Issue d’une famille de la noblesse de robe, Marie-Guillemine (ou Marie-Guilhelmine, comme on l’écrit parfois), née le 18 décembre 1768, était la fille de René Laville-Leroulx (dit aussi : Roux de la Ville), directeur des Salines du Roi dans les années 1760, puis adjoint à l’administration des Fermes générales dans les années 1780.
Alors que Marie-Guillemine, surnommée Émilie, atteint l’âge de treize ans, son père confie sa formation artistique à Elisabeth Vigée-Le Brun qui l’évoque ainsi dans ses Souvenirs : « Parmi mes élèves se trouvait mademoiselle Émilie Roux de La Ville, qui depuis a épousé M. Benoist, directeur des droits réunis, […]. Elle peignait au pastel des têtes où s’annonçait déjà le talent qui lui a donné une juste célébrité. Mademoiselle Émilie était la plus jeune de mes élèves. » (Souvenirs de Madame Vigée Le Brun, Edition Charpentier et Cie, 1869, Tome premier, Lettres à la princesse Kourakin, lettre IV, p.36)
Trois ans après le début de sa formation, en 1784, Marie-Guillemine participe pour la première fois à l’Exposition de la Jeunesse. Il semblerait qu’à l’époque, elle ait peint un Portrait du dauphin, récemment réapparu sur le marché et signé « Melle Leroulx Laville ». Il est probable qu’il s’agit d’une copie partielle du tableau d’Elisabeth Vigée-Le Brun présenté au Salon de 1785 mais que Marie-Guillemine a pu voir dans l’atelier d’Elisabeth.
En 1785, la critique du Mercure de France est déjà fort positive, devant l’accrochage de Marie-Guillemine à l’Exposition de la Jeunesse.
« Trois
tableaux de Mlle le Roulx de la Ville, âgée de 17 ans & demi, ont mérité
l’attention des Amateurs. Le premier qui représente deux jeunes personnes, dont
l’une est assise et l’autre debout à côté d’elle, est composé difficilement.
L’attitude de la jeune personne qui est debout, est contrainte & même
maniérée à la rigueur : j’ai été d’autant plus frappé de ce défaut que
l’attitude de la personne assise m’a parue d’une grande vérité. Je désirois que
cette jeune Artiste, qui paroît s’occuper beaucoup de donner de la régularité
aux traits de ses figures s’occupât aussi du soin de leur donner de
l’âme ; ce qu’en termes de l’art, on appelle de la physionomie.
Le
second est un portrait à l’huile : les accessoires annoncent l’Homme de
Lettres, ils sont rendus avec esprit. La pose est agréable, peut-être le corps
est-il un peu penché, mais la tête est bonne : elle est du nombre de
celles qui, par la vérité qu’on y remarque, attestent une grande ressemblance. »
(« Lettre aux Auteurs du Mercure », Mercure de France, 11 juin
1785, p.85-86)
On pense que ce portrait serait celui de Charles-Albert Demoustier :
« La troisième est une tête d’étude au pastel qui m’a semblé être une Didon, au moins la couronne et le costume l’annoncent-ils. L’expression de cette tête m’a singulièrement plu. J’y ai trouvé un mélange de crainte et d’espoir exprimé avec beaucoup de grâce. Le plaisir que j’ai eu à la considérer est encore si vif par le souvenir, qu’il m’interdit de parler des petits défauts que j’y ai remarqués. » (« Lettre aux Auteurs du Mercure », Mercure de France, 11 juin 1785, p.85-86)
Mais
Elisabeth Vigée, que l’enseignement « ennuie fortement »
renonce « bien vite à tenir atelier ». Marie-Guillemine rejoint alors celui de Jacques-Louis David (1748-1825), un peintre plus
prestigieux qu’Elisabeth, et ceci en dépit du décret royal interdisant aux
femmes artistes d’être formées au Louvre. Or, c'est là que se trouve l'atelier de David. Sans doute les jeunes femmes
travaillent-elles dans un atelier extérieur…
Cette même année 1786, elle est « l’Émilie » à laquelle le poète Charles-Albert Demoustier (1760-1801) dédie ses Lettres sur la mythologie, ouvrage qui rencontre un grand succès. Cela contribue probablement à attirer sur elle l’attention de la critique, d’autant qu’elle montre à l’Exposition de la Jeunesse de 1786 son Autoportrait copiant le Bélisaire et l'enfant à mi-corps de David où elle apparaît en tenue à l’antique, cheveux défaits et épaule découverte.
