Constance-Marie est née à Paris le 4 avril 1767. Elle est la fille unique de Marie-Angélique Debacq et de Pierre-Alexandre-Hyacinthe Blondelu, « marchand-épicier » parisien établi cour du Commerce, passage en partie couvert qui relie, à l’époque, la rue des Cordeliers au carrefour de Buci. La cour est fréquentée tant par les praticiens qui se rendent à l’Académie de médecine des Cordeliers que par les habitués du café Procope dont une des entrées donne justement sur la cour.
Il ne reste aujourd’hui qu’une toute petite partie de ce
passage, qui va de la rue Saint-André des Arts au boulevard Saint-Germain…les
travaux d’Haussmann sont passés par là.
Situé à deux pas du Louvre par le Pont-Neuf, le passage accueille aussi des peintres : on y croise notamment Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), qui y réside, et son ami Jacques-Louis David (1748-1825), tous deux académiciens.
Passionnée de dessin, Constance-Marie fréquente pendant sept ans l’école fondée par le graveur Johann Georg Wille (1715-1808) puis souhaite approfondir sa formation. Grâce à Regnault, elle est acceptée dans l’atelier de David en 1784. Elle y fait probablement la connaissance du jeune François Gérard (1770-1837) alors âgé de 14 ans.
Lorsque Pierre-Alexandre Blondelu meurt, en 1786, sa veuve vend le commerce mais conserve le logement attenant.
1786, c’est aussi l’année où, après l’élection de deux femmes à l’Académie, la noblesse réagit : d’Angeviller, le ministre des Arts qui vient d’obtenir de Louis XVI qu’il refuse un atelier au Louvre à Adélaïde Labille-Guiard, décide de sa propre initiative de demander aux deux peintres, David et Suvée, qui enseignent, eux aussi, à des élèves du sexe, de les renvoyer. Difficile, en effet, de prétendre que la présence au Louvre des élèves de Mme Labille-Guiard serait indécente sans prendre la même mesure à l’égard de celles des autres académiciens…
Constance-Marie se retrouve donc, théoriquement, sans atelier. Pourtant, c’est justement cette année-là que serait entrée dans l’atelier de David la jeune Marie-Guillemine Laville Leroulx qui deviendra célèbre sous le nom de Benoist … Mystère que je ne suis pas en mesure d’éclaircir mais il est probable que David a dû se débrouiller pour accueillir ailleurs ses jeunes élèves féminines.
Selon certains auteurs, c’est aussi cette année-là que Constance-Marie décide de préparer son admission à l’Académie, avec un grand format, une peinture d’histoire, genre réputé inaccessible aux femmes : Ulysse trouvant le jeune Astyannax devant la tombe d’Hector. Le sujet serait librement inspiré du petit personnage, fils d’Hector et d’Andromaque, qu’on voit aux genoux de sa mère dans La douleur et les regrets d’Andromaque (1783), morceau de réception de David à l’Académie royale.
Hiérarchie
des genres La politique de l’Académie royale de
peinture et de sculpture visait à démontrer la suprématie de l’art français ad
majorem regis gloriam (pour la plus grande gloire du roi). La doctrine de
l’Académie est fondée sur l’existence d’une hiérarchie naturelle des genres,
qui s’appuie à la fois sur la hiérarchie naturelle, de l’humain à l’inanimé,
et sur la difficulté de la tâche de l’artiste. Cette théorie a été formulée par l’architecte
et historiographe André Félibien (1619-1695) dans sa Préface aux Conférences de l’Académie (1667) : elle
place au sommet la peinture d’histoire qui représente des thèmes de
l’histoire religieuse et antique ou encore des sujets mythologiques ; puis
viennent le portrait, la scène de genre, le paysage, et enfin la nature
morte. |
Son tableau
n’ayant pas reçu l’accueil qu’elle espérait, Constance-Marie aurait récidivé
l’année suivante avec Alexandre
pleurant la mort de la femme de Darius, sans plus de
succès. Ces deux échecs l’auraient conduite à abandonner ses ambitions académiques.
L’existence de
ces deux tableaux, non localisés, est contestée par plusieurs historiens d’art.
Il est vrai que, si Constance-Marie n’avait plus accès à l’atelier de David, on
ne voit pas bien comment elle aurait pu travailler sur de grands formats dans
son petit logement de la cour du Commerce… mais a contrario, il existe
tant d’œuvres inconnues de Constance-Marie qu’on peut tout aussi bien penser
qu’elles réapparaitront un jour !
Mais voilà qu’en juillet 1787, s’installe dans le grand logement du n° 20 cour du
Commerce, un jeune avocat au Conseil du Roi, Georges-Jacques Danton, et sa
femme, Antoinette-Gabrielle née Charpentier. Elle est la fille du propriétaire
du café du Parnasse, situé quai de l’Ecole, non loin du Palais de Justice.
