Le
maître peintre Antoine III Hérault (1600/1601- v. 1665) et sa femme Madeleine
Bruyant (v.1605-1676) eurent au moins douze enfants, plus probablement 14 ou
15. Cette avalanche de bambins - dont bien peu arrivèrent à l’âge adulte – a un
peu compliqué la tâche des biographes.
L’un d’entre eux, Auguste Jal (1795-1873), a établi une liste précise des dix premières naissances :
Les quatre premiers, Marie (née en 1630), Henry-Charles (1631), Madeleine (1635) et la seconde Marie (1636) sont nés au premier domicile de leurs parents, rue Mauconseil. Le fait qu’il y ait eu une « seconde Marie » signifie, assez évidemment, que la première n’avait pas survécu.
Les enfants suivants sont nés « dans le voisinage de Saint-Merry », probablement rue Quincampoix : Françoise (1639), la seconde Madeleine (1641), Antoinette (1642), François (1643), Charles-Antoine (1644) et Antoine (1650).
A nouveau, la présence d’une « seconde Madeleine » laisse supposer que la première avait préalablement disparu. Mais, pour une raison que j’ignore, Auguste Jal tenait pour certain le fait que c’était la « première Madeleine » qui s’était mariée en 1659. J’avais du mal à le croire. Aussi ai-je été rassurée de constater que l’historienne de l’art Nathalie Lemoine-Bouchard, dans son article sur « La dynastie Hérault » (La Lettre de la Miniature, juillet-août 2023) partageait mon avis sur ce point !
On suppose qu’Antoine III Hérault, lui-même fils d’un maître peintre, Antoine II Hérault (1560/1565-1646), établi à Nogent-sur-Seine, peignait « en grand » et en miniature. Il semble que sa femme ait été miniaturiste également.
Selon les usages de l’époque, tous les enfants ont été formés aux techniques enseignées par leur père. Nous allons nous intéresser à deux d’entre eux, Madeleine et Antoinette.
Madeleine Hérault-Coypel
(1641-1682)
La Famille du peintre (détail) - vers 1690
On
ne sait pas comment Madeleine, née le 1er mai 1641, a fait la
connaissance de Noël Coypel. Celui-ci, né à Paris le 25 décembre 1628, était
parti quelques temps en apprentissage à Orléans auprès du peintre Pierre Poncet
(1612-1659), un élève de Simon Vouet. De retour à Paris, il participe à la
réalisation des décors d’Orfeo, un opéra baroque de Luigi Rossi, dont la
première représentation a eu lieu le 2 mars 1647 au théâtre du Palais-Royal.
C’est
à cette occasion qu’il est remarqué par Charles Errard
(1606-1689), un peintre renommé qui s’attache sa collaboration pour la
réalisation de plusieurs décors du Louvre, au début des années 1650, puis pour l’exécution du plafond de la Grand’Chambre du nouveau Parlement de Bretagne, à
Rennes, dont la construction se termine en 1655. (Cliquer sur l’image pour
agrandir)
On
pense aujourd’hui qu’Errard a probablement été le concepteur du projet et
Coypel le réalisateur. Tous les éléments ont été exécutés à Paris, transportés
ensuite à Rennes, et mis en place en 1662/1663.
Dès lors, on comprend pourquoi Antoine Hérault « frappé des talents précoces de Coypel, et confiant dans l'avenir réservé à un artiste qui, à l'âge de vingt-sept ans, avait mérité les grâces de la cour pour ses ouvrages au Louvre et dans l'hôtel du cardinal Mazarin, n'hésita point à lui donner Magdeleine, qu'il avait élevée pour la peinture. » (Auguste Jal (1795-1873), Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, H. Plon éd., 1867, p.449)
Coypel lui-même ne pouvait qu’être satisfait de s’allier à une famille de peintres réputés et de marchands disposant d’un important réseau social, en épousant la « fille d'un maître peintre de Paris, qui avait de l'importance dans sa communauté et y jouissait d'un certain crédit. » (Auguste Jal, ibid., p.448)
Selon une notice du peintre Claude-François Caresme, reprise par Auguste Jal : « Antoine Hérault demeurait sur le quai de Gèvres ; aussi ce fut à Saint-Jacques de la Boucherie qu'il conduisit sa fille le 29e jour d'avril mil six cent cinquante-neuf, où elle fut fiancée et mariée à Noël Coypel, fils de Guion Coypel. »
Deux jours, donc, avant l’anniversaire de Madeleine qui va avoir 18 ans. Son talent est souligné par plusieurs biographes de Coypel : « Magdeleine fille d'un Peintre de même nom excellait à copier les tableaux des grands Maîtres & réussissait dans le portrait. » écrit Jean-Baptiste Ladvocat (1709-1765) dans son Dictionnaire historique portatif (Vve Didot éd., Paris 1760, Tome premier, p.700)
Le
seul tableau connu de Madeleine permet de confirmer cet avis. C’est le portrait
d’un homme accoudé sur deux gros volumes, tandis qu’il en lit un troisième dont
il s’apprête à tourner la page.
