Née à Paris le 12 novembre 1630, Catherine Duchemin est la fille de Jacques Duchemin, maître sculpteur, et d’Elisabeth Hubault, son épouse, qui habitaient à cette date rue Saint-Martin, paroisse Saint-Jacques de la Boucherie. Elle reçut probablement ses premières leçons de dessin dans l'atelier de son père, mais on ignore si elle a bénéficié d’autres enseignements.
C’est probablement la communauté de métier et le voisinage qui ont rapproché les familles Duchemin et Girardon. En effet, à l'époque du mariage de Catherine avec François Girardon (1628-1715), le 23 octobre 1657, les deux familles habitent rue de Cléry, paroisse Saint-Eustache.
Girardon, tout nouvel académicien, est à l'aube d'un brillant parcours, qui débute en 1658 avec la décoration du château de Vaux-le-Vicomte, et se poursuit à Versailles. Quant à Catherine Girardon, elle entame ou poursuit une carrière de peintre de fleurs, qui trouve son couronnement le 14 avril 1663, lorsqu'elle est admise, après examen de ses œuvres, à l'Académie royale de peinture et de sculpture « en suivant l'intention du Roi qui est d'épandre sa grâce sur tous ceux qui excellent dans les arts de Peinture et de Sculpture, d'en faire part à ceux qui seront jugés dignes, sans avoir égard à la différence du sexe ».
Son morceau de réception est un grand tableau de fleurs, de 4 pieds sur 3 (soit environ 1,30 m sur 0,97 m), intitulé « Panier de fleur posé sur un piédestal » qui a disparu entre 1775 et la Révolution. Ce sujet de peinture, classé dans la catégorie la moins prisée de la « hiérarchie des genres » picturaux, laisse deviner la frileuse adhésion des académiciens à admettre les femmes dans leur confrérie en limitant d’emblée leur contribution artistique aux genres jugés les moins nobles.
L’ Académie royale de peinture et de sculpture, créée en 1648, sous le règne de Louis XIV alors enfant, avait pour ambition de former et rassembler les meilleurs artistes du royaume, en les libérant de la tutelle de la « corporation », c’est-à-dire du statut d’artisan. Les plus doués étaient nommés académiciens, un titre prestigieux qui garantissait protection et notoriété, grâce à la possibilité de participer à l’exposition de l’Académie royale, dont la première eut lieu sans public en 1665. Après plusieurs expositions dans des lieux différents, on l’installa en 1725 dans le Salon carré du Louvre, d’où son nom de « Salon ». Il commençait le jour de la saint Louis et seuls les académiciens pouvaient y exposer leurs œuvres. Au cours de ses 145 années d’existence, l’Académie n’éleva que quinze femmes au rang d’académicienne. La première est Catherine Duchemin-Girardon, reçue en 1663. Les deux dernières sont Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun, reçues en 1783, lors de la même séance. Toutefois, aucune femme ne pouvait accéder aux classes de dessin de nu masculin ou féminin d’après modèle vivant, ni à celles de géométrie ou de perspective. Aucune femme ne fut reçue en peinture d’histoire (le genre le plus prestigieux) et, par voie de conséquence, aucune n’a pu accéder à la fonction de professeur, c’est-à-dire être membre du Conseil de l’Académie, siège du pouvoir académique. L’ Académie royale fut supprimée par décret de la Convention, en 1793. |
Hiérarchie des genres La politique de l’Académie royale de peinture et de sculpture visait à démontrer la suprématie de l’art français ad majorem regis gloriam (pour la plus grande gloire du roi). La doctrine de l’Académie est fondée sur l’existence d’une hiérarchie naturelle des genres, qui s’appuie à la fois sur la hiérarchie de l’humain à l’inanimé, et sur la difficulté de la tâche de l’artiste. Cette
hiérarchie a été formulée par l’architecte et historiographe André Félibien (1619-1695)
dans sa Préface aux Conférences de l’Académie (1667)
: elle place au sommet la peinture d’histoire qui représente des thèmes de
l’histoire religieuse et antique ou encore des sujets mythologiques ; puis
viennent le portrait, la scène de genre, le paysage, et enfin la nature
morte. |
Mais,
tout de même, Catherine Girardon est la première femme à être ainsi honorée en
France, ce qui laisse penser que son talent devait être exceptionnel, même si
d'autres considérations ont pu jouer, comme l'obligation faite, depuis février
1663, à « tous ceux qui peuvent être capables de rendre service à Sa Majesté »
de se présenter à l'Académie. Et elle était aussi l’épouse d’un académicien, ce
qui ne pouvait pas lui nuire.
