Béatrice
Romaine Goddard est née le 1er mai 1874 à Rome.
Elle est la troisième enfant de riches américains, le major Henry Goddard et sa
femme, Ella Waterman Goddard, fille d’un prospère négociant en produits miniers.
Le moins que l’on puisse dire est que la jeune Romaine n’a pas eu une enfance heureuse. Ses parents rentrent à Philadelphie juste après sa naissance et se séparent. Romaine ne reverra son père que très rarement.
Dans ses mémoires intitulées No Pleasant Memories (non publiées de son vivant, les 130 premières pages du tapuscrit d’origine figurent sur le site du Smithsonian American Art Museum et les références des citations qui suivent sont celles de ce document, traduites par mes soins), Romaine livre ses souvenirs d’enfance et les impressions qu’elle en a gardées.
Ella, sa mère, fantasque et déséquilibrée, ne cesse de voyager et ne s’intéresse qu’à son fils aîné, St. Mar, atteint de maladie mentale. Soumise à de fortes pressions psychologiques, Romaine trouve un exutoire dans le dessin :
« Il y a eu
mes premiers dessins ; j’avais environ six ans à l’époque. Un jour, après que
je les eus disposés sur le sol, contre le mur, ma mère passa. Elle se pencha
et, regardant la collection, les ramassa et les emporta dans sa chambre. Je ne
les ai jamais revus, et à partir de ce moment-là, il m’a été interdit de
dessiner. […] J’ai vite
compris qu’elle était hostile à la moindre démonstration d’intelligence, et
plus encore à toute démonstration de talent personnel. Plus tard, chaque fois
que je dessinais, c’était en catimini. » (No
Pleasant Memories, p.6-7)
Ella prend Romaine en grippe, au point de partir en voyage en « l’oubliant » chez sa lingère à laquelle elle l’avait confiée pour quelques jours ! Romaine reste probablement plusieurs mois dans ce qui paraît être un bidonville, où elle découvre cependant un semblant de stabilité émotionnelle. Elle finit par vendre des journaux dans la rue, pour aider sa logeuse, avant d’être récupérée par son grand-père. De son séjour chez la lingère, Romaine conclut : « Dans un coin sombre de ma conscience, ces expériences avaient semé ce qui allait bientôt prendre la forme d’un désir intime d’une certaine exaltation de tous ceux qui vont solitaires et à la dérive. » (No Pleasant Memories, p.22)
Après l’avoir placée, à huit ans, dans un internat de l’église épiscopale du New Jersey, Ella récupère sa fille, quatre ans plus tard, pour l’emmener à Londres puis en Italie. « Alors que je saluais ma mère et que je reconnaissais ses yeux fous et lumineux et sa bouche sans sourire, j’ai ressenti l’appréhension d’un petit animal sans ressource, pris dans un filet. Si cela avait été possible, je me serais échappée sur-le-champ. » « Je voyais ma mère comme un maître de piste fou qui dirige son propre petit cirque privé ». (No Pleasant Memories, p.37 et 38)
Romaine se trouve placée dans un pensionnat catholique italien, dans l’objectif de la convertir. « J’étais tout à fait consciente d’avoir été ramenée dans un autre âge. Aucune alternative n’étant possible, l’acquiescement était la seule politique dont je disposais. » (No Pleasant Memories, p.60). Son don pour les caricatures est peu apprécié mais « comme tous les talents étaient mis à profit par la communauté, je fus promue au poste de dessinateur polyvalent pour le couvent. Je devais maintenant copier à partir de petites images de grandes têtes grandeur nature du Christ couronnées d’épines, ainsi que leurs innombrables pendentifs de vierges tristes. » (No Pleasant Memories, p.65).
Mais Romaine refuse jusqu’au bout d’embrasser la foi catholique et finit par tomber gravement malade. Sa mère la récupère et l’emmène à Menton, où elle est propriétaire d’une villa paradisiaque. Mais la folie ambiante submerge la jeune fille : « dans un état de transe qui, pour le reste de ma vie, m’a marqué d’impressions étranges, je ne cherchais plus le soleil ou les fleurs. Créant un autre monde à moi, je descendais, comme par une trappe, pour trouver le repos dans une région fantaisiste de solitude. » (No Pleasant Memories, p.86)
Romaine est confiée à une pension de jeunes filles, en Suisse, dans l’objectif de la préparer à sa future vie d’épouse de la haute société. Après deux années inconfortables, pendant lesquels elle expérimente ses premiers attachements féminins, elle est placée dans une famille à Paris « pour perdre son accent suisse. » C’est à Paris, après de longs mois d’ennuis, qu’elle parviendra à se sauver et tentera de survivre en devenant – sans succès particulier – chanteuse d’opérette, avant qu’un avocat parvienne à lui obtenir de sa mère une modeste pension de 300 F.
