Aimée
Lucie Adrienne Jouclard est née le 4 septembre 1882 à Onville (Meurthe et
Moselle). Son père, Jules Jouclard, venu déclarer sa naissance en compagnie
d’un voisin, avait alors trente-et-un ans. Se déclarant alors « ouvrier
d’Etat », il était domicilié à Versailles avec son épouse, Marie-Eugénie
Tourelle. (Source : acte de naissance Onville-1880 - 1882-2 Mi-EC 409/R 1,
p.44/49)
Il semble qu’il ait intégré ensuite la Garde Républicaine mais je n’en ai trouvé aucune trace dans les archives en ligne du ministère. Quoi qu’il en soit, Adrienne grandit à Versailles et revient chaque année, pendant ses congés, dans le village de sa mère.
Vers l’âge de dix-huit ans, Adrienne entre à l’Ecole nationale des arts décoratifs et s’y trouve encore à la fin de l’année scolaire 1903, quand Le Rappel du 28 juillet publie la liste de distribution des prix de diverses écoles professionnelles. Adrienne Jouclard figure dans celle des Arts décoratifs, lauréate d’un prix « offert par M. Delaherche ». Il s’agit probablement d’Auguste Delaherche (1857-1940), brillant céramiste et ancien élève de l’école.
La même année, elle participe au concours professionnel de la Bijouterie, de la Joaillerie et de l'Orfèvrerie de Paris, dont elle remporte le premier prix dans la section dessin. Plusieurs de ses productions sont publiées dans la revue de la corporation. (Cliquer sur les images pour les agrandir)
Adrienne
participe la même année au Salon des artistes français, en tant qu’élève des
Arts décoratifs, comme en 1904, avec divers dessins comme une
« planche à bijoux » (1903) ou un « col de dentelle à
l’aiguille » (1904).
Ce n’est qu’en 1905 qu’elle expose un premier dessin au même Salon, en se déclarant l’élève de M. Humbert, lequel dirigeait l’atelier des jeunes femmes à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Cette année-là, comme en 1907, elle y montre des portraits miniatures.
Ensuite, elle est présente au Salon tous les ans. En 1908, elle reçoit une mention honorable pour Jour de musique au Parc de Versailles, expose Le quai de l’Hôtel de Ville en 1910 et montre, en 1911, Labourage en Lorraine qui lui vaut une médaille de 3e classe.
Dès l’origine, donc, elle conjugue dans sa peinture les aspects de sa vie parisienne et de sa région d’origine, la Lorraine, et plus précisément la vallée du Rupt-de-Mad où se situe son village de naissance.
L’année suivante, elle expose au Salon un portrait, intitulé Sur l’herbe, acquis en 1912 par l’Etat.
Et,
comme nous l’apprend le journal de Montmartre, Adrienne participe à
l’exposition de l’Union des femmes peintres et sculpteurs (UFPS), créée en 1881
par Hélène Bertaux (voir sa notice).
« Une place toute spéciale doit être réservée à Mlle Adrienne Jouclard, qui est une artiste dans toute l’acception du mot, ainsi qu’en témoigne son très remarquable portrait de M. J., qui a attiré l’attention au Salon des Artistes Français, et cet autre portrait de Mme J. en plein air, où tout est d’une grande justesse d'observation et d'une large exécution. » (Toussaint-Martel, « Exposition des femmes peintres et sculpteurs », Montmartre-La Chapelle, 9 mars 1912, p.2)
En 1913 et 1914, ce sont principalement des scènes de Lorraine qui figurent au Salon : Matinée de septembre en Lorraine (1913), Procession (1913), Paysage Lorrain (1914).
Cette Procession me conduit à évoquer l’un des thèmes de plusieurs tableaux d’Adrienne. Compte tenu du caractère récurrent de ses thèmes d’inspiration, j’ai décidé, à titre exceptionnel, de procéder par thème, grâce au riche Fonds Marc Vaux qui conserve un nombre étonnamment volumineux (une bonne centaine) d’œuvres de cette peintre.
