lundi 29 novembre 2021

Cecilia Beaux (1855-1942)

 

Autoportrait – 1894
Huile sur toile, 25 x 20 cm
National Academy of Design, New York


Fille d’une institutrice américaine, Cecilia Kent Leavitt et d’un industriel français, Jean Adolphe Beaux, Cecilia fut marquée par l’absence de sa mère, morte douze jours après sa naissance, le 1er mai 1855, et par le retour de son père en France, à la suite de ce décès. Avec sa sœur Etta, elle est élevée, à Philadelphie, par sa grand-mère maternelle et ses tantes, « un cercle de femmes apparentées qui lui ont inculqué un sentiment d’indépendance et d’autonomie […] ». (Sylvia Yount, Cecilia Beaux American Figure Painter, Berkeley, University of California Press, 2007. p.19)

Sa famille est désargentée mais cultivée et libérale et Cecilia est soutenue dans sa démarche artistique : elle est accompagnée dans les galeries d’art locales, y compris la collection privée de William C. Gibson où Cecilia découvre les œuvres de grands peintres contemporains français, Gustave Courbet, Thomas Couture, Alexandre Cabanel et Jean-Léon Gérôme. C’est une de ses tantes, Eliza Leawitt qui lui donne ses premiers cours de dessin avant qu’une parente éloignée, Catherine Drinker, peintre d’histoire, ne prenne la relève.

Vers 1872, Cecilia étudie avec l’artiste hollandais Adolf Van der Whelen. Elle apprend à dessiner d’après des moulages antiques et apprend la géométrie. Elle dira plus tard que cette initiation l’a aidée à atteindre un « bon niveau de réalisme. »

Cecilia doit cependant participer aux revenus de la famille. En 1874, elle remplace un professeur de dessin à la Miss Sandford’s School et commence à donner des cours particuliers avant de faire ses premiers pas en tant qu’artiste professionnelle.

Elle dessine des coquillages pour l’US Geological Survey, produit une série de dessins de fossiles pour illustrer un rapport en plusieurs volumes intitulé The Vertebrates of the Cretaceous Formations of the West (1875) du paléontologue E.D. Cope et vend des portraits d’enfants sur porcelaine, une activité traditionnellement réservée aux femmes, ce qui ne la satisfait pas…

 

Etudes de coquillages – 1875
Graphite et lavis sur papier blanc
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie


Portrait d’enfant - 1880
Peinture sur plaque de porcelaine, 28,6 cm de diamètre
The Metropolitan Museum of Art, New York

Le nom de Cecilia apparait sur le registre des élèves de l’Académie des beaux-arts de Pennsylvanie (Pennsylvania Academy of the Fine Arts - PAFA) à la fin des années 1870 mais elle indiqua ensuite ne pas y avoir étudié, en raison de l’opposition de son oncle. En revanche, entre 1881 et 1883, elle suit les cours de William Sartain (1843-1924), un peintre qui avait étudié aux Beaux-Arts de Paris avec Léon Bonnat (1833-1922). 

Et, en 1883, avec le soutien de sa cousine, Catherine Drinker Bowen, musicienne et écrivain de renom, elle ouvre son propre atelier à Philadelphie et se spécialise dans le portrait.

Cécilia et sa cousine, Emma Leavitt, dans son atelier à Philadelphie en 1889/90
Source : Collections de la Pennsylvania Academy of the Fine Arts


Au cours de sa carrière, Cecilia a réalisé les portraits de nombreuses célébrités du monde culturel et artistique. Mais à cette époque, elle commence par ses parents et amis.

Ethel Page (Mme James Large) – 1884
Huile sur toile, 76,2 x 63,5 cm
National Museum of Women in the Arts, Washington D.C.

