Marie-Gabrielle
Capet est née le 6 septembre 1761 à Lyon. Elle était la fille de
Marie Blanc, servante et de Henry Capet, domestique. On ne sait quelle a été
son enfance, ni pourquoi elle s’est rendue à Paris à l’âge de 20 ans, ni comment
elle a rencontré Adélaïde Labille-Guiard dont elle est devenue l’élève.
Henri Bouchot, auteur d’un traité sur la miniature française en 1910, a formulé l’hypothèse que Marie-Gabrielle aurait reçu une première formation à l’École de dessin de Lyon, puis qu’on l’aurait envoyée à Paris chez sa marraine, concierge dans une prison de la capitale, et que ce serait elle qui, grâce à ses relations, l’aurait confiée à Adélaïde Labille-Guiard.
Gabrielle (c’est ainsi qu’on l’appelait et je vais adopter ce diminutif) est hébergée au 139 de la rue Richelieu, chez son professeur qui s’est séparée de son mari, Nicolas Guiard, tout en gardant son patronyme accolé au sien.
La carrière d’Adélaïde Labille-Guiard prend son essor après sa réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture, le 30 mai 1783. Elle prend cependant le temps d’assurer, dans son atelier, l’enseignement artistique d’une dizaine de jeunes filles, dont Gabrielle qui sera représentée avec une de ses condisciples, Marie-Marguerite Carraux de Rosemond (1765-1788) dans le fameux Autoportrait aux deux élèves (1785) (voir la notice d’Adélaïde).
Il faut dire que Gabrielle est prometteuse : elle présente pour la première fois, le 9 juin 1781, un dessin aux trois crayons au Salon de la Jeunesse et, deux ans plus tard, seulement, L’artiste occupée à dessiner. Lors de la première publication de la présente notice, j’avais montré l’Autoportrait daté de 1783 qui est conservé au musée national d’Art occidental de Tokyo où il est présenté comme de sa main. J’ai lu depuis que les historiens de l’art considèrent que ce n’est pas exact, ce qui n’a rien d’étonnant car il est sensiblement plus abouti que celui de 1784 et qui figure ci-dessus.
Voici
ce qu’un chroniqueur du Journal de Paris dit de cet Autoportrait de 1783 :
« [Dans
le portrait :] Les Demoiselles sont les Artistes qui se sont les plus
distinguées dans ce genre. Mlle Capet paroît plus forte que ses Rivales. Le
portrait de la Demoiselle qui dessine est agréablement posé. Les ajustements
pourroient être terminés avec plus de soin & le fond traité avec plus
d’adresse, pour faire valoir la figure. »
Et d’autres encore : « Messieurs, … parmi les tableaux qui décoraient hier cette place, le public a vu avec le plus grand plaisir les ouvrages des élèves de Madame Guyard. Mlle Capet, qui a réuni en sa faveur tous les suffrages, et ses compagnes, moins avancées qu’elle, n’en ont pas moins droit à nos éloges. Ces Demoiselles au nombre de neuf, toutes jolies et aimables [!], forment entre elles un assemblage des neuf muses au berceau dont Madame Guyard est l’institutrice. Cette dame de l’Académie royale de peinture et de sculpture est recommandable par son mérite particulier et par celui qu’elle communique. » (Anon, Aux auteurs du Journal de Paris, 3.VI.1783, cité par Neil Jeffares in Dictionary of pastellists before 1800)
Elle peint la même année un Portrait d’homme, aujourd’hui non localisé mais dont il reste une description succincte dans un ouvrage numérisé et consultable en ligne : Gabrielle Capet, une artiste oubliée par le comte Arnauld Doria, Les Beaux-Arts, Paris, 1921.
Dès
l’année suivante, Gabrielle présente un nouvel autoportrait, cette fois palette
dans une main et pinceau dans l’autre. Comme le dit Arnauld Doria, « notre
jeune artiste porte une toilette qui n’est pas sans recherche. Un chapeau à
larges bords, une robe de taffetas couleur gorge de pigeon, ce fichu de gaze
blanche qui voile un corsage plein de promesse, ces bijoux, quelle curieuse
tenue de travail ! » (Doria, op.cit., p.11).