Commençons
donc par les Processions…
…
ce qui me conduit à évoquer un thème adjacent : la messe, avec ses
ferventes paroissiennes…
…
les enfants qui s’ennuient pendant l’homélie …
…
les communions solennelles…
… et la sortie de la messe.
En
1914, Adrienne reçoit le prix Rosa Bonheur, qui récompense des peintres
animaliers. Une bourse de voyage est associée au prix, mais la Grande Guerre
l’empêche d’en profiter sur le moment. Quelques années plus tard, son talent en
ce domaine est souligné par une publication.
Pour l’heure, Adrienne s’engage comme infirmière et, si elle semble n’être revenue au Salon qu’au début des années 20, l’Etat acquiert une nouvelle œuvre d’elle en 1916, un paysage très calme.
C’est au Salon des Artistes français de 1922 que sa proposition de Labourage en Lorraine est remarquée par le critique Paul Sentenac : « Mlle Adrienne Jouclard, qui situe non sans originalité dans un panneau en longueur des chevaux tirant la charrue que pousse un paysan vu de dos, le tout établi franchement en une couche ferme, d’une couleur corsée. » (Paul Sentenac, « Le Salon des artistes français », Paris Journal, 30 avril 1922, p.2)
Les
labours et animaux de ferme : voici un nouveau thème récurrent, surtout
pendant les années 1920. Adrienne les saisit dans les environs de son village
natal, dont elle peint aussi des paysages. Celui-ci, qui ressemble à une petite
pochade rapidement brossée, a été acquis par l’Etat en 1923 :
Avec
cette scène de labour, nous entrons dans un type de composition qui est
visiblement cher à Adrienne : de grands espaces ouverts sous un ciel
nuageux.
« L’ivresse du mouvement et de l’impatience entraîne Mlle Jouclard et ses chevaux de labour », remarque Luc Benoist, probablement à propos du tableau ci-dessous. (« Le Salon des Indépendants », Le Crapouillot, 1er avril 1926, p.21)
Après le labour vient le retour à la ferme, le long des routes de campagne …
…
l’arrivée au village et l’arrêt à l’abreuvoir…
…et
ceci et naturellement tout aussi valable pour les troupeaux de vaches, depuis
le départ vers les champs sous la claire lumière matinale…
…
jusqu’au retour en fin de journée…
…
l’arrivée au village…
…
puis la traite, ici sous forme d’esquisse …
…
et l’intervention finale du boucher, dramatisée par un cadrage resserré.
Les
petites scènes qu’on trouve parfois sur le marché de l’art dévoilent sa façon
de travailler : petits croquis rapides sur le motif puis peinture en
atelier.
Et,
naturellement, elle s'intéresse également aux chèvres et autres
familiers des bergeries…
…
rassemblés le soir dans une joyeuse pagaille !
« Les chevaux galopent, (…) les troupeaux cheminent dans l’immensité de la plaine, sous un ciel dont le mouvement s’allie à celui des bêtes et des choses. » (Maurice Delepine, « Les Arts », Le Midi socialiste, 27 avril 1937, p.4)
Un
intérêt pour les « bêtes et les choses » qu’Adrienne entretient tout
au long de sa vie artistique puisque ce petit troupeau joyeux sera acquis par
l’Etat en 1948.
