Helene
Sofia Schjerfbeck est née le 10 juillet 1862 à Helsinki, dans une famille d’origine
suédoise qui ne fut pas épargnée par le malheur.
Sa
sœur aînée est morte l’année où l’entreprise de son père fut mise en
faillite, deux autres de ses frères et sœurs sont décédés en bas âge et elle-même
fut victime à quatre ans d’une chute dans les escaliers qui l’obligea à
s’aliter plusieurs années. C’est alors que son père lui offrit son premier
matériel de dessin.
Helene, qui gardera de cet accident une légère claudication, est donc empêchée de suivre une scolarité normale et doit être instruite à domicile mais son enseignante remarque rapidement son talent artistique.
Grâce
à Adolf von Becker (1831-1909), un peintre de genre, membre du conseil
d’administration de la Société finlandaise des beaux-arts, qui prend en charge
ses frais de scolarité, Hélène est admise à en suivre les cours à l’âge de onze
ans. Elle s’y lie d’amitié avec Helena Westermarck (1857-1938) et Maria Wiik
(1853-1928).
Deux ans plus tard, son père, devenu chef de service à la Compagnie nationale des chemins de fer de Finlande, meurt de la tuberculose.
Helene obtient son diplôme de la Société des beaux-arts à 15 ans. Voici un de ses dessins de l'époque.
Avec son amie Helena, Helene s'inscrit à l’académie libre de Becker, grâce au soutien financier d’un ami de son père.
A dix-huit ans, elle vend sa première œuvre, Soldat blessé dans la neige, (inspirée d’un cycle poétique de Johan Ludvig Runeberg, l’auteur de l’hymne national finlandais) et obtient une bourse de l’Etat pour voyager à l’étranger.
Alors Helene part pour Paris, la ville de ses rêves, à l’automne 1880.
Elle
suit pendant quelques mois les cours de l’académie privée féminine de Madame
Trélat de Vigny puis s’inscrit à l’académie Colarossi où elle reçoit l’enseignement de Gustave Courtois. Elle y rencontre une élève autrichienne,
Marianne Preindelsberger (1855-1927) qui sera connue ensuite sous le nom de
Stokes et deviendra son amie.
De leurs séances de travail en commun, il nous reste ces Deux profils, d'une touche libre qui rappelle celle de Manet. Marianne Preindelsberger est au premier plan :
C’est
également avec Marianne qu’Helene fait son premier séjour à Concarneau, dans
une « colonie d’artistes ». Elle y peint le Garçon faisant manger
sa petite sœur (1881) où l’influence de Jules Bastien-Lepage (1848-1884), très
admiré par les artistes scandinaves de l’époque, est sensible.
Helene emporte le tableau en Finlande où elle le présente en 1885 à l’exposition
d’art contemporain. Jugé trop naturaliste, il est reçu avec un certain scepticisme
Elle passe l’été 1882 en Finlande, dans la demeure du mari de sa tante maternelle, le château de Sjundby, qu’elle a représenté régulièrement depuis son enfance. Cette fois, elle y peint Le Banc du parc.
Huile sur toile, 44,5 x 33,5 cm
Malmö Konstmuseum, Malmö
Elle
exécute aussi les illustrations de contes populaires finlandais qui sont
exposées à Moscou.
Au printemps 1883, Helene repart à Paris, avec Maria Wiik cette fois, avec laquelle elle partage un atelier. Elle passe l’été suivant à Pont-Aven, avec Maria et Marianne et y reste plusieurs mois.
Elle se fiance avec un peintre anglais dont on ne connaît pas le nom car elle détruira ensuite toutes les lettres qui l’évoquaient au moment où il rompra son engagement, après avoir appris que le père d'Helene avait succombé à la tuberculose…Helene a dit ensuite à Maria que ce mariage aurait nuit à sa carrière de peintre.
