Huile sur papier - 11,7 x 18,7 cm
Louise-Joséphine est née à Versailles le 14 février 1790. Elle est la fille unique de Claude François Sarazin de Belmont, commis principal du « dépôt général des archives de la Guerre » et de son épouse, Amable Josèphe Prevost. La famille vit à Paris, quai de la Mégisserie.
On sait qu’entre 1805 et 1812, Joséphine a été l’élève de Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819), un peintre qui avait séjourné en Italie dans les années 1770 où il avait étudié des paysages aujourd'hui considérés comme des classiques du XVIIIe siècle : Rome, Tivoli, Naples et la Sicile.
Admirateur de Nicolas Poussin et Claude Lorrain, il était porté par le désir d’élever la peinture de paysage au plus haut niveau de la hiérarchie des genres et considérait que cela exigeait l’étude de la littérature classique et de la perspective. En 1787, il avait été reçu à l’Académie royale avec Cicéron à la découverte du tombeau d’Archimède, un tableau où la dimension historique portée par les personnages est largement éclipsée par le paysage naturel où se situe la scène.
Nommé membre de la Société Philotechnique en 1796, il y enseigne la perspective et ouvre un cours pour jeunes filles. Il publie en 1800 Éléments de perspective pratique à l'usage des artistes, suivis de Réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage où il promeut une pratique fondée sur l‘observation de la nature tout en soutenant que, grâce à la fréquentation assidue des « poètes sublimes », il faut la représenter sous sa forme idéale, en la parant « des richesses de l’imagination que seul le génie peut concevoir et représenter. »
On retrouve ses préceptes dans la façon dont Joséphine conduira son propre travail.
En 1812, Joséphine participe à son premier Salon, au Louvre où elle présente trois peintures de paysages : la Fête de Junon, la Vacherie de la Malmaison et Pastorale (La bergerie).
Au cours des années
qui suivent, les titres des œuvres de Joséphine – ou les commentaires qui les accompagnent
– confirment qu’elle a retenu les leçons de son maître : « Le jour n’étant pas encore à sa
fin, la famille de Lasthenès, Démodocus et Cymodocée allèrent se reposer sous
les arbres qui avoisinaient les champs où les serviteurs de Lasthenès
rentraient d’abondantes moissons. Les sœurs d’Eudore, assises aux pieds de
leurs parens, tressaient des couronnes pour une fête prochaine. (Martyrs,
liv. 2) ». Deux ans plus tard, les trois titres sont de la même veine :
Homère y compose son Illiade (« malheur au peintre qui ne sent pas toutes
les beautés d’Homère » a écrit Valenciennes !) et on y voit à nouveau
le temple de Junon.
En 1824, considérant qu’il était peut-être temps de « rompre la routine et varier son talent » : Joséphine part en Italie pour deux ans, probablement seule ce qui est plutôt inhabituel pour une femme. Son premier périple pourrait avoir été inspiré par les Conseils de Valenciennes (Paris, Desenne et Duprat, an 8, 644 p., consultable en ligne) qui recommande de voyager dans les pays lointains et évoque précisément tous les sites où l’apprenti peintre de paysages ne peut manquer de se rendre, au nombre desquels Taormine, la Sicile en général et bien sûr, Tivoli.
Huile sur papier - 41,6 x 57,5 cm
Metropolitan Museum, New York
« Le théâtre
antique de [Taormine] est la ruine la mieux conservée que l’on connoisse […] un
des plus beaux points de vue qu’on puisse rencontrer est celui de l’Etna, pris
de l’emplacement de ce théâtre : on ne peut guères en concevoir de plus
imposant et de plus grandiose. » (Conseils, p.569)
« La Sicile est un
des pays les plus beaux et les plus utiles pour faire des études grandes et
majestueuses dans tous les genres. Nous conseillons au Peintre de paysages de
la parcourir en tous sens, et de réfléchir à tous les objets imposans [sic] qui se
présenteront à sa vue. » (Conseils, p.581)
On remarquera le travail de la lumière, qui éclaire les façades
du château, tandis que les roches qui le soutiennent restent dans l’ombre et
que seul le petit berger est éclairé au premier plan.
« A peu de distance du temple est la grande cascade de Tivoli, formée de la chute de la rivière entière de Téveronne. Nous nous dispenserons de faire la description de cette cascade […] il n’est pas d’Artiste à Rome qui n’en ait fait des vues sous différens [sic] aspects. » (Conseils., p.599)
On ne sait pas quelles œuvres Joséphine a montré au Salon de 1827. Elle figure sur le livret sans mention de ses travaux, peut-être sont-ils arrivés trop tard. Les œuvres qu’elle rapporte sont de petits formats, souvent peints sur du papier ou du carton pour être aisément transportables.