Dans le salon des Danton, où se croise la fine fleur du passage (et même le jeune Camille Desmoulins et sa future épouse), Constance-Marie rencontre le jeune frère d’Antoinette, François-Victor Charpentier.
Au cours de cette période, Constance peint deux portraits qui nous sont parvenus : celui de sa mère puis celui de Danton, l’année suivante.
Le 21 août 1791, l’Assemblée Constituante retire par décret à l’Académie royale le privilège exclusif d’exposer aux Salons. Il n’est peut-être plus aussi urgent d’y être admise, finalement. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de pratiquer la peinture d’histoire pour entrer à l’Académie : Chardin lui-même est devenu académicien « dans le talent des animaux et des fruits », c’est-à-dire le genre le moins élevé, avec deux tableaux présentés à l’exposition de la Jeunesse en 1728 : La Raie et Le Buffet.
Un tableau de 1791 incite certains historiens à penser que Constance-Marie a toujours eu accès à l’atelier de David car une note collée au dos du tableau ci-dessous préciserait : « Ce portrait a été peint en 1791 par Charpentier dans l’atelier de David à Paris ». Oui, mais est-ce bien « notre » Charpentier ? J’en doute un peu…
… car la tenue de ces deux jeunes hommes suggère qu’ils ont été portraiturés à peu près à la même époque et ils sont beaucoup plus statiques.
En avril 1793, Constance brave l’opposition de sa famille – peu favorable à ce qu’elle se rapproche du cercle de Danton - et épouse François-Victor Charpentier.
Le couple s’installe au 17, rue du Théâtre français (aujourd’hui rue de l’Odéon), à deux pas de la cour du Commerce et du logement de Camille et Lucille Desmoulins. En février 1794, Constance met au monde une petite fille, Julie-Constance.
En
avril suivant, Danton, Camille Desmoulins et, peu après, son épouse Lucille, sont
guillotinés.
Jacques-Louis David, proche de Robespierre, est arrêté le 2 août 1794. Il est libéré en décembre, après une pétition de ses élèves : son talent lui a évité l’échafaud.
En
dépit de ces bouleversements politiques et affectifs, Constance-Marie commence
sa carrière artistique en peignant des portraits et une suite de quatre œuvres sur le thème de Sémire et Mélide,
qu’on connait aujourd’hui grâce à des gravures de Louis-François Mariage
(1785-1828).
Puis, c’est sans se déclarer l’élève de David que Constance-Marie participe à son premier Salon, celui qui ouvre ses portes le 2 octobre 1795, en exposant « Deux portraits l’un d’homme, l’autre de femme » et La petite Friande. Aucun de ces tableaux n’est localisé aujourd’hui.
Dès le mois de novembre, David rouvre officiellement son atelier.
Constance
peint à cette époque le Compte rendu sur l’anse du panier qui sera
exposé plus tard sous le titre La servante réprimandée. On ne peut
s’empêcher de penser que cette scène de genre est moins valorisante pour elle
que les scènes d’histoire mais on sait aussi que le public du Salon en
raffolait, au grand dam des théoriciens du « Grand Art ». La plupart
des peintres, même d’histoire, pratiquait donc le portrait et la scène de genre
pour vivre, tout simplement.
Au retour du marché, la servante rend compte de l’utilisation de l’argent qui lui a été confié. Sa maîtresse vérifie qu’elle n’a pas « fait danser l’anse du panier » et gardé pour elle une partie de la somme en question…
On peut probablement dater de cette période cette autre scène, sur le même thème :
En
1798, Constance expose au Salon cinq portraits, dont un en pied d’un
« ex-représentant du Conseil des Anciens », et le Portrait d’une
femme peintre qui pourrait être celui-ci :
Bien que l’hypothèse soit formulée, je doute fort qu’il s’agisse d’un autoportrait. La ressemblance avec les autres portraits connus n’est vraiment pas frappante : ni avec celui qui est clairement déclaré comme autoportrait par Constance-Marie elle-même en 1799 (ci-dessous), où elle se représente avec sa fille, ni avec le Portrait de Constance Charpentier par Jean-Joseph Ansiaux : le costume du modèle permet de le situer à la fin des années 1780, ses cheveux sont bruns, ses sourcils horizontaux, son nez droit : elle ne ressemble pas du tout à la jeune femme ci-dessus.
Le tableau intitulé L’Auteur et sa fille est présenté au Salon de 1799.
