Natalia
Sergeïevna Gontcharova est née le 4 juin 1881 à Ladyijno, dans la région de
Tula, au sud de Moscou. Sa famille de la petite noblesse russe est connue en
raison du mariage malheureux de sa grand-tante, Natalia Nikolaïevna
Gontcharova, avec le poète Alexandre Pouchkine. Le père de Natalia est
architecte, sa mère poétesse, son choix d’un métier artistique n’a probablement
pas posé de difficulté.
Elle passe son enfance à la campagne et en garde une grande proximité avec le monde paysan. Au milieu des années 1890, la famille s’installe à Moscou et Natalia commence en 1898 une formation de sculptrice à l'École de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou. Elle reçoit une médaille en tant que sculptrice mais il semble qu’elle se soit assez rapidement orientée vers la peinture.
Ses œuvres du début du siècle sont principalement consacrées au monde paysan
et s’attachent à la fois aux thèmes et au langage plastique de l’art populaire…
(cliquer sur les images pour les agrandir)
Mais,
assez rapidement, on décèle des combinaisons de violet, rose et bleu qui
évoquent divers courants de l’art moderne dont Natalia peut avoir connaissance
par de multiples sources.
Dès la fin du XIXe siècles, les frères Pavel et Sergueï Tretiakov se procuraient déjà des œuvres occidentales. Puis ce sont les collectionneurs Morozov et Chtchoukine qui ont passé commande aux artistes : la collection Chtchoukine, qu’il ouvrait volontiers aux jeunes artistes, comportait déjà plusieurs dizaines de Matisse, de Gauguin et de Picasso, tandis que chez Morozov, on pouvait admirer les Nabis en grand nombre.
Et il y avait aussi les revues : « Le monde de l’art » (Mir Iskousstva), créée en 1898 par Serge de Diaghilev et son cercle d’artistes autour des peintres Alexandre Benois et Léon Bakst ; « La Toison d’or », fondée en 1906 par Nicolas Riaboutchinski, un marchand moscovite qui s’intéressait aux Symbolistes et ouvrait largement ses pages aux critiques russes et étrangers.
Dans Jardinage, par exemple, les plis des vêtements rappellent les drapés des icônes, tandis que les éléments facettés évoquent l’approche du cubisme. La composition est également particulière, avec la procession de femmes en arrière-plan et le visage de l’une d’elle qui se confond avec la silhouette de la femme penchée du premier plan.
Cette
réinterprétation de sources multiples est parfaitement assumée par les jeunes
artistes d’avant-garde. Ils lui ont même donné un nom : « vsyochestvo » (« toutisme »).
Dans
d’autres tableaux, la composition en plan, les aplats de couleurs et un certain
mépris de la perspective sont caractéristiques des estampes populaires, le lubok.
Tandis que ce portrait souligne l’influence de Matisse.
Il
m’a immédiatement fait penser à celui-ci :
C’est
enfin la composition des icônes que l’on reconnaît dans Fenaison, avec
sa combinaison de deux échelles différentes avec une figure centrale et les
petits personnages en bordure qui expriment la même identité archaïque que
celle que recherchait Gauguin.
C’est
au début de la première décennie du siècle que Natalia a rencontré le peintre Mikhaïl
Fedorovitch Larionov, un artiste d’avant-garde, comme elle. On dit même
que c’est lui qui l’a convaincue de se convertir à la peinture.
Selon
la galerie Tretiakov, c’est lui que Natalia représente ici en Fumeur.
Ils
ont fait ensemble un voyage à Paris en 1906, à l’invitation de Diaghilev, et fin 1910, Larionov fonde « Le
Valet de Carreau » dont la première exposition inclut quatre étudiants
exclus de l’université pour leur idées trop progressistes : ils admiraient
Matisse et Cézanne. Lors de cette exposition, le peintre Illia Répine (1844-1930) exprime
son mépris en indiquant que les œuvres de Cézanne ont l’air de « sortir de
dessous la queue d’un âne ».
Qu’à cela ne tienne, Larionov et Natalia répondent en organisant une exposition intitulée « La queue de l’âne ». C’est un énorme scandale, qui concerne Natalia à plus d’un titre.
Ses
Lutteurs sont vilipendés pour leur bestialité …
Quant
à ses Evangélistes, pourtant très dignes, ils sont prestement décrochés
par la police, l’Eglise étant triplement scandalisée par le style cézannien, le
fait qu’ils aient été peints par une femme (il leur était interdit de peindre
des icônes) et par leur présentation en compagnie d’œuvres profanes.
Et, pour finir, l’université qui avait prêté les locaux, refuse tout affichage à l’extérieur !
Mais il en faut davantage pour impressionner Larionov et Natalia. Celle-ci continue son chemin néo-primitiviste et se met à peindre des silhouettes qu’on croirait taillées dans la pierre.
Des
cariatides paysannes, comme celles-ci qui faisaient partie d’un polyptyque de
neuf panneaux, aujourd'hui dispersés…
…
et d’autres femmes dans leurs activités traditionnelles (encore que les oranges à Moscou dans les années 10...?)
Elle
exécute un cycle intitulé Moisson, neufs toiles qui évoquent
l’Apocalypse. Deux d’entre elles sont au musée national d’art moderne…
…
d’autres à la galerie Tretiakov qui ne les montre peut-être pas toutes. Une
palette flamboyante, qui répond, d’après la galerie, à l’objectif assumé de
retrouver un « traditionalisme librement interprété ».