« Là, j’ai résolu d’être cohérente, de n’obéir à aucune autre pulsion qu’à celle de mon art, même si cela devait me conduire aux extrêmes des souffrances physiques ou aux profondeurs de la détresse mentale. Et mon art méritait que je les endure. » (No Pleasant Memories, p.130)
Elle fréquente quelques temps l’académie Colarossi puis part à Rome où elle étudie le dessin de nu à la Scuola Nazionale et lit la poésie de Byron avec passion. En 1899, elle s’installe finalement à Capri où s’est réfugiée une communauté homosexuelle anglaise, effrayée par la condamnation d’Oscar Wilde, quatre ans plus tôt. Romaine installe son atelier dans une église délabrée et rencontre une jeune pianiste, Renata Borgatti (1894-1964), fille d’un célèbre ténor wagnérien. Elles ont une brève relation amoureuse.
C’est à Capri que Romaine élabore la notion de « lapidé » pour définir les homosexuels, lapidés jusqu’à la mort par une société intolérante et brutale. Un lapidé est un étranger apatride, un être déclassé, sans famille et sans racine.
A la mort de sa mère en 1902, un an après celle de son frère, Béatrice hérite d’une fortune considérable qui va lui permettre d’exercer son art sans avoir à se soucier de gagner sa vie. Elle épouse par convenance John Ellingham Brooks, un pianiste dilettante qu’elle a rencontré à Capri, un arrangement destiné à protéger leurs vies sexuelles respectives. Ils ne resteront mariés que quelques mois mais la désormais nommée « Romaine Brooks » assure à son ex-mari une rente régulière… avant de partir bien vite pour Londres !
Elle s’installe Tate Street et commence à travailler le portrait. Elle admire déjà James McNeill Whistler qu’elle a sans doute découvert grâce à Charles Lang Freer (1854-1919), un collectionneur américain ami du peintre, qu’elle a rencontré à Capri.
A
Londres, Romaine découvre les harmonies tonales de Walter Sickert…
Elle
commence à éliminer les couleurs vives de sa palette.
Puis
elle s’installe quelques temps à St.
Ives, en Cornouailles, loue un petit studio et commence expérimenter une
palette réduite à des noirs, blancs et dégradés de gris, parfois teintés
d’ocre ou de sienne brûlée, tout en cherchant à recomposer l’espace pictural
afin de se détacher des concepts conventionnels du portrait.
Elle
a trouvé la palette qu’elle utilisera toute sa vie.
Elle peint à cette époque son premier autoportrait dont je n’ai trouvé qu’une mauvaise image mais dont je suis sûre car il figure dans plusieurs ouvrages ou conférences que j’ai consultés. Lors d’une conférence, je l’ai entrevu plus nettement. Voilée, elle se détache sur un fond ocre jaune, les yeux sans expression, les mains serrées en bas, à gauche du tableau, le bras passant derrière le dossier de sa chaise, comme sous emprise, encore.
On
peut le rapprocher d’un autre portrait plus tardif, non terminé.
Vers 1910, Romaine s’installe à Paris et achète au Trocadéro un appartement qu’elle décore à sa façon : un sol en damier noir et blanc, des meubles noirs, des murs gris et de nombreux bouquets de fleurs, toujours blanches. Un effet révolutionnaire qui lui vaut l’intérêt immédiat de la société huppée : « Romaine habite à Paris un merveilleux rez-de-chaussée blanc et noir - chaux et boiserie - Pas de toiles au mur. Un désir ne crée-t-il pas de plus belles visions que la réalisation de la plupart des peintres ? Des meubles très bas. Rien ne domine. L'être humain prend toute son importance. C'est lui qui est plus haut, alors. Et assis, son visage dépasse les livres, les partitions, les bibelots et les fleurs. Esthétique orgueilleuse que nous aimons. » (Jean Laporte, « Romaine Brooks, interprète de la sensibilité internationale », Vogue, 1er juin 1925, p.37 et 76).
Il
me semble que tout est dit…
Devenue
décoratrice à la mode, Romaine exerce son art dans plusieurs appartements, dont
celui de Robert de Montesquiou, écrivain, critique d’art et dandy raffiné qui
pratique le « plaisir aristocratique de déplaire ». Elle rencontre
Winnaretta Singer, princesse de Polignac (et héritière des machines à coudre) et,
dans un dîner, fait la connaissance de Gabriele d'Annunzio qu’elle invite à
voir son travail. Commence entre eux une amitié amoureuse qui durera trente ans
et aura une forte influence sur son travail.
La haute société parisienne est friande de portraits. C’est l’époque où Jacques-Emile Blanche, Giovanni Boldini et John Singer Sargent sont constamment sollicités. Romaine l’est aussi mais c’est elle qui décide qui elle peint et elle choisit des personnalités qu’elle trouve intéressantes.