C’est en 1926, à l’occasion de sa première exposition importante à la galerie Carmine, que la presse nous fournit quelques indications sur la vie d’Adrienne :
« Adrienne Jouclard expose une très belle série de paysages d'un sentiment tout à fait nouveau. Professeur de dessin dans les écoles de la Ville de Paris, Adrienne Jouclard, pendant longtemps, vécut de fort peu. Toutes ses "économies" passaient en toiles, en couleurs elle exécutait de très grands tableaux, bien trop libres de technique et de sentiment pour qu'elle en pût espérer l'achat par l'Etat, bien trop vastes pour qu'elle en pût espérer l'achat par des particuliers. Avec une ivresse secrète, elle brossait de grands panoramas où se mouvaient les énormes chevaux des labours. Elle réalisait pour elle-même, et, Dieu le sait, sans esprit de lucre, le rêve d'une Rosa Bonheur moderne et qui aurait su peindre ; cette fois, Adrienne Jouclard a fait toute une série de petits paysages où l'on retrouve la fougue de ses grandes compositions. Mais sa palette s'est éclairée. De jolis verts vifs sont brodés sur des mises en pages amusantes et hardies, des graphismes de premier plan mettent comme un écran de gaieté entre le spectateur et le site auquel toujours, et malgré elle, Jouclard donne une sorte de gravité. C'est une exposition de premier ordre, et, ce qui ne nuit pas, d'un aspect fort plaisant. » (Robert Rey, « Les arts, petites expositions », L'Europe nouvelle, 15 mai 1926, p.699)
Adrienne
a abandonné le Salon des « Artistes français » pour rejoindre celui des
« Indépendants » au début des années 20 et c’est là qu’en 1921
elle montre ses premières toiles de voyage au Maghreb, deux pastels intitulés Berbère
et Lella el Kebira, tandis que ces Bédouines à leur métier figurent
au catalogue du Salon d’Automne de 1922, avec quelques autres, comme des Tisseuses.
Il
existe d’autres scènes du même voyage dans le Fonds Marc Vaux…
…
dont ce probable Repos du soir, qu’on regrette fort de ne pas voir en
couleur !
Au
Salon d’Automne suivant, elle expose une seule peinture, Sao-Ken-Si, un
nom qui évoque plutôt le Tchad mais je n’ai pas trouvé d’information à ce
sujet.
C’est en 1927 que la presse mentionne pour la première fois le monde scolaire : « Mlle Jouclard est fidèle à son instinct d’activité. Ses éclipses d’indolence ardente s’abattent d’un coup sur sa toile. Des petites filles en récréation bousculent les arbres et les maisons. Elles se ruent sur la vie, ivre de mouvement pur. Quel singulier problème et presque insoluble s’est posé là cette artiste inquiète. » (Luc Benoist, « Le Salon d’Automne », Le Crapouillot, 1er novembre 1927, p.36)
L’école. Ce nouveau thème ouvre la séquence de l’activité intense qui tend à démontrer que la fibre artistique d’Adrienne ne s’éteint pas pendant l’année scolaire. Il y a, bien sûr, de nombreuses versions de jeux de Marelle…
… de rondes…
…
de sauts à la corde…
…
activités diverses qu’en aucun cas, l’hiver et la neige ne sauraient
interrompre.
Et
aussi, bien sûr, les scènes de cantines, des petits…
…
comme des grandes.
Sans
oublier, naturellement, l’indispensable lavage des mains (avec vérification) …
… le rang…
… et la sortie des petits fauves !
Comme on l’imagine, Adrienne a aussi croqué quelques-unes de ses élèves et les enfants de son village, même si les portraits sont relativement peu nombreux au regard de l’ensemble de son œuvre.
Je
ne peux pas tout montrer mais n’hésitez pas à aller faire un tour sur le site
de la Bibliothèque Kandinsky, vous se serez pas déçus.
Adrienne ne cesse d’exposer, aux Indépendants et dans les galeries. En 1928, son exposition chez Marcel Bernheim est largement relayée par la presse : « Vous avez peut-être remarqué, au Grand Palais, les patineuses d'Adrienne Jouclard ? Leur mouvement était parfait, la courbe de leurs gestes élégante et équilibrée. On peut retrouver ces qualités chez les danseurs que présente une toile de ce peintre, à la Galerie Marcel Bernheim. Adrienne Jouclard adore le mouvement. Bêtes et gens, et presque les choses, sont en branle : les enfants qui rentrent à l'école, les chevaux de labour, les paysans à la campagne et les citadins dans leur rue. Ils ne marchent pas, ils courent, et le spectateur, entré dans une grande sarabande, cherche en vain quelque coin de toile où se reposer. Ménagez ces chevaux, mademoiselle. Ils seront fourbus avant le soir. Et songez aux moissons que vous tirerez d'une glèbe si précipitamment labourée. » (Bernard Colrat, « Les expositions », La Renaissance : politique, littéraire et artistique, 21 janvier 1928, p.8)
Et
hop ! voici un nouveau thème : la danse, comme ce Dancing qui eut les honneurs du Figaro illustré :
« Parmi tant de femmes qui demandent à la peinture l’extériorisation de leurs sentiments artistiques, Adrienne Jouclard est, non pas une femme peintre, mais un peintre tout court. Il y a une nuance, la différence entre celle qui a voulu faire des tableaux, et celle qui empoigne un fusain, une brosse parce que le démon était en elle, vainqueur irrésistiblement. » (Fanny Olar, « A voir, à lire, à entendre », L’Ere nouvelle, 10 janvier 1928, p.2)
Des
scènes de danse, de fête, de bal du 14 juillet, il y en a plein les cartons
d’Adrienne. Dans les villages, à diverses époques…
… dans les champs, les mariages ou à Paris, comme ce 14 juillet exposé au Salon d'Automne 1930 :
Et … Vous n’avez peut-être pas en tête la fameuse et futuriste Danse du pan-pan au Monico que Gino Severini a peint dans les années 1910 (elle se trouve dans les collections en ligne de Beaubourg) mais parfois on n’en est vraiment pas loin !