Sous
la table recouverte d’un tapis, apparaît la signature de l’artiste
« Magdelaine Herault fecit » et le petit billet qui dépasse porte une
inscription en grec à propos du labeur et de l’infâmie, qu’il est peut-être
possible de relier à l’activité du modèle. Le blason, situé en haut à droite, a
permis d'identifier, selon le musée de Rennes, Thomas Chanuet, conseiller au
présidial de Mâcon, dont dépendait des juridictions locales.
Son
visage, bien modelé et déjà marqué par l’âge, suggère qu’il a probablement
dépassé la quarantaine.
Madeleine
l’a donc peint alors qu’elle-même atteignait la trentaine, à peu près à l’époque
où sa famille s’installe aux galeries du Louvre où Coypel bénéficie d’un
logement. Et la jeune femme est clairement reconnue comme peintre de portrait :
« Magdeleine Hérault, qui joignit à beaucoup de vertus le talent de la
peinture, et qui réussissait sur-tout dans le portrait, genre auquel son mari
s'était appliqué avec succès. » (Louis-Abel, Abbé de Fontenai, Dictionnaire,
I, p.437)
Les archives de l'art français reprennent un texte ancien selon lequel Coypel « avait été marié deux fois, la première en 1657 avec Magdelaine Hérault, femme d'une grande piété et qui s'est distinguée dans la peinture. » (Recueil de documents inédits relatifs à l'histoire des arts en France, publié sous la direction de Ph. de Chennevières, J.-B. Dumoulin édit., Paris, 1853, p.26)
Une version plus récente du même ouvrage (Nouvelles archives de l'art français : recueil de documents inédits publiés par la Société de l'histoire de l'art français, J. Baur et Charavay frères, Paris, 1877, p.229) précise que le couple a eu trois enfants :
1 Antoine, né (le
11 avril) 1661, mort en 1722, académicien, écuyer, et Premier Peintre du Roi ;
marié, en 1689, avec Marie-Jeanne Bidault, née en 1663, morte en 1721, de
laquelle il eut cinq enfants.
2 Charles, né en 1664, mort en 1669,
3 Madeleine-Susanne, née en 1667.
À partir de 1662, Coypel avait commencé à réaliser ses premiers décors (aujourd’hui disparus) dans les petits appartements du Roi et de la Reine à Versailles. Il est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663 et élu professeur l’année suivante.
Il
exécute ensuite les décors du petit appartement du Roi aux Tuileries, un
ensemble de neuf tableaux dont il ne subsiste que quelques-uns (que je montre
pour le plaisir !) :
L’allégorie de La Rosée qui décorait le plafond :
La Rosée – 1667/1668
Huile sur toile, 121,3 x 182,9 cm
Collection particulière
Trois autres allégories féminines se tenaient sur les murs, L'Équité et La Vigilance, ci-dessous et La Vélocité, aujourd’hui disparue.
En
1672, Coypel est nommé directeur de l'Académie de Rome, en remplacement d’Errard.
On sait qu’il emmène avec lui son fils Antoine, alors âgé de onze ans, qui
deviendra lui-aussi un peintre talentueux. Il est assez probable qu’en
revanche, Madeleine et sa fille, qui n’avait que 5 ans, n’étaient pas du
voyage.
Selon les archives de l’art français, Coypel séjourna à Rome « du 14 avril 1673 à mai 1675. Ce fut pendant le passage de Coypel à Rome, que l'Académie quitta une installation, qui avait été toute provisoire, pour s'établir au palais Capranica ; ce fut sa seconde étape ; la troisième devrait être le palais Mancini, dans le Corso ; la quatrième, la Villa Médicis. »
Auguste Jal nous apprend enfin que « Madeleine Hérault mourut aux galeries du Louvre, à cinq heures du matin, le 7 juillet 1682, "âgée de quarante et un ans et deux mois", selon la déclaration de l'acte mortuaire » qu’il disait avoir sous les yeux en écrivant, ce qui correspond exactement à sa date de naissance. (Ibid., p.449)
Coypel se remaria trois ans plus tard avec Anne-Françoise Perrin, dont il eut quatorze enfants.