Beaucoup
de ces portraits ont disparu ou ne sont, curieusement, pas visibles. Ainsi, le
portrait d’Anna de Noailles, acquis par donation en 2020 par le MET, paraît
être celui qui a été vendu en 1992 (les dimensions correspondent) et l’image
est proche de la reproduction ci-dessous, parue dans un catalogue. Mais le MET
n’en montre pas de photographie, ce qui est assez rare pour être souligné…
Un des premiers
portraits où Romaine démontre sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans une
pratique flatteuse. Elle n’a pas besoin de vendre ses toiles pour vivre, elle
les exécute donc sans bonté excessive. Or, elle déteste Mme Errázuriz, qu’elle trouve arrogante, en dépit ou à cause de sa
réputation de chef de file de l’esthétique moderne et minimaliste. En la représentant
engoncée dans un manteau surchargé de petits glands argentés et coiffée d’un
chapeau trop volumineux à plumes d’autruche, elle suggère que son modèle est
tout simplement… démodée et sa prétendue modernité, affectée voire copiée sur
celle de Romaine !
La même dame, dessinée à la même époque par son ami John Singer Sargent, ne paraît pas, en effet, avoir pratiqué un style vestimentaire particulièrement épuré.
Une
allure bien différente de celle de Romaine, sensiblement à la même époque
En
mai 1910, Romaine organise sa première exposition personnelle à la galerie
Durand-Rueil. Elle y montre treize toiles, essentiellement des portraits et
quelques nus.
« Treize toiles conçues avec netteté, exécutées avec une décision rares chez une femme, suffisent à exprimer sans ambiguïté un idéal amoureusement artificiel. Mme. Brooks, observe en sa préface pénétrante M. Roger Marx, "ne se rapproche de Claude Debussy et de Whistler que dans la limite où elle se retrouve en eux. Le désir de la recherche est inné chez elle et il y aurait, de sa part, affectation ou contrainte à n'y pas céder".
Ces arrangements, subtils par la qualité rare des éléments, par la couleur et
la lumière, ces Portraits dont la vie est toute d'accents incisifs ;
sont, en effet, des œuvres trop entières pour n'être pas directement émanées
d'une nature exceptionnellement affinée, soutenue par le talent même qu’elle
nécessitait » (J.F. Schnerb, « Petites expositions », La
Chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts,
7 mai 1910, p.146)
« La Jaquette Rouge présente
un nu féminin dans un décor domestique. Brooks a accentué l'érotisme
implicite de la scène grâce à la veste rouge, qui attire l'attention sur la
nudité de la jeune femme. L'intimité tranquille de la scène est renforcée
par l'atmosphère sombre et le grand écran qui encadre son corps et réduit
l'espace entre le modèle et le spectateur. » (Extrait de la notice du
musée)
J’ajouterais volontiers une observation : cette jeune femme, particulièrement mince, comme tous les modèles de Romaine, a l’air de mourir de froid et d’ennui. Plutôt qu’un « érotisme implicite », il me semble que cela évoque surtout un modèle qui attend de prendre la pose dans un coin de pièce, un décor presque vide et vaguement déprimant… donc une vision très moderne.
Une des toiles fait sensation, Azalées blanches (cliquez pour agrandir !)
D’abord, parce que si le nu est omniprésent dans la production masculine de l’époque, il ne fait pas partie des sujets qu’on attend d’une femme. Présenter un nu, explicitement érotique, dans une première exposition est évidemment une provocation…
…
ensuite en raison de la composition du tableau : la femme, allongée sous
une rangée d’estampes grises, à côté d’une plante volumineuse dont la floraison
blanche surgit avec force, semble parfaitement indifférente à la présence du
spectateur qu’elle ne regarde même pas. Le désir est exprimé sans que le nu ne
constitue l’élément central de la scène. La critique ne s’y trompe pas et
compare Azalées au nu iconique d’Edouard Manet, Olympia.
Romaine reprend ici le thème, familier dans la
peinture, d'une femme écoutant de la musique. Comme engloutie dans ses
vêtements trop amples et encerclée par une gamme chromatique du vert gris au
brun, la jeune femme paraît extrêmement concentrée. L’image
linéaire de ce qu’on imagine être le piano, derrière elle, pourrait aussi évoquer
le flux musical qui la traverse. Seuls son visage tendu vers l’instrument et le
pot d’azalées constituent des points d’ancrage pour le regard du spectateur, à
nouveau superbement ignoré par le modèle.
L’été venu, Romaine loue une villa près d’Arcachon où elle invite Gabriele d'Annunzio et prend de nombreux croquis de son ami qui pose pour elle tous les matins. Elle s’en servira pour réaliser son portrait, deux ans plus tard.