Ethel Page est issue d’une famille de Philadelphie dont l’ancêtre Roger Williams, a été gouverneur de Rhode Island. Les deux femmes se sont rencontrées en 1876 et ce tableau est l’un des nombreux portraits que Cecilia fera de son amie. Il est caractéristique de son style de l’époque, un visage très éclairé sur fond sombre, où seul apparaît le grand nœud rouge du chapeau. L’accent est mis sur la personnalité du modèle.

 

Edmund James Drifton Coxe – 1884
Aquarelle sur papier vélin, 61,2 x 46,3 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

Dès 1883, Cecilia commence sa première grande peinture de chevalet, Les derniers jours d’enfance, dans laquelle elle prend pour modèles sa sœur et son neveu.

Les derniers jours d’enfance – 1884
Huile sur toile, 116,2 x 137 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

Cette première œuvre significative est d’abord exposée à New York à l’American Art Association Exhibition puis à la PAFA, en 1885, où elle reçoit le prix Mary Smith de la « meilleure peinture exécutée par une femme résidant à Philadelphie »

Cette distinction lance sa carrière, dans une région où la demande de portrait correspond à une tradition des familles fortunées. En outre, Cecilia, bien que désargentée, est identifiée à l’élite (comme elle l’écrit elle-même dans ses mémoires : « My grandparents were both of New England Puritan stock, English entirely »). Dans les deux ans qui suivent, elle réalise un nombre important de portraits d’hommes d’affaires. Les familles, soucieuses de valoriser leur « dynastie », commandent également les portraits de leurs enfants.


George Burnham (1817-1912) – 1887
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, Pennsylvanie

Le modèle était directeur financier de Baldwin Locomotive Works, représenté ici en 1887 sous le porche de sa résidence d'été à Lake George, New York.


Harold et Mildred Sellers Colton – 1887
Huile sur toile, 141,9 x 106,8 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

Ce petit Harold deviendra un archéologue paléontologue célèbre, professeur à l’Université de Philadelphie.


Fanny Travis Cochran – 1887
Huile sur toile, 91,4 x 74,1 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

En 1887, une amie de Cecilia, la peintre Margaret Lesley Bush-Brown, qui étudiait l'art à l'Académie Julian et rentrait à Paris, proposa de convoyer Les derniers jours d’enfance pour que l’œuvre soit présentée au Salon des Artistes français. Sur le livret, la toile est effectivement domiciliée chez « M. Bush Brown, 255 boulevard d’Enfer » (ne cherchez pas, c’est aujourd’hui le boulevard Raspail.)

Selon les biographes de Cecilia, l’œuvre aurait été « chaleureusement accueillie » et aurait même été exposée à un emplacement de premier plan. Pour autant, elle ne figure pas dans le catalogue illustré du Salon, peut-être est-elle arrivée trop tard…

Quoi qu’il en soit, Cecilia décide de partir pour l’Europe où elle débarque en janvier. Après avoir passé quelques jours à Anvers et Bruxelles, elle arrive à Paris. Elle s’installe dans une pension « dans le quartier du Pont de l’Alma », chez une « Mlle de Villeneuve », découvre le Bon Marché, s’extasie devant une blanchisserie et souffrira de ne plus revoir le soleil avant le mois de mai. Elle visite le Louvre où elle découvre Le Souper à Emmaüs de Rembrandt qu’elle dit n’avoir vraiment compris que devant cette toile.

Et elle s’inscrit dès son arrivée à l’Académie Julian, rue de Berry, dont elle n’apprécie pas l’enseignement. Elle se dit surprise du niveau insuffisant de ses condisciples, ce qu’elle analyse comme le résultat d’une politique d’accueil trop commerciale et insuffisamment guidée par l’excellence.

Toutefois, elle a trente-trois ans et déjà une expérience de plusieurs années de peintre professionnelle. C’est peut-être pour cela que Tony Robert-Fleury lui aurait dit, sans conviction, « nous ferons ce que nous pourrons pour vous aider… » 


Au cours de l’été 1888, elle se rend à Concarneau pour travailler avec les peintres américains les plus connus, Alexander Harrison et Charles Lazard.