Natalia
s’intéresse aussi aux Juifs alors considérés, ainsi que les paysans, comme des
citoyens de seconde zone, en butte à la violence collective. Aujourd’hui, la
galerie Tretiakov indique que son objectif était de « souligner le
caractère patriarcal de leur morale. » Admettons-le pour cette Boutique
(qui pourrait évoquer aussi les trois âges de la vie).
Mais
en ce qui concerne ce Vieil homme au chat, aussi connu sous les titres Moine
et Rabbin au chat, on sait qu’il a, lui aussi, scandalisé le beau monde
car il était représenté sous forme d’icône…
Dans
ce contexte, on ne s’étonnera pas que Natalia ait été l’une des premières
artistes russes à s’engager dans le cubisme et le futurisme mais en développant
sa propre vision, synthétique, de cubo-futurisme.
Ainsi, ce Cycliste, penché sur son guidon, qui bondit sur les pavés en passant devant des vitrines. On y retrouve les ingrédients du premier cubisme mais aussi une fragmentation qui traduit l’impression de vitesse.
Plus
complexe, Avion au-dessus du train évoque également les sensations du
mouvement et de la vitesse mais introduit peut-être aussi le temps, comme si
les deux monstres s’étaient succédés dans le même espace à des moments
différents. Au milieu de la composition, une silhouette immobile paraît
observer les effets de ce cataclysme moderne.
Avec Larionov - qui publie un texte théorique à ce sujet en 1913 – Natalia est à l’origine du développement du rayonnisme, un nouveau style qui abandonne la représentation de l’objet pour se concentrer sur la représentation des rayons de lumière que les objets réfléchissent et l’intersection de ces rayons dans l’espace.
Des œuvres comme les deux Forêt ou Le Chat en constituent des exemples
caractéristiques :
Une large part des œuvres de Natalia est dévoilée au public en 1913, lors de l'exposition personnelle que la galeriste K.I. Mikhailova organise pour elle à l’occasion du Salon d'art de Moscou. L’exposition, qui comporte près de 700 œuvres, sera reprise à Saint Pétersbourg. Elle rencontre un véritable succès populaire et conforte le statut d’artiste radicale de Natalia qui est invitée à exposer à la Sturmgalerie de Berlin, la galerie des Expressionnistes.
Il faut dire qu’elle y a mis les moyens : quelques semaines avant le vernissage, elle a organisé un défilé avec d’autres artistes, visages ornés de dessins hiéroglyphiques, après avoir prévenu la presse. Résultat : les rues étaient bondées de monde et plus de 12.000 personnes ont visité l’exposition !
Il se dit même qu’elle aurait lancé une mode : « Cette femme traînait autrefois le Tout-Saint-Petrograd
et le Tout-Moscou derrière elle. Mais où cela va vous intéresser, c'est quand
vous saurez que l'on n'imita pas seulement son œuvre, mais sa personne. Elle
lança une mode de robe-chemise de nuit, noir et blanc, bleu et orange… Ce qui
n'est rien encore ; elle se peignit des fleurs sur la figure. Et bientôt la
noblesse et la bohème sortirent en traîneaux avec des chevaux, des maisons, des
éléphants, dessinés et peinturlurés sur la joue, le front, le cou. (…) "Mais,
je dis la simple vérité. On rencontre, tous les jours à Moscou, sur la neige,
des dames qui portent en guise de voilettes, un semis de dagues ou de perles peintes…
D'ailleurs, cette Nathalie Gontcharova est une très grande artiste." »
(Michel Georges-Michel, La Rampe, 1er juillet 1923, p.7)
Leur ami Alexeï
Morgounov, rentrant de France, représente cette année-là Natalia et Mikhaïl dans
une composition fortement inspirée par les œuvres d’Edouard Manet : on
reconnaît immédiatement la jeune serveuse d’Un Bar aux Folies-Bergère (1882)
et peut-être aussi la position désinvolte du jeune homme assis sur la table du Déjeuner
dans l'atelier (1868), tout cela bien sûr à la sauce « vsyochestvo » !
La
dernière exposition montée par Larionov à Moscou, « N° 4. Futuristes, Raymen,
Primitifs », ouvre en mars 1914. Natalia y présente 19 œuvres…
…
dont plusieurs autour du thème de l’électricité, qu’elle considère comme un
phénomène qui mérite une sorte d’incarnation spécifique, sans objet représenté.
Certaines
œuvres approchent parfois l’abstraction mais elle l'interprète à sa guise, ni expressive ni
géométrique, un peu des deux, avec ce Vide qui fait irruption dans un
espace structuré et organisé.
Et
Natalia rencontre un franc succès avec son autoportrait intitulé Dame au
chapeau qui est montré dans plusieurs expositions, à Berlin, Moscou et
Paris.
C’est en 1909 que Serge de Diaghilev avait lancé, au théâtre
du Châtelet, la première représentation des Ballets russes à Paris. Ils
reviennent ensuite chaque année et, dès 1911, les spectacles sont repris dans
les capitales européennes, puis aux Etats Unis à partir de 1915.
En vue de la réalisation du Coq d’or - un ballet de Michel Fokine, sur une musique de Rimski-Korsakov
- Diaghilev invite Natalia et Larionov à le
rejoindre à Lausanne où il réside le plus souvent.
Natalia
est chargée des décors et des costumes pendant que Larionov supervise la chorégraphie.