Quoi qu'il en soit, cette première réception d'une femme à l'Académie revêt une importance extrême, au-delà de la personne de Catherine, en ce qu’elle crée un précédent.
En dépit de cette reconnaissance par ses pairs, on ne trouve plus aucune mention d'elle par la suite, jusqu'à sa mort, survenue le 21 septembre 1698, dans son logement des Galeries du Louvre.
Selon Florent Le Comte (1700), elle aurait arrêté de peindre pour s'occuper de son ménage et de l'éducation de ses enfants. Cette hypothèse paraît d'autant plus vraisemblable que Catherine Duchemin a mis au monde, de 1658 à 1673, pas moins de dix enfants. De plus, l'importance prise par François Girardon dans les chantiers royaux et à l'Académie, dont il devient recteur en 1674, a sans doute amené le couple à adopter un mode de vie conforme à sa nouvelle position sociale, ce qui se traduit pour l'épouse par l'abandon de toute activité rémunératrice.
La
réception de Catherine à l'Académie n’aura donc pas assuré la postérité de sa
renommée et son œuvre a quasiment disparu…
Toutefois, malgré la brièveté de sa carrière, Catherine Duchemin est l'une des rares femmes peintres du XVIIe siècle à être mentionnée, toujours avec éloges, tant dans les ouvrages sur les femmes célèbres que dans les dictionnaires de peinture du XVIIIe siècle.
Autre indice de sa notoriété : il existe deux portraits d'elle réalisés de son vivant, l'un en miniature, l'autre grandeur nature. Ce dernier, autrefois attribué à Sébastien Bourdon, fut ensuite donné à Charles Le Brun car dans un inventaire des biens de la famille Girardon figuraient les portraits du couple Girardon peints par Le Brun. Mais la disparition du portrait de François Girardon n’a pas permis de confirmer cette attribution. Le très beau portrait de Catherine est réapparu sur le marché en 2022 et a été acheté par le musée de Versailles.
Une tradition invérifiable, mais pas invraisemblable, rapporte qu'elle aurait peint elle-même le vase et les fleurs… !
Portrait de Catherine Duchemin, peintre de fleurs, à son chevalet
Huile sur toile - 130 x 96 cm
Dès
le XVIIIe siècle, les principaux dictionnaires biographiques, comme le Dictionnaire
des artistes de l’Abbé de Fontenai ou le Dictionnaire des femmes
célèbres, de Jean François de la Croix citent son nom.
A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, elle est régulièrement citée par les historiens de l'art, en particulier dans les ouvrages consacrés à la nature morte. Il ne manque plus que certains musées fassent l’effort de s’y intéresser puisqu’il semble que certaines de ses œuvres y soient présentes, comme l’indique ce commentaire (1897), évoquant un avis de Charles Braquehaye (1839-1907), sculpteur et membre de plusieurs sociétés académiques, dont celle de l’Aube :
Il existerait donc des œuvres de Catherine dans les réserves du musée des Beaux-Arts de Troyes ?
Aujourd’hui, une seule œuvre signée de sa main est répertoriée dans un musée français :
Une
autre lui a récemment été attribuée lors d’une vente mais sur une base que je
ne suis pas en mesure d’évaluer…
Je
ne voudrais pas paraître exagérément féministe mais, eut égard au fait que cette
artiste a été la première académicienne française, un petit effort de
vérification des réserves dans les musées français, ne me paraîtrait pas superflu…
*
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