En
1930, nouvelle exposition chez Bernheim et nouvelle critique louangeuse de
Sentenac : « J'aime le modernisme de Mlle Adrienne Jouclard qui a
réuni un ensemble important de ses peintures dans cette galerie. C'est un
modernisme, non de froide élaboration intellectuelle, mais particulièrement
vivant. Mlle Jouclard s'affirme chaque jour davantage le peintre du mouvement.
Elle traduit avec la même intensité les gestes animés des joueurs de foot-ball,
des sportifs de la montagne en hiver, des boxeurs, des jockeys et des chevaux.
Mais elle ne cesse pas cependant de rester un coloriste vraiment doué, et elle
sait placer les couleurs des personnages au milieu de celles du décor naturel
qui les entoure. La peinture de travaux champêtres dans son pays de Lorraine,
qu'ils s'effectuent avec le cheval robuste ou la machine agricole, attire aussi
bien l'artiste que les sports des citadins. Et ses rues de village lorrain avec
la présence des oies, son troupeau de moutons au pâturage, son site montagneux
couvert de neige, son panorama de village dans les Vosges affirment que Mlle Adrienne
Jouclard n'en demeure pas moins un peintre véritable quand elle rend des
impressions plus calmes. » (Paul Sentenac, « Le carnet d’un
curieux », La Renaissance, 1er mars 1930, p.125)
Lequel Sentenac, obligeamment, me suggère un autre thème : le sport !
Ce sont ses tableaux les plus connus, qu’on trouve au musée du Sport de Nice (lequel n’en montre que deux ou trois en ligne). Je vais me borner à quelques exemples car ils sont vraiment trop nombreux.
Les
courses de chevaux et autres activités équestres, saut de haies et polo.
Les compétitions de course à pied et d'athlétisme…
…
le ski de piste et de fond …
Le patinage, sous toutes ses formes :
La boxe, peinte et aquarellée :
Et,
bien sûr, l’escrime, le tennis, le rugby, l’aviron, la natation et le water-polo.
«
(…) c’est une petite toile d’Adrienne Jouclard, partie de tennis
peinte avec toutes les caresses d’un subtil pinceau ; c’est un bouquet de
tonalités délicates où il y a surtout de l’impulsivité. » (Robert Guillou,
« Le Salon des Indépendants », Sport et Santé, 1er
février 1933, p.26)
« Palette à la main, elle fréquente assidûment les terrains de football, de rugby, les salles de boxe et les piscines. Nous nous plaignons fréquemment que les peintres délaissent les sujets sportifs : retirons, cette fois, notre plainte, et ce en faveur de Mlle Adrienne Jouclard, qui expose quelques toiles à la galerie Marcel Bernheim. Sur les soixante tableaux qu’elle nous présente, une quinzaine environ sont consacrés aux sports, et aux sports les plus divers : boxe, rugby, tennis, natation, pelote basque, hockey sur glace. Mlle Jouclard est un peintre de mouvement. » (« Mlle Adrienne Jouclard peintre des sports », L’Auto-vélo, 4 février 1934, p.2)
On ne s’étonnera donc pas qu’Adrienne ait été sollicitée pour exécuter un panneau décoratif dans la salle de projection dédiée aux Sports à « l’Exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne » de 1937 (Catalogue officiel, Tome 1, p.365).
