lundi 7 mars 2022

Maria Margaretha La Fargue (1743-1813)

 

Autoportrait – 1760/1770
Crayon, plume et encre brune, lavis brun, 18,8 x 16,2 cm
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam


Maria Margaretha La Fargue est née le 29 décembre 1743. Sa famille paternelle était originaire de Bordeaux. Ses grands-parents, huguenots, avaient été contraints de quitter la France en 1685, après l’abrogation de l’Edit de Nantes et se sont installés à La Haye. Son père, le notaire Jan Thomas La Fargue a épousé Charlotte Constantia van Nieuwland, dont on ne sait rien à part le montant de sa dot, qui était très conséquente. Pourtant, la famille paraît avoir toujours vécu dans des conditions financières précaires.

Des dix enfants La Fargue, cinq ont atteint l’âge adulte, quatre garçons et une fille, tous devenus artistes, sous l’égide du second fils, Paulus Constantijn La Fargue (1729-1782), qui a été le plus productif, notamment dans le domaine du paysage et des vues topographiques. Probablement autodidacte, il a formé ses frères et sœur. N'hésitez pas à cliquer sur l'image pour mieux voir ce Grand marché, assez amusant !

 

Paulus Constantijn la Fargue (1729-1782)
Le grand marché de La Haye – 1760
Huile sur panneau d’acajou, 57,6 x 75,9 cm
The National Gallery, Londres

« Vu du Prinsengracht – l'une des principales artères de La Haye – le bâtiment au centre est la Grote Kerk, l'église Saint-Jacques. Sur la gauche se trouve le Boterhuis, un entrepôt nouvellement construit pour stocker le beurre en gros - l'un des piliers de l'économie néerlandaise prospère. En face, un étal de marché vend des vêtements d'occasion, avec des bas suspendus, comme si les jambes étaient encore dedans. Un deuxième stand propose de vieux rideaux, couvertures et draps. Une fontaine en métal noir fournit de l'eau et un cheval et une charrette sont prêts à emporter les invendus.

A droite, les gens sont à l'aise : on boit du vin, on sirote de l'alcool, on fume des pipes en terre. Derrière eux, une femme se penche sur un panier. A côté d'elle, une jeune femme a la main sur le bras d'un jeune homme timide et maladroit. A en juger par les légumes exposés, ce fut une bonne année pour les carottes. 

Un homme en élégante redingote bleue s'adresse à une jeune femme. Un chien saute pour se faire caresser, un autre renifle pour se nourrir. Sous un arbre voisin, un autre beau jeune homme est sur le point de se faire vider les poches par une jeune femme, tandis qu’une autre accapare son attention. 

Le plaisir de l'image, alors et maintenant, réside dans une interprétation personnelle de chaque petit événement, et dans le fait de revenir encore et encore pour trouver quelque chose de nouveau à explorer car tout est peint avec une extrême précision. » (Extrait de la notice du musée)


L’ainé des garçons, qui se faisait appeler Isaac Lodewijk la Fargue van Nieuwland, était portraitiste et graveur. Le Rijksmuseum d’Amsterdam possède une impressionnante collection de gravures d’Isaac, dont voici un exemple :

Isaac Lodewijk la Fargue van Nieuwland (1726-1781)
Allégorie sur le mariage de Guillaume V et Wilhelmine de Prusse en 1767 
et de la naissance du prince Guillaume Frederic - 1772
Gravure, 48,8 x 31,5 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

« Le prince Guillaume Frédéric est né le 24 août 1772.

Au centre de la scène, la princesse est debout sur un piédestal et reçoit de Minerve le livre scellé du bonheur conjugal et de la sagesse (Minerve). On voit aussi la Vertu, une jeune fille représentant la ville de La Haye et la princesse est couronnée par la Piété.

