dimanche 27 février 2022

Anna Dorothea Therbusch (1721-1782)

 

Autoportrait – 1740
Huile sur toile, 52 x 43 cm
Statens Museum for Kunst, Copenhague

Anna Dorothea von Lisiewska est née le 23 juillet 1721, à Berlin, dans une famille d’artistes d’origine polonaise. Fille de Georg Lisiewski, peintre à la cour du roi de Prusse Frederic II, elle reçoit dès l’adolescence, avec ses frères et sœurs, l’enseignement dispensé par son père.

Le petit autoportrait ci-dessus, exécuté à dix-neuf ans, laissait présager une belle carrière de portraitiste et elle s’est formée en autodidacte pour d’autres genres de peinture. Elle était curieuse, apprenait vite et ses contemporains la décrivent comme sûre d'elle, ambitieuse et éprise de liberté. 

Ses premières œuvres berlinoises sont marquées par l'influence du peintre français et directeur de l'Académie des beaux-arts de Berlin, Antoine Pesne (1683-1757) qui, comme le père d'Anna, possédait un atelier à Berlin. Anna commence par copier les portraits de Pesne :

 

Antoine Pesne (1683-1757)
Marie de Rège, née Pesne, avec un carlin - avant 1737
Huile sur toile, 63,6 x 47,8 cm
Staatliche Museen zu Berlin

Anna Dorothea Therbusch (1721-1782)
Marie de Rège (copie d'après Antoine Pesne) - vers 1745
Anhaltische Gemäldegalerie Dessau

Et elle se mesure aussi aux scènes de genre dont l’inspiration et les thèmes font penser aux Fêtes galantes de Watteau :

 

Das Federballspiel (Badminton) – 1741
Château de Rheinsberg
© Photo : SPSG /Roland Handrick

La Balançoire – sans date
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
Source : B.Fort, op.cit. en fin de notice

Mais elle doit surseoir à poursuivre sa carrière en 1742, lorsqu’elle épouse le riche propriétaire de l’auberge berlinoise « A la blanche colombe », Ernst Friedrich Therbusch dont elle a entre trois et dix enfants (selon les sources…). 

Elle consacre 18 ans aux soins de sa famille et peint en cachette, sous l’œil soupçonneux de sa belle-mère…

 

Autoportrait – vers 1756
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg (en réserves)
© Photo : SPSG / Jörg P. Anders

En 1760, elle décide de se consacrer à nouveau à l’art du portrait. On ne peut que constater que son pinceau prometteur des années 1740 s’est affermi :

 

Portrait d’Anna Friederike von Wartensleben – 1760
Huile sur toile, 155 x 121 cm
Musée National, Varsovie

Dès l’année suivante, elle se rend à Stuttgart auprès du duc Karl Eugen von Württemberg dont la cour était une des plus brillantes d’Europe. Et elle ne tarde pas à y rencontrer le succès.

 

Autoportrait – 1761
Huile sur toile, 66 x 49 cm
Staatsgalerie, Stuttgart

Elle est même assez rapidement submergée par les commandes de portraits. Il est difficile aujourd’hui de retrouver ceux qui datent de cette époque, la plupart n’étant pas datée… ce sont les portraits de princes et princesses et de personnages de la bourgeoisie montante.

 

Portrait de l’architecte Nicolas de Pigage – 1763
Huile sur toile, 79 x 61
Stadtmuseum Landeshauptstadt, Düsseldorf
Source : Deutsche digitale bibliothek


Portrait de Christiane Amalie Esnestine von Schlabrendorf – sans date
Huile sur toile, 91,2 x 73,9 cm
Collection particulière (vente 2016)


Portrait d’un architecte – sans date
Huile sur toile, 45,5 x 36,5 cm
Collection particulière (vente 2019) 

Après son intervention dans la réalisation de 18 dessus de portes du nouveau château de Stuttgart, elle devient membre honoraire de l’Académie des Arts du Wurtemberg puis elle est admise à l'Institut des Arts libéraux de Bologne. 