Portrait d’Alexander Harrison – 1888
Huile sur toile, 66 x 50,2 cm
Virginia Museum of Fine Arts, Richmond

L’été est la haute saison des peintres en Bretagne où Concarneau est, avec Pont-Aven, le lieu de rassemblement le plus connu. Cécilia s’essaie aux techniques impressionnistes de peinture en plein air et expérimente, grâce aux études préparatoires de Twilight Confidences (Confidences au crépuscule), l’effet de la lumière sur la couleur, notamment sur le blanc, ce dont elle se souviendra manifestement plus tard dans sa carrière. Sa palette s’éclaircit sensiblement.

Etude de Bretonnes, Concarneau – 1888
Huile sur toile, 34,7 x 26,9
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie


Paysage avec botte de foin et dame bretonne à Concarneau – 1888
Huile sur toile, 34,9 x 44,9 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie


Twilight Confidences – 1888
Huile sur toile, 59.7 × 71.1 cm
Georgia Museum of Art, Athens, Georgia

A la fin de l’été, elle effectue un voyage de six semaines en Italie puis retourne à Paris pour étudier à l’Académie Colarossi ainsi que dans l’atelier privé de Jean-Joseph Benjamin Constant. Puis, elle passe le printemps 1889 en Angleterre où elle exécute quelques portraits et rend visite à son amie de Philadelphie, Maud du Puy, devenue la belle-fille de Charles Darwin.

Maud du Puy, Lady Darwin – 1889
Pastel sur papier marouflé sur toile, 50 x 45 cm
Collection particulière

Elle montre un portrait au Salon de 1889 en se présentant comme « élève de MM. W. Sartain, Bouguereau et T. Robert-Fleury » mais, à nouveau, son tableau ne figure pas dans le catalogue.

De retour à Philadelphie à l’automne 1889, elle étend rapidement sa réputation d’excellente portraitiste et expose pour la première fois en 1892 à la National Academy, dont elle sera élue associée en 1893.

Le révérend Matthew Blackburne Grier – 1892
Huile sur toile marouflée sur bois, 126 x 100 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

En 1892, cet ecclésiastique presbytérien à la retraite et ancien rédacteur en chef de The Presbyterian s'est installé dans l'ouest de Philadelphie, où vivaient Cecilia et sa famille. Ce portrait, où apparaît une chaise Chippendale qu'on retrouve dans nombre de ses toiles, est devenu célèbre en moins d’un an.

Helen Biddle Griscom - 1893
Pastel sur papier gris préparé, 68,8 x 55,5 cm
Pennsylvania Academy of Fine Art, Philadelphie, Pennsylvanie

 

En 1893, son succès la conduit à être invitée, comme Mary Cassatt, à l’Exposition universelle de Chicago mais Cecilia envoie deux œuvres à l’exposition des Beaux-Arts, Les derniers jours d’enfance et le Portrait de Cecil Kent Drinker et une seule œuvre, Twilight Confidences, au Pavillon des femmes. Pour certaines de ses biographes, elle ne tenait pas à figurer dans ce pavillon réservé aux œuvres féminines, consciente du risque que cela représentait, alors, pour l’évaluation de son travail : elle voulait être l’égale de ses pairs masculins.

Cecil Kent Drinker – 1891
Huile sur toile, 162,5 x 87,6 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, Pennsylvanie

Les portraits les plus intéressants de Cécilia sont ceux qu’elle a fait de sa famille car elle y trouvait une liberté d'expérimentation, notamment dans le travail du blanc, que ne lui permettaient probablement pas les œuvres de commande. Ainsi, par exemple, Ernesta Drinker (1892-1981), la nièce de deux ans de Cecilia qui marche en tenant la main de sa nurse. On la retrouvera vingt ans plus tard, dans un autre Ernesta, toujours de blanc vêtue.