Dans le petit cadre en dessous, sept jeunes filles presque dénudées, représentant peut-être les provinces, dansent pour le prince William V à l’occasion de la naissance du prince William Frederick. » (Extrait de la notice du musée)

 

Le troisième fils, Jacob Elias, a suivi les traces de Paulus et s’est lui aussi spécialisé en peinture topographique, dont voici un exemple ci-dessous :

Jacob Elias La Fargue (1735- vers 1778)
Le Korte Vijverberg à La Haye vu du Tournooiveld – sans date
d’après un dessin (1761) de Paulus Constantijn la Fargue 
Huile sur panneau, 54,5 x 76,5 cm
Fondation Custodia, Paris

« On peut voir au loin le Mauritshuis près du Hofvijver. Un carrosse arrive de la droite, précédé de soldats marchand au milieu de la rue. Exceptionnellement tiré par seulement deux chevaux, il transporte le stathouder Guillaume V et sa femme, Wilhelmine de Prusse. » (Extrait de la notice de la fondation)

Quant au quatrième fils, Karel (1738-1793), il fut également artiste mais surtout faussaire : il copiait les maîtres anciens à la craie noire pour les vendre comme croquis préparatoires aux originaux et… il fut lui aussi très prolifique !

 

Et Maria ? Elle était la dernière et s’est spécialisée dans les scènes de genre. Elle a probablement partagé l’atelier de ses frères jusqu’en 1882, date à laquelle son frère Paulus est mort, ce qui a considérablement bouleversé l’équilibre familial.

On peut répartir sa production, caractéristique des sujets féminins de l’époque, en quatre types :

Les scènes d’intérieur, concernant essentiellement des femmes et des enfants, probablement du même milieu social que Maria, la classe moyenne aisée. Les intérieurs sont confortables, plus ou moins cossus mais une servante est presque toujours représentée. Les petits animaux de compagnie, chien et chat, sont également de la partie, parfois endormis sur les genoux de la maîtresse de maison.

 

Intérieur hollandais avec une femme et ses jeunes enfants – 1771
Huile sur panneau, 24 x 29 cm
Collection particulière (vente 2019)

Bien qu’un peu naïves, ces scènes présentent un réel intérêt documentaire sur les conditions de vie de la bourgeoisie hollandaise du XVIIIe siècle, s’agissant notamment des soins et équipements concernant les enfants, des tenues domestiques ou plus apprêtées des femmes, du mobilier et de la vaisselle « bleu de Delft » qu’on retrouve fréquemment.

Une femme et son enfant, sa servante leur apporte une collation – 1777
Huile sur toile, 31,3 x 25,6 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie, Pennsylvanie

Une visite à une jeune mère, avec une vue hivernale de La Haye à travers la fenêtre– vers 1780
Huile sur panneau, 31 x 38 cm
Historisch Museum, La Hague

Une famille dans un intérieur – 1786
Encre et lavis sur papier, 29 x 37 cm
Source : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye

Le second type d’œuvres de Maria concerne les scènes de porte-à-porte et de vente à domicile de denrées diverses. Le poisson et autres produits de la mer sont (de loin) les plus prisés !

 

Marchande de poisson – 1772
Aquarelle, fusain et craie, 16,2 x 15,3 cm
Stätel Museum, Francfort-sur-le-Main

La vendeuse de crevettes - 1776
Huile sur panneau - 29,9 x 24,6 cm
National Gallery of Victoria, Melbourne

« La maîtresse de maison achète un bol de crevettes à une marchande, agenouillée devant sa porte. Par son costume et son chapeau, la vendeuse peut être identifiée comme une pêcheuse de Scheveningen, un village côtier proche de La Haye. Par la porte ouverte, on aperçoit des maisons le long d'un canal. Bien que les bâtiments représentés soient très probablement une invention de l'artiste, ils étaient sûrement destinés à représenter sa ville natale de La Haye. Au premier plan on voit une servante de dos, qui porte un jeune garçon ainsi qu'un seau. Au sol du couloir, avec ses carreaux de marbre blanc et bleu moyen, un chat joue avec un insecte. A droite se dresse un banc en bois peint en blanc, au-dessus duquel est suspendu un paysage hollandais du XVIIe siècle dans un cadre en ébène noir. Les deux dames et l'enfant (avec un hochet argenté accroché à un ruban bleu) sont vêtus de beaux vêtements qui étaient à la mode vers 1775. » (Extrait de la notice du musée)