Collection particulière
Et Joséphine repart aussitôt, dans les Pyrénées cette fois.
Elle est la première peintre à s’y rendre et à oser s’installer seule pour
peindre pendant trois mois dans une cabane de berger, ce qui ne passe pas
inaperçu, autant que le nombre d’œuvres qu’elle apporte au Salon de
1831 : cinquante-cinq
vues des Pyrénées, depuis Bayonne jusqu’à la brèche de Roland et les vues de La
Cascade du pont de France et du Couvent de Saint Savin. Les vues des
Pyrénées font un tabac auprès des acheteurs et la région restera un de
ses thèmes favoris pendant toute sa carrière.
Le Salon de 1831 est un succès, elle y obtient une médaille de seconde classe dans la catégorie peintres de paysage. Comme toujours, les commentaires sont « contrastés » : « Mlle Sarazin de Belmont, qui depuis 1812 a constamment enrichi les expositions de ses tableaux, nous a offert cette année les immenses résultats de son exploration des Pyrénées. Son talent exact, et mâle quelquefois jusqu’à la rudesse, s’est montré dans tout son éclat, surtout dans ses Vues du Cirque et de Chaos de Gavarnie. Douze tableaux, cent dix-neuf vues des Pyrénées, peintes en esquisses avancées, sont un prodigieux travail ; peu d’hommes habiles y eussent suffi. » (C.P. Landon, « Salon de 1831 », Annales du musée et de l’Ecole Moderne des Beaux-Arts, p.248)
Son travail sur les Pyrénées séduit l’impératrice Joséphine et, plus tard, la duchesse de Berry a collectionné ses vues d’Italie (Charles Gabet, Dictionnaire des artistes de l'école française, au XIXe siècle).
Joséphine ne se borne pas à peindre, elle produit aussi des lithographies de ses Vues peintes d’après nature. En plus de la faire connaître, cette pratique lui procure les fonds dont elle a besoin pour voyager. Voici, par exemple, deux vues extraites d’un album sur la vallée d’Argelès, datant d’après 1831 puisque l’adresse de l’auteur est celle de son atelier, 11 rue Saint Germain des Prés, qu’on voit apparaître cette année-là sur le livret du Salon.
On remarque que, comme dans ses tableaux, chaque paysage est habité de petites
silhouettes, probablement en costume local et différentes de celles qui sont
présentes sur les tableaux d’origine. Ce sont les « détails pittoresques »
dont le public est friand.
Enfin,
et c’est aussi une démarche étonnante pour l’époque, Joséphine ne dédaigne pas
de s’appuyer sur des marchands pour diffuser son travail : trois ventes
aux enchères seront organisées de son vivant, en 1829, 1839 et 1859. Elles lui
procurent les fonds nécessaires à son indépendance financière et lui permettent
de voyager comme elle l’entend, sans dépendre d’un quelconque mécène.
Ce
montage de ses Vues des Pyrénées, probablement retravaillées en
atelier après avoir été agencées dans le cadre conçu pour elles, constitue un bon exemple de diffusion à caractère commercial !
Grâce à ses succès commerciaux, Joséphine s’installe dans un grand atelier, 11 rue Saint Germain des Prés (qui reliait, à l’époque, la rue Jacob à la place Saint-Germain-des Prés). Il sera fréquenté par les plus grands artistes du temps, dont Jean-Baptiste Ingres et Jean Gros.
Joséphine consacre l’année suivante à l’exploration de la nature de la région parisienne : les vues de la forêt de Fontainebleau et de la Celle Saint-Cloud seront présentées aux Salons des deux années suivantes, avec des réinterprétations du thème pyrénéen, comme une Vue du château de Pau, effet du matin, dont j’ai trouvé une variation, sous un nom différent, au musée des beaux-arts de Pau. Dans tous les cas, on retrouve l’enseignement de Valenciennes sur le rôle de la lumière dans la mise en valeur des différents plans du paysage, comme aussi dans l’étonnante Vue de Paris, qu’elle exécute à la même époque.
Huile sur toile, 23 x 36 cm
L’autre découverte de Joséphine est la Bretagne, où Valenciennes l’a précédée dans les années 1800. Elle y voyage entre 1835 et 36, rapportant notamment cette superbe vue de Saint-Pol-de-Léon qui sera présentée au Salon de 1837.