Ernesta (Enfant avec sa nurse) – 1894
Huile sur toile, 128,3 x 96,8 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


La même année, elle exécute le portrait de sa cousine, Sarah Allibone Leavitt, en compagnie d’un chat dont la couleur et la position sont une référence explicite à l'Olympia d’Édouard Manet (1863). La version présentée ci-dessous est une version très proche mais postérieure, exécutée en 1921.

Sita et Sarita – vers 1921
Portrait de Sarah Allibone Leavitt, Mrs Walter Turle (1868-1930)
Huile sur toile, 113,3 x 83,8 cm
National Gallery of Art, Washingon D.C.

La première version de ce portrait, peinte entre 1893 et 1894, dans une format plus petit (94 x 63 cm), a été offerte par Cécilia au musée du Luxembourg afin qu’elle soit conservée dans le même musée que l’Olympia de Manet. Les deux œuvres se trouvent aujourd’hui au musée d’Orsay.

On s’est souvent interrogé sur le point de savoir pourquoi Cécilia avait volontairement assimilé sa propre cousine à un tableau, jugé scandaleux à l’époque où il fut peint, représentant une prostituée. Peut-être a-t-elle voulu simplement souligner qu’il est ridicule de juger de la réputation d’une femme sur le seul fait de la présence d’un chat noir (ou de tout autre attribut…) ? Quoi qu’il en soit, lorsque le portrait est présenté aux Etats-Unis, un critique observe que même John Singer Sargent, célébrissime portraitiste de l’époque, « n’aurait pu produire un portrait aussi élégant ».

En 1895, on lui demande d’enseigner le portrait à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, fonction prestigieuse qu’elle est la première femme à occuper à temps plein et qu’elle assumera pendant vingt ans.

 Femme de Nouvelle Angleterre – 1895
Madame Jedediah H. Richards 
Huile sur toile, 109,2 x 61,6 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

L’œuvre a été achetée dès 1896 par l’Académie des Beaux-Arts de Philadelphie, à l’occasion de son exposition annuelle.

« Peint l’année où elle commence à enseigner à l'Académie, ce portrait de sa cousine germaine Julia Beaux est un exemple exceptionnel de la technique de l'artiste où se reflète à la fois son habileté de portraitiste et la façon dont elle traite le décor. Le costume du modèle évoque l'idée de l'Amérique coloniale, alors à la mode. Mais si Cécilia Beaux rend hommage aux valeurs d'antan, les caractéristiques formelles de la peinture sont contemporaines, avec sa composition en diagonale et le traitement audacieux des couleurs. » (Extrait de la notice du musée)


L’année suivante, Cécilia, qui fait de fréquents séjours en France, participe au Salon de la Société nationale des beaux-arts, avec six toiles, dont Sita et Sarita (1894) qui lui vaudra le titre d’Associée de la Société nationale des beaux-arts. 

Elle présente également Rêverie, un portrait de son amie Caroline Kilby Smith.

The Dreamer (Rêverie) – 1894
Huile sur toile
Butler Institute of American Art, Youngstown, Ohio

La jeune femme, qui semble assise dans un fauteuil à bascule, porte une robe de mousseline blanche presque brillante, agrémentée d’un ruban noir autour du cou.  Elle est assise dans une pièce dont on devine la profondeur, grâce à la présence d’une fenêtre à peine suggérée. Lorsque le tableau est montré à l’exposition de printemps de la National Academy of Design, un critique souligne que « la trace d’efféminé qui traîne habituellement dans les toiles des femmes-peintres n’est pas sensible. » mais il note aussi que « l’expression de la figure est nerveuse et presque bruyante dans un repos apparent. »

Cette année-là, en France, Cecilia rencontre Claude Monet, dont elle trouve le génie « rayonnant » et Mary Cassatt avec laquelle elle n’a visiblement aucun atome crochu et… réciproquement !

Les dix années suivantes sont généralement considérées comme les plus brillantes de sa carrière. Aux Etats-Unis, avec John Singer Sargent (1856-1925) et William Merritt Chase (1849-1916), elle est considérée comme une portraitiste de premier plan.