On ne suivra pas monsieur le comte dans ses sous-entendu mais on lui est quand même reconnaissant de cette description qui permet de mieux apprécier le tableau, aujourd’hui non localisé, qui figure en exergue ci-dessus.
L’exposition (ou Salon) de la Jeunesse avait lieu en plein air, tous les ans depuis 1722, le jour de la grande Fête-Dieu, place Dauphine et sur le Pont-Neuf, de six heures du matin à midi. S’il pleuvait, la manifestation était reportée à la petite Fête-Dieu de la semaine suivante et, s’il pleuvait encore, à l’année suivante. Les peintres encore élèves pouvaient accrocher leurs œuvres aux tapisseries tendues sur le passage de la procession. Cela leur permettait de se faire connaître et de rencontrer un éventuel mécène. |
Reproduit dans Gabrielle Capet, une artiste oubliée (op.cit., p.12)
On imagine la vie dans l’atelier-maison d’Adélaïde grâce à ces deux dessins de François-André Vincent, réalisés quelques années plus tard.
A partir de 1785, les œuvres de Gabrielle sont présentées au Salon de la Correspondance : deux portraits à l’huile représentant l’un le marquis de Vauborel dans une tenue blanche de brigadier des armées du roi, l’autre un officier en uniforme bleu. Dans ses commentaires du Salon, Pahin faisait observer que si Mlle Capet faisait chez lui ses débuts « ses talents n’en étaient pas moins connus des amateurs, malgré sa modestie » et que ses portraits d’officiers sont « remarquables par une bonne couleur, un pinceau ferme, des étoffes bien rendues et de l’intelligence dans la distribution des lumières. » (Doria, op.cit. p. 16)
En 1786, l’envoi unique de Gabrielle au Salon de la Correspondance, encore un officier mais cette fois lisant une lettre, le bras gauche appuyé sur le dos d’un fauteuil, lui vaut un article très élogieux de Pahin de la Blancherie.
Le « Salon » du Louvre étant réservé aux membres de l’Académie royale, l’Académie Saint-Luc de Paris avait reçu en 1705 l’autorisation d’organiser son propre salon, auquel les peintres non académiciens, y compris les femmes, avaient accès. Mais l’Académie de Saint-Luc ayant été supprimée par l’Edit de Turgot, en 1776, comme toutes les « communautés de métier », les peintres se sont brutalement trouvés sans lieu d’exposition. La même année, un membre de la noblesse de robe, le sieur Pahin de La Blancherie (1752-1811) qui se parait du titre « d’agent général de la correspondance pour les sciences et les arts », crée un cercle proposant des conférences littéraires et scientifiques, des lectures publiques, et des expositions hebdomadaires d’artistes morts ou encore débutants, en quête de notoriété. Il rendait compte de ses travaux dans une brochure hebdomadaire, intitulée Nouvelles de la République des Lettres et des Arts, comportant une rubrique intitulée « Salon de la Correspondance » où figuraient des commentaires sur les œuvres exposées et des appréciations sur les artistes. Ce salon a fonctionné jusqu’en 1788, rue de Tournon puis rue Saint-André-des-Arts, à Paris. |
A l’atelier, Marie-Gabrielle assiste Adélaïde dans son travail mais elle peut aussi réaliser ses propres commandes.
Sa qualité d’élève d’Adélaïde Labille-Guiard n’est sans doute pas étrangère au développement de sa clientèle mais les portraits au pastel qu’elle réalise à cette époque, où elle a l’habileté de fondre vêtements et fonds dans la même dominante afin que le visage capte toute l’attention du spectateur, font déjà preuve d’un métier assuré. Quant au style, il est encore très proche de celui de son professeur, Adélaïde.
Les
critiques apprécient et elle commence à être connue en tant que
portraitiste.
Elle se forme également à la peinture sur ivoire et y réussit avec brio.
Gabrielle utilisait des feuilles d’ivoire d’environ un ½ cm d’épaisseur
qu’elle ponçait afin d’en éliminer les imperfections. Ce support avait été
introduit en France par le Suédois Pierre-Adolphe
Hall (1739-1793) une vingtaine d’années auparavant. Il
était prisé pour le rendu des peaux claires.