Le Mercure est plutôt satisfait : « Je viens à trois compositions qui sont dignes d’être citées. La première est le Portait de Mlle Leroulx de la Ville, peint par elle-même. La figure, assise et costumée dans le genre antique, a de la grâce, de l’intérêt & de la noblesse. Le caractère de tête est spirituel & piquant ; le ton de couleur est vrai & bon. J’ai remarqué pourtant que le bras qui tient le pinceau est roide & gêné ; que la draperie qui couvre le genou est gauche et lourde, & que les proportions de la figure ne sont pas exactes depuis les hanches jusqu’à l’extrémité des cuisses. Légère & facile par le haut, elle m’a paru trop forte & trop pesante par le bas. Ces détails critiques ne m’empêcheront point de donner à Mlle de la Ville les justes éloges qu’on lui doit.
Ce tableau est fort au-dessus de tout ce qu’elle a exposé jusqu’ici, & elle doit être fière d’acquérir bientôt de la réputation, si à ses dispositions naturelles elle ajoute le travail & l’étude, sur-tout si elle profite des leçons du savant Maître qu’elle a choisi en quittant l’atelier de Mme Lebrun : je veux parler de David. » (« Lettre aux Auteurs du Mercure », Mercure de France, 1er juillet 1786, p.34-35)
Femme et s’affirmant ainsi en élève de David, l’année même où les élèves du sexe sont exclues des ateliers du Louvre ! J’ai peine à croire qu’Émilie ait choisi son sujet sans avoir une petite idée derrière la tête. Quoi qu’il en soit, le tableau ne passe pas inaperçu et c’était, sans nul doute, le premier objectif de son auteur.
De toute évidence, la version copiée par Marie-Guillemine n’est pas celle-ci, puisqu’on y voit l’enfant de trois-quarts et non de profil, comme ici. Peut-être s’agissait-il d’une autre version.
Le Louvre indique que le roi n’acheta pas ce tableau de David, ce qui n’a rien de bien étonnant puisque cette scène est une critique à peine voilée du pouvoir, capable d’abandonner ses serviteurs loyaux lorsqu’ils sont dans le besoin ou devenus aveugles, comme le général Bélisaire…
Marie-Guillemine
participe à l’Exposition de la Jeunesse les deux années suivantes, en
présentant des portraits et des scènes de genre qui rencontrent un certain
succès et font l’objet d’une critique bienveillante et satisfaite :
« J’ai dit, l’année dernière, que si Mlle le Roulx de la Ville, continuoit à étudier son Art avec la même assiduité & le même courage, elle acquerroit bientôt un talent distingué. Le tableau qu’elle a exposé cette année me confirme dans mon opinion. Il représente Clarisse Harlowe chez l’Archer. (…) Remarquer quelques légères taches dans cette composition nous paroit absolument inutile. Il vaut mieux engager Mlle le Roulx à suivre un genre qui paroît propre à la nature de son talent, & dans lequel son premier essai ne sauroit obtenir trop d’éloges. » (« Lettre à MM les Rédacteurs du Mercure de France sur l’Exposition des Tableaux des Elèves de la Peinture à la Place dauphine », Mercure de France 23 juin 1787, p.189)
« J’ai félicité l’année dernière Mlle le Roulx de la Ville sur ses progrès ; il faut que je l’en félicite encore. Son tableau représentant le Capitaine Morden rendant visite à Clarisse la veille de sa mort est largement & noblement composé. (…) Cette composition à laquelle je reprocherai un peu de longueur dans les proportions, est remarquable par une belle entente des détails, par une grande intelligence de la lumière & par la largesse du style. Elle ne peut qu’ajouter à la réputation que Mlle le Roulx de la Ville s’était justement acquise. » (« Lettre à MM les Rédacteurs du Mercure de France sur l’Exposition des Tableaux, dessins & esquisses des Elèves de la Peinture à la Place Dauphine, le 29 mai 1788 », Mercure de France, 7 juin 1788, p.44 et 45)Marie-Guillemine participe à l’Exposition de la Jeunesse jusqu’en 1788, en présentant des portraits et des scènes de genre.