Puis, forte de son
premier succès, Romaine organise une seconde exposition à la galerie Goupil, à
Londres, l’année suivante. Mais avant…
« Avant de faire à Londres, dans la galerie Goupil, une exposition de ses œuvres, Mme Romaine Brooks a convié ses amis à venir les voir chez elle. […] Le plus important des tableaux nouveaux s’intitule L’Archer masqué. Sur un fond sombre et tourmenté d’océan, on y voit ce groupe de deux personnages : un nain masqué portant une cuirasse et qui, debout sur une table, lance une flèche vers une femme nue attachée à un poteau. C’est là une œuvre subtile comme une page de Wilde ; les qualités picturales s’y joignent à celles de l’imagination. » (Henri Frantz, « L’exposition des œuvres de Mme Brooks », Excelsior, 7 mai 1911, p.4)
La référence à Wilde a dû faire grand plaisir à Romaine ! Dans cette œuvre qui n’est plus connue qu’en photographie, la femme attachée est la danseuse Ida Rubinstein, avec laquelle Romaine a engagé une relation amoureuse passionnée. Elle l’a peinte en saint Sébastien, en référence au Martyre de Saint Sébastien, « mystère composé en rythme français » par d’Annunzio, présenté au Châtelet le 22 mai 1911. Claude Debussy avait composé la musique et le ballet était interprété par Ida Rubinstein. La première représentation a suscité une réaction outrée de l’église catholique. Certains chercheurs voient dans la scène une femme homosexuelle confrontée au désir hétérosexuel (le nain), quelle doit subir, comme enchaînée.
« En face de cette œuvre, voici deux portraits : The pink dress and the turkey (la femme en robe rose et le dindon) est une œuvre très savante, très souple de matière, où l’artiste nous montre debout, dans une pose hiératique, une femme vêtue d’un rose éteint qui est une vraie trouvaille de palette ; à côté d’elle, presque à sa hauteur, un gros dindon en vieux saxe fait la roue. » (Henri Frantz, ibid.)
La
jeune fille est une débutante, habillée pour son entrée dans le monde. On peut
y voir l’expression des sentiments de Romaine à l’égard de ce passage à l’âge
adulte pour les jeunes femmes. Celle du tableau est maladive, presque
cadavérique, comme tétanisée ; le coq la regarde fixement. Tous deux ne sont,
finalement, que des objets décoratifs : une impression que Romaine a
peut-être expérimentée lors de son séjour dans sa pension suisse…
« J’aime également beaucoup un autre important portrait : femme debout sur un toit, avec une perspective vraiment hardie. Là encore, Mme Brooks a joué en magicienne de ces tons gris et noirs dont elle a le secret. Son modèle est vêtu d’une de ces robes archaïques dites "victorian age", toute blanche avec des points noirs un peu fanés ; les fleurs à ses pieds sont du ton le plus riche. » (Henri Frantz, ibid.)
Ici
encore, la signification est assez évidente : le balcon (et non pas le
« toit » décrit dans l’article !) constitue un espace extérieur
accessibles aux femmes qui ne sont pas censées prendre l’air en flânant dans la
rue. La jeune femme se tient face à une avenue haussmannienne, caractéristique
de la modernité de l’époque, un espace auquel elle ne peut accéder seule. Craintivement
appuyée au barreaux du garde-corps, elle paraît incapable de quitter sa prison.
Souvenons-nous de la rage de Marie Bashkirtseff (voir sa notice)quand elle écrit, le 2 janvier 1879, dans son journal intime : « Ce que j’envie, c’est la liberté de se promener tout seul, d’aller, de venir, de s’asseoir sur les bancs du jardin des Tuileries et surtout du Luxembourg… ». Une colère que Romaine a dû expérimenter elle-même quand elle était encore sous l’autorité de sa mère.
On peut sans doute associer à l’analyse de ces toiles, un portrait de la même époque, la Jeune Fille Anglaise, un portrait anonyme et, à première vue, assez conventionnel. Elle aussi est visiblement assise non loin d’un balcon auquel elle tourne le dos. Le fait que Romaine ait tenu à souligner « yeux et rubans verts » laisse entendre que ses caractéristiques physiques et ses rubans sont ses seules marques distinctives. Elle est sage, docile, sans volonté apparente, presque un objet inanimé…
Finalement,
ces trois portraits confèrent à Romaine un positionnement féministe rarement
évoqué dans l’étude de son œuvre, le plus souvent centrée sur sa production
plus tardive, peut-être parce qu’elle rencontre des enjeux de « genre »,
plus discutés aujourd’hui…
Le modèle préféré de Romaine est sans conteste Ida Rubinstein et elle le restera même après la fin de leur liaison. On la voit dans Le Trajet :
« La
forme pâle et languissante de Rubinstein flotte, portée par une forme d'aile
dans un vide d'encre, créant un espace visionnaire et onirique d'érotisme et de
rêverie. Les associations symboliques entre le sexe et la mort étaient
courantes dans l'art européen de l'époque ; le titre suggère une
méditation sur les transitions : de la passion à la relaxation, de l'éveil au
sommeil et de la vie à la mort. » (Notice du musée)
A
la même époque, elle peint aussi ce portrait de Jean Cocteau qui appartient aux
collections du musée national d’art moderne. Aucun des quatre tableaux de
Romaine qui relèvent de cette collection - et qui ont tous été mis en dépôt
dans d’autres musées - ne sont reproduits en ligne, ce qui ne risque pas de
favoriser la connaissance de leur auteur…
En
1912, Romaine peint deux portraits importants. Celui de Gabriele d'Annunzio, Le Poète
en exil, et Au bord de la mer, un autoportrait qu’on pourrait
presque considérer comme son pendant. Pour Romaine, d’Annunzio était celui qui
avait « changé le monde autour [d’elle]. » Elle considère que d’Annunzio est, comme elle, un « lapidé », exilé et solitaire.