Doria pense que, dans les années 1787, Gabrielle accompagna Adélaïde à Versailles quand Mme Elisabeth, sœur de Louis XVI, posera pour elle, puis dans sa préparation des grands portraits de Mesdames. La miniature ci-dessous date peut-être de cette période, ainsi que les deux dessins reproduits par le graveur Simon Charles Miger.
Si cette autre miniature représente bien Mme Elisabeth, comme le pensait Doria, elle devrait probablement dater de la même époque, soit juste avant la Révolution, ce qui serait assez probable. Le Louvre est plus imprécis.
N.B : Ce charmant autoportrait n’est signalé dans aucun autre des documents que j’ai pu lire mais … je n'ai pas tout lu !
Au Salon 1791, on s’en souvient, Adélaïde Labille-Guiard expose les portraits de 14 députés. Gabrielle, qui peut pour la première fois profiter des cimaises autrefois interdites aux non-académiciens, va montrer un nombre important des miniatures où elle excelle et qui lui assureront une clientèle jusqu’à la fin de sa carrière. Mais hélas, on ne sait pas lesquelles, le livret ne les ayant pas détaillées.
Y figure peut-être ce portrait identifié comme celui d’Adélaïde et que
Doria date de la fin de l’Ancien régime.
« Toque de gaze
blanche avec plume blanche, légèrement teintée de bleu sur cheveux poudrés,
yeux bleus, corsage de satin bleu clair et fichu de gaze blanche. Chaise en
acajou recouverte d’étoffe jaune. »
Pastel - 82 x 62,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Orléans
En 1792, Gabrielle qui n’a pas froid aux yeux, peint une miniature du petit Louis XVII dans un jardin.
La signification du tableau est attestée par la présence d’armoiries entourées du collier de l’ordre du Saint-Esprit suspendues à l’arbre et présentant trois fleurs de lys. Doria pense que la composition a été exécutée peu de temps après l’entrée du dauphin au Temple et non d’après nature.
Selon Doria qui le décrit très précisément, ce portrait est signé et daté en bas à droite (Capet l’an 2 de la Liberté) et serait celui de Gabrielle elle-même. Il daterait donc de 1794. « Le musée du Louvre conserve cette ravissante miniature, qui nous montre une Capet toujours fine, élégante et jolie malgré la dureté du temps »
La terreur contraint Adélaïde et François-André Vincent, son compagnon qu’elle épousera en 1800, à se retirer dans la maison dont ils ont la jouissance à Pontault-en-Brie. Gabrielle et Marie-Victoire d’Avril, une autre élève d’Adélaïde, les y accompagnent. Les exécutions sommaires (dont la propre sœur de François-André Vincent) se multiplient jusqu’en 1794.
C’est vers 1794/95 que les miniatures de Gabrielle, précédemment réalisées sur fond uni, se parent de paysages champêtres en arrière-plan.
En
1795, Adélaïde s’installe, avec Marie-Gabrielle, dans un logement d’artiste au
Louvre où François-André Vincent viendra les rejoindre après son mariage avec
Adélaïde. La scène artistique parisienne
est évidemment bouleversée. Les deux peintres développent une nouvelle
clientèle dans la classe politique qui émerge de la Révolution, avocats,
savants, artistes et comédiens.
L’année 1795 peut être considérée pour Gabrielle comme le début d’une période d’activité intense et de succès. L’enseignement de Vien, favorable au retour à l’Antique, est développé par François Vincent et surtout Jacques-Louis David qui fait évoluer les canons esthétiques. Gabrielle va évoluer, elle aussi, même si ce n’est pas de façon drastique. Elle se met au goût de l’époque et traite ses portraits avec sobriété et naturel.
Voici ce qu’en dit Neil Jeffares (Neil Jeffares dans Dictionary of pastellists before 1800, consultable en ligne, traduction par mes soins) :
« Dans
sa meilleure période, elle a produit des images sophistiquées dans le style du
Consulat qui évoquent avec impatience le XIXe siècle plutôt que de se reposer
sur une tradition déclinante. Un éclairage caractéristiquement lumineux et
uniforme distingue ses pastels de ceux de Labille-Guiard. Comme les deux
artistes ont continué à travailler dans l’ère post-révolutionnaire, leurs
pastels ont été exécutés dans un format plus grand que précédemment, et ont
acquis une sobriété davidienne qui est souvent sévère, et, dans le cas de
Capet, parfois sèche. »
On le constate dans le portrait d’Elias et celui de l’avocat Barryer, peint deux ans plus tard.