Les deux tableaux en question sont aujourd'hui perdus.
Probablement grâce à l’appui de David, elle obtient un logement au Louvre pendant la Révolution et expose, sous le nom de Mademoiselle Laville, au Salon de 1791, le premier auquel les peintres non académiciens peuvent participer. Elle y montre une peinture d’histoire, Psyché faisant ses adieux à sa famille et une scène tirée de Clarisse Harlove, L’innocence entre le Vice et la Vertu, un roman épistolaire de Samuel Richardson publié en 1748, dont elle avait déjà illustré des scènes en 1787 et 1788.
L’Innocence fait l’objet d’une jolie critique dans La Béquille de Voltaire, un pamphlet vendu à la porte du Salon : « La Béquille : Pour cette fois, je ne suis plus étonnée ; car mademoiselle la Ville m’a trop bien disposée à tout attendre de son pinceau ; et pour rendre en peu de mots les beautés rares de cette nouvelle production, je dirai tout simplement que le tableau de cette artiste enchanteresse est encore au-dessus de ses deux autres… Mais éloignons-nous d’une aussi charmante composition ; le vice y est peint sous des dehors si séduisants, que mademoiselle la Ville pourroit nous le faire aimer. » (La Béquille de Voltaire au Salon, seconde et dernière promenade, salon de 1791, p.320)
En
1793, Marie-Guillemine épouse le banquier Pierre-Vincent Benoist (1758-1834),
probablement contre l’avis de la famille mais elle est à présent majeure,
puisqu’elle a vingt-cinq ans. Son mari, royaliste notoire, est recherché par
le Comité de sûreté générale et doit entrer en clandestinité.
Marie-Guillemine pourvoit donc aux frais du ménage pendant toute la
période révolutionnaire alors même qu’elle met au monde deux fils, en 1794 et
1796, puis une fille en 1801.
Sous le nom de « citoyenne Laville, femme Benoit [sic] », elle expose à nouveau au Salon en 1795, un Portrait d’homme, une tête de femme et un Tableau représentant Sapho. Ce tableau a été présenté dans une exposition américaine sur le Portrait français au Smith College Museum of Art de Northampton (Mass) en 2005.
Au Salon de 1796, Marie-Guillemine est devenue la « citoyenne Benoist née Laville » qui expose deux Portraits de femmes et Deux Têtes d’étude ovales, dont je n’ai pas trouvé trace.
En revanche, le Louvre conserve dans ses collections Cinq bustes d’hommes, que je montre ici pour illustrer la qualité du coup de crayon de la jeune dame.
Elle expose à nouveau en 1799 (cette fois sous le nom de Laville-Benoist !), quatre œuvres dont un Portrait de femme. Il pourrait s’agir de ce tableau, attribué à Marie-Guillemine par le musée d’art de San Diego où il est conservé.
Dans sa passionnante étude Trois peintures récemment identifiées de Marie Guillemine Benoist, Margaret Oppenheimer concluait en 1996 qu’on ne disposait pas d’assez d’information pour attribuer ce portrait de façon certaine.
Voici ce qu’elle écrivait :
« C’est encore l’influence de Vigée-Lebrun que l’on semble déceler dans un autre tableau de l’époque du Consulat, qui peut aussi être attribuable à Benoist. […]
Attribué à l’origine à Jacques-Louis David, […], il reste maintenant sans attribution au-delà du « Cercle de David ». Cependant, l’apparence du tableau de San Diego est compatible avec une description d’un Portrait de femme de Benoist exposé au Salon de Paris de 1799. Le critique de La Décade Philosophique, Littéraire et Politique, qui a vu le tableau, a indiqué que : ‘’cette femme enveloppée d’un châle et qui regarde, elle est peinte à éclipser toute la société que vous lui avez composée. Le pinceau n’a point hésité, ces touches sont aussi justes que vigoureuses et vraies.’’