Peint devant la digue de Socoa, à Saint-Jean-de-Luz, le poète perdu dans ses pensées, empreintes de gravité et de la mélancolie de l’exil. Derrière lui, la mer déchainée apparaît comme la vision prédictive du conflit à venir : deux ans plus tard, d’Annunzio rentrera en Italie et s’engagera dans l’aviation.
Debout, enveloppée dans un grand manteau, chemise ouverte et cheveux au vent, Romaine construit une image byronienne d’elle-même…
En 1913, elle est invitée à la Prima Exposizione Internationale d'arte della Secessione à Rome. Elle y montre Le Poète en exil, Princesse Lucien Marat, Le Balcon et La Jaquette Rouge.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Romaine et Ida sont à l’étranger. Elles rentrent précipitamment à Paris et Romaine, bien que farouchement opposée à la guerre, se porte volontaire pour le service ambulancier. Cela ne dure pas, les conditions y sont trop difficiles physiquement. Pour soutenir son pays d’adoption, Romaine va plutôt utiliser ses pinceaux et sa fortune :
Ida Rubinstein sert de modèle à cette figure héroïque en uniforme d'infirmière, devant un paysage où apparaît au loin le site d’une bataille majeure, la ville d’Ypres, en flammes. Ce portrait est exposé en 1915 dans la galerie Bernheim accompagné de quatre sonnets de d’Annunzio qui figurent également en première page du Figaro du 5 mai 1915. Voici le premier quatrain :
Ont-ils haussé l'éponge âcre au fer de la
lance
contre sa belle bouche ivre du Corps très
Saint ?
La Croix sans Christ, qui souffre au-dessus
de son sein,
N’est que la double entaille acceptée en
silence.
Des reproductions de
cette œuvre seront ensuite vendues au bénéfice de la Croix-Rouge.
La même année, le musée du Luxembourg acquiert le portrait de Gabriele d’Annunzio « œuvre parmi les plus noble et les plus sévères de Romaine Brooks où se retrouvent cette "plénitude de la ressemblance" et cette "exaltation du caractère" que remarquait en 1910 Roger-Marx dans sa belle étude. […] le portrait a donc une importance singulière, d’autant plus si l’on pense avec quelle âpreté et parfois quelle cruauté impitoyable Romaine Brooks étudie ses modèles. » (Excelsior, 20 juin 1914, p.4)
Le 15 juillet 1917, Romaine met 100.000 F. à la disposition du ministère des Beaux-Arts pour aider les artistes dans le besoin. Le don ne sera officiellement accepté qu’en 1920, et le prix Julien-Lemordant (un peintre devenu aveugle après une blessure au combat) sera fondé « en hommage à un beau peintre qui fut un grand soldat » (Excelsior, 18 avril 1920, p.4). A la suite de ces deux preuves de soutien, Romaine recevra la Légion d’Honneur.
C’est
aussi en 1917 que Romaine rencontre Natalie Clifford Barney, avec qui elle
entretiendra une très longue liaison. Elle continue cependant à peindre Ida :
Dans
« No Pleasant Memories », Romaine indique que l’idée de ce
portrait lui est venue alors qu’elles traversaient ensemble le bois de Boulogne
par une froide matinée d'hiver.
Avant-guerre, Romaine ne paraît pas avoir figuré dans des expositions collectives en France. En 1919, elle participe à l’exposition des peintres américains organisée au musée du Luxembourg : « Une sérieuse contribution de Mrs Romaine Brooks atteste une singulière culture ; son art raffiné, hautain, tout de concentration et d’abréviation, attire et retient ; il y a là je ne sais quelle mélancholie cérébrale, dolente, parfois d’une paradoxale perversité ; et aussi cette sécheresse voulue, cette haine de l’éclat, ce souci d’harmonie assoupies, une modulation savante de gris cendrés et de noirs moelleux répartis sous des contre-jours imprévus. » (Louis Vauxcelles, Excelsior, 8 octobre 1919, p.4)
L’année suivante, on la voit apparaître au Salon de la Société nationale des beaux-arts : « je m’arrête enfin devant un certain portrait de jeune femme au bonnet blanc de Mme Romaine Brooks, où la modulation des roses et des gris est conduite avec une singulière autorité ; il y a là une volonté de style, une tension, une gravité qui nous autorise à évoquer le grand nom de Philippe de Champagne [sic !] » (Louis Vauxcelles, « Au Salon de la Société nationale des beaux-arts », Excelsior, 15 avril 1920, p.4)
Mais de quoi parle-t-il ?
