Catherine Lusurier était originaire de Paris où sa mère, Jeanne Callot, exerçait le métier de couturière et son père de chapelier. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance.
La sœur de son père, Marie-Marguerite Lusurier, avait épousé le peintre Hubert
Drouais dont Catherine a très probablement été l’élève. Après la mort du peintre, en
1767, elle continue à vivre avec sa tante, « dans cette maison qu’Hubert
Drouais avait achetée en 1736, rue des Ortyes, au coin de celle des Moyneaux,
paroisse Saint-Roch ». (« Les Drouais » par P. Dobec, Revue de l’Art ancien
et moderne, 1904)
Elle n’a que quatorze ou quinze ans lorsque son oncle meurt. C’est donc probablement avec son cousin, François-Hubert Douais (1727-1775), qu’elle a peaufiné son style et c’est sans doute dans son atelier qu’elle a travaillé et réalisé les 21 tableaux qu’on connaît d’elle.
Catherine n’a que dix-huit ans quand elle signe son premier portrait connu.
On connaît d’elle aussi deux charmants portraits, peints en 1776 et représentant Madame
de Bure et sa fille, Charlotte-Françoise. Celui de la petite Charlotte se
trouve aujourd’hui aux Etats-Unis et a été longtemps attribué à François-Hubert
Drouais (le cousin de Catherine).
Le tableau a été rendu à Catherine grâce à un article de M.E. Sainte Beuve, à propos d’une exposition de femmes peintres du XVIIIe siècle, qui a eu lieu rue de la Ville-L’Evêque, à Paris, en mai 1926.
Sainte Beuve pensait que Catherine « méritait mieux que les notices si succinctes qui lui sont consacrées, en note, au bas des pages ». Il a donc écrit un long article décrivant les toiles alors répertoriées de Catherine, « Une portraitiste du XVIIIe siècle : Catherine Lusurier » (Gazette des Beaux-Arts, Vol 63, 1927, pp 80-86)
Françoise-Marguerite de Bure était la femme d’un bibliophile connu, libraire de la bibliothèque du roi et de l’Académie des Inscriptions. Sainte Beuve raconte : « C’était une femme très intelligente qui gouvernait sa maison et sa famille comme une reine régente et en imposa même à Fouquier-Tinville pendant la Révolution. En effet, leur hôtel, rue Serpente [démoli lors de la percée du boulevard Saint-Germain] était entre cour et jardin avec sur la rue, au-dessus de la loge du concierge, un petit entresol loué à Fouquier-Tinville. Il fut toujours très poli, l’appelant ‘’Madame’’ et non ‘’Citoyenne’’ […] Qu’aurait-il dit s’il avait su qu’elle cachait une carmélite et les vases sacrés de son couvent dans l’épaisseur du mur entre le grand et le petit salon ? »
Suit une description précise : « Catherine Lusurier l’a représentée de face, en robe verte largement décolletée, avec un double fil de perles, un ruban vert passé dans son épaisse chevelure qui retombe en boucle sur les épaules, les sourcils arqués, les yeux noisette, une petite bouche et un teint d’une éblouissante fraîcheur.
Ce portrait ovale est signé à droite Cne. Lusurier, 1776. Il se place donc entre le d’Alembert de 1770 et le J.G. Drouais de 1778 et s’apparente visiblement à celui du Louvre : même tonalités pour les carnations, même coloris à fleur de toile. »
Dans l’exposition figuraient également deux autres tableaux dont la localisation
actuelle ne m’est pas connue : un Portrait de Mlle Devienne du Théâtre
Français, alors propriété du baron Robert de Rothschild, et une Fillette
aux raisins.
Le
« portrait du Louvre » dont parle Sainte Beuve, le voici. C’est le Portrait
à 15 ans du petit-cousin de Catherine, Jean-Germain Drouais, peintre lui
aussi.
Catherine le montre en habit gris d’écolier, « en polisson », comme on disait alors. La toile est si proche du style de François-Hubert qu’on a pensé qu’il y avait mis la main, ce qui est évidemment impossible puisqu’il était mort trois ans auparavant.
Lorsque Catherine le peint, le jeune homme vient de s’inscrire à l’Académie. Il aura un bien triste destin : élève préféré du peintre Jacques-Louis David, Grand prix de Rome en 1784, il s’installera à Rome en octobre de la même année et mourra de la petite vérole en février de l’année suivante…
Voici à présent un autre portrait, que je trouve d’une grande intensité. On ne sait rien de ce tableau et l’enfant paraît bien jeune pour qu’il puisse s’agir d’un autoportrait comme le suggère le musée de Brême où il est conservé. Je l’ai tout de même choisi comme Autoportrait de postérité, puisqu’il n’en existe pas d’autre…
Catherine excellait visiblement dans les portraits d’enfants.