Au Salon de 1699, il exposa son portrait et sa famille, comme en atteste le catalogue intitulé Liste des tableaux et des ouvrages de sculpture, exposez dans la grande Gallerie du Louvre, par Messieurs les Peintres, & Sculpteurs de l'Académie Royale, en la présente année 1699 :
« Pour procéder avec
plus d’ordre dans la description de ces Tableaux, nous commencerons par la
façade du côté du Carrousel par le Trumeau VI qui est orné des Tableaux de M.
Coipel père. Sçavoir, Son Portrait & sa famille dans un mesme
Tableau. » (A Paris, de l'Imprimerie de Jean Baptiste Coignard, imprimeur
ordinaire du Roy, rue S. Jacques, à la Bible d'or. MDCLXXXXIX)
Il est donc difficile de voir dans ce portrait « le clan Hérault, avec au centre Madeleine et à côté sa sœur Henriette, peintre en miniature qui aurait tenu le portrait de leur mère », comme j’ai pu le lire, ce qui conduirait à dater ce tableau des années 1670. On voit mal pourquoi Coypel aurait attendu presque trente ans pour le montrer au Salon…
Il est donc beaucoup plus probable que la femme assise au centre soit Anne-Françoise Perrin avec l’un de ses enfants – et un petit chien, signe de fidélité – et que la jeune femme à droite soit la fille aînée de Coypel, Madeleine-Suzanne (alors âgée de 32 ans), tenant le portrait de sa propre mère, qu’elle paraît désigner à la seconde épouse, laquelle détourne le regard…
Il existerait donc un portrait posthume de Madeleine Hérault, dont on peut espérer, puisqu’on a déjà redécouvert un de ses tableaux, que d’autres œuvres de sa main apparaîtront un jour ou l’autre sur le marché de l’art.
Antoinette
Hérault-Chasteau (1642-1695)
Antoinette est née le 12 juillet 1642, soit un an et deux mois après Madeleine. Comme sa sœur, elle a appris son art dans l’atelier paternel.
Le 10 novembre 1665, Antoinette, âgée de 23 ans, épouse Guillaume Chasteau (1634-1683), graveur, éditeur et marchand d'estampes, l’un des premiers graveurs à être reçus à l'Académie royale, en 1663.
Selon le contrat de mariage, Antoinette apportait en dot une somme de 5000 livres, dont 3000 issus de l’héritage de son père, mort la même année, et 2000 « de ses propres gains et épargne », ce qui indique qu’elle tirait déjà des revenus de son travail (cité par Nathalie Lemoine-Bouchard, op. cit. p.4).
C’est encore grâce à un contrat concernant une jeune fille nommée Marie Duval, qu’on sait qu’Antoinette fut également enseignante. En juillet 1667, Marie Duval fut placée en apprentissage chez les Chasteau pour étudier la gravure avec Guillaume et la miniature avec Antoinette.
Enfin, Auguste Jal nous apprend que Henriette eut au moins trois enfants. « Un d'eux, Charles-Guillaume, mourut âgé de 7 ans aux galeries du Louvre, le 22 novembre 1675. (…) Le 14 octobre 1680, Guillaume Chasteau fit baptiser, à Saint-Benoît, une fille, qu'on nomma Louise. » (Auguste Jal, op.cit., p.372)
Antoinette a donc vécu au Louvre, comme sa sœur, probablement dans un logement attribué à son mari et c’est là qu’elle exerçait son art avec un succès certain, comme le Mercure galant en porte témoignage :
« Sa Majesté après avoir vu les Tableaux des sept grandes Salles du vieux Louvre, alla voir ceux qui sont dans les quatre Salles du vieil Hôtel de Gramont.
Elle y trouva la Famille de Darius peinte en miniature d'après Mr le Brun. Cet Ouvrage doit estre beau puis qu'il avait été jugé digne de tenir une place parmy les plus beaux Tableaux du monde. Le travail en est extraordinaire & grand, & peu de gens ont fait des miniatures sans blanc aussi considérables, & aussi finies & ce qui vous surprendra, c'est que celle-là est d'une Femme. Elle a esté faite par Mademoiselle Chateau, ce nom est connu. Elle est Femme de Mr Chateau, Graveur ordinaire du Roy, & qui a gravé beaucoup de Tableaux du Cabinet de Sa Majesté. Les Ouvrages de cette Illustre sont fort recherchez, & elle en a fait pour beaucoup de Souverains. Le Roy fit présent de celuy de la Famille de Darius à Monseigneur le Dauphin, qui fait depuis quelque temps amas de Curiositez pour en composer un Cabinet. La mesme travaille présentement à la Bataille de Porus ; & quoy que ce soit une fort grande entreprise, cet Ouvrage est déjà très-avancé. » (Mercure galant, décembre 1681, p.251-254).
