Maria Margaretha La Fargue est née le 29 décembre 1743. Sa famille paternelle était originaire de Bordeaux.
Ses grands-parents, huguenots, avaient été contraints de quitter la France en 1685, après
l’abrogation de l’Edit de Nantes et se sont installés à La Haye. Son
père, le notaire Jan Thomas La Fargue a épousé Charlotte Constantia van Nieuwland,
dont on ne sait rien à part le montant de sa dot, qui était très conséquente. Pourtant,
la famille paraît avoir toujours vécu dans des conditions financières
précaires.
Des dix enfants La Fargue, cinq ont atteint l’âge adulte, quatre garçons et une fille, tous devenus artistes, sous l’égide du second fils, Paulus Constantijn La Fargue (1729-1782), qui a été le plus productif, notamment dans le domaine du paysage et des vues topographiques. Probablement autodidacte, il a formé ses frères et sœur. N'hésitez pas à cliquer sur l'image pour mieux voir ce Grand marché, assez amusant !
« Vu
du Prinsengracht – l'une des principales artères de La Haye – le bâtiment au
centre est la Grote Kerk, l'église Saint-Jacques. Sur la gauche se trouve
le Boterhuis, un entrepôt nouvellement construit pour stocker le beurre en gros
- l'un des piliers de l'économie néerlandaise prospère. En face, un étal
de marché vend des vêtements d'occasion, avec des bas suspendus, comme si les
jambes étaient encore dedans. Un deuxième stand propose de vieux rideaux,
couvertures et draps. Une fontaine en métal noir fournit de l'eau et un
cheval et une charrette sont prêts à emporter les invendus.
A droite, les gens sont à l'aise : on boit du vin, on sirote de l'alcool, on fume des pipes en terre. Derrière eux, une femme se penche sur un panier. A côté d'elle, une jeune femme a la main sur le bras d'un jeune homme timide et maladroit. A en juger par les légumes exposés, ce fut une bonne année pour les carottes.
Un homme en élégante redingote bleue s'adresse à une jeune femme. Un chien saute pour se faire caresser, un autre renifle pour se nourrir. Sous un arbre voisin, un autre beau jeune homme est sur le point de se faire vider les poches par une jeune femme, tandis qu’une autre accapare son attention.
Le plaisir de l'image, alors et maintenant, réside dans une interprétation personnelle de chaque petit événement, et dans le fait de revenir encore et encore pour trouver quelque chose de nouveau à explorer car tout est peint avec une extrême précision. » (Extrait de la notice du musée)
L’ainé des garçons, qui se faisait appeler Isaac Lodewijk la Fargue van Nieuwland, était portraitiste et graveur. Le Rijksmuseum d’Amsterdam possède une impressionnante collection de gravures d’Isaac, dont voici un exemple :
« Le
prince Guillaume Frédéric est né le 24 août 1772.
Au centre de la scène, la princesse est debout sur un piédestal et reçoit de Minerve le livre
scellé du bonheur conjugal et de la sagesse (Minerve). On voit aussi la Vertu,
une jeune fille représentant la ville de La Haye et la princesse est couronnée par
la Piété.
Dans
le petit cadre en dessous, sept jeunes filles presque dénudées, représentant
peut-être les provinces, dansent pour le prince William V à l’occasion de la
naissance du prince William Frederick. » (Extrait de la notice du musée)
Le troisième fils, Jacob Elias, a suivi les traces de Paulus et s’est lui aussi spécialisé en peinture topographique, dont voici un exemple ci-dessous :
« On peut voir au loin le Mauritshuis près du Hofvijver. Un carrosse arrive de la droite, précédé de soldats marchand au milieu de la rue. Exceptionnellement tiré par seulement deux chevaux, il transporte le stathouder Guillaume V et sa femme, Wilhelmine de Prusse. » (Extrait de la notice de la fondation)
Quant
au quatrième fils, Karel (1738-1793), il fut également artiste mais surtout
faussaire : il copiait les maîtres anciens à la craie noire pour les
vendre comme croquis préparatoires aux originaux et… il fut lui aussi très
prolifique !
Et
Maria ? Elle était la dernière et s’est spécialisée dans les scènes de
genre. Elle a probablement partagé l’atelier de ses frères jusqu’en 1882, date
à laquelle son frère Paulus est mort, ce qui a considérablement bouleversé l’équilibre
familial.
On peut répartir sa production, caractéristique des sujets féminins de l’époque, en quatre types :
Les scènes d’intérieur, concernant essentiellement des femmes et des enfants, probablement du même milieu social que Maria, la classe moyenne aisée. Les intérieurs sont confortables, plus ou moins cossus mais une servante est presque toujours représentée. Les petits animaux de compagnie, chien et chat, sont également de la partie, parfois endormis sur les genoux de la maîtresse de maison.
Bien
qu’un peu naïves, ces scènes présentent un réel intérêt documentaire sur les
conditions de vie de la bourgeoisie hollandaise du XVIIIe siècle, s’agissant
notamment des soins et équipements concernant les enfants, des tenues
domestiques ou plus apprêtées des femmes, du mobilier et de la vaisselle « bleu
de Delft » qu’on retrouve fréquemment.
Le
second type d’œuvres de Maria concerne les scènes de porte-à-porte et de vente à
domicile de denrées diverses. Le poisson et autres produits de la mer sont (de loin) les plus prisés !