« L'originalité, la perle de cette salle, c'est la petite toile intitulée La Chèvre blanche, avec laquelle Mme Romaine Brooks fait sa rentrée dans le monde de la peinture. Les qualités si particulières de cette artiste se trouvent exprimées avec cette même précieuse maîtrise que nous avons déjà maintes fois admirée dans les portraits de Mme Ida Rubinstein, de M. Gabriele d'Annunzio, etc. » (Albert Flament, « Le Salon de la Nationale », Le Monde illustré, 24 avril 1920, p.220). En conséquence de quoi, je me demande pourquoi le musée date ce portrait de 1915…
Cette
« chèvre blanche », c’est Elsie de Wolfe, encore une décoratrice célèbre
pour son style épuré. Elle est exécutée (le mot est juste) à côté d’une petite
chèvre dont les yeux, qu’on imagine papillonnants, ressemblent curieusement à
ceux du modèle. Si l’on se souvient de la signification de la composition de La
Débutante, je ne donne pas cher de l’affection que Romaine portait à cette
dame…
Le contraste est, en effet, frappant avec le portrait de Natalie Clifford Barney, également symbolisée par le petit animal-totem posé devant elle, et qui est présenté au « Salon de la Nationale » de l’année suivante :
« Les
exposantes sont en nombre imposant dans cette salle. L’une des plus
intéressantes par la personnalité de son talent, l’originalité des œuvres qu’elle
a produites depuis plus de dix ans, Mme Romaine Brooks, envoie le portrait de
l’Amazone. Qu’on ne s’attende pas, comme sur la toile de M. Prinet, à
l’une de ces dames coiffées d’une petit haut-de-forme minuscule ou d’un feutre
de cow-boy. L’amazone est le qualificatif d’une femme, écrivain de talent, bien
connue des artistes à Paris, Miss Barnet [sic]. Le portrait que Mme Romaine
Brooks a peint, dans la gamme des gris qui est la sienne, dont elle ne
s’éloigne jamais, est un de ces portraits psychologiques où l’artiste ne
s’est souciée ni d’une robe, ni d’un éclairage, ni d’un fond, mais d’une âme. »
(Albert Flament, « Au Salon de la Nationale », Le Monde Illustré
– 29 avril 1922, p.311)
Le « fond », pourtant, est probablement celui de la maison de Nathalie Barney, 20 rue Jacob, « le Temple de l’Amitié » où la riche américaine reçoit chaque vendredi, surtout des femmes, journalistes, autrices et artistes qui constituent une sorte d’académie féminine à laquelle ne sont conviés que quelques hommes triés sur le volet, Montesquiou, Cocteau, Max Jacob…
Frappant
également par sa monumentalité et sa densité, le portrait de son amoureuse de
Capri, Renata Borgatti :
« Renata Borgatti, au piano a marqué une transition importante pour Brooks. C’est
la première peinture dans laquelle une modèle identifiée affiche un style
androgyne qui subvertit délibérément les normes de genre et inaugure ainsi l’exploration
par l’artiste de l’identité lesbienne. Ici, Brooks revient au thème qu’elle a
exploré dans Le Piano, mais
présente désormais la femme comme la productrice plutôt que la consommatrice de
l’art musical. » (Extrait de la notice du musée)
Saisissante
également, la façon dont Romaine voit l’extravagante marquise Luisa Casati,
alors au sommet de sa splendeur et ci-dessous photographiée par Adolf de Meyer :
La même peinte par Romaine, la « voleuse d’âme » comme l’appelait Montesquiou :
« Capri,
nous y rencontrions [Romaine] il y a trois ans. C’était un été merveilleux. Une
chaleur africaine qui noyait les êtres et les choses. La marquise Casati
promenait des yeux étranges sur la mer d’un bleu noir. » (Jean Laporte, « Romaine
Brooks, interprète de la sensibilité internationale », Vogue, 1er
juin 1925, p.37 et 76)
Quant
à cette Chasseresse, on ne sait pas vraiment qui lui a servi de modèle
mais je ne suis pas sûre que la présence de la chèvre soit absolument fortuite
ni insignifiante.
.
« Brooks a équilibré le mythologique et le sensuel dans cette peinture d’une chasseuse. La ligne nette et les larges plans du profil fort de la figure et sa position devant un paysage accidenté transmettent sa puissance et son autorité. Le lourd manteau de fourrure glissant sur son épaule et son torse partiellement nu créent des accents sous-jacents d’espièglerie suggestive, tout comme la position de la chèvre. Bien que le modèle n’ait pas été clairement identifié, la chasseresse pourrait représenter l’artiste et écrivain Elizabeth Eyre de Lanux, l’une des amantes de Natalie Barney dans les années 1920. » (Notice du musée)
Chaque
rencontre importante de Romaine paraît sanctionnée par un portrait. Le duc
d’Albe, rencontré à Marienbad…
…
et la jeune peintre britannique Hannah Gluckstein (1895-1978), comme elle
héritière d’une vaste fortune (et, comme elle, affligée d'une mère abusive), dont Romaine fait la connaissance chez Nathalie
Barney. La jeune femme se fait appeler Peter, porte des costumes d’hommes et a
adopté le pseudonyme asexué de Gluck comme nom d’artiste.