Malheureusement, les dimensions du tableau n’ont pas été enregistrées dans le registre du Salon, et aucun autre critique du Salon n’a décrit l’œuvre, ce qui rend problématique une attribution sûre. On peut noter, dans tous les cas, que les yeux larges et liquides et le visage et les mains fermement modélisés sont cohérents avec ceux trouvés dans les images de femmes de Benoist illustrées ici. L’harmonie des couleurs, qui rivalise avec celle de la Femme noire, est digne d’un élève de Vigée-Lebrun. En revanche, la robe d’inspiration classique, librement ceinturée, tout en se rapportant aux costumes simples privilégiés par cette dernière (par exemple, le Portrait de l’artiste avec sa fille de Vigée-Lebrun de 1789, Louvre), est plus proche de celle employée par le second professeur de Benoist, David, dans la figure d’Hersilie dans ses Sabines de 1799 (Louvre). La pose du haut du corps rappelle la composition de l’autoportrait de Benoist de 1786 ; en outre, les cheveux sont traités avec la même douceur et la liberté dans les deux peintures. Les détails de la facture du portrait de San Diego peuvent fournir d’autres indices sur l’identité de son auteur, qui doivent encore être considérés comme non concluants. » (Margaret A. Oppenheimer, Three Newly Identified Paintings by Marie-Guillemine Benoist, Metropolitan Museum Journal, 31, 1996, p.143-50 - consultable en ligne.)
Mais cet article a vingt-cinq ans. On a peut-être trouvé depuis une preuve concluante, d’autant que la robe du modèle ressemble comme une sœur à celle de Sapho !
Au
Salon de 1800, Marie-Guillemine affirme son incontestable talent avec un portrait aujourd’hui
désigné comme Portrait d’une femme noire ou Portrait de Madeleine (grâce
aux recherches effectuées à l’occasion de l’exposition « Le Modèle
noir » du musée d’Orsay en 2019).
La tenue drapée à l’antique accompagnée d’un beau châle bleu nuit posé sur le dossier et l’accoudoir du fauteuil, comme la pose un peu alanguie du modèle sont celles qu’elle aurait pu donner à une femme blanche de classe supérieure. Tout en choquant une partie du public, le tableau est justement perçu comme un tour de force technique et suscite l’admiration. On a vu aussi dans ce portrait un plaidoyer en faveur de l’abolition de l’esclavage dont l'application, votée en 1794, n'avait jamais été effective dans les colonies. En tout cas, il ne paraît pas douteux que ce portrait soit empreint d’empathie. Aussi, on peut s’interroger sur son titre initial « Portrait d’une négresse » et se demander si ce titre, délibérément dépréciatif, n’était pas destiné à faire réagir le public : « voyez comme une femme que vous appelez ainsi peut avoir la même grâce et l’élégance que n’importe quelle autre femme » ?
Ce qui est sûr, c'est que Marie-Guillemine n’a pas choisi la facilité : peindre une carnation noire était un exercice
peu enseigné et, en France, seul Girodet s’y était essayé trois ans plus tôt, avec
le portrait du député de Saint Domingue, Jean-Baptiste Belley.
Selon la notice du Louvre, la Maison du Roi – instance qui dirige aussi les musées royaux - achète l’œuvre de Marie-Guillemine avec trois autres de l’artiste. La notice ne précise pas lesquelles, c’est bien dommage !
En
1802, elle exécute le Portrait Madame Philippe Panon Desbassayns de Richemont et son fils, Eugène, qui fut longtemps et sur la foi de
la « tradition familiale » des descendants du modèle, attribué à
Jacques-Louis David qui aurait peint cette dame « peu de temps avant la
mort de la petite fille du tableau ». La famille aurait ensuite vendu la
toile parce que cette image évoquait des souvenirs trop douloureux pour sa mère.
Ecoutons à nouveau Margaret Oppenheimer : « Cette histoire touchante est malheureusement problématique, notamment pour son attribution du tableau à David. Il est instructif de comparer la toile à la seule image mère-enfant de David de l’époque, le portrait de 1795 d’Emilie Seriziat, née Pecoul et de son fils Emile [voir ci-dessous].