C'est à Pont Aven qu'elle peint une œuvre probablement naturaliste qui sera acceptée au Salon de 1884, Un enterrement, Finistère, (que je n’ai pas retrouvée) et plusieurs autres, particulièrement intéressantes et pleines d’émotion, notamment Ombre sur un mur qui paraît générer sa propre profondeur et La Porte qui met en scène, avec à peu près rien, l’intérieur de la chapelle de Trémalo…
Huile sur toile contrecollée sur bois, 45 x 38 cm
Collection particulière
Huile sur toile, 40,5 x 32,5 cm
Finnish National Gallery, Helsinki
Quant à ce poétique Linge à sécher, il fut montré à l’exposition annuelle de la Société des beaux-arts d’Helsinki laquelle, ne sachant trop dans quelle catégorie le placer, le présenta sous le titre incongru de Paysage de dunes…
Huile sur toile, 39 x 54,5 cm
Collection particulière
A la même époque, elle exécute aussi le portrait de son amie d'enfance, Helena Westermarck :
En
1885 et 86, Helene alterne séjours à Paris et retours en Finlande. De son
passage à Paris en 1885, il reste cette subtile étude au fusain, traitée presque sans ligne où seules la lumière et les ombres dessinent l’espace.
Et, parallèlement, elle expose en Finlande une peinture d’histoire de style naturaliste, La mort de Wilhelm von Schwerin, un jeune militaire, héros de la guerre de Finlande, qui lui vaudra un prix national. Helene cherche son style…
Puis, grâce à une bourse de la Société des beaux-arts, Helene part à St. Ives, en Cornouailles, où elle retrouve Marianne. Depuis son atelier, dans une tour d'où elle peut voir le village et la mer, elle est enthousiasmée par le paysage : « La Cornouaille est un pays merveilleusement visuel… collines et baies et pièges à poissons et forêts … depuis que je suis arrivée, j’ai un énorme désir de travailler et trop peu de temps. … Aujourd’hui, la mer est juste bleue et blanche, le bleu ciel et tout est si doux que la ligne d’horizon n’est pas visible. Les couchers de soleil sont des nuages laineux, ou peut-être juste une lueur rose sur le monde entier. » (lettre non datée à Maria Wiik).
Marianne et Helene peignent chacune une boulangerie différente. Voici celle d'Helene :
Helene revient au printemps 1888 à Paris, pour participer au Salon des artistes français avec Petite brindille jaune de forsythia qu'on appelle aujourd'hui La Convalescente mais qui fut présentée sous le titre Première verdure…. Un tableau qu'elle a peint pendant son séjour à St. Ives.
Huile sur toile, 92 x 107cm
Le
tableau est immédiatement acquis par la Société des beaux-arts de Finlande qui
le présentera l’automne suivant lors de son exposition annuelle, puis à
l’Exposition universelle de Paris de 1889, dans la section finlandaise. Helene y remporte une médaille de bronze.
Elle part ensuite à Saint Pétersbourg puis en Italie, en compagnie de son frère, et copie des œuvres d’art pour le compte de la Société des beaux-arts. Puis elle retourne à St. Ives s’initier aux techniques de grattage et rayures qu’on appelle aussi le « trait anglais » :
Trait anglais, 22,5 × 21 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki
Helene revient en Finlande à l’été 1890 et va traverser une période difficile. Son jeune frère s’est marié et elle doit s’occuper seule de sa mère, tout en enseignant pour subvenir à ses besoins.
Elle est aussi confrontée à une atmosphère artistique nationale avec laquelle elle a peu d’affinités.
Pour contester l’emprise russe sur la Finlande (qui est à l’époque un grand-duché de l’Empire) les peintres nationalistes - dont le peintre Akseli Gallen-Kallela est le chef de file - s’inspirent du Kelevala, un poème de plus de vingt mille vers, composé par Elias Lönnrot à partir de chants populaires finlandais qui rapportent les faits et gestes de grands personnages mythiques et exalte la nature en de longues descriptions : le sapin, le bouleau, la fleur, l'ours, l'élan, l'oiseau, l'abeille…
Tout cela est loin des préoccupations d’Helene dont les paysages, où elle privilégie la concision et l’intensification de l’atmosphère, se simplifient à l’extrême :
Elle s’intéresse aussi à l’intime et à la vie domestique :
Huile sur toile, 33 x 31,5 cm
Collection particulière
D’un
voyage à Florence, où elle était chargée de réaliser des copies de Giorgione, Filippo Lippi et
Fra Angelico, elle rapporte des paysages de Fiesole, dans la même veine frémissante et délibérément dépouillée :
A
la fin des années 90, Helene traverse une période de maladie et de
découragement qu’elle ne surmonte qu’en allant passer plusieurs étés dans un
sanatorium en compagnie de sa mère. Elle y trouve le réconfort spirituel dont
elle avait besoin.