Selon Raymond Cogniat, elle avait déjà produit des décors en Russie, pour un
studio privé, vers 1911. (L’amour de l’art, 1932 p.142)
La veille de la première, Guillaume Apollinaire commet un article un peu grognon : « Mme Gontcharova est, paraît-il, le chef de l’école futuriste russe, tandis que son mari est le chef et l’inventeur de l’école rayonniste. Elle a fait, il n’y a pas longtemps en Russie, une exposition de sept cents toiles récentes. Elle ne va pas tarder, dit-on, à faire à Paris, une exposition d’environ cent cinquante toiles triées sur le volet, où, d’après les dires de ceux qui les ont vues, on trouve un mélange de Matisse, de Picasso, de Picabia, de Gleizes, de Metzinger, de Koudinski, des Fauves de toutes catégories, des cubistes de tout système et des futuristes de toutes nationalités.
Loin de suivre les errements du public et des gens en place français, à l’égard
de la jeune peinture française, les Russes ont fait un vrai succès à Mme
Gontcharova, ils ne lui ménagent point les commandes. C’est à elle qu’ils ont
commandé les décors du Coq d'Or, de Rimsky-Korsakov, qui va être donné pendant
la saison des ballets russes. Et c’est ainsi que le futurisme russe va
développer toute sa pompe à l’Opéra, tandis que la nouvelle peinture française
de laquelle sont sorties toutes les nouveautés picturales d’aujourd’hui dans le
monde entier, ne connaît encore ici que les moqueries. Gageons que Mme Gontcharova
ne s’en tirera pas sans une décoration et un tableau au Luxembourg.
Pendant ce temps, des
peintres français comme Georges Bracque [sic], Derain ou Léger, sont ignorés de
tout le monde et on ne voit au Luxembourg pas un tableau, pas un croquis de
Matisse ou de Picasso, dont la réputation cependant est universelle. Bien entendu,
je ne parle pas des peintres plus jeunes. Le Luxembourg songera à eux quand ils
seront morts et qu’il sera temps de les mettre au Louvre. » (Guillaume Apollinaire,
« Futurisme et ballets russes », Paris Journal, 24 mai 1914,
p.3)
Ce qui n’empêchera pas Guillaume d’aller assister à la première du Coq d'Or !
« Ceux qui ont assisté, dimanche, pour leur joie excessive et salubre, à la première du Coq d'Or, se souviennent de la générale, déjà lointaine, de notre cher Ubu roi. Avec cette différence que, dimanche, tout le monde était conquis. Lorsque, jadis, Gémier, la bedaine cerclée d'un tonneau, figura le souverain-type, roi de Pologne et de Patagonie, grand-maître de l'ordre de la Gidouille, il s'éleva, parmi la critique confortable, de forts grognements. Aujourd'hui, tout le monde marche. Les couloirs de l'Opéra fourmillent de gens heureux. Serge de Diaghilev a remporté, ainsi que le prodigieux Michel Fokine, un succès dont les artistes se réjouissent. (…) Je me méfiais. J'avais ouï parler de décors futuristes. Diverses gazettes nous avaient annoncé que l'auteur des décors, Mlle Nathalie Gontcharova, est "le chef du mouvement futuriste russe". Or, je connais les futuristes non russes, les marinettisants, Boccioni, Carra, Russolo, Severini, lugubres "bruiteurs" picturaux. Leur art, supérieur, hélas ! à mon entendement, "m'échappe" et m'ennuie. Stérile agitation, dans le vide. (…)
Mais rassurez-vous. Les décors, vertigineusement hilares de Mlle Gontcharova n’ont rien de futuriste. Ils sont le fruit d’une invention ingénue, fort intelligente et raffinée au surplus, où se précise avec netteté la double influence combinée des miniatures persanes archaïques et des harmonies colorées de Henri Matisse. La première toile de fond, un lion, qui est aussi un dragon, accroupi sur une gaufre, avec un Dieu le père contre de gros nuages, déconcerte un tantinet. Mais, dès que le rideau se lève, quel enchantement ! (…) Et c'est une merveille de gaieté, de satire débridée (le tsarisme encaisse à coups redoublés), une symphonie de couleurs violentes, mais harmonieusement dosées, sans un heurt. Quelle leçon pour nos metteurs en scène ! » (Louis Vauxcelles, « A propos du coq d’or », Gil Blas, 26 mai 1914, p.1)
« Et les décors et
les costumes de Mlle Nathalie Gontcharowa [graphie fréquente à l’époque],
qui imitaient de la façon la plus ingénieuse la forme et la couleur des jouets
d’enfant, dont ils avaient les teintes violemment tranchées et le dessin
élémentaire, étaient extraordinairement, amusants, brillants et pittoresques. »
renchérit Pierre Lalo dans Le Temps (19 juin 1914, p.17)
Le succès est si grand que le travail de Natalia a les honneurs du Comœdia illustré :
Ensuite,
Natalia s'attelle à la conception des costumes du ballet Liturgie, une
mise en scène du rite orthodoxe et de la vie du Christ, qui présente la particularité
d’avoir été conçue en partant des créations graphiques de Natalia lesquelles ont
clairement inspiré la partition littéraire. La musique devait être écrite
ensuite par Stravinsky.
Mais Stravinsky, trop occupé par un autre projet, Les Noces, n’a jamais écrit la partition du ballet, et Liturgie ne sera jamais montée…
La
fréquence des ballets russes se ralentit pendant le conflit mondial et leur
succès attire les peintres les plus en vue. C’est José Maria Sert qui crée les
costumes et décors des Ménines en 1916, Picasso ceux de Parade,
en 1917, le couple Delaunay ceux de Cléopâtre en 1918, puis Derain (La
boutique fantastique) et Matisse (Le chant du rossignol), les années
suivantes. Léon Bakst, le vieux complice de Diaghilev, est également sollicité, à de multiples reprises.