La figure féminine
de l’image de New York est disposée dans une pose de profil simple, qui
contraste avec la vue frontale techniquement exigeante que David a employée
pour peindre sa belle-sœur. Dans le portrait du Metropolitan, les tons de peau
ne sont pas si dorés, la chair est peinte plus doucement et les textures des
tissus sont rendues avec moins de détails. De plus, il n’y a aucune trace de la
peinture dans l’œuvre bien documentée du maître. L’œuvre reflète ses
prédilections stylistiques principalement dans l’utilisation d’un fond sombre
qui concentre l’attention du spectateur sur les personnages.
[…] L’identification coutumière de l’enfant comme étant l’éphémère Camille Desbassayns de Richemont est également difficile à soutenir. Nonobstant la tradition familiale, les pantalons jaunes, la petite veste et la chemise ouverte sont les vêtements d’un garçon plutôt que d’une fille. Les boucles abondantes de l’enfant, à la mode pour les garçons tout au long de la période en question, peuvent avoir été la source de la confusion du genre. Mais il n’y a aucune raison de douter que la femme assise est Mme Desbassayns de Richemont. Deux autres versions du portrait du Musée sont, ou étaient, en possession de différentes branches de ses descendants et, dans les deux cas, la tradition familiale s’accorde sur le nom de la femme représentée.
Née Jeanne-Catherine Eglé-Fulcrande de Mourgue, elle est l’épouse de Philippe Panon Desbassayns de Richemont, diplomate et administrateur du gouvernement. Il sert sous Napoléon Ier, Louis XVIII et Charles X, occupant des postes en France et sur son île natale de la Réunion. Le couple, marié en 1798, eut trois enfants. Camille, leur fille unique, née en 1801, a été précédée d’un fils, Eugène, en 1800, et suivie d’un deuxième fils, Paul, en 1809. Le petit garçon qui apparaît dans le portrait du MET est sûrement Eugène, puisque le costume de sa mère est celui du défunt Consulat et du début de l’Empire, excluant la possibilité que l’enfant puisse être le plus jeune, Paul. Le tableau plait clairement aux Richemont, car ils en font faire au moins deux copies. […] Il est intéressant de noter que l’une de ces copies a été attribuée par ses propriétaires à Marie-Guillemine Benoist, qui l’aurait peinte en 1804 d’après un original de David.
En réalité, il semble certain que l’original - la toile du MET - a été peint non pas par David mais par Benoist elle-même. Il correspond étroitement à la description d’une œuvre qu’elle expose au Salon de Paris de 1802, sous le titre de Portrait d’une jeune femme avec un enfant. Avec une autre de ses soumissions (un portrait d’une jeune femme tenant un jet de lilas), l’œuvre a été saluée comme l’une des meilleures peintures de Benoist. Le critique de La Décennie Philosophique, Littéraire et Politique a écrit :
‘’Le portrait d'une jeune personne et celui d'une jeune femme avec un enfant, par Mme Benoist (Nos. 16 et 17), sont excellentes productions d'une artiste déjà connue par des succès. Mais, ici, c'est tout un autre talent que celui qu'elle avait montré dans ses autres ouvrages. On ne dessine pas mieux ; on n'a pas une touche plus franche. Les plus habiles peintres de notre école se feraient gloire d'avoir exécuté le tableau de la jeune personne qui tient une branche de lilas, d'avoir composé le groupe de la mère et de l'enfant. S'il n'y avait eu au salon que le premier de ces deux portraits, on pourrait croire que la teinte un peu plombée qui règne dans les chairs appartient au modèle; mais comme on trouve le même défaut dans le portrait très-ressemblant de Mme D * *, dont la beauté est connue, et dont la carnation est aussi délicate que les formes; mais comme un bel enfant blond est aussi également peint sans transparence, nous nous voyons dans le cas d'avertir Mme Benoist, qui s'est si fort approchée de la perfection, qu'elle doit consulter Van Dyck et surtout Le Titien.’’ »
Le Portrait d’une jeune personne, également cité dans La Décennie, a été identifié lui aussi par Margaret Oppenheimer grâce à d’autres critiques qui l’ont décrite plus précisément. L’un d’eux a indiqué que le modèle, « debout et adossée à une balustrade … tient de la main gauche son voile et de l'autre une branche de lilas. » Un second précise que le voile a été jeté sur sa tête et sa poitrine.