En 1766, elle part pour Paris, bien décidée à être reçue à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Elle a emporté des lettres d’introduction de Philippe de la Guêpière, architecte de la cour du duc de Wurtemberg et du comte de Schullenburg, lieutenant général de Frédéric II, personnalités suffisamment prestigieuses pour que le marquis de Marigny, directeur des Bâtiments du roi, interroge Charles-Nicolas Cochin, secrétaire de l’Académie royale, sur le point de savoir si la « célèbre Berlinoise » mérite un patronage royal. La réponse de Cochin est en demi-teinte…

« J'ay vu les ouvrages de cette dame, peintre du roy de Prusse ; il y a en effet du talent, au-dessus à [sic] ce que l'on s'attend à en trouver dans une personne de son sexe, et d'autant plus singulier qu'elle peint l'histoire et le nu comme pourroit faire un homme ; aussi a-t-elle eu le courage d'étudier d'après nature, en se mettant au-dessus des discours. […] Quant aux talens de cette dame, ils ont en général le mérite et les défauts de l’école allemande ; son dessin n’est pas correct, et sa couleur est trop rouge ; elle a cependant souvent des tons précieux et chauds, un pinceau large, facile et hardi, joint à un moëlleux agréable dans son exécution. Enfin, elle a un vray mérite, et surtout si l’on considère son sexe et les difficultés qu’elle a eues à surmonter pour arriver à ce degré. » (Nouvelles archives de l’art français, Troisième série, Tome X (1904) Correspondance de M. de Marigny avec Coypel, Lepicie et Cochin, publiée par Marc Furcy-Raynaud, Paris, Jean Schemit, 1904, p.69)

Cela ne suffit manifestement pas à Marigny pour lever un doigt en faveur d’Anna qui doit se débrouiller par ses propres moyens. Elle finit par rencontrer Diderot, probablement dans l’entourage de Grimm. Diderot, qui joue volontiers un rôle d’intermédiaire entre les artistes et les commanditaires, aide Anna à trouver une clientèle, tout en la présentant comme une artiste aux abois travaillant à n’importe quel prix, ce qui était une curieuse façon de vanter son talent…

C’est probablement grâce à cette recommandation qu’elle exécute ce portrait de la duchesse de Choiseul :

 

Portrait de Louise Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul – sans date
Huile sur toile, 65 x 54 cm
Collection particulière (vente 2022)

Et différents portraits au pastel, datant de son passage à Paris.

Jeanne-Marie-Constance de Mailly d’Harcourt, marquise de Voyer, et ses trois filles – vers 1768
Pastel (dimension et localisation inconnue)
Source : Niel Jeffares, Dictionnaire des pastellistes avant 1800 (édition en ligne)

Jeune femme inconnue – vers 1767
Pastel, 55 x 41,5 cm
Collection particulière
Source : Niel Jeffares, Dictionnaire des pastellistes avant 1800 (édition en ligne)

Portrait d’une jeune femme aux cheveux bouclés -1768
Craie noire et pastel sur papier, 35 x 26 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg


Dans son long compte rendu du Salon de 1767, Diderot raconte la première tentative d’Anna devant l’Académie. « Elle présente à l’académie un premier tableau de nuit assez vigoureux. Les artistes ne sont pas polis. On lui demande grossièrement s’il est d’elle. Elle répond qu’oui. Un mauvais plaisant ajoute : et de votre teinturier ? » Et Diderot conclut : « Ce n’est pas le talent qui lui a manqué […], elle en avoit de reste. C’est la jeunesse, c’est la beauté, c’est la coquetterie. » (Œuvres de Denis Diderot, Publiées sur les manuscrits de l’auteur par Jacques-André Naigeon - Tome XIV, Paris, Deterville, 1800, p.412).

On ne peut pas être plus explicite sur le sexisme crasse des académiciens, ce qui ne surprendra guère si l'on se souvient des difficultés rencontrées, quelques années plus tard, par Adelaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun…

Le « tableau de nuit » dont il est question pourrait être celui-ci, conservé au musée Pouchkine qui le présente comme le tableau de réception d'Anna :

 

Le dîner aux chandelles – vers 1765
Huile sur toile, 95,5 x 117 cm
Musée Pouchkine, Moscou

Officiellement, l’Académie la suspecte de ne pas avoir exécuté son œuvre seule et refuse son admission.