En 1898, elle s’établit à New York, où elle est rapidement introduite dans la société new-yorkaise grâce à son amitié avec d’Helena de Kay et Richard Watson Gilder dont elle peint les deux filles l’année de son arrivée.

Dorothea et Francesca – 1898
Huile sur toile, 203,5 × 116,8 cm
The Art Institute of Chicago, Illinois

Ce double portrait, qui évoque le passage de l’enfance à l’adolescence, est aussi novateur par le choix de ne pas se concentrer sur la ressemblance des modèles mais sur le mouvement de leurs pieds.

L’homme au chat – 1898
(Henry Sturgis Drinker, mari de Etta, la sœur de Cecilia)
Huile sur toile, 121,9 x 87,8 cm
Smithsonian American Art Museum, Washington D.C.

Edith Minturn, Mrs. Isaac Newton Phelps Stokes - 1900
Huile sur toile, 104 x 60,9 cm
Collection particulière

Il n’était sans doute pas indifférent à Cecilia de pouvoir finalement peindre cette jeune femme dont John Singer Sargent avait réalisé un portrait remarqué un an auparavant…

Cecilia l’avait rencontrée à Paris en 1896 et avait alors refusé de faire son portrait par manque de temps. Le jeune couple s’était alors adressé à Sargent qui, après un premier essai qu’il avait jugé insatisfaisant, avait décidé de présenter la jeune femme en costume de marche, en ajoutant son mari « comme un accessoire » (ci-dessous). La toile devant leur être offerte comme cadeau de mariage par un ami, le jeune couple avait accepté. Mais, même si la toile de Sargent avait eu un grand succès en tant que « représentation - type » d’une jeune mariée resplendissante, le mari souhaitait un portrait plus formel de son épouse. En dépit de la robe très élaborée et de la riche soie chinoise qui éclaire l’arrière-plan, l’élément central du tableau est bien le visage de la jeune femme dont le sourire énigmatique a été comparé à celui de la Joconde… !

John Singer Sargent (1856-1925)
Mr. and Mrs. Isaac Newton Phelps Stokes - 1897
Huile sur toile, 214 x 101 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York

L’amitié de la famille Gilder est un soutien constant pour Cecilia. Leur fille deviendra son amie et modèle préféré et Cecilia fera de Richard un portrait, devenu une référence :

Richard Watson Gilder (1844 – 1909) – 1902/1903
Huile sur toile, 128,9 x 99,4
National Portrait Gallery, Washington D.C.

Pendant près de trente ans, le poète Richard Watson Gilder a été rédacteur en chef du magazine The Century, l'une des publications littéraires les plus lues de la fin du XIXe siècle. Les critiques ont trouvé que ce portrait rendait parfaitement l’expression douce qui lui était habituelle.

C’est grâce à son intervention que Cecilia sera sollicitée pour exécuter le portrait d’Edith Roosevelt, seconde épouse de Theodore.

Edith Roosevelt et sa fille Ethel, à la Maison Blanche – 1902
Huile sur toile, 116 x 80 cm
Collection particulière

L’année où elle réalise ce portrait, Cecilia participe à nouveau au Salon de la société nationale des beaux-arts, avec Mère et enfant et deux portraits. 

 En Amérique, les portraits de représentants de familles fortunées se succèdent

Charles Sumner Bird et sa sœur Edith Bird Bass - 1907
Huile sur toile, 240,3 x 135,9 cm
Museum of Fine Art, Boston, Massachusetts 

Ses succès et les revenus qui les accompagnent permettent à Cecilia de se faire construire une maison d’été, Green Alley, à Gloucester dans le Massachusetts, qui devient le lieu d’accueil de sa clientèle distinguée : « Ça ne paie pas de peindre tout le monde » disait-elle !