« Leur description du tableau correspond exactement à l’apparence d’un tableau publié en 1941 par Raymond Escholier comme une œuvre de Jacques-Louis David. La toile, qui ne semble pas apparaître ailleurs dans la littérature de David, a été reproduite sous le titre Portrait de la Comtesse du Cayla, sans indication de propriété ni de dimensions.
Aucune image de ce type par David n’est documentée, et l’artiste n’est pas connu pour avoir peint des portraits de femmes dans des décors paysagers ; cependant, son élève Benoist en a peint plusieurs. Le Portrait d’une jeune personne est particulièrement proche de son Portrait de Madame Lacroix-Saint-Pierre de 1806 environ (localisation actuelle inconnue). » Les deux œuvres montrent trois figures d’un quart de longueur près du plan de l’image, soutenues par une étendue de paysage ; chaque modèle porte un voile et un châle drapé sur une épaule. » (Margaret A. Oppenheimer, op.cit., p.143-50)
Il s’agit donc de ce tableau, dont la localisation actuelle est inconnue :
« Debout et adossée à une balustrade, une jeune femme tient de la main gauche son voile et de l'autre une branche de lilas. Cet ouvrage a beaucoup de mérite, et il assigne à Mme Benoist un rang distingué parmi les Peintres de Portraits. Il atteste que dans l'espace d'une année elle a fait des progrès vraiment extraordinaires, et qui ne seraient pas présumables si ce Portrait n'en démontrait l'évidence » (Anonyme, Journal des Arts, des Sciences, et de littérature, no 228, 30 Fructidor an 10 [1801], p.426).
C’est à cette époque qu’elle aurait aussi exécuté cette miniature :
Au Salon de 1804, elle expose une scène de genre Une jeune fille chantant pour distraire son vieux père aveugle et cinq portraits. Le seul portrait masculin, celui de M. L… représentait Jean-Dominique Larrey le beau-frère de Marie-Guillemine, qui fut peintre brièvement mais dont on n’a pas conservé les œuvres.
En
dépit de cette proximité familiale, le tableau, qui paraît ne pas avoir attiré
l’attention de la critique de l’époque, est resté longtemps sans attribution,
bien qu’il ait été donné au musée de Toulouse par le fils du modèle…!
Jean-Dominique
Larrey, plus tard baron Larrey, était un chirurgien qui a rejoint l’expédition
d’Egypte de Napoléon Ier puis a été inspecteur général des services de santé
pour l’armée française. Il est représenté tenant un rouleau sur lequel est
inscrit « Relation
chirurgicale de l'armée d'Egypte.»
En 1804, Marie-Guillemine reçoit une médaille de seconde classe au Salon et obtient une pension annuelle du gouvernement. Elle ouvre à cette époque un atelier pour enseigner la peinture.
En 1803 ou 1804, elle obtient sa première commande officielle mais les informations que j’ai trouvées sont floues : certains évoquent d’un Portrait de Napoléon pour le Palais de Justice de Gand, d’autres une copie d’un Portrait en pied du Premier consul. Ce portrait aurait fait partie de l’exposition « Des royalistes aux romantiques » présentée en 2012 par le National Museum of Women in the Arts (Washington, DC). Il semblerait qu’il s’agisse de ce portrait…
… lequel peut être rapproché de celui du Baron Gros ; pas exactement une copie mais une réinterprétation :
Par la suite, elle reçoit d’autres commandes de portraits, de généraux d’Empire …
… et de la famille impériale, comme celui de Napoleone-Elisa Bacciochi ou de sa tante, Pauline Bonaparte, devenue princesse Borghèse …
… ou de sa mère, Elisa Bonaparte, alors Grande-Duchesse de Toscane…
… et son père, Félix Baciocchi :
En 1806, Marie-Guillemine expose quatre œuvres, sur lesquelles ont dispose d’une appréciation de Pierre-Jean-Baptiste Chaussard (1766-1823), un avocat devenu critique d’art sous le Consulat et qui a publié en 1806 Le Pausanias français, (du nom d’un géographe grec du IIe siècle), balade d’un « observateur impartial » dans le Salon de 1806.