Le 28 février 1767, Anna présente un nouveau « tableau de nuit », représentant « une demi-figure d’homme, appuyé sur sa main et éclairé d’une bougie, l’Académie l’a accepté pour sa réception. » (PV de séance de l’Académie)

Anna est académicienne (ce qui veut juste dire qu’elle peut exposer au Salon car les femmes sont bien loin de disposer des mêmes avantages que les hommes, dans la vénérable institution. Par exemple, elles ne sont jamais chargées d’enseignement). Mais l’histoire ne s’arrête pas là…  Anna est académicienne, elle entend donc exposer au Salon de 1767 ! Son morceau de réception, Le buveur, est naturellement accepté.

 

Un homme, le verre à la main, éclairé d’une bougie (Le buveur) – vers 1767
Huile sur toile, 108,5 x 91,3 cm
Musée du Louvre, Paris

Dans son article du 1er octobre 1767, le Mercure de France considère que « ce tableau présente l’illusion du vrai » et que l’œuvre peut être regardée comme « l’ouvrage d’un artiste excellent » (p. 176).

Mais dans son propre compte rendu du Salon, Diderot paraît prendre un malin plaisir à démolir ce Buveur : « C’est un gros réjoui, assis devant une table, le verre à la main. […] Cela est vide et sec, dur et rouge. Cette lumière n'est pas celle d'une bougie. C'est le reflet briqueté d'un grand incendie. Rien de ce velouté noir, de ce doux, de ce foible harmonieux des lumières artificielles. Point de vapeur entre le corps lumineux et les objets. Aucuns de ces passages, point de ces demi-teintes si légères qui se multiplient à l'infini dans les tableaux de nuit et dont les tons imperceptiblement variés sont si difficiles à rendre. […] Cela n’est pourtant pas sans mérite pour une femme. Les trois quarts des artistes de l’académie n’en feroient pas autant. » (Op.cit. p.410)

On peut être d’accord avec lui sur la qualité du tableau mais difficile de ne pas relever la condescendance du commentaire !

Anna avait également prévu d'exposer un autre tableau, Jupiter et Antiope, une commande du prince Dimitri Aleksejevitsch Gallitzin, un ami de Diderot.

Second affront, le tableau est refusé par le comité du Salon. Diderot prétend l’avoir défendu auprès de ses amis académiciens : « Je vis Chardin, Cochin, Le Moine, Vernet, Boucher, La Grénée, j’écrivis à d’autres ; mais tous me répondirent que le tableau était déshonnête, et j’entendis qu’ils le jugoient mauvais. »

Diderot entend « mauvais » quand on lui dit « déshonnête ». Que faut-il comprendre ?

Dans sa description de l’œuvre, Diderot devient presque insultant : « L’Antiope, à droite, était couchée toute nue, la jambe et la cuisse gauche repliée, la jambe et la cuisse droite étendue. […] il était évident […] à son caractère ignoble, à une infinité d’autres défauts, qu’elle avoit été peinte d’après sa femme-de-chambre ou la servante de l’auberge. […] Les bras, les cuisses, les jambes sont de chair ; mais de chair si molles, si flasques, mais si molles qu’à la place de Jupiter, j’aurois regretté les frais de la métamorphose. […] Ce Jupiter satyre n’étoit qu’un vigoureux porte-faix à la mine plate, dont elle avoit allongé la barbe, fendu le pied, et hérissé la cuisse. Il avoit de la passion ; mais c’était une vilaine, hideuse, lubrique, malhonnête et basse passion. […] j’ajoutais que son Amour étoit monotone, faible de touche, mince au point de ressembler à une vessie soufflée » (Op.cit. p.413/414)

Autrement dit, une scène non seulement sans grâce ni subtilité mais surtout jugée obscène, comme le sous-entend Diderot qui conclut : « Si la nymphe eut été belle, l’amour charmant, le satyre de grand caractère, elle en eût fait ce qu’on pouvait en faire de pis ou de mieux, que son tableau eût été admis, sauf à le retirer sur la réclamation publique. […] je dis que si j’avais eu droit à ce chapitre-là, je n’aurois pas balancé à lui présenter que si, grâce à ma caducité et à la sienne, ce tableau était innocent pour nous, il était très-propre à envoyer mon fils, au sortir de l’académie, dans la rue Fromenteau [une rue habitée par des prostituées] qui n’en est pas loin. »