Huile sur toile - 62 x 90,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Quimper
« La Vue de Saint-Pol-de-Léon réussit le tour de force de présenter un panorama étendu fixant les principales curiosités de la ville (et notamment le fameux Kreisker), les ondulations des côtes bordant la Penzé (on reconnaît même l’île Callot), tout en jouant de l’artifice avec un premier plan fermé sur la droite par un bosquet d’arbres malingres. La formule du paysage composé, quand bien même elle s’appuie sur une observation minutieuse, reste appliquée consciencieusement. Moins à l’aise dans le traitement des figures, Sarazin de Belmont campe au centre de sa composition un groupe de paysans bretons qui présente quelques maladresses dans les proportions. En revanche, le ciel immense est subtilement interprété et diffuse une magnifique lumière, à dire vrai plus proche d’un couchant méditerranéen que breton, qui enveloppe harmonieusement l’horizon. Jalon important de l’engouement qu’allait susciter la découverte de la Bretagne, cette œuvre impose une vision idyllique et apaisée, à contre-courant de la vision romantique et plus tourmentée qui prévaudra souvent quelques années plus tard. » (Notice du musée de Quimper)
Quant à cette charmante huile sur papier qui
représente un groupe de femmes en train de se dévêtir et de se baigner sous une
falaise qui surplombe le rivage, elle fut vraisemblablement exécutée sur les
côtes rocheuses de Bretagne ou de Normandie, à la même époque.
La figure abritée sous un large chapeau, au centre de la composition, est considérée par certains auteurs comme un autoportrait. Le format réduit et le sujet laissent penser que l’œuvre fut conçue pour être offerte en souvenir.
Infatigable, Joséphine se rend dans le Jura, en Suisse et en Allemagne en 1838 mais je n’en ai pas trouvé trace dans les musées que j’ai « visités »…
De 1839 à 1841, Joséphine parcourt à nouveau l’Italie, accompagnée cette fois par son amie, Augustine Dufresne, veuve du peintre Gros, mort en 1835. Peu de temps après leur retour à Paris, Augustine meurt de maladie, le 5 janvier 1842.
Très affectée par la mort de la « meilleure des amies », Joséphine peint quatre tableaux, avec l’intention de les offrir au musée de Toulouse (lequel, aujourd’hui, ne paraît pas avoir grand chose à raconter sur ces quatre œuvres, du moins dans leur présentation en ligne…).
D’abord, trois vues italiennes prises des points où Augustine aimait les contempler : Florence, depuis San Miniato, Rome depuis Monte Mario et Naples depuis le Pausilippe. Chacun de ces tableaux symbolise une des trois vertus théologales, la Foi, l’Espérance et la Charité, incarnée par Augustine elle-même, représentée en robe rouge.
La quatrième scène représente le cimetière du Père-Lachaise, où sont visibles, selon le livret paru à cette occasion, « le tombeau des familles Gros et Dufresne et celui de Louis David » (livret consultable en ligne sur Gallica).
Florence,
la Foi : Augustine est agenouillée, en prière, alors que
des moines passent sur le chemin. La scène se déroule au coucher du soleil qui
éclaire encore la ville de Florence, au pied des Apennins, en arrière-plan.
Rome,
l’Espérance : Augustine paraît méditer, au pied d’une statue. Son attitude
calme évoque le fondement de l’Espérance chrétienne, qui place sa confiance en
l’Esprit saint. Rome, dans le lointain, paraît éclairée par un soleil de
l’aube.
Naples,
la Charité : Augustine s’est arrêtée pour donner quelque chose à des
femmes assises au bord du chemin. En-dessous du sentier qui descend vers la
mer, la baie de Naples et le Vésuve, noyé par la brume, apparaissent dans une
lumière légère, la « belle vapeur de l’air atmosphérique » chère à
Valenciennes.