Il commence par donner son appréciation sur la peintre elle-même :
« Le talent seul de madame Benoist et le mérite de ses Portraits suffisent pour exciter l'intérêt le plus vif ; mais lorsqu'on vient à se rappeler que la nouvelle Emilie d'un des successeurs de Dorat de l'aimable Demoustier qui composa pour elle ses Lettres sur la Mythologie, et qui fut moissonné comme Jean second avant le tems, une piquante curiosité se mêle à l'intérêt il redouble lorsqu'on apprend qu'elle a depuis lié son sort à celui d'un homme de lettres connu par des traductions utiles, par des travaux administratifs, et enfin, qu'elle est une des Elèves les-plus estimées de M David. Cette dernière circonstance motivera notre sévérité : on n'a droit de demander beaucoup qu'à ceux de qui on attend beaucoup. Il faut être juste, et commencer par féliciter madame Benoist de l’extrême variété de son Pinceau et de sa flexibilité. Autant il est aimable dans les Sujets gracieux autant il paraît énergique dans les autres. » (Pierre-Jean-Baptiste Chaussard, Le Pausanias français ; état des arts du dessin en France, à l'ouverture du XIXe siècle : Salon de 1806, F. Buisson, libraire-éditeur, Paris 1806, p.112-113)
Puis vient la critique de Deux jeunes enfans, accompagné du commentaire de l’auteur : « Ils viennent de se baigner, et regardent un nid d'oiseaux que l'un d'eux a trouvé. » Il semblerait que ce soit ce tableau, actuellement non localisé.
« Le Tableau de ces deux jeunes Enfans est composé avec une vérité naïve ; la tête de celui qui tient le nid est parfait de couleur et d'exécution. Il faut louer également l'idée et la composition qui ressemble à une charmante Idylle. La totalité des masses d'ombre des demi-teintes, des clairs, a, je ne sais quoi de doux et de suave comme le sujet. Les Figures et les chairs sont gracieuses, à l'exception des mains de la petite fille. Les draperies sont moelleuses tout est heureusement fondu tout, jusqu'au passage où le ciel est aérien présente sinon la science du moins le charme de l'art. » (Le Pausanias français, ibid.)
Puis, sur le second tableau :
« Ce Tableau est composé avec simplicité ; la tête de la Vieille ne serait pas mieux ajustée par un Peintre d'histoire elle est fort belle et peinte avec vérité avec franchise. L'Enfant est joli il est d'un ton assez fin mais violâtre les murs et le fond sont de ce même ton et manquent d'air, en sorte que la Figure ne tourne pas. Le reste nous a paru médiocre sous le rapport du Pinceau et de la Couleur. » (Le Pausanias français, ibid.)
Vient ensuite le Portrait d’une dame, aujourd’hui perdu, et enfin un Portrait d’homme que le public et la critique reconnaissent sans peine : c’est Jean-Louis Brousse-Desfaucherets, l’auteur d’une pièce de théâtre à succès, Le Mariage secret.
« C'est ici que l'Artiste a montré une fermeté rare de pinceau, les masses les mieux prononcées, la couleur la plus vigoureuse. On reconnaît dans ce Portrait l'auteur ingénieux du Mariage secret, à qui les Muses font un secret reproche de les avoir abandonnées pour les affaires. Il est d'une ressemblance frappante, posé avec beaucoup de naturel la main qui tient le rouleau, quoique bien peinte laisse quelque chose à désirer l'effet et le dessin de ce doigt qui est en l'air ne sont pas heureux l'autre est traitée parfaitement des parties générales du vêtement ne sont pas assez senties, d'autres sont peintes largement et avec vérité. La draperie bleue de la chaise est trop brillante : en satisfaisant l'œil elle nuit à l'harmonie. Le reste est bien dessiné et ce Portrait, sur-tout la tête, fait un honneur infini au talent incroyable de madame Benoist car cette tête est d'un si beau ton, si bien peinte, avec une telle vigueur, sur-tout le nez et le bas du visage, les plans y sont accusés avec une telle précision, avec une telle fermeté enfin, il y a une si grande franchise d'exécution que si ce Tableau était anonyme, on ne balancerait pas à l'attribuer à l'un des plus forts élèves de David. Félicitons madame Benoist d'un talent aussi prononcé. » (Le Pausanias français, ibid.)