En avril de la même année, Natalia et Larionov ont participé au Salon des Indépendants, dans la section russe, mais je n’en ai trouvé aucune trace dans la presse. Apollinaire, qui feint de découvrir Natalia, connaît déjà Larionov puisque celui-ci a publié un article sur le rayonnisme pictural dans la revue Montjoie ! à laquelle Apollinaire collabore régulièrement. Deux dessins de Natalia et deux projets de costumes du Coq d’or y sont reproduits.
Beau
joueur, Apollinaire, séduit par le ballet, rédige la préface du catalogue de l’exposition
des deux artistes à la galerie Paul Guillaume, dont le
vernissage a lieu le 17 juin 1914 et publie sa préface le lendemain, non sans
affubler Natalia d’une particule un peu incongrue :
« Natalie de Gontcharowa a accepté bravement les influences des grands peintres français ou peignant en France, qui seuls depuis une vingtaine d’années maintiennent très haut la tradition de l’art. Ce contact sublime avec la vraie tradition occidentale a donné à la grande artiste russe le goût et le secret de la riche tradition orientale qui paraissait s’être fixée définitivement dans l’art populaire de l’Empire russe.
L'œuvre très nombreuse
de cette artiste féconde est donc une exaltation des desseins artistiques
infiniment nobles et infiniment vrais qui, grâce à Cézanne, ont succédé en France
à l'impressionnisme, il est aussi la révélation de cette merveilleuse liberté décorative qui n’a jamais cessé de
guider les peintres orientaux parmi le somptueux trésor des formes et des
couleurs.
Voilà donc Natalie de
Gontcharowa en possession d’une esthétique où les grandes sévérités de l’art
scientifique d’aujourd’hui si satisfaisantes pour l’esprit s’allient aux
subtilités attrayantes de l’art oriental. Elle y a ajouté tout d’abord cette
brutalité moderne qui est l’apport du futurisme métallique de Marinetti et
aussi la lumière raffinée de ce rayonisme qui est l’expression la plus dépouillée
et la plus nouvelle de l’actuelle culture russe. La personnalité de Natalie de Gontcharowa se révèle dans tous ses ouvrages. Don
unique à découvrir sans cesse de nouveaux éléments décoratifs et à évaluer
l’importance artistique des objets et des sentiments les plus modernes. Le
mouvement dans son art est une danse rythmée par l’enthousiasme.
A côté de Natalie de Gontcharowa, Michel Larionow a apporté non seulement à la peinture russe, mais encore à la peinture européenne un raffinement nouveau : le rayonisme. Ici, la lumière qui constitue les œuvres d’art arrive à exprimer les sentiments les plus subtils, les plus hilares, les plus cruels de l’humanité moderne. L’art de Michel Larionow révèle une personnalité extrêmement forte qui arrive à exprimer les nuances des sentiments et des sensations éprouvés par l’artiste avec une rigueur qui font de son art lumineux, extrêmement sobre et précis, une merveilleuse découverte esthétique, et certaines de ses œuvres compteront dans l’art contemporain. (Guillaume Apollinaire, « Exposition Nathalie de Gontcharowa et Michel Larionow », Paris Journal, 18 juin 1914, p.3)
Le vernissage, raconté plus tard par Waldemar Georges, est un succès culturel et mondain : le Tout-Paris et la critique d’avant-garde est là, Serge Diaghilev et ses danseurs vedettes, Nijinski, Pavlova, Fokine et Ida Rubinstein. Cocteau fait une apparition. Tout le monde discute avec tout le monde, Serge Férat et la baronne d'Œttingen servant d'interprètes (voir la notice d’Irène Lagut).
Après ce brillant succès, Natalia et Larionov rentrent à Moscou.
Alors que Larionov est appelé au front, la guerre inspire à Natalia une série de lithographies, « Images mystiques de la guerre ».
Il
en existe des tirages en couleur, comme cette jeune fille, par exemple, qui fait référence
à la prostituée babylonienne qui tient dans sa main tendue une coupe remplie de
« l'abomination et la souillure de sa fornication » (Apocalypse 17 : 3-6).
En
1915, Larionov, gravement blessé, est démobilisé. Il « fabrique » en
papier le portrait de celle qu’il appelle « mon artiste préférée »,
avec un petit rappel de son succès du Coq d’Or. Puis ils reviennent tous
les deux en France.
L’année
1916 marque un tournant : Nathalie réalise les décors et costumes de Sadko, de Rimski-Korsakov,
mis en scène par Bolm. Les premières ont lieu fin août. Ensuite, les ballets
russes, danseurs, peintres, compositeurs font une tournée en Espagne et en
Italie. Naturellement Natalia, Larionov et Picasso sont du voyage.
En
septembre, ils sont à Bilbao où Sadko est joué en présence du roi d’Espagne, Alphonse XIII. On
sait que, cette année-là, Picasso sera marqué par sa découverte de l’Italie.
Mais c’est l’Espagne qui va impressionner Natalia. Ses premières dames
espagnoles datent de ce voyage.
Dès
cette époque, Natalia travaille à la création des costumes de Rhapsodie
Espagnole de Ravel mais, bien que la représentation ait été répétée, elle
ne sera jamais créée et Natalia va suspendre son activité théâtrale quelques
temps.
En
1919, Natalia s’installe dans un atelier spacieux, au 43, rue de Seine. Cela va
lui permettre de travailler à nouveau les grands formats.