Portrait de Constance Charpentier
Au même salon de 1799, elle reçoit un prix d’encouragement de Ve classe (la moins importante) pour deux toiles présentées ensemble : « La veuve d’une journée » et « La veuve d’une année » qui illustrent parfaitement la fable de Jean de La Fontaine « La jeune veuve », même si rien ne prouve que Constance y ait puisé son inspiration :
On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande ; on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
Il
n’y a plus trace des autres portraits présentés cette année-là ni la suivante, à
l’exception de celui-ci :
Cette dame était l’épouse de Jean-Joseph Dubois-Foucou, dentiste qui avait racheté la charge de chirurgien du roi, servit sous Louis XV et Louis XVI avant de devenir le dentiste personnel de Napoléon puis celui de Louis XVIII. Selon les documents que j’ai lus, il n’a pas été élevé à la noblesse d’Empire et n’a même pas reçu la légion d’honneur…je ne sais donc que penser de cette « baronne » …
Cette étude aurait pu y être présentée aussi :
Le succès arrive avec le Salon de 1801 et La Mélancolie. Dans un format inhabituel pour une œuvre féminine, elle représente une jeune femme habillée à l’antique et plongée dans ses pensées. Le regard qu’on imagine fixe, la tête baissée, les épaules courbées, les mains relâchées, tout exprime la tristesse, voire le désarroi.
Son
talent est salué par un critique anonyme qui la place dans la « classe des
femmes distinguées par leur talent ».
Un autre critique compose un poème relatant les sentiments que l’œuvre lui inspire :
Sur le bord d’une onde limpide,
Cette femme nous peint son cœur,
Dans un regard doux et timide,
On a du plaisir à rêver,
Près d’une femme si jolie,
Et ce tableau nous fait trouver,
Du charme à la mélancolie.
L’Etat
se porte acquéreur du tableau qui sera attribué au musée de Picardie en 1864.
En abordant ce thème, Constance se positionne aussi comme peintre d’allégorie et se mesure à l’académicien François-André Vincent qui présente une Mélancolie, au même Salon de 1801.
La Mélancolie - 1801
Châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Rueil-Malmaison
Et c’est peut-être ce début de célébrité qui conduit le sculpteur Joseph Chinard à exécuter le portrait de Constance…
En
1802, Constance montre plusieurs portraits et Deux jeunes filles dans un
paysage, dont une dessinant. Ils ont disparu également.
En 1803, Constance perd sa petite fille, âgée de 9 ans, dans un accident domestique. Avec la résilience d’une époque où la mortalité infantile est une plaie permanente, elle accouche d’une autre fille en 1804, qu’elle appelle du même prénom que celui de l’enfant disparue…
Un tableau du Salon de 1804 nous est parvenu, Une mère convalescente soignée par ses enfants : retour à la scène de genre. (J'ai envie d'ajouter : hélas.)
Constance continue à participer tous les deux ans aux Salons, toujours avec un nombre important de portraits et, parfois, une scène de genre, comme ce Tableau de famille présenté au Salon de 1806 avec ce commentaire : « Un aveugle entouré de ses enfans [sic], est consolé de la perte de la vue par les jouissances des quatre autres sens. »
Ou bien cette Mère recevant les confidences de sa fille, exposé en 1812 :
Au total, Constance aura exposé, entre 1775 et 1819, onze scènes de genre et d’une cinquantaine de portraits dont la plupart reste non localisée.
Ce charmant portrait, signé et daté de 1807, a peut-être été présenté au Salon de 1808 où Constance a montré « plusieurs portraits et études ». Son titre, un peu ridicule, relève sans doute d’une coquetterie du vendeur…
En
1814, Constance expose à nouveau une dizaine de portraits et reçoit une
médaille d’or, comme en atteste « l’Etat des médailles en or accordées par
S.M. Louis XVIII aux artistes qui se sont distingués au Salon de 1814 »
On ne sait pas s’il s’agit de récompenser une œuvre particulière ou l’ensemble de son travail.
Constance Charpentier n’a plus exposé au Salon après 1819. Après la mort de son mari, en 1810, puis de sa mère en 1815, elle restait seule avec sa fille. Elle eut probablement des élèves et a continué à peindre ses proches et les familiers de la cour du Commerce, notamment Charles Daniel Gaultier de Claubry, dont l’un des fils épousera Julie-Constance en l’église Saint-Sulpice, en 1825.
Ou ce couple dont les portraits ont traversé deux siècles ensemble, probablement M. et Mme Millet…
Elle
aurait réalisé aussi ce portrait d’une de ses élèves, aujourd'hui non localisé :
La seconde Julie-Constance mourut en 1833,
en mettant au monde son quatrième enfant.
Je
termine avec deux Académie masculine, attribuées à Constance. L’une a
été vendue fin 2020, l’autre a été acquise par le Nationalmuseum de Stockholm, en mars 2021.
S’il s’agit bien de travaux de sa main, elle a donc eu accès, peut-être dans l’atelier de David, aux études de nu, a priori interdites aux femmes.
Académie masculine
Pierre noire et rehauts de craie blanche - 58 x 44,4 cm
Nationalmuseum, Stockholm
Académie d’homme assis
Ces
deux dessins laissent espérer que de nouvelles découvertes permettront de mieux apprécier l'œuvre de cette artiste dont la production connue paraît, à ce stade, de qualité inégale
*
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