A partir de 1810, Marie-Guillemine montre au Salon des scènes de genre intimistes, alors très à la mode : elle expose ainsi La Lecture de la Bible …
… ou La Diseuse de bonne aventure, qui lui vaut
d’obtenir une nouvelle médaille d’or au Salon de 1812.
« Une vieille femme, assise près d'une fontaine, dit la bonne aventure à une jeune fille qui est venue la consulter. Un jeune homme, caché derrière cette fontaine, écoute attentivement ce que la vieille prédit à sa maîtresse. Deux artistes se sont réunis pour l'exécution de cet agréable tableau. Les figures sont de la main de madame Benoist. M. Mongin en a composé et peint le paysage. Cette partie du tableau ne le cède point à l'autre pour la fraîcheur du coloris. » (Charles Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1812 Paris, Bureau des Annales du musée, p.44).
Charles Landon n'évoque presque jamais les portraits dans ses Annales mais Marie Guillemine expose aussi cette huile lors du même salon :
Alors même qu’elle a atteint une reconnaissance artistique manifeste, ce sera sa dernière exposition publique. A la demande de son mari, nommé conseiller d’État en juillet 1814, elle doit renoncer à sa carrière.
Elle lui écrit alors : « La pensée que je serais un obstacle à votre avancement dans votre carrière serait pour moi un coup bien acéré. […] Mais tant d’études, de soins, une vie de dur travail, et après ce long temps d’épreuves, les succès, et les voir presque un objet d’humiliation, je n’ai pu supporter cette idée. Enfin, n’en parlons plus, je suis raisonnable… »
Il semble toutefois
qu’elle n’ait pas interrompu son activité artistique. Elle a continué à
enseigner et exécuté plusieurs portraits de famille ainsi qu’un Vierge pour la
cathédrale d’Angers dont je n’ai pas trouvé la trace…
Marie-Guillemine Benoist est morte à Paris, le 8 octobre 1826.
*
J’avoue n’avoir vraiment mémorisé le nom de Marie-Guillemine Benoist que récemment, en regardant son Portrait de Madeleine, lors de l'exposition d’Orsay (2019). Devant l'évidente qualité de cette œuvre, je me suis demandé comment j'avais pu oublier le nom de cette peintre. Était-ce, comme souvent, « la faute à David » ?
Je laisse à Margaret Oppenheimer le mot de la fin sur cette artiste :
« Si aucun de ces tableaux ne supplante le Portrait d’une femme noire comme sa plus belle œuvre, au moins deux – le Portrait d’une jeune personne et le Portrait d’une jeune femme avec un enfant du Metropolitan – sont remarquablement proches de la qualité du tableau du Louvre. Benoist y combine la fluidité gracieuse et l’harmonie coloriste qu’elle a apprises de Vigée-Lebrun avec la modélisation tridimensionnelle et les contours fermes qu’elle maîtrisait sous David. Les toiles reflètent les capacités de leur créatrice à l’apogée de sa carrière ; le fait qu’elles aient été attribuées à tort à David est une reconnaissance détournée de son habileté. Pourtant, il est plus que temps de souligner la valeur des réalisations de Benoist. »
Depuis l'exposition d'Orsay, l'autoportrait de Marie-Guillemine a été montré dans « Peintres femmes, naissance d’un combat (1780-1830) » au musée du Luxembourg, à Paris, en juillet 2021.
Mais chacun sait qu'il n'est pas suffisant d'exposer une artiste en tant que femme pour assurer sa notoriété…
*
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