Le tableau dont il s’agit paraît avoir disparu. Mais on dispose d’autres œuvres à thèmes mythologiques, réalisées par Anna quelques années plus tard. Elles suffisent à se convaincre qu’elle était parfaitement capable de peindre de gracieuses anatomies féminines :

 

La toilette de Venus – 1772
Huile sur toile, 134 x 100 cm
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
© Photo : SPSG /Michael Lüder



Diane et ses nymphes – 1772
Huile sur toile, 134 x 99 cm
Neues Palais, Potsdam
Stiftung Preufliche Schlôsser una Garten, Berlin-Brandenburg
© Photo : SPSG /Wolfgang Pfauder

On en vient donc à la conclusion que c’est plutôt le thème du tableau qui était en cause. L’intervention des femmes dans le noble genre de la peinture d’histoire, mythologique ou allégorique n’était pas bienvenue. Si Anna avait choisi, comme le fit plus tard Elisabeth Vigée-Le Brun, de représenter La Paix ramenant l’Abondance, scène charmante et suffisamment « féminine » pour n’effaroucher personne, on eût peut-être excusé cette incursion incongrue. Mais une scène de séduction, c'était « déshonnête ».

Si l’on en croit Octave Fidière (Les femmes artistes à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay Frères, Paris, 1885, p.37 à 40), Anna « avait déjà quitté la France pour fuir les créanciers qui la harcelaient » quand s’ouvrit le Salon de 1767. Il n’ose pas, dans son article, citer in extenso le compte rendu de Diderot et se borne à encenser sa prose : « que d’appréciations justes et spirituelles sur le talent de l’artiste ! Que de fine ironie dans les conseils qu’il lui donne sur le ‘’moyen de parvenir’’ ! Que de bonhommie dans la manière dont il nous conte ses aventures avec ‘’l’indigne Prussienne’’ ! »

Voyons donc quelles « aventures » relate notre philosophe :

Diderot évoque d’abord son propre portrait : « Ses autres portraits sont froids, sans autre mérite que celui de la ressemblance, excepté le mien qui ressemble, où je suis nu jusqu’à la ceinture, et qui, pour la fierté, les chairs, le faire, est fort au-dessus de Roslin et d’aucun portraitiste de l’académie. » Jusque-là, on est plutôt rassuré. Mais la suite surprend : « Lorsque la tête fut faite, il étoit question du cou, et le haut de mon vêtement le cachoit, ce qui dépitoit un peu l’artiste. Pour faire cesser ce dépit, je passois derrière le rideau, je me déshabillai, et je parus devant elle en modèle d’académie. Je n’aurois pas osé vous le proposer, me dit-elle ; mais vous avez bien fait ; et je vous en remercie. J’étais nu, mais tout nu. Elle me peignoit, et nous causions avec une simplicité et une innocence dignes des premiers siècles. » (Op.cit. p.417)

Ainsi, pour se faire portraiturer jusqu’à la taille, Diderot a non seulement jugé convenable de se déshabiller entièrement mais, en plus, il en fait publiquement état, au risque de la réputation de l’artiste, une attitude pour le moins inélégante et ambiguë. Le portrait en question a disparu mais la gravure qu’il a inspirée montre qu’une nudité complète n’avait rien d’indispensable puisqu'il n'a, finalement, que l'épaule découverte !

 

Pierre-François Bertonnier (1791-1858) d'après Anna Dorothea Therbusch
Portrait de Denis Diderot – sans date
Gravure, 24 x 15 cm
Source : Wikipédia

Quant à la « froideur » de ses autres portraits, cela aussi paraît difficile à défendre, si l’on s’en tient à ce Portrait d’un inconnu dont on suppose qu’il devrait appartenir au cercle de Diderot :

 

Portrait d’un inconnu – 1768
Huile sur toile, 70,3 x 58 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Christoph Schmidt

Ou à ce portrait du peintre Philipp Hackert qui valut à Anna d’être admise, de façon tout à fait exceptionnelle pour une femme, à l’Académie des beaux-arts de Vienne…