Bien
qu’engagée pour cinq ans dans une école de dessin à Hyvinkää, elle doit être remplacée
et passe l’été suivant en convalescence au château de Sjundby.
Elle participe cependant régulièrement aux expositions de la Société des beaux-arts de Turku dont le musée abrite aujourd’hui nombre de ses œuvres, comme ce portrait de sa mère, un des nombreux qu’elle exécute ses années-là.
Evidemment,
ce portrait rappelle celui de la mère de Whistler ! Mais en l’observant attentivement,
on constate qu’Helene apporte des éléments de compréhension qui caractérisent son modèle :
les ciseaux qui pendent à sa ceinture et reposent contre le montant du
fauteuil, la position peu détendue (elle ne s’appuie pas sur le dossier). L’ouvrière
va se relever bien vite…
Parallèlement à la simplification de son expression, Helene expérimente des stratégies pour travailler la surface de ses toiles, afin d’en effacer « le gras brillant » qu’elle exècre au point d’avoir l’idée « d’enfouir dans la terre » un de ses tableaux, pour l’abandonner à un processus de vieillissement accéléré… Cette évolution est particulièrement sensible dans ses natures mortes depuis la période naturaliste de sa jeunesse (Oignons – 1885), au travail de l’application couche par couche des Pommes rouges (1915), jusqu’à l’effacement de l’image réelle, renforcé par le rétrécissement du champ visuel de La Poire (1925) et de La Pomme du marché (1927).
Huile sur toile, 30 x 36 cm
Moderna Museet, Stockholm
Huile sur toile, 40,2 x 40,2 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki
Helene
commence à connaître la notoriété dans les années 1910, grâce à un marchand de
tableaux, Gösta Stenmann, qui contribue à lui trouver des acheteurs. Il
présente Jeunes filles lisant à l’Exposition d’automne de 1912 où la
toile reçoit une réception critique positive avant d’être acquise par la
Société finlandaise des beaux-arts.
Aquarelle, pastel et crayon sur papier, 67 x 79 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki
L’année
suivante, Helene présente à Turku et à Helsinki Le Garçon aux bûches, qu’elle
considère comme un pas décisif vers son objectif stylistique :
effectuer une synthèse entre son souhait de pureté formelle et l’expression des sentiments qu’elle éprouve pour le sujet du tableau. Cette
nouvelle œuvre est également très bien reçue.
Huile et pastel gras sur toiles, 58 x 41 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki
Elle peint aussi des paysages qui expriment, plus que ses portraits, son isolement et sa solitude. Presque des sensations de paysage.
Huile et fusain sur carton entoilé, 65 x 60,5 cm
Musée d’Orsay, Paris
En
1914, c’est Gösta Stenmann lui-même qui organise la présentation de huit toiles
d’Helene à l’exposition d’automne de l’Ateneum où elle est découverte par un
large public, notamment grâce à La Couturière (présentée plus haut) et un
Autoportrait très remarqué.
Huile sur toile - 43,5 x 42 cm
Au
printemps suivant, elle rencontre Einar Reuter (1881-1968), peintre, écrivain
et garde forestier qui avait acquis plusieurs de ses œuvres et avait souhaité en
rencontrer l’auteur. Ils deviennent amis et entretiendront une correspondance soutenue jusqu’à la fin de leur vie.
Cette période de reconnaissance heureuse s’accompagne d’un épanouissement de sa palette : la dominante gris-bleu des portraits du tournant du siècle se teinte d’ocre dans le portrait de Reuter…
…
puis de rouge l’année suivante, lorsqu’elle exécute le portrait d’une de ses cousines
de San Francisco, Ulla, dont le teint cuivré l’oblige à un intense travail d’interprétation
et de transfiguration qui la ravit. Le résultat est effectivement saisissant !
Mais
la fin de l’année lui apporte une désillusion. Elle pensait Reuter amoureux d’elle,
il n’était qu’admiratif de sa peinture. Lorsqu'il se marie, Helene sombre dans une mélancolie dont
elle ne sortira plus.
Après
le décès de sa mère, elle s’installe progressivement puis définitivement
à Tammisaari (devenue Ekenäs aujourd’hui), en 1925. Loin de tous et libérée des
charges familiales, elle peut se consacrer entièrement à son art, peindre,
chercher.