Après cette orgie d’efforts divers, on a bien envie d’aller se reposer… à la piscine
Molitor !
Adrienne est partout, tout le temps et s’intéresse aussi aux grands évènement
de son temps comme, en mai 1932, l’enterrement du président Doumer, dont le
cortège est parti de Notre-Dame pour se rendre au Panthéon. Adrienne s’est placée au bas de la rue Soufflot, représentée ici avec le Panthéon
en fond.
La critique, elle aussi, paraît s’épuiser de tant d’activité, au point qu’elle en vient à lui demander où elle part se reposer, pendant les vacances d’été.
« Je
passerai mes vacances, comme d’habitude, en Lorraine, dans ma jolie petite
vallée du Rups de Mad, à Onville, mon pays natal. Je pense que c’est lui qui m’a choisie et non moi –
d’année en année, je le trouve de plus en plus beau et y fais de continuelles
découvertes. Je l’aime comme on aime ceux à qui l’on appartient ou qui vous appartiennent.
J’aime son ciel, la courbe de ses collines, ses toits rouges, son paysage vert,
ses habitants, leur travail, leurs coutumes, leurs jeux, le patois. Cette année
comme les années précédentes, je le traduirai de mon mieux, avec plus de cœur
encore si c’est possible. » (Gaston Poulain, « Peintres, en quelle
province de France passerez-vous l’été ? », Comœdia, 21
septembre 1932, p.2)
Le magazine Art et médecine choisit ce moment pour évoquer ce qu’Adrienne fait aussi très bien : peindre les gens de chez elle, en Lorraine.
Publié in : Art et médecine, février 1932, p.37
Ce
qui nous permet d’aborder un nouveau thème, les travaux des champs qu’elle
expose un peu partout.
Elle participe au « Xe Salon de l’Essor » de Dijon. (L’Art et les artistes, 1er octobre 1932, p.32) et à « l’Exposition des Provinces françaises », qui a lieu à Paris à l’Hôtel Charpentier.
« Une heureuse constatation cependant : ce sont les jeunes et leurs "consœurs" qui montrent un tempérament où il n’y a pas seulement des promesses ; ceux-ci ont compris qu’un paysage avait un visage vivant et, derrière ce visage, une âme véritable qu’il fallait saisir. Adrienne Jouclard, Andrée Joubert, Valentine Prax sont de celles-là. » (« L’Exposition des Provinces françaises », L’Art et les artistes, 1er octobre 1932, p.67)
On retrouve les
grands ciels d’Adrienne avec ce semeur.
Puis,
en début d’été, l’arrachage des pommes de terre :
Les
très nombreuses scènes de fenaisons…
…
à la faucille comme à la faux (et une évolution du style dans le temps, de plus
en plus synthétique) …
Et,
enfin, le repos des travailleurs.
Là encore, il n’est pas question de demander à qui que ce soit de poser pour la postérité. Comme Adrienne l’explique : « "Dans les champs, je n’aurais pas eu l’idée de demander aux paysans de poser pour moi. Je les suivais, je les regardais et je fixais de mon mieux ces mouvements cent fois répétés. A Paris ensuite, lorsque je suis venue travailler aux Beaux-Arts dans la classe de Humbert, il me sembla stupide de faire poser des modèles. Cette immobilité commandée et voulue tue la souplesse des corps, fausse les rapports des proportions, supprime ce frisson mystérieux qu’il faut saisir à bout de plume, pour transcrire sur le papier autre chose que des corps empaillés. Certains enfants chantent quand ils sont heureux. Pour moi, l’allégresse, le bonheur se traduisaient en dessin. Je n’ai pas changé. Je suis restée la même qu’au temps où je faisais mes premiers croquis d’enfant parce que j’étais heureuse".