C’est là qu’elle exécute un des rares paysages qu’on connait d’elle, une vue de la rivière depuis sa maison. On conviendra que ce n'est pas son domaine d'excellence

Demie-marée, rivière Annisquam - vers 1905
Huile sur toile, 40,6 x 50,8 cm
High Museum of Art, Atlanta, Géorgie

« Ce paysage rare, parmi moins d'une douzaine qu'elle a produit au cours de sa carrière de près de quarante-cinq ans, représente une belle vue depuis sa résidence d'été à Gloucester, dans le Massachusetts. La peintre a parfaitement capturé la campagne verdoyante et le calme d'une journée d'été dans des bleus, des verts et des violets doux. » (Notice du musée)

 

Portrait en été – 1911
Huile sur toile, 140 x 92,3 cm
Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie, Pennsylvanie

« Un double portrait du neveu de Cécilia, Henry Sandwith Drinker et de sa femme, Sophie Hutchinson Drinker, a été peint à Green Alley, la maison de Cécilia à Gloucester, pendant leur lune de miel. Les deux personnages sont vus de trois quarts et sont présentés sous un portique, une caractéristique architecturale qui apparaît dans de nombreuses photographies de Green Alley dans les archives de l'Académie. À travers le portique, on aperçoit au loin le ciel, l'eau et les voiliers. »  (Notice du musée)

Green Alley, Gloucester
Source : Collections de la Pennsylvania Academy of the Fine Arts

Dallas McGrew, photographe
Cecilia assise sous la loggia à Green Alley - 1913
Source : Collections de la Pennsylvania Academy of the Fine Arts

La même année, elle exécute ce beau portrait de Henry James, qui effectuait alors son dernier voyage aux Etats-Unis.

Henry James (1843 – 1916) – 1911
Fusain sur papier vélin, 50,7 × 38,5 cm
National Portrait Gallery, Washington D.C.

« Au début, Cécilia trouva James  "presque impossible à dessiner. Si fin et spirituel dans un physique massif". La peintre a concilié la disparité d'un esprit délicat et d'un corps corpulent en plaçant la tête de James haut sur la page et en minimisant son torse. Le dessin reflète le conseil de Beaux à ses élèves : "placez les yeux au moment où ils sont le plus intéressants, ne perdez pas la première impression, cherchez les grands plans d'ombre sur la tête, et, puisque la lumière tombe comme la pluie, cherchez les endroits de la tête qui seraient mouillés." 

James, très satisfait du dessin, l'a trouvé « étonnant. . . d’une grande économie de moyens. » (Extrait de la notice du musée).


After the meeting – 1914
Huile sur toile, 104 x 71,5 cm
Museum of Art, Toledo – Ohio

« Cette femme habillée à la mode prise au milieu d'une conversation est Dorothea Gilder (1882-1920), amie proche de Cécilia Beaux et probablement sa partenaire romantique. Le sujet de la réunion mentionné dans le titre est laissé à notre imagination, bien que la famille Gilder soit connue pour ses réunions animées d'intellectuels. » (Notice du musée)


En considération de sa réputation nationale et internationale, Cécilia fait partie d’un groupe de cinq artistes désignés par le Comité national des arts des États-Unis pour exécuter les portraits des héros de la Première Guerre mondiale. Les trois personnalités qu’on lui attribue sont le cardinal Mercier, l’amiral britannique Sir David Beatty et Georges Clemenceau.

Le Cardinal Mercier – 1919
Huile sur toile, 198,1 x 131,4 cm
Smithsonian American Art Museum, Washington D.C.


L’amiral Sir David Beatty, Lord Beatty – vers 1920
Huile sur toile, 158,6 x 116 cm
Smithsonian American Art Museum, Washington D.C.


Georges Clemenceau – 1920
Huile sur toile, 119 x 93,3 cm
Smithsonian American Art Museum, Washington D.C.