Elle expose à l’été 1920 à la galerie La Boétie avec les autres artistes russes de Mir Iskousstva mais la presse n’en parle pas et on ne la retrouve qu'à l’occasion de l’Exposition internationale de Genève en 1921.
« La peinture russe, si diverse, n’est ici que partiellement représentée. Voici Madame Vassilieff et Madame Gontcharova à qui l’on doit les éblouissants décors du Coq d’Or. On retrouve chez ce peintre la richesse d’invention des artistes byzantins, l’imagination inépuisable des brodeurs et des tapissiers orientaux. Le coloris nombreux et éclatant, l’entassement des motifs décoratifs, évoquent on ne sait quelle fête somptueuse et barbare. » (René Arcos, « L’Exposition internationale de Genève », L’Amour de l’Art, 1er février 1921, p.91)
Puis au Salon d’Automne de 1921 :
« Ce qui
caractérise et spécifie ces artistes, Iakovlef, Grigorief, Sûudeïkine, Milman, Choukaïef,
Sorine, Natalia Gontcharova, Larionov, etc., c'est qu'ils sont profondément "racinés" et n'apparaissent point à nos yeux travestis en Slaves de Vaugirard et de la "Rotonde". Certes, ils connaissent et aiment Cézanne, l'impressionnisme, Derain, Braque et
Picasso. Mais ces Moscovites et ces Pétersbourgeois - deux écoles aux tendances
antithétiques – demeurent foncièrement attachés à leur sol. Les Moscovites,
férus de flamboyante polychromie en leurs maquettes d'opéras et de ballets, reviennent
à l'imagerie populaire, s'inspirent de la tradition des icônes, des fresquistes
de l'époque de Paléologue, voire des Byzantins, s'affilient à la lignée de
Novgorod. Les Pétersbourgeois sont, eux, plus épris de la forme, du dessin, du
modèle serré. (…) Mlle Gontcharova et Soudeïkine sont appréciés de par le
prestige du théâtre (ballets russes et Chauve-Souris). Larionov a une
imagination d'un lyrisme familier, qui ne dédaigne point la cocasserie ; Mlle
Gontcharova se plaît, en flirtant avec le cubisme, à combiner des arabesques
capricieuses. » (Louis Vauxcelles, « Au Salon d’Automne, Excelsior,
31 octobre 1921, p.3)
Elle
travaille aussi pour l’édition :
Mais
le public a sans doute du mal à la situer vraiment car, comme le souligne Waldemar George :
« Si elle exploite le riche répertoire de formes, constitué par l'art populaire, en vue de ses créations théâtrales, Madame Gontcharowa poursuit ses travaux de peintre avec une volonté ardente de s'exprimer à l’aide de moyens uniquement picturaux. Soit qu’elle recherche des rapports de surfaces colorées, soit qu’elle interprète librement des figures humaines et des paysages, cette austère artiste respecte toujours les principes directeurs de la peinture de chevalet, et crée des organismes autonomes, dépourvus de ces agréments factices, qui caractérisent tous les arts mineurs. »
« Il était nécessaire, avant d'entreprendre dans cette revue l'éloge de Nathalie
Gontcharowa, d'établir une ligne de démarcation entre les deux aspects si
différents de son œuvre.
C'est dans la Rapsodie Espagnole que font leur première apparition les costumes rigides, super-structures qui transforment le corps humain en éléments plastiques. Au lieu de copier, ou de transcrire les parures, Gontcharowa invente des organismes nouveaux, dont le style agressif force l'attention du public surpris. C’est l'âme même de la foire espagnole, dépouillée de tout détail accidentel, que présente cette grande animatrice des formes dans un espace circonscrit. » (Waldemar George, « Nathalie Gontcharowa et Michel Larionow », L’Amour de l’art, janvier 1922, p.217-220)
En 1923, Natalia participe aux Indépendants avec une œuvre monumentale, Les Baigneuses. Ce triptyque qu’on pensait disparu, a été légué à la galerie Tretiakov par Alexandra Tomilina, la seconde femme de Larionov, décédée en 1987. Bien qu’il ait été restauré grâce à une fondation, la galerie se garde bien de le montrer en ligne. Je n’en ai trouvé qu’une photo en cours de restauration…
On ne peut pas dire qu’il ait été particulièrement bien reçu sur le moment : « Mais nous ne saurions être conquis par l’esthétique de Nathalie Gontcharova tant qu'elle ne nous présentera que des assemblages de tôles découpées » (Antoine-Orliac, « Au Salon des Indépendants », La Nervie, janvier 1923, p.61). Visiblement, l'œuvre n’a pas trouvé preneur puisqu’elle était encore en possession de Larionov à la mort de celui-ci…
Le
thème central de ce tableau sera repris par Natalia quelques années
plus tard, pour une affiche pour le fameux Bal Bullier qui accueillait
régulièrement des manifestations en faveur des artistes.
A la même époque, Natalia crée une série de Femmes espagnoles.
Autre
monument, un polyptyque de cinq panneaux dont je n’ai retrouvé que trois éléments et, encore une fois, notre musée national n’a pas jugé utile… etc.
Natalia continue à travailler pour l’édition, comme la maison d’édition
munichoise Orchis, qui publie Le conte de la campagne d’Igor dans une
traduction allemande…
Natalia aussi est aux commandes des décors et des costumes du ballet Les Noces, - musique de Stravinsky - créé au théâtre de la Gaîté-Lyrique, le 13 juin 1923.