Une
palette nuancée et un fond calme et vide : une image raffinée et un peu austère
mais un titre provocateur Peter, jeune fille anglaise, qui souligne que
la tenue androgyne du modèle est assumée. Et la photo de la jeune
Peter montre à quel point sa ressemblance a été parfaitement saisie.
La même année,
Romaine peint son autoportrait le plus célèbre, celui que j’ai placé en exergue
parce qu’il me semble être le plus significatif de sa personnalité mais que je reproduis ici afin de l’examiner de plus près.
On pourrait être sur une terrasse, sur un toit, même s’ils étaient peu accessibles à l’époque. La ville représentée pourrait être en ruine et n’est pas reconnaissable, on est nulle part. Le visage est blême mais les lèvres sont maquillées. En dépit d’une tenue pouvant être considérée comme masculine - le chapeau n’est pas un haut-de-forme à proprement parler et le pardessus noir ouvert sur une chemise blanche est simplement sobre et élégant – il ne fait aucun doute qu’il s’agit bien d’une femme. Une femme aux yeux laissés dans l’ombre, refusant de se livrer.
Une tenue de dandy, sans doute, mais un dandy féminin, une amazone. Le seul point de couleur est la rosette au revers du pardessus.
A la même époque, Romaine était aussi comme cela :
Bien
différente du portrait d’Una.
Lady Troubridge,
sculptrice et écrivain, surtout connue pour avoir traduit les romans de Colette
en anglais, était l’amante de Marguerite
Radclyffe-Hall, poétesse britannique auteur d’un roman lesbien qui fit grand
bruit, The Well of Lonelyness (Le Puit de solitude) et fut interdit au
Royaume-Unis.
Monocle, cravate, jaquette et pantalon rayé, c’est l’uniforme du lord britannique, auquel on a ajouté, comme par inadvertance, une boucle d’oreille. Pour autant, si on s’en tient à la composition habituelle de Romaine, le présence des teckels, connus pour leur caractère agité et fébrile, n’est sûrement pas fortuite. Un portrait assez grinçant qui exprime sans doute la réticence de Romaine d’une affirmation trop caricaturale de l’identité lesbienne. Selon le musée, Romaine aurait affirmé dans une lettre que ce portrait à charge pourrait un jour « amuser les futures féministes ».
L’œuvre fut présentée à la galerie Charpentier en 1925 « La nature l’a douée à ravir, et les travaux de la première partie de la sa carrière attestent, par leurs vaporeux effets d’atmosphère, par la délicatesse raffinée de leurs gris et par l’exceptionnelle qualité de leur matière, un magnifique tempérament de peintre. […] Dans les travaux les plus récents de l’artiste, on ne retrouve plus les mêmes raffinements ni la même délicatesse. […] Le peintre est à un tournant dangereux de sa carrière. » (Anonyme, « Art et curiosité », Le Temps, 25 mars 1925, p.4)
Romaine expose aussi à Londres, à l’Alpine Club Gallery, grâce à une importante mécène, la baronne d’Erlanger dont elle fait aussi le portrait. La baronne, surnommée « La Flamme » pose à côté d’un ocelot dont le pelage et le regard reflètent probablement, pour la peintre, la personnalité du modèle.
A
la fin des années 20, la production de Romaine diminue. Elle paraît avoir
réservé son art à des proches, comme Elisabeth de Gramont, une autre amante de
Nathalie Barney, connue pour son soutien au Front Populaire… !
Et,
plus tard, deux américains, proches du mouvement de la Renaissance de Harlem,
le photographe Carl Van Vechten qui prend une photo de Romaine à 61 ans.
… et l’artiste et autrice (Music at Midnight – 1929) Muriel
Draper, elle aussi proche du mouvement culturel afro-américain des années 30.
Dans les années 30, Romaine est enfermée chez elle et ne voit plus grand monde, comme le raconte Berthe, domestique chez Nathalie Barney : « Romaine était un personnage. Quand je suis entrée chez miss Barney, Romaine habitait le quai de Conti. Vers 1932-34 elle a acheté un appartement rue Raynouard. […] C’était une vraie sauvage. Elle pouvait rester enfermée trois jours de suite chez elle, dans sa peinture. Elle n’allait chercher à manger dans le frigidaire que lorsque les domestiques n’étaient pas là. Elle, c’était vraiment un peintre, elle ne voulait que sa peinture. Je me rappelle, quand elle venait rue Jacob et qu’elle se mettait tout à coup à avoir le regard fixe… avec ses yeux qu’elle avait… […] Pour Romaine c’était surtout l’art qui comptait. Et pourtant, quand je l’ai connue, elle ne faisait presque plus rien. La plupart de ses tableaux ont été peints entre 1920 et 1925. » (Michèle Causse, Berthe ou un demi-siècle auprès de l’Amazone, Paris, Tierce, 1980)
Que
fait-elle donc ? Elle écrit ses mémoires et elle dessine.