Ce portrait, qui, selon Doria, porte la signature bien lisible de Gabrielle, était conservé en 1921 dans la salle du Conseil de l’ordre des avocats, au Palais de Justice de Paris. Il était pourtant catalogué « Ecole française du XVIIIe siècle ». Je ne sais pas s’il s’y trouve encore…
A
partir de 1798 et pendant seize ans, Gabrielle sera une fidèle exposante aux Salons qui ont lieu tous les ans jusqu’en 1802 puis une année sur deux, ensuite.
Il est difficile de savoir si certaines miniatures y ont été présentées car
elles sont toujours enregistrées de façon globale et sans description mais elles
sont régulièrement accompagnées de portraits au pastel ou à l’huile.
En 1799, elle envoie au Salon une miniature de la citoyenne D… tenant son enfant dans ses bras, un sujet proche de celui qui est présenté par Adélaïde la même année. Chaussard, qui commente les miniatures, invite le lecteur à « s’arrêter devant celui de la citoyenne Capet qui présente la touche la plus ferme ». Il s’agit peut-être de celle-ci :
Elle présente aussi un Portrait de Suvée au pastel, aujourd’hui perdu, et celui de Charles Meynier, considéré à l’époque comme une œuvre particulièrement remarquable.
En
1800, il est décidé de mettre en place un jury composé d’artistes
« chargés d’éloigner du Salon les productions indignes d’y avoir leur
place » et seuls les membres de l’ancienne Académie royale en sont
exemptés. Gabrielle, qui n’y présente que
des miniatures, sera admise à exposer. Elle y montre notamment un portrait de
Mlle Mars et celui du frère d’André Chénier.
Un contemporain trouve le portrait peu
ressemblant, un autre critique le teint blafard de l’actrice, l’une des gloires
du Théâtre Français…
« Un morceau exceptionnel pour la vigueur et la netteté de l’exécution… un document historique et iconographique de premier ordre » nous dit Doria.
« Elle porte un peigne rehaussé d’ornement en argent dans ses cheveux châtains., des pendants d’oreille en améthyste et, au cou, un collier de perles semblables ; robe blanche, ornée de nœuds de ruban lilas mauve aux manches, ceinture de même teinte à la taille. Elle arrose, à l’aide d’un vase de terre vernissée à décor pompéien, des pensées jaunes et des lilas mauves ; la main gauche, qui tient un linge blanc, s’appuie sur la table en bois jaune qui porte la jardinière. Fond verdâtre ; à droite, un piano forte ; […] sur le piano, partition commençant par ces mots : ‘’Pleyel XXI, Sonata I. Animato.’’ »
Gabrielle
peint le portrait de l'avocat parisien Jean-Pierre Demetz (1753-1820)1 en
deux techniques différentes, le pastel et la miniature. L'effigie grand format
a sans doute précédé le médaillon. Elle montre l'avocat exactement dans la même
pose, mais dans des vêtements de couleurs différentes : au pastel, il porte une redingote
verte sur un gilet à motifs ocres. Pour la miniature, les couleurs vert et ocre
ont cédé la place au noir et au gris, et le motif du gilet est devenu de larges
rayures verticales. Gabrielle a dépeint le modèle comme un homme calme et pondéré. Curieusement,
elle date le pastel « 1801 », tandis que la miniature est datée
« an 9 » (22 septembre 1800 – 22 septembre 1801) selon le calendrier
républicain.
Cette œuvre, qui avait été volée au musée de Caen dans les années
1920, est réapparue lors d’une vente à Drouot en 2012 et en a été retirée à la
demande du ministère de la Culture.