 

Portrait du peintre Philipp Hackert – 1768
Huile sur panneau, dimensions non communiquées (inv. GG-113)
Académie des Beaux-Arts, Vienne

Malgré cela, Diderot souligne qu’Anna, mal conseillée, s’était bien imprudemment promis de « faire du bruit en France » et qu’en conséquence, elle se retrouvait « dans la plus fâcheuse détresse » en dépit des soins du « pauvre philosophe [qui] s’est tourmenté pendant neuf mois pour mendier de l’ouvrage à la Prussienne » ; qui a été « calomnié, et a passé pour avoir couché avec une femme qui n’est pas jolie ». (Op.cit. p.420)

La voilà donc, pour notre philosophe, l’insulte suprême : être soupçonné d’avoir couché avec une femme qui n’est même pas jolie !

A la fin de l’article, Anna devient « l’indigne Prussienne » qui oublie « ses créanciers qui viennent sans cesse crier à ma porte. L’indigne Prussienne doit ici des tableaux dont elle a touché le prix, et qu’elle ne fera point. L’indigne Prussienne insulte ses bienfaiteurs. L’indigne Prussienne… a la tête folle et le cœur dépravé. L’indigne Prussienne a donné au philosophe une bonne leçon, dont il ne profitera pas ; car il restera bon et bête, comme Dieu l’a fait. » (Op.cit. p.421)

Quelle « bonhommie », en effet… ! En outre, Anna n’est pas partie avant le Salon, puisque Diderot écrit lui-même qu’elle l’a fait un an plus tard, sans manquer d’ajouter une dernière méchanceté gratuite : « Ecoutez la bonne, la grande, l’heureuse nouvelle : Mme Therbouche [sic] est partie ; elle s’avance de dimanche au soir entre neuf et dix, vers Bruxelles, dans une chaise de poste ; car elle n’a jamais voulu honorer la diligence de sa personne. Il y a cent autres traits de puérile vanité de cette force-là. » (Lettre à Mlle Volland, 15 novembre 1768 in Œuvres complètes de Diderot, Assézat, 1875, vol. 19, p. 302.)

Après un séjour de deux ans aux Pays-Bas, Anna rentre dans sa ville natale où elle retrouve son mari.

 

Portrait d’Ernst Friedrich Therbusch – 1770/71
Huile sur toile, 65,7 x 54,6 cm
Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Elle renoue également avec notoriété et clientèle, notamment dans le cercle de Frederic II, comme avec ce général prussien dont le fils eut le roi de Prusse pour parrain. Un portrait qui fait partie de la galerie des généraux du prince Heinrich de Prusse au château de Rheinsberg :

 

Hans Joachim von Zieten (1699-1786) – 1769
Huile sur toile (dimensions non communiquées)
Château de Rheinsberg, Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin /Roland Handrick

Ou bien ce président des archives de l’Etat à Dresde, représentant de la noblesse éclairée. Petite vengeance, Anna n’hésite pas à le signer (sur le livre en bas à droite) : AD Therbouche de Lisiewska, peintre du Roy de France !

 

Johann Julius von Vieth und Golßenau – 1771
Huile sur toile, 141 x 107,5 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Jörg P. Anders


Ou encore, ce charmant portrait rococo, exécuté pour le mariage d’Henriette de Lemos, qui épousait à 15 ans le médecin et philosophe Marcus Herz qui avait alors - soit dit en passant - le double de son âge.


Portrait d’Henriette Herz en Hébé – 1778
Huile sur toile, 77,5 x 62 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin


Anna n’est pas seulement sollicitée par la cour de Frederic mais aussi par la famille royale elle-même, puisqu’elle signe plusieurs portraits de l’héritier du trône :

 

Portrait de Friedrich Wilhelm II, Prince héritier de Prusse – 1773
Huile sur toile, 141 x 110 cm
Fondation des châteaux et jardins prussiens Berlin-Brandebourg, Postdam

…et celui du roi lui-même, un cadeau destiné à Voltaire :

 

Portrait de Frederic II - 1775
Huile sur toile, 68 x 54 cm
Château de Ferney-Voltaire