J’ai trouvé deux éléments du projet initial mais ce ne sont pas ceux qui ont été finalement choisis…
On en a confirmation grâce à Vogue : « Aujourd'hui c'est "Noces", et
dans un décor clarifié de Mme Gontcharova, sur une chorégraphie de la Nijinska,
se font entendre les musiques les plus pures et les plus clairvoyantes. »
(J.L., « Les Noces de Stravinsky ont remporté un formidable succès »,
Vogue, août 1923, p.16)
« Gontcharova ne s'enferme dans aucune formule ou style fixe. Elle est tout aussi capable de gérer une fantaisie colorée exquise, et d'une simplicité extrême, comme dans le noir, blanc et gris intensément sévère de "Les Noces", son plus récent succès. » (Arthur Moss, The Paris Times, 2 juillet 1924, p.7)
Au cours des années 1920, Natalia expose régulièrement aux Indépendants mais les titres des œuvres (Paysage, Nature morte) compliquent la recherche.
Elle continue à
travailler pour l’édition, notamment pour un roman de Kessel :
Au
début des années 20, Natalia avait renoué avec une autre technique de l’art
populaire russe et notamment du lubok, la peinture au pochoir. Ses premiers
pochoirs parisiens ont été publiés dans l'album Gontcharova – Larionov,
L'art Décoratif Théâtral moderne (Paris, la Cible, 1919)
Dès
cette époque, il était prévu de publier des séries thématiques : « Portraits
théâtraux », « Saisons », « Baigneuses ».
L'album intitulé « Portraits théâtraux » comporte une série de 14 feuilles séparées, placées dans un dossier en carton. Ce sont des portraits d'artistes ayant participé aux Ballets russes.
On y trouve notamment Ida Rubinstein qui
a tenu le rôle-titre de Cléopâtre en 1919 :
Et
Bronislava Nijinska qui a participé à de nombreux ballets et notamment Petrouchka,
en 1911 :
On imagine que Natalia
s’est déjà lancée dans son grand projet suivant : L’Oiseau de feu.
Le ballet a été présenté la première fois en 1910, avec des décors et des costumes de A. Golovin et Léon Bakst.
Il est resté au répertoire des Ballets russes pendant plusieurs années mais le
public commence à se lasser.
Le retour de L'Oiseau de feu est prévu en 1926, lorsque, en raison de difficultés financières, Diaghilev a bien besoin d'un grand succès. Mais Bakst est mort et Golovin est en Russie. C’est donc à Natalia qu’il confie le « sauvetage ». Bon choix.
Elle crée plusieurs décors : Nuit, un paysage nocturne éclairé par une multitude d’étoiles qui font écho aux pommes d’or qui scintillent aux branches de pommiers du jardin royal…
…
et Ville où surgissent les dômes dorés des clochers.
Quant
aux costumes, ils sont plus difficiles à retrouver, car la plupart des institutions
qui en conservent des dessins ne les montrent pas. Je n’en ai trouvé que deux :
Mais on pourra se faire une idée plus précise de l’ensemble grâce à cette
photographie :
La
première du ballet Firebird a lieu le 25 novembre 1926, au Lyceum
Theatre de Londres. La presse française n’en parle pas… et ne parle pas davantage
des œuvres que Natalia expose aux Indépendants ces années-là.
C’est en Belgique que Natalia refait surface : « Le nouveau Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, ouvert depuis les premiers jours de mai, s'inaugure par quatre expositions simultanées, suisse, russe, belge et française. (…) L'exposition des artistes russes d'aujourd'hui, forcément inégale, comporte cependant des œuvres bien personnelles : (…) Espagnoles remarquablement stylisées, de Nathalie Gontcharova. (Emile Chardome, « Au Palais des Beaux-Arts, Revue Belge, 1er avril 1928, p.432)
« Une très belle impression blanche et bleue, de gigantesques Espagnoles, de Nathalie Gontcharova, habillées de papier blanc découpé, avec un chien en carton également découpé, mais qui ont beaucoup d'allure. » (G. de Pawlowski, « le Salon des Indépendants, Le Journal, 19 janvier 1929, p.6)
C’est aussi l’époque où
Natalia travaille pour les maisons de mode et de confection. Il en reste
quelques témoignages qui concernent le plus souvent la maison Myrbor.
« La
maison de couture Myrbor-Rob, pour laquelle Gontcharova a réalisé le plus grand
nombre de commandes de costumes et de croquis de tissus et de tapis, a été
créée par une femme tout aussi inhabituelle et douée pour la créativité, Marie
Cutolli (1879-1973). Le nom de la maison de couture "Myrbor" est composé de
la version arabe de son nom – Miriam – et des premières lettres de son nom de
jeune fille – Bordes. Épouse d'un sénateur français en Algérie, elle débute ses
activités en organisant la production de tapis de créateurs d'après des croquis
d'artistes contemporains - Fernand Léger, Pablo Picasso, Georges Braque. En
1922, Marie Cutolli ouvre sa maison de couture à Paris et se tourne vers la
création de vêtements. La même année, elle signe un contrat avec Natalia
Goncharova. L'artiste crée des croquis de modèles et de tissus et, en 1928,
elle complète sa collaboration avec Myrbor-Rob avec des dessins de tapis.
« Chaque
modèle Gontcharov a son propre nom - "Orchidée", "Pensée",
"Queen Mary", "Algues", etc. Ils reflètent les impressions
des formes naturelles vues, la communication avec les personnes pour lesquelles
les costumes ont été créés, les performances mises en scène, souvenirs de ses
propres peintures. Dans les croquis de Gontcharova, comme le notaient les
journalistes français, "les couleurs brillantes chantent, l'or et le cuivre
brûlent" » (Jean-Claude Marcadé, L'Avant-garde russe, 1907-1927, Paris,
Flammarion 1995, p.21).
Le succès
revient avec La petite Catherine, comédie en 3 actes et 7 tableaux
d’Alfred Savoir, musique de scène de Nicolas Naboroff, présentée au Théâtre
Antoine. La petite Catherine est celle qui deviendra, quelques années plus
tard, Catherine la Grande. On est donc au XVIIIe siècle russe et Natalia est
chargée des costumes.
« Vous savez l'inépuisable imagination de Gontcharova, son goût, son intelligence, son prodigieux génie d'ornementation, en dépit de cette gravité ingénue qui lui est si particulière. Représentez-vous un peu ce que peuvent être les costumes tantôt somptueux, tantôt ironiques, ou opportunément baroques des personnages surgis de la verve impitoyable de M. Savoir. Les costumes de Pierre, de Potemkine, de Lanskoï ; les robes, charmantes et fines de Catherine, les magnifiques ensembles portés par Elisabeth, l'étourdissant vertugadin de la digne princesse d'Anhalt, les uniformes des soldats, les costumes des bouffons ; que tout cela est puissamment peint et quelle diversité dans le dessin, quel éclat de coloris, quelle clairvoyance ! Il n'est pas possible qu'une artiste capable de tels chefs-d’œuvre ne soit pas désormais plus utilisée par l'art théâtral moderne. » (Roger Lesbats, « Costumes et décors de La petite Catherine », Le Populaire, 23 octobre 1930, p.4)
« Si la pièce a du succès - et c'est bien possible malgré les quelques sifflets qui se sont mêlés aux applaudissements c'est à cette interprétation hors de pair qu'elle le devra. Elle le devra aussi aux magnifiques costumes de Nathalie Gontcharova exécutés par M. Léon Granier et aux agréables décors d'André Boll. » (Jacques Constant, « Les théâtres », L’Esprit français, 10 novembre 1930, p.79)
« Les costumes de Nathalie Gontcharova sont une merveille : c’est toute une époque, toute une cour somptueuse et raffinée qui revit. » (Paul Fuchs, Le Crapouillot, 1er octobre 1930, p.44)
En 1931, Natalia est chargée d'exécuter les maquettes des décors pour deux opéras du XVIIIe siècle, l'un italien, de Cimorasa, et l'autre français, de Monsigny. Pour le premier, elle propose des décors en dentelle, pour le second des peintures jugées « ultra modernistes ».
« La peintre essaie de nous faire voir le XVIIIe siècle à travers de ces formes picturales et elle estime qu'ainsi sera mieux mis en relief, son véritable esprit. La différence voulue des décors des deux opéras, datant de la même époque, mais dus aux compositeurs de nations différentes, doit, dans la pensée de Mme Gontcharova, marquer la différence de l'image artistique que se font du XVIIIe siècle Italiens et Français. » (« Un peintre russe exécute pour des ballets des décors sans toile et sans couleur ! », Paris midi, 21 avril 1931, p.2)
Mais, deux mois plus tard : « Au théâtre Pigalle, On ne s'avise jamais de tout a subi d'étranges altérations. (…) Par ailleurs le décor gris et jaune citron de Mme Nathalie Gontcharova ne convient en aucune façon à ce délicat vaudeville à ariettes. Mme Gontcharova ne tient aucun compte du caractère ni du temps. » (Henri Malherbe, « Chronique musicale, Le Temps, 3 juin 1931, p.3)
« La mise en scène de M. Michel Benois est amusante, les décors et les costumes de Nathalie Gontcharova d'un curieux effet. » (Jean Prudhomme, « Les Premières », Le Matin, 1er juin 1931, p.5)
Natalia expose presque chaque année, en juin 1930 à la galerie L’Epoque et, en juin 1931, dans une exposition d’art russe à la galerie La Renaissance. « Cette artiste si réfléchie, si sensitive a trouvé dans les manuscrits persans de merveilleux motifs d’émulation. Personne n’excelle à mieux habiller et de façon plus variée la typographie d’un album. Ses figures ont un charme et une fraîcheur personnels. On s’en convaincra rien qu’à regarder son panneau de femmes d’Espagne aux grandes mantilles blanches, étagées sur des peignes carrés. Elle prête à ces figures on ne sait quel renouveau des grandes icônes d’André Roubliov le plus élégant et le plus parfait imagier qu’ait possédé, je crois, la Russie. » (Denis Roche, notice du catalogue de la Renaissance, p.19 et 20)
« Peintes ici de manière naturaliste, deux jeunes femmes espagnoles se dressent, hiératiques et austères. La raideur de leur posture contraste avec les riches ornements de leurs costumes traditionnels (étoffe fleurie, châles et mantilles en fine dentelle). La verticalité accentuée de ces toiles et la majesté sévère qui s’en dégage firent dire à un critique : "ce ne sont pas des femmes, ce sont des cathédrales" ». (Notice du musée)
Au cours des années suivantes, on retrouve Natalia dans la presse à l’occasion de ballets divers dont elle réalise les costumes. Elle ne participe plus aux Salons mais elle est présente, en 1937, à l’Exposition « Femmes artistes d’Europe » au musée du Jeu de Paume, puis au Metropolitan de New York.
La même année, le Coq
d’or est à nouveau monté à Londres et elle est chargée des costumes.
En 1939, on la retrouve
auprès d’une troupe qui est en quelque sorte l’héritière des Ballets russes,
les Ballets de Monte Carlo.
« Parmi les nouvelles créations présentées à Monte-Carlo, il faut citer Bogatyri et Noble vision. Bogatyri est un divertissement russo-tartare qui nous ramène à la plus somptueuse technique décorative de la grande époque de Shéhérazade, du Coq d'Or et de Thamar. Les décors et les costumes de Nathalie Gontcharova sont un enchantement pour les yeux.
Utilisant les tons purs avec une hardiesse et un goût infaillibles, la fée des couleurs a composé un véritable vitrail vivant qui engendre, par instants, la magie surnaturelle des phosphorescences de la lumière noire. On sort de ce spectacle absolument ébloui dans tous les sens du terme. La splendeur de cette symphonie visuelle est inoubliable et l'on emporte dans sa mémoire comme un rythme, un timbre ou un contour mélodique, tel contrepoint d'orangé et de marron, de vert et de bleu, de jaune et de noir qui chante interminablement dans notre souvenir. » (Emile Vuillermoz, « La saison des ballets à Monte Carlo », Excelsior, 17 avril 1939, p.6)
Puis, dans les années
1940, elle réapparaît ponctuellement dans la presse, toujours à l’occasion de
ballets dont elle a réalisé les costumes, notamment « L’Eclosion, poème chorégraphique
mis en musique par Ivan Semenoff. Le thème en est l’éveil de la nature au
printemps. Pour évoquer l’éclatement des bourgeons, la fusée de la sève,
l’épanouissement de la fleur, Mme Gontcharova dessina, d’une part, une tunique
vert pâle ouverte sur des volants d’un rose dégradé découpés en forme de
pétales et, d’autre part, un maillot brun, couleur d’écorce, dont le haut était
d’un vert sombre se dégradant progressivement jusqu’au vert amande, avec, en
rappel, un flot de rubans roses à l’épaule. Cette évocation sylvestre est
gracieuse et fraîche. (…) Le costume doit être avant tout soigneusement accordé
avec l’intention de la danse. Comme le dit Mme Gontcharova, il ne doit pas
contredire le texte (dansé ou parlé), mais créer l’atmosphère autour du
personnage avant même que celui-ci ait fait un mouvement. » (Marcel
Lasseaux, « Costumes de danse », Images de France, 1er
janvier 1944, p.56-58)
Elle expose, souvent avec Larionov, à diverses occasions mais on sent bien que la période est difficile. En 1948, lorsque Michel Seuphor organise une exposition sur « Le rayonnisme » à la galerie des Deux Iles, l’accueil est assez plutôt contrasté : « Ce terme "abstrait" nous invite de fait, par les peintures et gouaches de Michel Larionov et Nathalie Gontcharova, à remonter sinon aux origines – je suis prudent - du moins aux temps héroïques de l'art abstrait. Il y a plus d'un enseignement à recueillir de ces œuvres agréables certes et curieuses, mais qui me semblent avoir plus d'intérêt historique et décoratif que de substance picturale. En tout cas, beaucoup de "jeunes abstraits" feraient bien de voir cela, ne serait-ce que pour ne pas le refaire. » (Dauchot, « Tour d’expositions », Combat, 13 décembre 1948, p.4)
« Louise Janin, dont le goût fait autorité dans le monde de l’art abstrait, m’avait écrit : "Allez donc voir les peintures de Michel Larionov et de Nathalie Gontcharova, ce sont de précieux documents sur l’histoire de la peinture moderne." En effet, j’ai vu ces tableaux qui appartiennent à l’Ecole "Rayonnisme". Ce sont les "primitifs" de l’art abstrait d’aujourd’hui. C’est-à-dire qu’ils datent d’avant 1914 ! Et, ma foi, comme ils ont gardé toute leur fraîcheur et leur mystère, ces tableaux peuvent soutenir la comparaison avec les meilleurs d’aujourd’hui. Leur "ancienneté", si j’ose dire, leur confère, en outre, une valeur particulière. » (J. V. R., Rolet, 13 janvier 1949)
En 1950, elle illustre de 16 planches et de lettrines, l’ouvrage de Natalia Kodrianskaïa, Skazki (Contes de fées) mais l’ouvrage, publié à compte d’auteur, n’a aucun succès auprès du public.
Les derniers tableaux de Natalia semblent refléter son absence de familiarité avec la ville, en général, et peut-être aussi avec celle où elle a passé ses dernières années…
Natalia
Gontcharova est morte à Paris, le 17 octobre 1962.
Après
son décès, ses œuvres ont figuré dans de nombreuses expositions, soit avec celles de Larionov, comme
au musée d’Art Moderne de Paris en septembre-novembre 1963 puis au musée
d’Ixelles en avril-juin 1976, puis au Centre Pompidou en juin-septembre 1995 ;
soit avec l’avant-garde russe, comme à la Fondation Maeght, en juillet-novembre 2004.
Ce n’est qu’en juin-septembre 2019 qu’elle a bénéficié d’une première rétrospective personnelle à la Tate modern. Bien sûr, nous l’attendons à Paris !
Je termine avec quelques
natures mortes de Natalia, celles que je préfère, de sa première période.
Un peu de Cézanne…
Un peu de Matisse, dont elle reprend le « tableau dans le tableau » de la Nature morte à la danse du musée de l’Ermitage, avec l’une de ses propres peintures, Le Blanchiment du lin (photo trouvée sur le net)
Et enfin, ces fruits qu’elle a offerts à Apollinaire, accompagnés d'une dédicace : En souvenir à Monsieur Apollinaire de la part de son admiratrice, Natalia Gontcharova, Juin 1914 Paris.
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