Ce premier sujet d’inspiration, la vie de la terre, les labours, les semailles, les moissons, a continué de tenir une grande place dans l’œuvre d’Adrienne Jouclard. C’est pour elle un sujet d’étude constante, de dessins sans cesse repris, chaque année complétés par des apports nouveaux dus à une précision plus grande encore, à une observation plus poussée. (…) La peinture garde des ciels légers en tons transparents. Ailleurs, la pâte épaissie et fouettée de tons crus, construit des plans et des réalités solides. La composition du sujet, le plus souvent faite pour l’expression intense d’un geste, nous le montre plusieurs fois répété sous des angles différents en des poses successives, qui semblent lui conserver son action. (…) Le travail et l’observation n’auraient pu parvenir seuls à surprendre ainsi les rouages mystérieux de la Vie, il fallait ce don secret qu’Adrienne Jouclard possède et qui lui permet de réaliser ce qui pour tout autre semblerait impossible. » (André Paulin, « Adrienne Jouclard », Triptyque : lettres, arts, sciences, 1er décembre 1936, p.28-32)
Et,
bien sûr, juste avant la rentrée des classes, plus tardive que de nos jours,
Adrienne a encore le temps de s’intéresser aux mirabelles….
…
et, naturellement, aux vendanges.
Le
Bulletin des musées de France du 1er juillet 1933 (p. 105)
nous apprend qu’un tableau d’Adrienne, Onville est exposé dans la
section peinture du musée du Luxembourg, un des nombreux paysages qu’elle
saisit en Lorraine.
En
1934, sa nouvelle exposition suscite de très nombreux commentaires dans la
presse.
« Une rare, magnifique et splendide manifestation artistique nous est offerte par Mlle Adrienne Jouclard, du 2 au 15 février, dans la Galerie Marcel Bernheim, 35, rue de la Boétie. Par ces temps de crise, il est bon, il est utile, il est beau, que de nobles artistes œuvrent quand même, pour leur art d'abord et pour la grande satisfaction des amateurs et du public qui est toujours, et malgré tout, avare de belles choses, heureux d'en voir et de les apprécier à leur haute valeur.
Ce n'est pas le courage qui manque à cette petite femme inlassablement occupée à dessiner et à peindre. Elle veut, et nous la comprenons, maintenir sa brillante réputation artistique Quand on est la seule femme au monde ayant fixé les principes du mouvement en peinture, quand on est seule à produire ces merveilleuses toiles pleines de vie, de sentiment et d’action, on se doit de continuer son œuvre, car elle marquera, dans ce siècle, comme une des plus belles, des plus curieuses, de l’art en notre époque. C'est à notre concitoyenne, à l’enfant d'Onville, à Mlle Adrienne Jouclard que nous sommes redevables de ces inimitables sensations artistiques données par ses tableaux. (…) Adrienne Jouclard a encore trouvé le moyen de faire, pour son exposition particulière, soixante nouveaux tableaux et autant de dessins aquarellés. (…) Nul ne regrettera la visite qu'il fera à cette extraordinaire exposition. » (Nehac, « Les arts à Paris », L'Est républicain, 6 février 1934, p.5)
« Le dynamisme qui se dégage des tableaux de Mme Adrienne Jouclard est souvent d'une puissance qui approche du paroxysme. Je crois que cette femme peintre est l’artiste qui actuellement possède le plus profondément le sens du mouvement. Rien ne l'effraye ni ne l’arrête : mêlée de joueurs de foot-ball, courses de chevaux en campagne, fêtes villageoises, bals en plein air, assauts de boxe.