« Suite à une longue correspondance avec Frédéric II, Voltaire céda en 1750 (après la mort de madame du Chatelet) aux sollicitations du monarque et partit pour Berlin. Ce séjour auprès du 'Salomon du Nord' tourna vite au cauchemar et le poète quitta la Prusse en 1753 très fâché avec le roi. La brouille dura quelques années, puis la correspondance reprit et en janvier 1775, Voltaire demanda le portrait de Frédéric II pour l'accrocher dans son château. Sa demande fut rapidement satisfaite et le tableau parvint à Ferney le 27 avril 1775 » (notice de la base Joconde)

… Ainsi que celui de la belle et très influente Wilhelmine Encke, maitresse en titre du souverain, devenue comtesse de Lichtenau.

 

Portrait de Wilhelmine Encke, comtesse von Lichtenau, (1752-1820) – 1776
Sanssouci Neues Palais, Postdam
Source : Deutsche digitale bibliothek

Si les œuvres d’Anna sont essentiellement conservées dans les musées et palais de Berlin et de Postdam, on en trouve également à l’Ermitage, des portraits officiels assez raides… 

 

Portrait d’Augustus Ferdinand, Prince de Prusse – 1773
Huile sur toile, 246 x 138 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

et quelques travaux plus légers :

A gauche : Bacchante
Huile sur toile, 69,5 x 53 cm
A droite : Bacchus
Huile sur toile, 69,5 x 53 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg


Enfin, l'existence de copies gravées de ses portraits indique que son œuvre a été largement diffusé :

 

Jakob Christian Schlotterbeck (1757-1811), d’après Anna Dorothea Therbusch
Portrait du peintre de cour Friedrich Adolf Harper (1725-1806) - 1783
Gravure sur cuivre, 31,6 x 24,8 cm
Landesmuseum Württemberg, Stuttgart
© Photo : Landesmuseum Württemberg, Stuttgart / P. Frankenstein et H. Zwietasch


Et, aujourd'hui, elle est même présente à Versailles !

Frédéric II, roi de Prusse – 1772
Huile sur toile, 258 x 175 cm
Musée national des châteaux de Versailles et du Trianon


Parmi les œuvres de maturité d’Anna, on trouve deux autoportraits. Le premier montre la peintre concentrée, presque austère, sans l’ombre d’un sourire de complaisance. 


 

Autoportrait à la mantille – 1780
Huile sur toile, 36,9 x 32,3 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin /Andres Kilger


Le second, dont la photo est peu lisible, la représente en figure savante et élégante, armée d’un livre, portant sur le spectateur un regard frontal bienveillant mais souligné d'un monocle sévère. En 1786, cet autoportrait se trouvait dans le palais berlinois de Friedrich August von Braunschweig où l’ami de Goethe, le peintre suisse Heinrich Meyer, l’a remarqué et le mentionne dans une lettre, datée du 8 juin 1808, comme un des portraits les plus importants du XVIIIe siècle.

 

Autoportrait - vers 1782
Huile sur toile, 153,5 x 118 cm
Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin
© Photo : Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin / Jörg P. Anders

Une seconde version du même portrait, beaucoup plus petite, où elle est représentée dans un cadre en pierre à la mode du temps, a été réalisée peu de temps avant la mort d’Anna.

 

Autoportrait - 1782
Huile sur toile, 65,7 x 54,6 cm
Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

 

Voilà comment la onzième des rares femmes agréées par l’Académie royale a été suspectée et insultée, avant d’être finalement oubliée par le pays où elle avait choisi de se faire reconnaître, alors qu’elle aurait pu devenir une des grandes peintres chroniqueuses du Paris des Lumières… 

Dommage.

Anna Dorothea Therbusch a heureusement été célébrée en Allemagne, à l’occasion du récent trois centième anniversaire de sa naissance, par une belle exposition à Gemäldegalerie de Berlin.

*

 

Pour plus de précisions sur la triste expérience d’Anna à Paris, on peut lire la très intéressante étude de Bernadette Fort, Indicting the Woman Artist : Diderot, Le Libertin, and Anna Dorothea Therbusch. Lumen, 2004 (en anglais).





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