A l’occasion de la redécouverte de cette œuvre, le musée de Caen a organisé une exposition intitulée « Marie-Gabrielle Capet (1761-1818) - Une virtuose de la miniature » qui s’est tenue du 14 juin au 21 septembre 2014. Il semble que le tableau n’ait été restitué au musée que deux ans plus tard, en 2016…
En mars 1802, un décret ministériel impose la libération de tous les logements du Louvres. Les trois artistes emménagent alors de l’autre côté de la Seine, au Pavillon du Couchant, collège des Quatre-Nations.
Mais Adélaïde est victime d’une maladie foudroyante et meurt le 8 avril 1803.
Ce décès laisse Gabrielle un peu orpheline et François-André Vincent dévasté. Gabrielle reste auprès de lui pendant la décennie suivante.
Dans les critiques du Salon de 1806, elle apparaît à présent, aux yeux des critiques, comme « l’élève distinguée de Monsieur Vincent. » (Doria, op.cit., p. 35), alors même que, sur le livret du Salon, elle indique encore avoir été l’élève d’Adélaïde.
Deux ans plus tard, Gabrielle expose au Louvre une grande composition qui lui vaut de figurer sur la liste (prestigieuse) des peintures d’histoire. Elle est accompagnée du titre qui, a priori, a été rédigé par Gabrielle : Tableau représentant feu Madame Vincent (élève de son mari). Selon Doria, qui n’a toutefois pas le tableau sous les yeux lorsqu’il rédige son livre, c’est évidemment un hommage à Vien, alors âgé de quatre-vingts douze ans, peu de temps avant sa mort.
Doria, cite le Mercure de France de décembre 1808 : « La disposition est sage, y lisons-nous, la touche délicate, l’ensemble harmonieux ; et, si je juge de tous les portraits de ceux que je pouvais reconnaître, ils sont d’une grande ressemblance. »
La scène se passe dans l’atelier d’Adélaïde Labille-Guiard,
représentée devant le chevalet, pinceau à la main. Gabrielle se trouve assise à
sa droite, en blouse de peintre, en train de charger une palette.
Le mari d’Adélaïde, le peintre André-François Vincent, en habit d’académicien, est debout derrière elle et se penche sur son chevalet, dans l’attitude d’un professeur. Adélaïde est en train d’exécuter le portrait de l’ancien maître de Vincent, l’académicien devenu sénateur et comte d’Empire, Joseph-Marie Vien (1716-1809), en habit de cour, entouré des membres de sa famille et de quelques-uns de ses élèves : Pajou, Alaux, Etienne et Léon Palllière, Ansiaux, Mérimée, Thevenin, Meynier et Picot. Les personnages qui se trouvent derrière Vincent sont probablement ceux dont il était le plus proche, ses amis.
L’intitulé et la signification sous-jacente de ce tableau, considéré comme un hommage posthume de Gabrielle à celle qui lui avait tout appris, me laissent perplexe : la scène se déroule sous l’Empire. Or, si Adélaïde était bien encore « l’élève de son mari », lorsqu’elle réalisa le portrait de Vien en 1782 – juste avant d’être admise à l’Académie – elle ne l’était assurément plus vingt ans plus tard, sauf à considérer qu’une femme restait élève toute sa vie.
J’ai lu un article qui y voit un manifeste féministe, au motif que seules les deux « vraies artistes » portent des robes de travail et non des redingotes et tenues d’apparat… j’en prends acte mais, pour moi, au centre du tableau se trouve le geste de Vincent, profondément dévalorisant pour celle qui avait peint l’Autoportrait aux deux élèves, où elle assumait pleinement son propre rôle de professeur.
Gabrielle a reproduit ce tableau en le centrant sur les trois protagonistes importants pour elle, Adélaïde, André-François et elle-même, à moins qu'il ne s'agisse que d'une huile préparatoire, qui sait ?
Pour
Doria, le tableau important de ce Salon reste toutefois le Portrait du
graveur Miger, collègue de Vincent et beau-frère de sa propre sœur, dame
Griois.