Tout
ce qui se remue, s’agite, se presse, se bouscule, tourbillonne, l’intéresse. Et
sa palette est d'une luxuriance à nulle autre égale. Sous son pinceau les couleurs s’exacerbent, rutilent, s'animent
à leur tour. Parfois dans des pages plus reposantes, d’un réalisme moins anecdotique et surtout rustique, Adrienne
Jouclard laisse percer son émotion. Ce sont celles qui, peut-être bien, réuniront plus tard les
suffrages des amateurs. L’ensemble exposé Galerie Marcel Bernheim fait à cette
artiste le plus grand honneur. (Georges Turpin, « La griffe
artistique », La Griffe : financière, politique, théâtrale &
littéraire, 22 mars 1934, p.1)
« Les bons peintres sont toujours bons. Je n’apprendrai à personne que Mlle Jouclard a réussi ses Joueurs de boules, un peu mouvementés pour un jeu si calme. » (Luc Benoist, « Le Salon d’Automne, Le Crapouillot, 1er octobre 1930, p.29)
En
1935, c’est une festivité qui a l’honneur des gazettes, ses Mariés du
samedi au bord de la Marne, qu’elle présente aux Indépendants, sont publiés
par deux journaux :
« Tout
ce qui bouge et qui s’agite » écrivait La Griffe… Il est assez probable
que la naissance des congés payés, sous le Front populaire, contribue à
orienter l’intérêt d’Adrienne vers un autre thème, populaire lui aussi : les déjeuners
en plein air !
Et c’est une nouvelle France qui apparaît dans les peintures d’Adrienne, celle qui prend le temps de vivre et de s’amuser au soleil.
En 1938, alors qu’elle participe, avec Les Patineurs, à l’exposition des « Femmes Artistes Modernes » (FAM), Louis Vauxcelles, dans son article à ce sujet, la cite dans la liste des femmes artistes qui « font cortège à la grande Camille Claudel » (Le Monde illustré, 2 avril 1938, p.16) et, à la suite de son exposition à la galerie d’art Louyot de Metz, le musée de la ville s’enrichit de deux de ses œuvres. « Nous devons féliciter [la ville] de ce geste qui permet aux Messins de prolonger leur joie de voir la lumière et la vie qui président dans l’art d’Adrienne Jouclard et dans sa joie de peindre. (R.B., « Les Arts », Le Messin, 19 mai 1938, p.2)
Mais aujourd’hui, on cherche en vain les œuvres d’Adrienne sur le site du musée…
Les
salon et expositions se succèdent, aux Tuileries où elle montre Rentrée de
moisson et Patineurs, à la galerie Charpentier en novembre 1938 et
au Salon d’Automne où elle expose Guinguette à Bonneuil et Moisson en
Woëvre, un peu de Paris, un peu de Lorraine.
Chaque année, un journal évoque l’une de ses toiles, comme en 1940 : (…) nous devons signaler Mmes Adrienne Jouclard, avec sa Fête de Châtel-Saint-Germain se déroulant dans une lumière limpide et heureuse » (F. Roches, « Le 52e Salon des Indépendants », L’Architecture française, janvier 1940, p.44)
Dernier
thème récurrent, les fêtes foraines et les cirques, également nombreux dans
l’œuvre d’Adrienne. Au style, on voit parfaitement les époques se succéder.
« Tout
ce qui bouge et qui s’agite » vaut aussi pour les clowns, les écuyers et
les éléphants !
Chaque
année, Adrienne est fidèle au Salon d’Automne et, chaque année, une de ses
toiles apparaît dans la presse.
Adrienne
participe à ses derniers Salons au début des années 1950. Aux Indépendants de
1953, elle expose une scène du jardin du Luxembourg. Ce pourrait bien être ce
tableau-là, même si le terrain de boule a aujourd’hui changé de place.
Adrienne a enseigné le dessin toute sa vie. A l’automne 1940, elle effectue sa dernière rentrée avec les jeunes filles du cours complémentaire de la rue de Patay (13e). Depuis plusieurs années, elle a encouragé ses élèves à dessiner les scènes de leur vie quotidienne, puis, en 1957, elle a fait don de son dossier de 297 dessins au Musée national de l’Éducation (où on peut les découvrir en ligne sur le site du musée).
L’ensemble
des 297 dessins est inscrit depuis avril 2025 au registre « Mémoire du
monde » de l'UNESCO et a été édité en 2003 sous le titre Dessins d’Exode
par les éditions Taillandier, accompagné de textes du directeur du musée, Yves
Gaulupeau et de l’historien Antoine Prost.
Un dernier hommage à la générosité pédagogique d’une enseignante, déjà honorée de la Légion d’Honneur en 1931 pour son œuvre artistique.
Adrienne
Jouclard est morte à Versailles le 14 décembre 1972, des
suites d'un accident de voiture.
*
*
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