien au-delà de l’artifice plastique, par leur vérité saisissante, les portraits de Mela Muter sont une leçon magistrale. Il serait sage de ne pas l’oublier au moment où la peinture retrouve les voies salutaires du réalisme et semble redécouvrir un genre qu’elle avait abandonné. […] Mela Muter a tout demandé, tout donné à la peinture. Elle mérite une place d’honneur parmi les peintres de notre époque. » (Jean Pierre, « Mela Muter honore l’art polonais et l’Ecole de Paris », Les Lettres françaises, 24 août 1950, p.7)


Mère avec enfant III – vers 1950 ?
Huile sur toile, 81 x 60 cm
Source : Musée de l’Université Nicolas Copernic, Toruń


En 1962, elle obtient, grâce à un ami, de récupérer ses œuvres entreposées sans soin dans un entrepôt et de poursuivre Dubuffet qui, pour autant, ne lui rend pas son atelier.

En 1966, elle est à nouveau exposée à la galerie Bellier à Paris, puis à Oslo et à San Francisco. Enfin, en janvier 1967, la Hammer Gallery de New York l’expose quelques mois avant sa mort, le 14 mai 1967, dans l’obscur petit atelier de la rue Pascal.

 

Sa ville natale lui a rendu un premier hommage en organisant, pendant trois semaines, une exposition de 17 tableaux en octobre 2017… sauf erreur de ma part, elle n'a jamais fait l'objet d'une exposition personnelle en France depuis sa mort. 

 

Un dernier regard sur les natures mortes qu'elle a réalisées tout au long de sa carrière.

 

 

Nature morte à la cruche et aux cerises – sans date
Huile sur contreplaqué, 51 x 61,5 cm
Collection particulière (vente 2019)



Nature morte de fleurs – 1914
Huile sur toile, 72,5 x 60 cm
Collection particulière (vente 2020)



Nature morte aux poissons – sans date
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Musée d’art moderne de Collioure
© Photo : François Pons



Fenêtre et bouquet de dahlias – années 1930
Huile sur toile, 64 x 54 cm
Collection particulière (vente 2019)



Nature morte à la bouteille – 1932
Huile sur contreplaqué, 60,5 x 44,5 cm
Collection particulière (vente 2021)



Fruit d’été – vers 1938
Huile sur toile, 65 x 54
Musée d’Art moderne de la ville de Paris
© Photo Julien Vidal/Parisienne de Photographie


 

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