Si la Famille de Darius n’est plus localisée aujourd’hui, l’autre œuvre qui est évoquée, La Bataille de Porus, se trouve à présent au Louvre. Une miniature, certes, mais d’un format exceptionnel.
La défaite de Porus (d’après Le Brun) – 1681
Nathalie Lemoine-Bouchard (op. cit. p.6) indique également qu'en 1683, Antoinette a participé à une exposition à l’hôtel de la Ferté Senneterre, où l’on avait réuni les artistes les plus en vue, et pour la miniature « Mlles Nattier, Chasteau, Bourdon » et une académicienne, Anne Marie Renée Stresor (1651-1713). Un autre indice de la notoriété d’Antoinette.
Mais, la même année : « Pourquoi et quand Chasteau quitta-t-il son logement du Louvre ? Je n'ai pu l'apprendre. Il mourut rue St-Jacques, en sa maison, à l'enseigne du Buste et fut enterré à Saint-Benoît le 17 septembre 1683. » (Auguste Jal, ibid., p.372)
C’est dans l’inventaire après décès de son époux, effectué en avril 1684, qu’on apprend qu’en fait, Antoinette avait six enfants vivants : Noël (17 ans), Marie (10 ans), Magne (7 ans), Catherine (6 ans), Louise (2 ans) et Antoinette (13 mois). Ce même inventaire fournit la liste de « tableaux de mignature », de sujets religieux probablement de la main d’Henriette, tous évalué pour des sommes relativement importantes (entre 30 et 500 livres).
Et trois ans plus tard, dans le registre de la paroisse de Saint-Benoît : « Jean Baptiste Bonnart, peintre du Roy, fils de deffun Henry Bonnart, marchand de taille douce, et de Marie Martin, ses père et mère, de la paroisse St-Severin, d'une part, et demoiselle Antoinette Herault, veuve de Guillaume Chateau, graveur du roy, de cette paroisse, furent mariés le 6 décembre 1686. » (Eugène Piot, (1812-1890), État civil de quelques artistes français : extrait des registres des paroisses des anciennes archives de la Ville de Paris, Libr. Pagnerre, Paris, 1873, p.15)
On ne sait rien de plus sur la vie d’Antoinette.
Selon
Auguste Jal, elle « mourut le 7 août 1695, sur le pont Notre-Dame »
et Charles-Philippe de Chennevières-Pointel l’évoque en ces termes : « Antoinette
Hérault, veuve du graveur Château, l'une des plus habiles miniaturistes de son
siècle, et qui mourut en août 1695 après avoir particulièrement consacré son
talent à reproduire les grandes peintures de Lebrun. » (Portraits
inédits d’artistes français, Vignères et Rapilly, Paris, 1853, p.19)
L’inventaire des tableaux du roy, rédigé en 1709 et 1710, par Nicolas
Bailly, cite « Un tableau de Mademoiselle Château représentant une petite
Vierge assise, tenant l'enfant Jésus qui a le coude appuyé sur un piédestal »
qui se trouvait alors à « Marly. Chambre de Monseigneur » ; « Un
tableau de Mademoiselle Château, d'après Annibal Carache, représentant le
Martyre de saint Estienne, à Marly » et « Un tableau de Mademoiselle
Château représentant sainte Catherine jusqu'aux genoux, tenant une palme, sur un
fond de paysage », les deux à Marly, dans la « Chambre de Madame de
Maintenon » (E. Leroux, Paris, 1899, p.546-547).
Quant à l’inventaire après décès d’Antoinette, il liste plus d’une vingtaine de miniatures à thème religieux, probablement de sa main.
Enfin, Nathalie Lemoine-Bouchard (op. cit. p.9) indique qu’une autre miniature pourrait lui être attribuée, en raison d’une proximité de style avec La défaite de Darius.
*
Bien maigre récolte pour ces deux peintres mais qu’importe ! Elles ont travaillé, baigné dans la société des peintres les plus reconnus de leur époque et, au moins pour Antoinette dont les œuvres ont été acquises par la famille royale, vécu de leur art. Elles étaient donc des artistes à part entière et méritent, à ce titre, de figurer dans notre (encore incomplet) Panthéon féminin !
*
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