Le thème du vendeur de poisson à la porte est un classique de l’Âge d’or de la peinture hollandaise. On le trouve, par exemple, dans l’œuvre de Jacob Ochtervelt, un siècle avant celui de Maria :

 

Jacob Ochtervelt (1634-1682)
Le vendeur de poissons à la porte – 1663
Huile sur panneau, 44 x 65 cm
Mauritshuis, La Haye


Un poissonnier proposant sa marchandise – 1780
Huile sur panneau
Historisch Museum, La Hague

« Dans une maison à l'angle de Dunne Bierkade et de Wagenstraat, un poissonnier propose à la vente des turbots qu’il transporte dans une brouette. Il était courant à cette époque que les marchands fassent du porte-à-porte avec leurs marchandises. Par le pont à droite du tableau, on rejoignait la route qui menait à Rijswijk et Delft. » (Notice du musée)

Visiblement, Maria était un peu topographe, elle aussi !

 

Ce thème est aussi réinterprété en diverses scènes de pas-de-porte, comme celle du jeune Savoyard qui vient jouer de la musique pour quelques pièces :

Garçon savoyard dansant devant une maison - 1772
Encre et aquarelle sur papier, 28,9 x 36,5 cm
Stätel Museum, Francfort-sur-le-Main

Ou encore, celle des deux « commères » en pleine discussion !

 

Deux femmes discutant devant une maison – 1769
Craie noire et lavis gris rehaussés de blanc, lignes d’encadrement à l’encre brune, 19,5 x 18,6 cm
Collection particulière (vente 2017)

Il n'est pas exclu que celle qui porte un chapeau soit une marchande… d'oignons (?) qu'elle a trimbalés dans sa brouette. Son fils attend sagement pendant que la discussion s'éternise…  Une marchande qu'on retrouve à sa fenêtre dans un autre dessin !


Marchande à une fenêtre
Craie brune et lavis brun et gris, 17,6 x 16,1 cm
Source : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye


Maria s’est aussi essayée au portrait. Le premier ci-dessous est très proche de son autoportrait du Musée Boijmans (voir en tête de notice), avec un cadrage légèrement resserré.

 

Portrait d’une jeune femme – signé, sans date
Huile sur panneau, 24 x 20 cm
Collection particulière, vente 2016


Portrait d’une femme et de ses deux filles
Crayon noir et lavis, 17,3 x 15,2 cm
Source : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye


Et elle a peint aussi quelques portraits d'enfants :

 

Portrait d’un enfant inconnu – 1775/79
Huile sur panneau, 11,3 x 10,2 cm
Source : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye

Portrait d’une fillette (détail) – 1775/77
Huile sur panneau, 11,5 x 10 cm
Source : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye


Par ailleurs, Maria était une fervente admiratrice de la princesse Wilhelmine de Prusse, nièce du Fréderic II et sœur de son successeur, Frederic Guillaume II. Elle avait épousé le stathouder néerlandais Guillaume V d’Orange-Nassau.

Maria a illustré plusieurs épisodes de la vie de Wilhelmine qui ont été repris en gravure par Mattheus de Sallieth et Theodorus Koning pour illustrer De Haagsche Princelyke en Koninglyke Almanach (Almanach princier et royal de La Haye).


Mattheus de Sallieth d’après Maria La Fargue
Interception du prince d’Orange par la bourgeoisie à La Haye, le 20 septembre 1787
Gravure, 12,5 x 17,6 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

Si j'ai bien compris, Guillaume V avait décidé de changer de résidence pour s'éloigner de La Haye, jugée trop remuante. Quelques citoyens et citoyennes ont intercepté son carrosse et l'ont ramené, gentiment mais fermement, dans la demeure qu'ils ne souhaitaient pas le voir quitter !