Catherine
pourrait aussi avoir tenté de se faire une spécialité de portraitiste des
intellectuels et des artistes de son temps. Elle a ainsi peint (vraiment, cette
fois !) Jean Le Rond d’Alembert, alors secrétaire permanent de l’Académie
française et un autre homme inconnu mais probablement scientifique puisqu’il
est représenté un compas à la main.
La plume à la main, le philosophe s’est interrompu dans son
travail. Il regarde le spectateur avec bienveillance, en lui souriant doucement
mais il n’est pas surpris dans son intimité puisqu’il a gardé sa perruque.
Ses attributs « professionnels » sont assez
sommaires : deux cahiers, l’un fermé et l’autre où il est en train
d’écrire, quelques feuillets sous son coude, un encrier en bronze, un globe
terrestre. Son bureau paraît assez étriqué et on n’y voit aucun livre.
Elle
copie l’année suivante le portrait de Voltaire.
Mais
Catherine n’aura pas le temps de faire carrière, elle est morte à 28 ans, le 10
janvier 1781.
Le dictionnaire Auvray et Bellier de la Chavignerie donne son acte de décès, d’après le registre de la paroisse Saint-Roch : « le 11 janvier 1781 a été inhumé au cimetière le corps de Catherine Lusurier, fille majeure, peintre, décédée hier en cette paroisse, rue des Orties. »
Dans les « Mémoires Secrets » chronique anonyme des événements survenus entre 1762 et 1787, il est noté, le 3 février 1781 (p. 55 et 56) :
« Les arts ont fait une perte véritable en la personne de Mlle Luzuries. Elle s’était livrée à celui de la peinture & commençait à y développer des talents au-dessus de son sexe. (…) Elève de M. Drouais, elle tenait de la manière de son maître ; c’est-à-dire qu’elle répandait trop d’éclat sur le haut de ses têtes, ce qui leur donnait le transparent du verre ou de l’émail. Mlle Luzuries n’était point encore en état de lutter contre Mlle Vallayer, ni même contre Madame Filleul plus rapprochée de son genre, encore moins contre madame Lebrun, poussant son art jusques à la composition historique & allégorique ; mais, avec le temps, elle aurait pu devenir leur émule : malheureusement, elle a été moissonnée à la fleur de l’âge et dans le fort de ses études. »
Je
termine avec quelques portraits, trouvés sur les sites de vente.
Petite anecdote finale :
Lors du décès du peintre François-Hubert Drouais, Le Nécrologe (année 1776, Éloge de Drouais) rapporte que l’artiste vivait « au sein d’une famille à laquelle il était cher et qu’il aimait tendrement, occupé du bonheur d’une compagne aimable qu’il s’était choisie, et qui peignait elle-même d’une manière distinguée. »
De l’union du peintre et de sa femme, Anne-Françoise Doré, étaient nés quatre enfants : Hubert-Léopold, Marie-Anne-Louise, Jean-Germain, celui qui deviendra peintre, et Pierre-Marie.
Un jour, une fête fut organisée chez les Drouais.
On y présenta une petite pièce de circonstance dont le manuscrit a été très soigneusement calligraphié à l’encre brune, rouge et verte. Ce divertissement, hommage rendu à Madame Drouais et à son académicien de mari, paraît célébrer également l’anniversaire des quinze ans de mariage du couple, comme le laisse supposer l’inscription en bas du titre "Quinze ne font qu’un".
Le
manuscrit était relié sous la charmante couverture ci-dessous…
Orné d’un médaillon central aux emblèmes de l’Amour (feu, couronne florale, lacs) flanqué d’un angelot et d’un trophée aux attributs de la peinture, fleurs de lys aux angles, second plat avec bordure brodée de fils de soie jaune, ivoire et rose, doublure et gardes de tabis rose. (Notice de la galerie)
Chaque
membre de la famille Drouais y tenait un rôle : Mme Drouais jouait la
Peinture, Jean-Germain Drouais, un génie couronnant les arts, Marie-Anne-Louise
Drouais incarnait Flore et le petit frère, Pierre-Marie, un Amour. L’aîné des enfants Drouais était déjà décédé.
« Quinze demoiselles » (symbolisant vraisemblablement les quinze années de mariage) interprétaient des nymphes, élèves de la peinture. Ces demoiselles étaient sans doute des membres ou proches de la famille parmi lesquelles a pu figurer Catherine Lusurier, cousine du peintre et âgée d’une vingtaine d’années.
La distribution précise que le petit frère était alors âgé de cinq ans. Or, Pierre-Marie, né le 11 juillet 1769, est mort le 22 mai 1775. La représentation de cette pièce a donc été donnée entre juillet 1773 et juillet 1774.
François-Hubert Drouais meurt l’année suivante, en 1775, comme son dernier fils, puis Marie-Anne-Louise en 1776, à 14 ans.
Jean-Germain, le jeune peintre qui sera Grand Prix de Rome, perd la vie en 1785, à 25 ans.
Lorsque Anne-Françoise
est morte, en 1809, aucun de ses enfants n’avait survécu…
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