Clemenceau étant fort occupé, Cecilia alla l’observer longuement pendant ses discours à la Chambre. Lors de leur première rencontre, elle lui annonça qu’elle ne souhaitait pas le représenter comme un « monsieur assis ». Il accepta et lui donna une demi-heure, trois jours de suite…


La carrière de Cécilia atteint son apogée dans les années 25-30. En 1926, elle est la première femme américaine à laquelle la Galerie des Offices demande son autoportrait et, en 1933, Eleanor Roosevelt lui remet la médaille d’or de la fraternité de femmes Chi Omega (ΧΩ) en la désignant comme « l’Américaine qui avait apporté la plus grande contribution à la culture du monde. »

Autoportrait – 1926
Huile sur toile, 109,2 x 71,1 cm
Galerie des Offices, Florence

Toutefois, son activité de peintre est fortement réduite quand, en 1924, elle subit une grave fracture de la hanche et une baisse importante de sa capacité visuelle. L’un de ses derniers tableaux est celui de cette petite fille, habillant ses poupées :

Dressing Dolls - 1928
Huile sur toile, 88,9 x 71 cm
Collection Particulière

Elle se lance alors dans un nouveau projet et écrit son autobiographie, Background with Figures (consultable en ligne, en anglais) qui sera publiée en 1930. Elle y raconte notamment l’histoire de sa famille, ses souvenirs d’enfance, sa formation artistique et son premier atelier, son premier voyage en Europe, ses relations sociales et son expérience avec chacun des trois modèles de ses « portraits de guerre ». Elle y intègre aussi les reproductions de celles de ses œuvres qu’elle considère comme essentielles à la compréhension de son travail.

En 1934, son œuvre est célébré dans une grande exposition rétrospective organisée par l’Académie américaine des arts et des lettres.

Cecilia est décédée dans sa maison de Gloucester, le 7 septembre 1942.


Souvent comparée de son vivant à John Singer Sargent(1856-1925), peut-être en raison de leur goût commun pour le blanc et leur traitement presque abstrait de la lumière (certains, à l’époque, évoquaient le caractère « viril » de son style, comme William Meritt Chase osa le dire, en lui remettant la médaille d'or du Carnegie Institute, en 1899), Cécilia Beaux est aujourd’hui souvent évaluée à l'aune de la peintre qu’elle appréciait le moins, Mary Cassatt, jugée beaucoup plus novatrice qu’elle, tandis qu’est interrogé leur féminisme respectif.

Persuadée que le talent n’est pas une question de sexe, je me refuse à entrer dans ce débat, d’autant que les deux artistes, qui avaient choisi des types de carrières et des styles radicalement différents, n’avaient pas de raison objective (sauf le fait d’être toutes deux natives de Pennsylvanie) de s’apprécier particulièrement.

En revanche, on peut souligner que l’une et l’autre ont conduit leur carrière dans une parfaite indépendance, cultivant leur style propre, sans qu’aucune de leurs œuvres n’exprime une quelconque opposition aux mouvements naissants visant à atteindre l’égalité sociale, politique et économique des femmes, bien au contraire.

* 

Comme celui de beaucoup de peintres de sa génération, l’œuvre de Cecilia est entré en purgatoire jusqu’au début du XXIe siècle. Cécilia a figuré en 2006, dans l’exposition Americans in Paris 1860-1900 qui fut présentée à Londres, New York et Boston, puis a bénéficié d’une exposition monographique en 2007 Cecilia Beaux. American Figure Painter au Tacoma Art Museum (Washington) et à la PAFA. Elle était également présente dans Women artists in the age of impressionism, exposée dans plusieurs musées américains, en 2018.

En France, on a vu Sita et Sarita à Giverny dans l’exposition L’Impressionnisme et les Américains en 2014 mais le tableau n’est pas exposé dans les collections permanentes du musée d’Orsay…

 

Je termine avec la charmante Ernesta Drinker Barlow, sa nièce, portraiturée enfant en 1894 et âgée de 22 ans ci-dessous.

Ernesta – 1914
Huile sur toile, 82,2 x 110, 2 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


 *


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