« Miger, noble vieillard de soixante-dix ans, aux cheveux blancs, mais au visage encore jeune et coloré, nous apparaît assis dans son fauteuil, vêtu d’un habit de drap brun foncé à haut col, ouvrant sur un gilet blanc croisé. Capet a placé dans la main gauche du modèle un carton à dessin, recouvert d’un cuit fauve, d’où s’échappe une des plus belles planches de son édition de la Ménagerie du Muséum : une estampe, d’après un dessin de Maréchal, représentant un chameau. Miger se déclara pleinement satisfait du travail de Mlle Capet (…) et comme le graveur taquinait volontiers la muse et qu’il entourait Georgette Grandcher, sa fille unique, d’un amour très tendre, il inscrivit aussitôt ces vers au dos de la toile :
Que ce tableau, ma fille, a pour moi de
valeur !
Quand je ne serai plus, un jour, que dans
ton cœur,
Du pinceau de Capet, la savante magie,
A tes yeux doit me rendre une seconde vie.
(Doria, op. cit. p. 37)
En
1810, Gabrielle expose à nouveau plusieurs portraits au Salon, dont
probablement celui-ci, sur lequel Doria émet un avis enthousiaste :
Gabrielle
participe encore au Salon de 1814 mais nous n’avons plus trace des quatre
tableaux qu’elle y montre. On sait seulement que ces toiles ne lui
appartenaient pas et qu’elles avaient donc été préalablement vendues, ce qui
constitue un indice de la persistance de sa renommée.
Elle aurait peint sa dernière toile en 1815. Peut-être est-ce le portrait de Madame Demetz, présenté plus haut.
Après le décès de Vincent, en août 1816, elle s’installe seule au 16 rue de l’Abbaye où elle vit dans une grande solitude. Elle ne peint plus et s’affaiblit.
Marie-Gabrielle Capet est morte à 57 ans, le 1er novembre 1818, à Paris.
*
Selon
Doria (p. 43), « la mort de celle qui avait été la fidèle compagne de Mme Labille-Guiard
et de Vincent et qui eut son heure de gloire et de succès, passa totalement
inaperçue. Il semble qu’il ne se soit trouvé personne pour prononcer son éloge
funèbre, pas un seul courriériste pour lui consacrer, dans les gazettes du
temps, hier encore si élogieuses à son égard, un court article nécrologique.
Déjà l’oubli s’était fait sur son nom… »
D’après Neil Jeffares, c’est Arnauld Doria qui, après avoir découvert sa signature sur un beau pastel d’homme dans un salon du château de la Victoire (peut-être celui d’Etienne-François Elias qui en avait été le « chatelain »), a entreprit des recherches sur cette artiste oubliée.
En effet, dans son ouvrage écrit en 1921, Arnault Doria rappelle toutes les difficultés qu’il a rencontrées pour reconstituer la carrière et le catalogue de Marie-Gabrielle Capet : « les dictionnaires consacrés aux artistes sont muets ou ne donnent que fort peu de précisions souvent inexactes. » Elle est juste citée dans les dictionnaires sur les miniaturistes et Portalis, dans son ouvrage sur Adélaïde Labille-Guiard, « résume en deux pages tout ce qu’il sait de l’élève de son peintre. Si les historiens de l’art s’occupent peu, on le voit, de Mlle Capet, les musées ne comblent pas cette lacune, car fort rares sont ceux qui possèdent ses œuvres : signalons deux miniatures authentiques au Louvre, une autre au Nationalmuseum de Stockholm, un pastel au Musée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, un autre au musée Marmottan, et c’est tout. » (Doria, op.cit., p.2)
Il rappelle aussi qu’en plus d’être pastelliste, elle a été une « excellente peintre ».
Gabrielle fut portraitiste, elle ne se risqua que très rarement dans la peinture d’histoire et ne s’essaiera pas davantage à la nature morte. La note d’intimité, de simplicité et de vérité de ses portraits me semble être ce qu’il faut retenir de cette artiste, ainsi que sa fidélité à la ressemblance de ses modèles, en plus d’un destin hors du commun, à une époque où seules les filles de peintres ou de familles aisées pouvaient accéder à un enseignement artistique.
Elle le doit sans doute à Adélaïde Labille-Guiard qui a mis en œuvre, avec Marie-Gabrielle, les préceptes qu’elle défendait en matière d’éducation artistique des femmes.
de l’esprit, de la vérité, la touche d’un maître »
*
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