De ses mémoires, quelques-uns, dont Carl Van Vechten, diront qu’elle a dit ce qui l’arrangeait. Elle a, notamment, complètement occulté sa sœur aînée, Maya, qu’elle prétend décédée, alors qu’elle était bien vivante. Elles se sont disputées beaucoup plus tard, au moment du mariage de sa nièce, Romaine ayant décrété que la jeune fille était « vendue comme esclave ». Après ça, Maya ne lui a plus jamais adressé la parole… mais cela faisait déjà un moment qu’elle la considérait comme infréquentable.
Quant à ses dessins, il y en a environ deux cents, tracés au crayon, d’une ligne fine presque continue, comme automatique. Chacun est signé d’une minuscule petite aile attachée à une corde. Une signature qu’on remarque aussi en bas à gauche de son autoportrait de 1923.
La moitié d’entre eux sera exposée à la galerie Briant en 1931 avant d’être montrée à Chicago. Voici ce qu’en pense un critique influent de l’époque :
« Les extraordinaires fantaisies linéaires de Mme Romaine Brooks […] ne contredisent qu’en apparence, et pour le spectateur superficiel seulement, ce que nous connaissons et aimons de la peinture de cette grande artiste. Ces dessins sont rares, étranges, d’arabesques imprévues et troublantes, chargés d’émotion, de mystère, de poésie pathétique, d’ironie légère, de pessimisme glacé. […] Ces dessins sont littéralement inclassables. Ils suggèrent et symbolisent plus qu’ils ne constatent et définissent. L’inconscient a sa part de responsabilité en ces jeux intellectuels d’une savante plasticienne. Si le vocable “surréalisme” n’avait pas été ridiculisé par qui nous savons, on eût écrit que les croquis de Mme Brooks, ressortissent de cette esthétique. […] Cette observation implacable nous soumet des monstres, des bêtes aux formes inventées, des êtres désincarnés ; mais cet univers de phantasmes et de larves, on ne peut le contempler sans un sentiment où se mêlent la curiosité, l’effroi et l’admiration. » (Louis Vauxcelles, « Les dessins de Romaine Brooks », Excelsior, 21 mai 1931, p.4)
Les titres ont été
donnés par Romaine :
« Elle ne me lâchait
jamais. Si je m’échappais dans le jardin ou dans ma propre chambre, elle se
précipitait comme un tourbillon dans la maison en criant mon nom. Tôt ou tard,
j’aurais à affronter la tempête, et sa force était telle que je trouvais
préférable de suivre sans hésitation les mouvements erratiques de ma folle propriétaire. »
(No Pleasant Memories,
p.85)
Des années plus tard, à quatre-vingt-cinq ans, Romaine disait encore : « Ma mère morte continue de se tenir entre moi et ma vie. Je parle comme elle veut que je parle. J’agis comme elle me le commande. Pour moi, elle est la racine ennemie de toutes choses. » (Meryle Secrest, Between Me and Life : A Biography of Romaine Brooks. New York, Doubleday,1974, p. 383)
Deux ans plus tard, elle reprenait les pinceaux pour peindre un dernier portrait d’un ami, rencontré en Italie où Romaine a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Toujours les mêmes nuances de gris, alors marquées par le relâchement de l’âge.
Je
n’ai volontairement pas abordé ici les opinions détestables de Romaine, son
goût pour l’élitisme, sa fascination pour Nietzsche et ses amitiés plus que suspectes. Elle a,
par exemple, commis un portrait de Paul Morand, que les critiques s’accordent à
trouver réussi, ce qui ne rend pas le personnage plus sympathique pour autant.
Mon propos n’est en rien de la dédouaner de ce qu’elle fut, en tant que femme dont on a dit que la culture politique était celle d’une enfant de dix ans. Même doté d’une mère infernale, chacun est maître de ses idées, même s'il faut pour cela avoir atteint une maturité émotionnelle permettant de diriger son destin. Savoir si Romaine en était capable est un autre sujet.
Quoi qu'il en soit, elle a participé à élaborer une image de femme encore inexplorée, assez loin des poncifs de son époque. D’une certaine manière, son
œuvre, essentiellement consacré à ses ami(e)s donne à voir, dans un milieu
privilégié, l’identité lesbienne de son temps.
Romaine
s’est éteinte le 7 décembre 1970, à Nice. Un an plus tard, la National
Collection of Fine Arts, devenue depuis le Smithsonian American Art Museum auquel elle a légué toutes
ses œuvres, lui a consacré une rétrospective.
Il faudra toutefois attendre les années 80 pour qu’un nouvel intérêt pour son œuvre se manifeste, comme au musée Sainte-Croix de Poitiers en 1987, un intérêt d’ailleurs souvent discuté par ceux qui ne manquèrent pas de relever qu’elle était restée absolument hermétique à tous les mouvements artistiques de son époque.
Et c’est vrai. Elle était probablement trop uniquement préoccupée d’elle-même… mais l’empathie, comme la confiance, s’apprend.
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