Theodoor Kooning d’après Maria La Fargue
Rencontre de la princesse d’Orange avec son frère Frédéric Guillaume II de Prusse ,
le 9 juin 1788
Gravure, 12,2 x 16,9 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

Maria a aussi adressé à la princesse Wilhelmine une dédicace, sous forme de deux feuillets, à l’occasion des quarante ans de son mari.  

Dédicace à la princesse Wilhelmine à l’occasion du quarantième anniversaire 
du prince William V - 1788
La Concorde et la Tranquillité (titre sur objet)
Dessin sur papier, 53,5 x 38 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

« Feuille allégorique avec un poème dédié à la princesse Wilhelima de Prusse en l’honneur du 40e anniversaire de son mari, Guillaume V, prince d’Orange-Nassau, le 8 mars 1788. Au centre, un cartouche en forme de cœur avec un poème en français. La Foi et la Liberté sont assises de chaque côté d’un monument de pierre devant lequel se dresse une grue. Au sommet les armoiries de la princesse. » (Notice du musée) 

 

Dédicace à la princesse Wilhelmine à l’occasion du quarantième anniversaire 
du prince William V - 1788
Dessin sur papier, 53,8 x 37,4 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

« Feuille allégorique avec des poèmes dédiés à la princesse Wilhelima de Prusse en l’honneur du 40e anniversaire de son mari, le prince Guillaume V, le 8 mars 1788. Sur la moitié supérieure, un temple avec des statues de Minerve (Amour pour la Patrie) et Justitia (Amour de Dieu). Au sommet, la Renommée surmonte la devise des Orange-Nassau « Je maintiendrai », placée entre les armoiries du prince et de la princesse d’Orange reliés par un ruban orange auxquelles sont accrochées les armes des sept provinces. Sur la moitié inférieure trois versets en néerlandais. » (Notice du musée)

Je Maintiendrai (en français) est la devise du royaume des Pays-Bas depuis 1815.


Enfin, Maria a aussi exécuté quelques paysages, essentiellement du parc du domaine Brittenrust à Alphen aan den Rijn. Je ne suis pas parvenue à trouver pourquoi elle s’est particulièrement intéressée à cette demeure « de campagne » qui a été détruite vers 1855 mais ses dessins servent régulièrement à illustrer les articles sur ce parc resté dans les mémoires, sans que jamais le nom de Maria ne soit cité…

 

Vue du parc du domaine Brittenrust à Alphen aan den Rijn 
(Hollande du Sud) – vers 1780
Crayon, plume et encre brune, lavis brun aquarelle et couleur de réserve, 32,7 x 22,7 cm
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Sans titre – vers 1780
Crayon, encre brune, aquarelle et couleur de réserve, 31,7 x 22,7 cm
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

« Sans titre » mais il semble bien qu’il s’agisse du même parc, vu avec le château dans le dos


Vue depuis le nord, de l’arrière du parc du domaine Brittenrust à Alphen aan den Rijn 
(Hollande du Sud) – vers 1780
Crayon, plume et encre brune, lavis brun aquarelle et couleur de réserve, 32,7 x 22,6 cm
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam


*

La vie de Maria, qui ne s’est jamais mariée, est devenue très difficile après la mort de son frère Paulus. D’après les annonces qu’elle a passé dans des journaux de La Haye, elle a donné des cours particuliers de dessin aux enfants de familles aisées. En 1808, tombée dans la misère, elle a été prise en charge par l’institution de secours aux pauvres de l’église réformée, où elle résidait toujours à sa mort, cinq ans plus tard.

Contrairement à ses frères, elle n’a jamais été admise à la Confrérie Pictura, société créée en 1656 pour protéger les peintres de La Haye. Mais la Confrérie n’accueillait pas les femmes…


Je ne connaissais pas cette artiste que j'ai découverte en visitant les collections en ligne du Rijksmuseum. Finalement, j'ai retrouvé ses traces dans la plupart des grands musées hollandais !



*

 

N.B : Pour voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page. 

 



 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire