lundi 4 octobre 2021

Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842)

 

Augustin Pajou (1730-1809)
Buste d’Elisabeth Vigée Le Brun – 1785
Terre cuite, H : 55,5 x L : 44,5 x P : 21 cm
(Photographié au Louvre Lens)

Tout le monde connaît déjà les nombreux autoportraits d’Elisabeth et je vais en montrer plusieurs dans cette notice. Alors, pour une fois, j’ai choisi un portrait réalisé par un autre, parce que j’ai un faible pour ce buste d’Augustin Pajou, que j’ai (mal) photographié il y a quelques années au Louvre-Lens.

Louise-Elisabeth était la fille de Louis Vigée, un excellent pastelliste, professeur à l’Académie de Saint-Luc, qui l’encouragea à suivre son inclination pour le dessin. 


Louis Vigée (1715-1767)
Femme au mantelet bleu à « coqueluchon » - 1745
Pastel sur papier marouflé sur toile, 73 x 60 cm
Collection particulière
(Photographiée dans l’exposition Vigée Le Brun aux
Galeries nationales du Grand Palais en novembre 2015)

Mais il n’aura pas le temps de lui dispenser son enseignement car il meurt en 1767. Elisabeth n’a que 12 ans mais elle sait déjà qu’elle sera peintre. Elle prendra des leçons avec Gabriel Briard (1725-1777) « médiocre peintre » mais « excellent dessinateur » en compagnie d’Anne-Rosalie Bocquet, puis auprès de Joseph Vernet (1714-1789).

Elle visite les collections privées, copie des tableaux au musée du Luxembourg et s’exerce au portrait.  Elle est admise à l’Académie Saint-Luc en 1774 et y expose, la même année, cinq portraits et trois allégories : la Peinture, la Poésie et la Musique.


Allégorie de la Poésie – 1774
Huile sur toile, 80 x 65 cm
Collection particulière
(Photographiée dans l’exposition Vigée Le Brun aux
Galeries nationales du Grand Palais en novembre 2015)


Ce pastel, exécuté la même année, souligne la maîtrise qu’elle a déjà atteinte, à dix-neuf ans.


Portrait de Monsieur Jean-Baptiste Coulon, 
seigneur de la Grange-aux-Bois (1731-1808) - 1774
Pastel sur papier marouflé sur toile ovale, 59,5 x 46 cm
Collection particulière (vente 2022)


En 1776, elle épouse Jean-Baptiste Pierre Le Brun, peintre et élève de Boucher et de Deshayes. Il est surtout l’un des marchands d’art les plus en vue. Ce triste sire, joueur, libertin et qui met la main sur toute la production de sa femme, en la laissant souvent sans le sou, sera portraituré une seule fois par Elisabeth en 1777, dans un rôle du musicien du Concert espagnol, dans une scène de genre d’inspiration hollandaise.


Le Concert espagnol – 1777
Huile sur toile, 82 x 101 cm
Collection particulière


Ils auront ensemble une fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie, que sa mère surnommait « Brunette ». Elle aura des relations difficiles avec sa mère et une bien triste destinée


Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748-1813)
Portrait par lui-même – 1795
Huile sur toile, 131 x 99 cm
Collection particulière

Mais grâce à lui, Elisabeth est rapidement présentée à une clientèle fortunée et proche de la cour.


A gauche : Portrait de Louis-Philippe d’Orléans - 1779
Pastel, 80 x 63 cm
Musée du Louvre, Paris

A droite : Portrait de Mme de Montesson - 1779
Pastel, 80 x 63 cm
Musée du Louvre, Paris


Elle a réalisé au moins quatre portraits de Madame du Barry. En voici deux…


Jeanne Bécu, Comtesse du Barry avec un chapeau de paille – 1781
Huile sur toile marouflée sur isorel, 86 x 66 cm
Collection particulière

Madame du Barry – 1782
Huile sur toile, 114,9 x 89,4 cm
National Gallery, Washington D.C.


Difficile de ne pas souligner la promptitude avec laquelle Elisabeth atteint la consécration. Elle n’a que 23 ans quand elle exécute le portrait de Marie-Antoinette en grand habit de cour. Elle n’a pas encore trouvé son style, le modèle est raide et la pause un peu trop conforme à l’iconographie traditionnelle.

Marie Antoinette en grand habit de cour – 1778
Huile sur toile, 273 x 193,5 cm
Kunsthistorisches Museum, Vienne

Dès 1783, avec le Portrait de Marie-Antoinette en gaulle (une robe de mousseline), on est déjà dans une autre dimension. Mais ce tableau scandalise l’opinion publique : la reine s’est fait peindre en chemise ! Il doit donc être remplacé dare-dare par un autre, dans une tenue plus appropriée à la majesté royale.


Portrait de Marie-Antoinette en gaulle – 1783
Huile sur toile, 89,8 x 72 cm
Hessische Hausstifung Kronberg im Taunus (Allemagne)


Portrait de Marie-Antoinette à la rose – 1783
Huile sur toile, 116 x 88,5 cm
Musée de l’Histoire de France – Petit Trianon, Versailles

La même année, Elisabeth est reçue à l’Académie Royale de peinture et de sculpture. Voyons comment elle raconte les circonstances de cette réception :

« Nous revînmes en Flandre revoir les chefs-d’œuvre de Rubens. […] à Anvers, je trouvais chez un particulier le fameux chapeau de paille qui vient d’être vendu dernièrement à un Anglais pour une somme considérable. Son grand effet réside dans les deux différentes lumières que donnent le simple jour et la lueur du soleil (les clairs sont au soleil ; ce qu’il me faut appeler les ombres, faute d’un autre mot, est le jour). Et peut-être faut-il être peintre pour juger tout le mérite d’exécution qu’a déployé là Rubens. Ce tableau me ravit et m’inspira au point que je fis mon portrait à Bruxelles en cherchant le même effet. Je me peignis en portant sur la tête un chapeau de paille, une plume et une guirlande de fleurs des champs, et tenant ma palette à la main. » 

 

Pierre-Paul Rubens (1577-1640)
Le Chapeau de paille – 1622/1625
Huile sur panneau, 79 x 54,6 cm
National Gallery, Londres

Elisabeth Vigée-Le Brun (1755-1842)
Autoportrait au chapeau de paille – 1782
Huile sur toile, 97,8 x 70,5 cm
National Gallery, Londres

On peut dire que l’objectif est atteint puisque son visage est éclairé, alors même qu’il est dans l’ombre ! On remarquera au passage que, pour une femme, prétendre imiter Rubens, alors considéré comme un génie de la peinture, ne manquait pas d’aplomb. Il est donc parfaitement normal, dans l’esprit d’Elisabeth, qu’une reconnaissance académique s’ensuive : 

« Le portrait dont je vous parle et plusieurs autres de mes ouvrages décidèrent Joseph Vernet à me proposer comme membre de l’Académie royale de peinture. M. Pierre, alors premier peintre du Roi, s’y opposa fortement, ne voulant pas, disait-il, que l’on reçût des femmes, et pourtant madame Vallayer-Coster, qui peignait parfaitement les fleurs, était déjà reçue ; je crois même que madame Vien l’était aussi.

Quoi qu’il en soit, M. Pierre, peintre fort médiocre car il ne voyait dans la peinture que le maniement de la brosse, avait de l’esprit ; et, de plus, il était riche, ce qui lui donnait les moyens de recevoir avec faste les artistes, qui dans ce temps étaient moins fortunés qu’aujourd’hui. Son opposition aurait pu me devenir fatale, si dans ce temps-là tous les vrais amateurs n’avaient été associés à l’Académie de peinture, et s’ils n’avaient formés, en ma faveur, une cabale contre celle de M. Pierre. C’est alors qu’on fit ce couplet :

Enfin je fus reçue. M. Pierre alors fit courir le bruit que c’était par ordre de la cour qu’on me recevait. Je pense bien en effet que le Roi et la Reine avaient été assez bons pour désirer me voir entrer à l’Académie ; mais voilà tout. » (Souvenirs de Madame Vigée Le Brun, Paris, Charpentier et Cie, 1869, Tome premier, Lettres à la princesse Kourakin, lettre IV, pp. 58-59, consultable en ligne. Les références de cette notice correspondent à cette édition). 

Son morceau de réception à l’Académie est une allégorie, La Paix ramenant l’Abondance.

 

Etude pour La Paix ramenant l’Abondance – 1780
Fusain, pastel, tracé préparatoire à la pierre noire 
sur papier anciennement bleu, 47,9 x 40,5 cm
Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris


Etude pour la figure de l’Abondance – 1780
Pastel et pierre noire sur papier
Collection particulière
(Photographiée dans l’exposition Vigée Le Brun aux
Galeries nationales du Grand Palais en novembre 2015)



La Paix ramenant l’Abondance – 1780
Huile sur toile, 103 x 133 cm
Musée du Louvre, Paris

Le morceau de réception était un exercice très codifié. Loin d’être libre, le choix de son sujet répondait à la « hiérarchie des genres », doctrine de l’Académie fondée sur l’existence d’une hiérarchie naturelle, de l’humain à l’inanimé, et sur la difficulté de la tâche de l’artiste. Cette hiérarchie, formulée par l’architecte et historiographe André Félibien (1619-1695) dans sa Préface aux Conférences de l’Académie (1667), place au sommet la peinture d’histoire qui représente des thèmes de l’histoire religieuse et antique ou encore des sujets mythologiques ; puis viennent le portrait, la scène de genre, le paysage, et enfin la nature morte. 

« En présentant une allégorie comme morceau d’admission, Vigée Le Brun fait donc un choix symbolique. Non seulement l’artiste entend démontrer son savoir alors qu’elle n’a pas pu suivre, en tant que femme, l’enseignement académique mais elle prouve aussi qu’elle peut égaler ses confrères masculins sur leur propre terrain. » (Notice de la base Joconde)


Les années qui précèdent la Révolution sont extrêmement productives, Elisabeth est à l’apogée de sa carrière. Difficile de montrer toutes ses œuvres alors j'ai choisi celles que je trouve les plus emblématiques, comme le Portrait de la baronne de Crussol ou Madame Vigée Le Brun et sa fille, que le public du Salon de 1787 reçoit avec tant de ferveur qu’il sera rapidement surnommé La Tendresse maternelle. Une image maternelle dont on a dit que l’attitude était inspirée des Vierges à l’Enfant de Raphaël (1483-1520).

 

Portrait de la baronne de Crussol - 1785
Huile sur panneau, 113,8 x 84 cm
Musée des Augustins, Toulouse

« La baronne de Crussol est ici portraiturée à mi-corps, de dos, son visage tourné vers le spectateur, et elle tient une partition où, avec un souci très poussé du détail, Elizabeth-Louise Vigée-Lebrun a reproduit le texte et les notes d'un opéra de Gluck : Echo et Narcisse, joué à Paris en 1797. Les références à la reine sont nombreuses dans cette toile : le fichu « à la Marie-Antoinette », qui éclaire le visage de la baronne, et le fait que Gluck était le musicien préféré de la reine, n'en sont que quelques exemples. La facture du vêtement, en soie rouge bordée de fourrure noire, de la dentelle de la manche et du fichu blanc, témoigne d'une parfaite maîtrise des jeux d'ombre et de lumière, qui font ressortir toute la richesse de la toilette. » (Notice de la base Joconde)


Madame Vigée-Le Brun et sa fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie 
(La Tendresse maternelle) – 1786
Huile sur bois, 105 x 84 cm
Musée du Louvre, Paris

« La tendresse naturelle, ce sentiment délicat, cette douce affection de l’âme, est rendue avec un art si admirable que le tableau peut être comparé à ce que les plus grands maîtres de l’école d’Italie ont produit de plus sublime. » (L’Année littéraire, 1787)


Il est aussi amusant de prendre un peu de recul pour évoquer la fortune postérieure de ces portraits. Ainsi, celui qui suit fut accroché quelques années dans le salon du couturier Jacques Doucet. On le sait grâce aux travaux d’Adrien Karbowsky qui en dessina pièce par pièce, cimaise par cimaise, le projet décoratif pour l’hôtel du 19 rue Spontini, dans lequel Jacques Doucet emménagea en 1907. Chaque œuvre est soigneusement représentée et identifiable. Ceci étant, bien que figurant au « salon des pastels », le portrait en question a bien été peint à l’huile… !


Madame Grand (Noël Catherine Vorlée, 1761-1835) – 1783
Huile sur toile, 92,1 x 72,4 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


Adrien Karbowsky (1855-1945)
Vue du salon des pastels, projet - 1907
Bibliothèque de l’INHA, Paris


Vue du salon des pastels de Jacques Doucet
Avec Madame Grand en haut, au centre
Bibliothèque de l’INHA, Paris


Mais revenons à Elisabeth.

En 1787, elle exécute son portrait le plus célèbre de Marie-Antoinette, tableau de propagande royale commandé par le comte d’Angivillers sur ordre de Louis XVI, pour réhabiliter l’image de la reine mise à mal par le scandale de l’affaire du Collier.

 

Marie-Antoinette et ses enfants - 1787
Huile sur toile - 275 x 216,5 cm
Musée National des Châteaux de Versailles et du Trianon

Ce qui ne l'empêche pas, la même année, de portraiturer une cantatrice en vogue qu’elle évoque en ces termes :

« J’arrive enfin à celle dont j’ai pu suivre toute la carrière dramatique, au talent le plus parfait que l’Opéra-Comique ait possédé, à madame Dugazon. Jamais on n’a porté sur la scène autant de vérité. Madame Dugazon avait un de ces talents de nature qui semblent ne rien devoir à l’étude. […] Noble, naïve, gracieuse, piquante, elle avait vingt physionomies, de même qu’elle faisait toujours entendre l’accent propre au personnage, et son chant n’annonçait aucune autre prétention. » (Ibid., lettre VIII, p.74)

La cantatrice, Louise-Rosalie Lefebvre, Madame Dugazon (1755-1821) – 1787
Huile sur toile, 31 x 40,3 cm
Collection particulière 

Et quel aplomb, cette Elisabeth ! Le 16 juillet 1788, trois ambassadeurs de Mysore, en Inde, arrivent à Paris, envoyé par leur souverain pour solliciter le soutien de Louis XVI pour chasser d’Inde les Anglais.

« J'ai vu ces Indiens à l'opéra et ils m'ont paru si remarquablement pittoresques que je voulus faire leurs portraits. Ayant communiqué mon désir à leur interprète, je sus qu'ils ne consentiraient jamais à se laisser si la demande ne venait pas du roi, et j’obtins cette faveur de Sa Majesté. Je me rendis à l’hôtel où ils habitaient, car ils voulaient être peints chez eux, avec de grandes toiles et des couleurs. […] le plus grand qui s’appelait Davich Khan [sic], me donna séance. Je le fis en pied, tenant son poignard. Les draperies, les mains, tout fut fait d’après lui, tant il se tenait avec complaisance. »

 

Muhammad Dervish Khan, Sultan de Mysore – 1788
Huile sur toile, 162,56 x 146 cm
Collection particulière (vente 2019)

« Lorsque le portrait de Davich Khan fut sec, je l’envoyais chercher ; mais il l’avait caché derrière son lit et ne voulait point le rendre, prétextant qu’il fallait une âme à ce portrait. Ce refus donna lieu à de forts jolis vers qui me furent adressés et que je copie ici : 

Je ne pus avoir mon tableau qu’en employant la supercherie ; et, lorsque l’ambassadeur ne le retrouva plus, il s’en prit à son valet de chambre qu’il voulait tuer. L’interprète eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre qu’on ne tuait pas les valets de chambre à Paris, et fut obligé de lui dire que le roi de France avait fait demander le portrait.  Ces deux tableaux ont été exposés au salon de 1789. Après la mort de M. Le Brun, qui s’était emparé de tous mes ouvrages, ils ont été vendus, et j’ignore qui les possède aujourd’hui. » (Ibid., lettre IV, pp. 41-43)

Au-delà de la peinture de mœurs, toujours instructive, voilà un portrait dont la mise en scène en contre-plongée ne manque pas d'effet. De la même année, je veux montrer aussi son portrait du peintre Hubert Robert (1733-1808), d’une puissance d’expression remarquable.  

« Il avait de l’esprit naturel, beaucoup d’instruction, sans aucune pédanterie, et l’intarissable gaîté de son caractère le rendait l’homme le plus aimable qu’on pût voir en société. » (Ibid., Portraits de plume, p.289)

 

Portrait d’Hubert Robert - 1788
Huile sur panneau, 105 x 84 cm
Musée du Louvre, Paris

Mais « L’affreuse année 1789 était commencée et la terreur s’emparait déjà de tous les esprits sages. […] mon parti était pris de quitter la France. Depuis de nombreuses années, j’avais le désir d’aller à Rome. Le grand nombre de portraits que je m’étais engagée à faire m’avait seul empêchée jusqu’alors d’exécuter mon projet ; […] d’ailleurs, des libelles affreux pleuvaient sur mes amis, sur mes connaissances, sur moi-même, hélas ! et quoique, grâce au ciel, je n’eusse jamais fait de mal à personne, je pensais un peu comme celui qui disait : « On m’accuse d’avoir pris les tours de Notre Dame ; elles sont encore en place ; mais je m’en vais, car il est clair que l’on m’en veut. […] il ne s’agissait plus de succès, de fortune ; il s’agissait simplement de sauver sa tête. » (Ibid., lettre XII, pp. 129-130)

Par chance, elle avait peint deux ans auparavant les portraits d’une femme qu’elle admirait, la marquise de Grollier et de son compagnon, le bailli de Crussol. La « somme de cent louis » qu’elle reçut en rémunération de la seconde toile lui fut versée directement en 1789, ce qui lui permit de la soustraire à la rapacité de son mari. Ce petit pécule lui permet de quitter la France.

 

 A gauche, Portrait d'Alexandre Charles Emmanuel de Crussol-Florensac
 Huile sur panneau, 89,9 x 64,8 cm 
   Metropolitan Museum of Art, New York

 A droite : Portrait de la marquise de Grollier – 1787
Huile sur panneau, 92 x 72 cm 
Collection particulière    

      

Autoportrait en costume de voyage - 1789
Pastel - 50 x 40 cm
Collection particulière

Elisabeth s’enfuit avec sa fille, le 5 octobre, le jour même où le roi et la reine « furent amenés de Versailles à Paris au milieu des piques ». Après Lyon, Chambéry, Turin, Parme, Modène et Bologne - et sans manquer d’aller admirer les chefs-d’œuvre des villes où elle fait étape - elle atteint Florence le 3 novembre.

« Le jour que j’allais visiter la galerie où se trouvent les portraits des peintres modernes peints par eux-mêmes, on me fit l’honneur de me demander le mien pour la ville de Florence et je promis de l’envoyer quand je serais arrivée à Rome. Je remarquai avec un certain orgueil dans cette galerie celui d’Angelica Kaufmann, une des gloires de notre sexe. »  (Ibid., Chapitre 1er, p.149) 

Elisabeth tiendra promesse en 1790 et son Artiste exécutant un portrait de la reine Marie-Antoinette rejoindra les autoportraits de Lavinia Fontana, Marietta Robusti, Rosalba Carrera et Angelica Kauffmann, ses illustres devancières. Certains auteurs sont un peu dubitatifs sur ce récit qu’ils considèrent comme peu crédible et pensent qu’Elisabeth a offert son tableau de son propre chef, espérant ainsi soigner sa postérité. C’est bien possible mais, dans cette hypothèse, elle n’a pas manqué d’habileté…

 

L’Artiste exécutant un portrait de la reine Marie-Antoinette - 1790 
Huile sur toile, 100 x 81 cm
Galleria degli Uffizi, Florence

Remarquons, au passage, qu’elle se représente en train de peindre une souveraine emportée dans la tourmente révolutionnaire, alors qu’elle-même en exil et qu’elle sait que ce tableau sera exposé à Florence. Expression de sa loyauté à l’égard de Marie-Antoinette qui l’a toujours protégée ou espoir que les évènements vont tourner en sa faveur ?

Le 1er décembre, elle arrive à Rome où elle est accueillie par M. Ménageot, le directeur de l’Académie de France, dont les pensionnaires lui offrent la palette du jeune Drouais (voir Catherine Lusurier).

En dépit de ses tracas de logements (« je suis restée convaincue que la chose la plus difficile à faire à Rome est de s’y loger »), elle se remet immédiatement à peindre, sans négliger les visites aux Illustres, vivants comme disparus, qu’elle raconte avec une déconcertante franchise : « je ne sais s’il faut dire que l’on voit dans l’église de la Victoire de Sainte-Marie, la fameuse Sainte-Thérèse du Bernin dont l’expression scandaleuse ne se peut décrire. »

« J’ai été voir Angelica Kaufmann, que j’avais un extrême désir de connaître. Je l’ai trouvée bien intéressante, à part son beau talent, par son esprit et ses connaissances. […] Sa conversation est douce ; elle a prodigieusement d’instruction, mais aucun enthousiasme, ce qui, vu mon peu de savoir, ne m’a point électrisée. » (Ibid., Chapitre II, pp. 157 et 166)

Après avoir refusé de peindre le Pape car « il fallait que je fusse voilée pour peindre le Saint Père », atrocement souffert du bruit et abondamment gourmandé son domestique qui se vengeait en allant dire aux passants « n’allez pas près de madame, cela l’empêche de penser », elle part pour Naples où elle rencontre Talleyrand et Lady Hamilton qu’elle peint en Ariane et en Sibylle.

Elle s’émerveille du site, du Vésuve et du musée de Portici, exécute un nombre faramineux de portraits, dont celui de la reine de Naples, sœur de Marie-Antoinette, puis rentre à Rome pour revoir son cher Raphaël (qu’on ne peut tout à fait juger « qu’à Rome, sous le soleil de l’Italie ») dont elle tient à préserver la mémoire : « Quoi ! ce talent si pur, si suave, aurait été chercher ses inspirations dans les mauvais lieux ! De bonne foi, cela peut-il se croire ? » et finalement repart, le 14 avril 1792, pour Florence, Sienne, Parme et Mantoue.

C’est un périple sans fin, rythmé par l’exécution des portraits qui lui permettent de vivre et dont la présentation sert sa renommée et assure sa clientèle. Ainsi, trimballe-t-elle sa Sibylle pendant tout le reste de son voyage et la montre-t-elle, dès qu’elle le peut.

 

Lady Hamilton en Sibylle de Cumes – 1792
Huile sur toile, 73 x 57,2 cm
   Metropolitan Museum of Art, New York

« Elle manquait de tournure et s’habillait très mal, dès qu’il s’agissait de faire une toilette vulgaire. Je me souviens que lorsque je fis mon premier portrait d’elle en sibylle, elle habitait à Caserte une maison que le chevalier Hamilton avait louée ; je m’y rendais tous les jours, désirant avancer cet ouvrage. La duchesse de Fleury et la princesse Joseph de Monaco assistaient à la troisième séance, qui fut la dernière. J’avais coiffé Mlle Hart (elle n’était pas encore mariée) avec un châle tourné autour de sa tête en forme de turban dont un bout tombait et faisait draperie. Cette coiffure l’embellissait au point que ces dames la trouvaient ravissante. » (Ibid., Chapitre V, p.197/198)

Elle arrive à Venise la veille de l’Ascension (mi-mai 1792), rencontre Vivant Denon, qui prête un mur de sa demeure pour exposer la Sybille, laquelle rencontre un vif succès. Elle s’enthousiasme de toutes ses découvertes « les églises, qui sont remplies des plus beaux ouvrages du Tintoret, de Paul Véronèse, des Bassan et du Titien », visite le cimetière où elle se retrouve enfermée et manque de passer la nuit… puis c’est Padoue, Vérone, Turin où affluent des foules de réfugiés. « Je n’osais qu’en tremblant demander des nouvelles de ma mère, de mon frère, de M. Le Brun et de tous mes amis. »  (Ibid., Chapitre X, p.261)

Abandonnant son projet initial de retour en France, elle part pour Milan où l’ambassadeur d’Autriche la persuade de se rendre à Vienne. Elle va visiter le lac Majeur, où elle loge à l’Isola Bella à laquelle elle ne trouve « rien de pittoresque » puis en traversant le Tyrol, rejoint Vienne, « où il y a trois causes de mort, le vent, la poussière et la valse ». Elle y retrouve « beaucoup d’immigrés de notre pauvre France » et y restera deux ans et demi.

 

Anna Flora von Kaguenek en Flore - 1792
Huile sur toile, 75 x 45 cm
Fondation Bemberg, Toulouse

« Je m’établis dans un logement à ma convenance et j’y fis aussitôt le portrait de la fille de l’ambassadeur d’Espagne, mademoiselle de Kaguenek, qui était âgée de seize ans et très-jolie, ainsi que ceux du baron et de la baronne de Strogonoff. Ma Sybille, que l’on venait en foule voir chez moi, ne contribua pas peu, j’imagine à décider beaucoup de personnes à me demander de les peindre ; car j’ai beaucoup travaillé à Vienne. Il me serait difficile d’exprimer toute la reconnaissance que je conserve du bon accueil que j’ai reçu dans cette ville. Non-seulement les Viennois ont témoigné de l’affection à la personne, mais ils ont encore mis de la coquetterie à placer mes tableaux d’une manière qui leur fût favorable. »  (Ibid, Chapitre XII, p. 282). 

Comme elle l’indique dans sa liste de Tableaux et portraits, en fin d’ouvrage, c’est aussi à Vienne qu’elle exécute ce portrait de la princesse Sapieha (Ibid., Tableaux et portraits, p.369).


Portrait de Pelagia Sapieha, née Potocha - 1794 
Huile sur toile, 139 x 100 cm
Château royal, Varsovie


Elle visite le musée impérial, se plait aux promenades sur le Prater, est invitée au bal de la cour et, « dans une campagne proche de Vienne », retrouve Madame de Polignac qui succombera en 1793, après avoir appris la nouvelle de la mort de la reine.

Mais l’ambassadeur de Russie la presse de venir à Saint Pétersbourg.

Elle part le 19 avril 1795 pour Prague où elle arrive le 23, puis Dresde et Berlin où elle ne reste que 5 jours car elle est pressée d’arriver. Königsberg, Riga et enfin St Pétersbourg, le 25 juillet 1795.

Elle est présentée dès le lendemain à l’impératrice Catherine II, dont elle oublie de baiser la main et qui ne lui tient pas rigueur de sa tenue de voyage. A nouveau, elle s’attelle à de nombreux portraits, à commencer par ceux de la famille impériale.


Les grandes-duchesses Alexandra Pavlovna et Elena Pavlovna, filles de Paul 1er – 1796
Huile sur toile, 99 x 99 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

 

Portrait de la grande duchesse Elisabeth Alexeievna – 1795
Huile sur toile, 80 x 65,5 cm
Musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg

« Dès que j’eus fini les portraits des jeunes grandes-duchesses, l’impératrice me commanda celui de la grande-duchesse Elisabeth, mariée depuis peu à Alexandre. J’ai déjà dit quelle ravissante personne était cette princesse. Quand j’eus fini son grand portrait, elle m’en fit faire encore un autre pour sa mère, dans lequel je la peignis avec un châle violet, transparent, appuyée sur un coussin. » (Ibid. Chapitre XVII, p.333/334)

Portrait du prince Baryatinsky – vers 1795
Pastel, 49 x 40 cm
Musée Pouchkine, Moscou

Trois autres portraits peints à Saint Pétersbourg, selon la liste établie par Elisabeth elle-même, à la fin de ses Souvenirs :

 

Portrait de E. I. Golenischeva-Koutouzova – 1797
Huile sur toile, 80 x 67 cm
Musée Pouchkine, Moscou



Portrait de la comtesse Golovina – 1797-1800
Huile sur toile, 83,5 x 66,7 cm
Barber Institute of Fine Arts, Birmingham





Portrait d’Alexandra Grigoryevna Kozitskaya – 1795/1797
Huile sur toile, 76,5 x 65,5 cm
Collection particulière (vente 2022)


La vie à Saint Pétersbourg est bien douce aux yeux d’Elisabeth, invitée par tout ce qui compte dans la ville :

« Tous les soirs j’allais dans le monde. Non seulement les bals, les concerts, les spectacles, étaient fréquents mais je me plaisais dans ces réunions journalières, où je retrouvais toute l’urbanité, toute la grâce d’un cercle français ; car, pour me servir de l’expression de la princesse Dolgoruki, il semble que le bon goût ait sauté à pieds joints de Paris à Saint-Pétersbourg. » (Ibid., Chapitre XVIII, p. 353)

En Russie comme en France, Elisabeth ne déborde pas d’empathie pour le « peuple » et si elle est parfois surprise, ce n’est que par la différence des coutumes :

« Une chose tout à fait surprenante, c’est le peu d’impression que semble faire une aussi rigoureuse température sur les gens du peuple. Bien loin que leur santé en souffre, on a remarqué que c’est en Russie qu’il existe le plus de centenaires. A Saint-Pétersbourg comme à Moscou, les grands seigneurs et toutes les notabilités de l’empire vont à six et à huit chevaux ; leurs postillons sont des petits garçons de huit à dix ans, qui mènent avec une adresse et une dextérité surprenante. On en met deux pour conduire huit chevaux, et c’est une chose curieuses de voir ses petits bonhommes, vêtus assez légèrement ; et quelque fois même leur chemise ouverte sur leur poitrine, rester gaiement exposés à un froid qui bien certainement ferait périr en peu d’heures un grenadier français ou prussien. » (Ibid., Tome 2, Chapitre XVIII, p.344)

« Toutes les dames russes avaient à la porte de leur salon un homme en grande livrée, qui restait toujours là, pour ouvrir aux visites ; car je crois avoir remarqué qu’à cette époque l’usage n’était pas de les annoncer. Mais ce qui m’a paru plus étrange, c’est de voir quelques-unes de ces dames faire coucher une femme esclave sous leur lit. » (Ibid., Tome 2, Chapitre XVIII, p.353)

La mort de Catherine II change cependant l’atmosphère : « car non seulement on adorait Catherine mais on avait une affreuse peur du règne de Paul ! » Il monte sur le trône le 12 octobre 1796.

« Paul avait beaucoup d’esprit, d’instruction et d’activités ; mais la bizarrerie de son caractère allait jusqu’à la folie. » […] « La plus légère infraction aux ordres de Paul était punie d’exil en Sibérie, ou pour le moins de la prison. » […] « Il serait trop long de raconter sur combien de choses futiles Paul exerçait sa tyrannie. Il avait ordonné, par exemple, que tout le monde saluât son château, même lorsqu’il en était absent. »  (Ibid., Tome 2, Chapitre XX, pp 22 à 25)

Elle rencontre le roi de Pologne qu’elle vire sans ménagement de son atelier, un jour où elle finissait un portrait, ce dont il l’absoudra car il était « aimable et bon, fort brave, mais peut-être manquait-il de l’énergie nécessaire pour contenir l’esprit de rébellion qui régnait dans ses Etats » ! (Ibid., Tome 2, Chapitre XXII, p.40)

 

Stanislas-Auguste Poniatowski, roi de Pologne (1732-1798) – 1797
Huile sur toile, 83 x 74 cm
Musée du Louvre, Paris
Présenté au Salon de 1802 sous le titre « Portrait du dernier roi de Pologne, mort à Saint-Pétersbourg »

« Le premier portrait que j’ai fait de cet aimable prince, je l’ai gardé pour moi » 

Comme partout, son talent est salué : « Un des souvenirs les plus doux que j’aie rapporté de mes voyages est celui de ma réception comme membre de l’Académie de Saint-Pétersbourg. […] Je m’étais fait faire l’uniforme de l’Académie, un habit d’amazone, petite veste violette, jupe jaune, chapeau et plume noirs. » […] « Je fis aussitôt mon portrait pour l’Académie de Saint-Pétersbourg ; je m’y représentai peignant, et ma palette à la main. »  (Ibid., Tome 2, Chapitre XXIII, pp.46, 47)

 

Autoportrait – 1798
Huile sur toile, 78,5 x 68 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg


« En m’arrêtant à ces agréables souvenirs de la ma vie, j’essaie de reculer l’instant où je dois enfin parler des chagrins […] Ma fille avait atteint l’âge de dix-sept ans. Elle était charmante sous tous les rapports. […] Une grâce naturelle régnait dans toute sa personne, quoiqu’il y eût dans ses manières autant de vivacité que dans son esprit. » (Ibid., Tome 2, Chapitre XXIII, p. 47)


Julie en Flore – 1799
Huile sur toile
Museum of Fine Art, Saint Petersburg, Floride

Julie s’est entichée d’un certain Nigris, secrétaire du comte Czernicheff, « assez bien de visage et de taille » mais sans fortune. La famille du jeune homme intrigue pour conclure le mariage, ce qui déplaît fort à Elisabeth, d’autant que Le Brun, à Paris, envisageait de la marier au peintre Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833) « dont le succès en peinture faisait alors un bruit qui était arrivé jusqu’à moi ».

Sa fille étant tombée malade de dépit, Elisabeth cède car « n’ayant que cette chère enfant, nous devions tout sacrifier à son désir et à son bonheur. » Les relations entre les deux femmes se tendent sévèrement et, malgré le mariage et le soin qu’Elisabeth prend de sa fille lorsque celle-ci est frappée par la petite vérole, ne se rétabliront jamais.

C’est assez triste mais pas désemparée pour autant, qu’Elisabeth partira pour Moscou en octobre 1800. Elle en revient le 12 mars 1801 et apprend en chemin la mort de Paul 1er

La séquence russe se termine. Seule et malade, Elisabeth quitte Saint-Pétersbourg pour se rendre à Berlin, fin juillet 1801.

 

Louise de Mecklembourg-Strelitz, reine de Prusse – 1802
Huile sur toile, 100 x 83 cm
Château de Hohenzollern, Allemagne

« La reine de Prusse, qui n’était pas à Berlin, eut la bonté de me faire dire d’aller la retrouver à Postdam où elle désirait que je fisse son portrait. Je partis ; mais ici ma plume est impuissante pour peindre l’impression que j’éprouvai la première fois que je vis la princesse. Le charme de son céleste visage, qui exprimait la bienveillance, la bonté, et dont les traits étaient si réguliers et si fins ; la beauté de sa taille, de son cou, de ses bras, l’éblouissante fraîcheur de son teint, tout enfin surpassait en elle ce qu’on peut imaginer de plus ravissant. » (Ibid. Tome 2, Chapitre XXVI, p. 91)

Dès son arrivée, Elisabeth va s’assurer auprès de l’ambassadeur de France qu’elle avait bien été rayée de la liste des émigrés et rétablie en sa qualité de Française. Peu de jour avant son départ de Berlin, le directeur de l’Académie de peinture vient lui apporter lui-même son diplôme de réception à cette Académie, « marque de bienveillance de la cour de Prusse », comme Elisabeth le note elle-même.

Elisabeth quitte Berlin pour Dresde en septembre, passe par Weimar, puis Frankfort et arrive à Paris. Son mari lui avait fait arranger sa chambre et « quoique M. Le Brun m’ait certes fait payer cela bien cher, je n’en fus pas moins sensible aux soins qu’il avait pris pour me rendre mon habitation agréable. »

Ses premières visites sont pour ses « bonnes et chères amies », dont la marquise de Grollier, mais elle ne néglige pas la famille impériale « Lucien surtout regarda avec une attention toute particulière ma Sibylle dont il me fit mille éloges. » Les affaires sont les affaires !

Mais Elisabeth n’est pas satisfaite de Paris qu’elle n’aime plus. La voilà repartie, pour Londres cette fois, dès le mois d’avril de l’année suivante. Partie pour quatre ou cinq mois, elle y reste trois ans, retenue « non seulement par [ses] intérêts de fortune comme peintre mais encore par la bienveillance qu’on [lui] témoignait ». 


Arabella Diana Cope, Duchess of Dorset – 1803
Huile sur toile, 81,5 x 66,5 cm
UK National Trust, Knole, Sevenoaks, Kent

Elle ne rentre à Paris que parce qu’elle a appris que sa fille y était revenue (1805). Son mari, chargé d’une mission à Paris par le prince Narischkin, repartira seul après quelques mois, « car l’amour, hélas, avait fui depuis longtemps. »

La vie parisienne reprend… et les ennuis recommencent :

« [Bonaparte] m’envoya M. Denon me commander de sa part le portrait de sa sœur, madame Murat. Je ne crus pas devoir refuser, quoique ce portrait ne me fût payé que dix-huit cents francs, c’est-à-dire moins de la moitié que ce que je prenais habituellement pour des portraits de cette grandeur. Cette somme fut d’autant plus modique que, pour me satisfaire dans la composition du tableau, je peignis à côté de madame Murat sa petite fille qui était fort jolie et cela gratuitement. »

 

Portrait de Caroline Bonaparte, reine de Naples et sa fille, Laetitia-Joséphine Murat – 1807
Huile sur toile, 216,5 x 143,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon

Les séances de pose se passent mal : la dame change constamment de coiffure et de toilette pour suivre la mode et manque sans cesse des rendez-vous.  « Un jour, comme elle se trouvait dans mon atelier, je dis à M. Denon, assez haut pour qu’elle pût m’entendre : ‘’J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre.’’ […] Délivrée des tracas que m’avait donné le portrait de madame Murat, je repris le train de vie paisible […] mais mon goût pour les voyages n’était point encore satisfait. […] 

Je n’avais point vu la Suisse […] je partis en 1808 pour aller courir les montagnes. »  (Ibid. Tome II, chapitre XXXII, pp. 171 et 172). Elle en rapporte des pastels, , à la touche tout à fait nouvelle, très différente de celle de ses portraits. 


Le Dôme du Mont-Blanc et l'Aiguille du Gouté, près de la Vallée de Chamonix - 1808 / 1809
Pastel sur papier, 50,5 x 67,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Chambéry


Vue du lac de Zurich – 1808/1810
Pastel sur papier, 18 x 23 cm
Collection particulière (vente 2019)

A son retour de Suisse, après la mort de Le Brun en 1813, elle acquiert une maison de campagne à Louveciennes, « l’un des plus charmants environs de Paris. » C’est là que, le 31 mars 1814, elle assiste impuissante au sac de sa chambre à coucher par trois soldats prussiens, ce qui la convainc, après quelques journées éprouvantes, de rejoindre Paris.

Elle aura la satisfaction d’y voir, le 12 avril, le comte d’Artois entrer dans la capitale, suivi quinze jours plus tard par Louis XVIII lui-même. Pour Elisabeth, la Restauration est retrouvaille : « la plupart des personnes qui revenaient avec nos princes étaient ou mes amis ou mes connaissances » et « Louis XVIII était bien le monarque qui convenait à l’époque […] il se plaisait à protéger les arts et les lettres, qu’il cultivait lui-même. » (Ibid. Tome II, Chapitre XXXIII, pp.222 et 225)

Elisabeth reprend sa vie mondaine et, en 1819, le duc de Berri forme le souhait de lui acheter sa fameuse Sibylle, l’œuvre à laquelle elle tenait le plus. Elle la lui vend, donc, et exécute ensuite deux portraits de la duchesse de Berry, l’un dans « une robe de velours rouge », l’autre avec « une robe de velours bleu », lesquels, à mon humble avis, ne sont clairement pas ses meilleures toiles…

La même année, Elisabeth perd sa fille, Julie, qui meurt brutalement en décembre, puis son frère, en août 1820.

Elisabeth, « livrée à une si grande tristesse », se laisse convaincre de partir pour Bordeaux, non sans visiter toutes les villes et châteaux situés sur son trajet. C’est peut-être lors de ce voyage qu’elle réalise ce pastel.


Paysage montagneux avec fleuve, vers 1820
Pastel sur papier - 23 x 27,5 cm
Fine Arts Museums, San Francisco, Californie

A Bordeaux, elle s’installe à l’hôtel Fumel, face au port, et trouve que « le plaisir que je prenais de ma fenêtre valait seul la peine de faire le voyage ». Ce sera le dernier.

Elisabeth s’est éteinte à 87 ans, entourée de ses deux nièces, Eugénie Le Brun et Madame de Rivière, qui étaient « devenues [ses] enfants ».


*

 

Une rétrospective française consacrée à Élisabeth Louise Vigée-Le Brun a été présentée en 2015-2016 au Grand Palais à Paris, au Metropolitan Museum of Art de New-York et au Musée des Beaux-Arts d’Ottawa. A cette occasion, ses Souvenirs ont fait l’objet d’une réédition mais on les trouve aussi en accès libre sur le net.

Je ne saurais trop encourager les admirateurs d’Elisabeth à s’y plonger. Naturellement, il faut les lire en se souvenant qu’elle les a rédigés (ou supervisés car il peut s’agir d’un ouvrage collectif) à plus de quatre-vingts ans et principalement dans le but de servir sa postérité.

Mais comme elle a bien fait !

C’est justement grâce à ces Souvenirs que son œuvre est resté dans les mémoires, alors que d’autres peintres de talent, comme Anne Vallayer Coster, Adélaïde Labille Guiard ou Marguerite Gérard sont encore méconnues aujourd’hui. Sans illusions, elle s’en doutait parfaitement puisqu’elle choisit de mettre en exergue de l’ouvrage la citation de J.J. Rousseau :

« En écrivant mes Souvenirs, je me rappellerai le temps passé, qui doublera pour ainsi dire mon existence. »

…et servira aussi la gloire de celle qui se déclare : « De l’Académie Royale de Paris, de Rouen, de Saint-Luc de Rome et d’Arcadie, de Parme et de Bologne, de Saint Pétersbourg, de Berlin, de Genève et Avignon », en oubliant l’Académie Saint-Luc de Paris, certes dissoute mais probablement insuffisamment distinguée pour la célèbre artiste qu’elle était devenue…

Elisabeth n’était révolutionnaire ni artistiquement, ni politiquement, elle ne l’a pas caché.

Elle était nerveuse, hypersensible au bruit et angoissée par la pauvreté. Mais elle avait aussi des qualités : une endurance de battante, une détermination sans faille et une vive intelligence des situations qui lui ont permis non seulement de survivre dans une période d’une extrême violence mais aussi de conduire une brillante carrière et de vivre de son art.

J’ai même cru déceler, fugacement, dans son récit une (petite) capacité d’auto-dérision qui la rend sympathique, au bout du compte !


Le reste n’a plus aucune importance, au regard de l’œuvre qu’elle a laissé.


Portrait de Marie Gabrielle de Gramont, Comtesse de Caderousse- 1784
Huile sur panneau de chêne, 105,1 x 75,9 cm
Nelson-Atkins Museum, Kansas City



Madame Molé-Reymond de la Comédie italienne (1759-1833) – 1786
Huile sur bois, 104 x 76 cm
Musée du Louvre, Paris


Portrait de la duchesse d’Orléans - 1789
Banque de France, Paris
En dépôt au Musée d’Art Roger Quillot, Clermont-Ferrand


Portrait de femme (Léontine de Rivière ?) – 1835
Huile sur toile, 80 x 65 cm
Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg






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