Elle peint son amie, Sigrid Nyberg, propriétaire du logement où elle est installée à Tammisaari.
Huile sur toile - 58 × 36,5 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York
Ses portraits sont à présent très demandés, en dépit du fait qu’elle n’envisage pas ses modèles avec une bienveillance particulière. Les soumettant à sa volonté d’expérimentation, elle use d’un langage pictural sans concession.
Parfois, elle retrace de mémoire des scènes vues de sa fenêtre comme pour L’Alarme, un des rares tableaux d’Helene à deux personnages (presque) en interaction :
Lorsque la « guerre d’hiver » (invasion de la Finlande par les troupes soviétiques) commence, en novembre 1939, Helene a soixante-dix-sept ans. Elle est évacuée et accueillie dans une maison de retraite puis un sanatorium où on lui fournit de bonnes conditions de travail. Elle peut notamment réaliser des gravures, parfois en reprenant des thèmes anciens comme cette Fille à la clôture dont il existe une petite aquarelle du début du siècle.
Ses infirmières successives deviennent ses modèles…
J’ai gardé pour
la fin le plus émouvant et le plus difficile (mais l’art n’a pas à être
confortable), les autoportraits d’Helene, que tous ceux qui ont eu la chance de
voir l’exposition de la fin 2007 au Musée d’Art moderne de Paris ne risquent
pas d’oublier.
Les autoportraits jalonnent l’œuvre d’Helene, une quarantaine de toiles, d’abord assez conventionnelles jusqu’à ses cinquante ans - la première des œuvres ci-dessous - et d'une neutralité absolue : on ne sait rien des douleurs qui la taraudent et c'est tout juste si elle pose quelques vagues pinceaux derrière elle…
Puis, il se passe quelque chose quand elle reprend, en 1926, un autoportrait de 1913. Comme si son œil droit s’échappait du visage, comme si la joue se détachait… Et elle continuera ce douloureux travail jusqu’en 1945, l’année de ses quatre-vingt-trois ans.
Plus le temps passe, plus il est clair que l’artiste ne cherche ni la complicité ni l’aisance. La peinture devient masque, reflet déformé puis lambeau, évidée, presque au-delà de la peinture elle-même, inaccessible à celui qui regarde et ne sait plus, littéralement, où se mettre. Helene se regarde disparaître et procède à son propre effacement. Accrochez-vous.
Huile sur toile contrecollée sur bois, 37 x 26,5 cm
Collection particulière
*
Dès 1915, Einar Reuter, sous le pseudonyme d’H. Ahtela, avait rédigé une première biographie d’Helene. Il fait paraître sa première monographie en 1951, grâce à quoi elle est restée présente sur la scène finlandaise, parmi d’autres talentueuses peintres féminines.
Car les femmes ont été admises dans les académies d’art d’Helsinki et de Turku dès la fondation de la Société finlandaise des beaux-arts et les bourses publiques leur ont permis de voyager, comme leurs collègues masculins. C'est pourquoi, comme Maria Wiik et Helena Westermarck, Helene a contribué à introduire en Finlande les courants artistiques qu’elle avait découverts à Paris.
Mais,
contrairement aux mêmes collègues masculins, les peintres féminines n’ont pas participé au courant
nationaliste de la peinture finlandaise et c’est ce qui les a finalement éloignées
de la renommée internationale.
Toutefois, Helene avait été découverte en Suède dès 1934, à l’occasion d’une exposition d’artistes finlandais à Stockholm puis l’Ateneum d’Helsinki a organisé une rétrospective fameuse en 1992 qui fut ensuite présentée à la Phillips Collection de New York.
En France, c’est le Musée d’Art moderne de la ville de Paris qui a contribué à la faire connaître, d’abord avec l’exposition « Vision du Nord, Lumière du monde, Lumière du ciel », en 1992 puis avec « Helene Schjerfbeck (1862-1946) », d’octobre 2007 à janvier 2008. C'est grâce à l'excellent catalogue de cette exposition (Sous la direction d'Annabelle Görgen et Hubertus Gaẞner, Helene Schjerfbeck, Paris-Musées, 2007, 223 p.) que j'ai pu rédiger la présente petite notice.
*
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