La dernière œuvre de cette série est un hommage à la famille Gros. Le tombeau de David est probablement situé derrière le mausolée de Gros, tous deux placés à l’ombre d’un arbre. La vue de Paris paraît peu réaliste, même en se plaçant au point le plus haut du cimetière. En outre, dans la réalité, les tombes de Gros et de David ne sont pas proches, le premier étant dans la 25e division, avec Molière et La Fontaine, l’autre dans la 56e…
De 1842 à 1857, Joséphine disparaît des cimaises du Salon parisien. La vente aux enchères de ses œuvre de 1839 a peut-être suffit à la diffusion de son travail et à lui assurer un revenu. Elle s’est établie en Italie, à Rome, où elle habite encore lorsqu’elle revient au Salon en 1859. Elle n’est pas restée inactive : la vente aux enchères de 1859 est impressionnante comme en témoigne le catalogue de Drouot, conservé à la Bibliothèque nationale : 158 tableaux à l’huile, « huit portefeuilles qui renferment 554 croquis et dessins, faits en Suisse, en Italie et en Sicile » et « une certaine quantité de gravures, lithographies, livres, etc. »
Il
est introduit par ces mots de l’écrivain et poète arlésien, Amédée Pichot :
« Depuis Claude Lorrain et Gaspar Poussin [beau-frère de Nicolas], l'Italie a été la patrie adoptive de nos grands paysagistes. Comme ces maîtres, Mlle Sarazin de Belmont a pu faire dire d'elle qu'elle était plus Romaine que Française par ses sujets de prédilections et par son style. On a pu même, pendant sa longue absence, lui reprocher d'avoir trop négligé nos expositions nationales, au risque de se laisser oublier, si un talent tel que le sien était de ceux qu'on oublie. L'exposition de cette année et la collection dont nous offrons le Catalogue aux amateurs viennent répondre à ce reproche de ses amis. »
Dans
ces années-là, Joséphine soigne également sa postérité en faisant des dons à
différents musées français. En plus des quatre qu'elle lui a déjà offerts, elle donne au
musée des Augustins une Vue du couvent de Saint-Savin et au musée de
Nantes, une Vue de la Cathédrale d’Orvieto (1851) qui paraît aujourd’hui dans un bien triste état…
« Au loin, sur une hauteur, on aperçoit la cathédrale. Au premier plan, deux personnages en costume de la Renaissance regardent une jeune femme tenant son enfant, dans le costume et la pose de la Vierge à la chaise de Raphaël. A droite, sur une hauteur, un bouquet d'arbres, un berger et des moutons. Au milieu, une route encaissée, qui descend vers le fond de la vallée. » (Notice du musée de Nantes)
Elle
donnera aussi au musée des beaux-arts de Tours deux Vues du Forum, le
matin et le soir.
« La Vue
du Forum le matin et son pendant la Vue du Forum le soir appartiennent
à la série des nombreuses vues panoramiques exécutées par Louise-Joséphine
Sarrazin de Belmont. Son œuvre témoigne en permanence d'une sensibilité extrême
à la nature et d'un intérêt marqué pour les sites archéologiques représentés de
manière très précise. Réalisés à une époque où les fouilles archéologiques sont
effectuées scientifiquement, ces paysages sont caractéristiques de ceux qui
étaient particulièrement en faveur auprès du public dans la première moitié du
XIXe siècle. Dans cette Vue du Forum, au-delà de la
représentation de la nature baignée par la douce lumière mordorée de l'aube, le
tableau joue ici le rôle de témoin archéologique.
Un jeune homme appuyé contre des éléments d'entablement, dessine les colonnes des temples de Saturne et de Vespasien. Sa présence atteste le grand succès que ce lieu rencontrait auprès des artistes, mais répond également au désir de Louise-Joséphine Sarrazin de Belmont d'insister sur le caractère unique de ce site. » (Notice du musée de Tours)
Joséphine
ne reviendra à Paris qu’en 1865, en compagnie de la signora
Carmela Buccalo Vinciguerra, née à Taormina. Elles s’installeront
rue Soufflot et Joséphine continuera à exposer régulièrement deux toiles
italiennes à chaque Salon jusqu’en 1868, deux ans avant son décès, à
quatre-vingts ans. Elle repose avec son amie Carmela au
cimetière du Montparnasse. Leur pierre tombale, aujourd’hui perdue, portait
cette épitaphe : « Elle fut une amie fidèle, et celui qui l’avait
trouvée avait trouvé un trésor. »
*
Cette peintre sensible est restée fidèle au paysage classique, « paré des richesses de l’imagination » mais a occupé, par sa pratique personnelle, une position charnière entre cette tradition et celle des peintres du paysage de plein air, comme ceux de Barbizon qui exploraient la forêt de Fontainebleau à la même époque qu’elle.
Même si nous sommes aujourd’hui moins sensibles à sa peinture qu’on pouvait l’être il y a deux siècles, le caractère intrépide de Joséphine, la longévité de sa carrière et son indéniable talent pour saisir les paysages in situ justifient vraiment qu’elle ne soit pas oubliée.
Considérant les difficultés que j'ai rencontrées pour élaborer ce début de commencement d'évocation de sa vie et de sa carrière, je sais que ce n'est pas gagné…
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