Huile sur panneau - 29,9 x 24,6 cm
National Gallery of Victoria, Melbourne
« La
maîtresse de maison achète un bol de crevettes à une marchande, agenouillée
devant sa porte. Par son costume et son chapeau, la vendeuse peut être
identifiée comme une pêcheuse de Scheveningen, un village côtier proche de La
Haye. Par la porte ouverte, on aperçoit des maisons le long d'un
canal. Bien que les bâtiments représentés soient très probablement une
invention de l'artiste, ils étaient sûrement destinés à représenter sa ville
natale de La Haye. Au premier plan on voit une servante de dos, qui porte
un jeune garçon ainsi qu'un seau. Au sol du couloir, avec ses carreaux de
marbre blanc et bleu moyen, un chat joue avec un insecte. A droite se dresse
un banc en bois peint en blanc, au-dessus duquel est suspendu un paysage
hollandais du XVIIe siècle dans un cadre en ébène noir. Les deux dames et
l'enfant (avec un hochet argenté accroché à un ruban bleu) sont vêtus de beaux
vêtements qui étaient à la mode vers 1775. » (Extrait de la notice du
musée)
Le thème du vendeur de poisson à la porte est un classique de l’Âge d’or de la peinture hollandaise. On le trouve, par exemple, dans l’œuvre de Jacob Ochtervelt, un siècle avant celui de Maria :
« Dans
une maison à l'angle de Dunne Bierkade et de Wagenstraat, un poissonnier
propose à la vente des turbots qu’il transporte dans une brouette. Il
était courant à cette époque que les marchands fassent du porte-à-porte avec
leurs marchandises. Par le pont à droite du tableau, on rejoignait la route qui
menait à Rijswijk et Delft. » (Notice du musée)
Visiblement, Maria était un peu topographe, elle aussi !
Ce thème est aussi réinterprété en diverses scènes de pas-de-porte, comme celle du jeune Savoyard qui vient jouer de la musique pour quelques pièces :
Ou
encore, celle des deux « commères » en pleine discussion !
Maria
s’est aussi essayée au portrait. Le premier ci-dessous est très proche de son
autoportrait du Musée Boijmans (voir en tête de notice), avec un cadrage légèrement
resserré.
Et elle a peint aussi quelques portraits d'enfants :
Par
ailleurs, Maria était une fervente admiratrice de la princesse Wilhelmine de
Prusse, nièce du Fréderic II et sœur de son successeur, Frederic Guillaume II.
Elle avait épousé le stathouder néerlandais Guillaume V d’Orange-Nassau.
Maria
a illustré plusieurs épisodes de la vie de Wilhelmine qui ont été repris en
gravure par Mattheus de Sallieth et Theodorus Koning pour illustrer De
Haagsche Princelyke en Koninglyke Almanach (Almanach princier et royal de
La Haye).
Si j'ai bien compris, Guillaume V avait décidé de changer de résidence pour s'éloigner de La Haye, jugée trop remuante. Quelques citoyens et citoyennes ont intercepté son carrosse et l'ont ramené, gentiment mais fermement, dans la demeure qu'ils ne souhaitaient pas le voir quitter !
Maria a aussi adressé à la princesse Wilhelmine une dédicace, sous forme de deux feuillets, à l’occasion des quarante ans de son mari.
La Concorde et la Tranquillité (titre sur objet)
« Feuille
allégorique avec un poème dédié à la princesse Wilhelima de Prusse en l’honneur
du 40e anniversaire de son mari, Guillaume V, prince d’Orange-Nassau, le 8 mars
1788. Au centre, un cartouche en forme de cœur avec un poème en français. La
Foi et la Liberté sont assises de chaque côté d’un monument de pierre devant
lequel se dresse une grue. Au sommet les armoiries de la princesse.
« Feuille
allégorique avec des poèmes dédiés à la princesse Wilhelima de Prusse en l’honneur
du 40e anniversaire de son mari, le prince Guillaume V, le 8 mars 1788. Sur la
moitié supérieure, un temple avec des statues de Minerve (Amour pour la Patrie)
et Justitia (Amour de Dieu). Au sommet, la Renommée surmonte la devise des
Orange-Nassau « Je maintiendrai », placée entre les armoiries du
prince et de la princesse d’Orange reliés par un ruban orange auxquelles sont
accrochées les armes des sept provinces. Sur la moitié inférieure trois
versets en néerlandais.
Je Maintiendrai (en français) est la devise du royaume des Pays-Bas depuis 1815.
Enfin,
Maria a aussi exécuté quelques paysages, essentiellement du parc du domaine
Brittenrust à Alphen aan den Rijn. Je ne suis pas parvenue à trouver pourquoi
elle s’est particulièrement intéressée à cette demeure « de campagne »
qui a été détruite vers 1855 mais ses dessins servent régulièrement à illustrer
les articles sur ce parc resté dans les mémoires, sans que jamais le nom de Maria ne soit cité…
« Sans
titre » mais il semble bien qu’il s’agisse du même parc, vu avec le
château dans le dos
La
vie de Maria, qui ne s’est jamais mariée, est devenue très difficile après la
mort de son frère Paulus. D’après les annonces qu’elle a passé dans des journaux
de La Haye, elle a donné des cours particuliers de dessin aux enfants de
familles aisées. En 1808, tombée dans la misère, elle a été prise en charge par
l’institution de secours aux pauvres de l’église réformée, où elle résidait toujours
à sa mort, cinq ans plus tard.
Contrairement à ses frères, elle n’a jamais été admise à la Confrérie Pictura, société créée en 1656 pour protéger les peintres de La Haye. Mais la Confrérie n’accueillait pas les femmes…
Je ne connaissais pas cette artiste que j'ai découverte en visitant les collections en ligne du Rijksmuseum. Finalement, j'ai retrouvé ses traces dans la plupart des grands musées hollandais !
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