Inconnue du grand public en France, Josefa
de Ayala e Cabrera est célèbre au Portugal sous le nom de Josefa de Obidos.
Elle était la fille du peintre Baltazar Gomes Figueira (1604-1674) qui
travaillait à Séville et fut formé au contact d’artistes comme Francisco
Zurbaran, Francisco Herrera et Juan del Castillo.
Josefa revient au Portugal à l’âge de 4 ans, à Obidos, ville dont son père était originaire et dont le nom servira à la désigner ensuite.
Sa formation artistique est d’abord assurée par son père jusqu’à ses 14 ans : en 1644, Josefa entre au couvent de Santa Ana de Coimbra, au moment où son père réalise le retable du maître-autel de l’église Notre-Dame de Grâce dont dépendait le couvent. Elle y reçoit une éducation qui est probablement décisive pour sa production ultérieure, qualifiée par l’historien d’art portugais Vítor Serrão de « conception baroque de la religiosité ».
Huile sur cuivre - 25,5 x 34,4 cm
Collection particulière
Au cours de ses années de formation, elle s’est visiblement inspirée également des gravures présentes dans les collections de son père, selon les inventaires établis après sa mort. Elle aurait ainsi été familière des reproductions d’œuvres de Zurbaran et du Titien. Le Mariage mystique de Sainte Catherine, que Josefa a peint à 17 ans (!) est un bon exemple de cette inspiration :
La source d’inspiration
de ce petit tableau pourrait être le mariage mystique du Titien, pour l’église
Santi Giovani e Paolo de Venise, gravé une première fois par Nicolo Boldrini
vers 1540, puis, à partir de cette estampe, par Cornelis Cort en 1565 mais avec
une image inversée, celle dont Josefa a dû s’inspirer.
On retrouve, en effet inversée, la position respective des trois femmes, avec Joseph, le visage appuyé sur ses bras et les mains jointes de l’ange dans la gravure de Boldrini :
On ne sait pas à quelle
date Josefa ressort du couvent mais elle semble y être encore en 1653, quand elle réalise une série de gravures pour l’université de Coimbra,
notamment La Sagesse qui la rend célèbre.
Rentrée à Obidos, Josefa
travaille dans l’atelier de son père. Tous deux adoptent un répertoire commun
pour certains travaux, comme les natures mortes, avec des « modèles »
comme les paniers de cerises, les plats de fromages, les paniers de folares
(brioches de Pâques) qu’ils reproduisent dans différentes compositions qui
constituent la production caractéristique de leur atelier : à partir des
mêmes éléments, chacun réalise sa propre combinaison.
Si cela vous rappelle
quelque chose, vous avez raison :
Il est peu probable que
Josefa ait pu se souvenir de l’œuvre elle-même mais on suppose qu’elle a dû en
voir une gravure qui appartenait peut-être à son père. En tout cas, elle traite
le sujet comme Zurbarán, sur un fond noir et
avec un naturalisme qui s’approche
de la nature morte.
A une époque où la nature morte se développe dans toute l’Europe, la créativité de Josefa dans ce domaine restera un des atouts de sa notoriété future.
Obidos, proche de Lisbonne, est à cette époque, une ville de villégiature pour la noblesse. Il s’y installe une petite cour artistique et littéraire qui soutient la cause du duc Jean de Bragance contre la domination espagnole. Le duc, devenu Jean IV du Portugal, luttait encore pour faire reconnaître l’autonomie de son pays, ce qu’il n’obtiendra qu’en 1668.
Il semble que Josefa ait été une portraitiste très sollicitée par ces aristocrates. Cyrillo Volkmar Machado (1748-1823), premier historien de l’art portugais, qui la considère comme un des peintres portugais les plus importants du XVIIe, appréciait non seulement ses « tableaux d’histoire » mais il indique aussi, dans sa « Collection de Mémoires » de 1823, qu’elle « peignait bien les portraits. »
Elle serait l’auteur de ce portrait de la
princesse du Portugal :
Josefa développe une expression artistique particulière, le « style Joséphique » (selon l’expression de Vítor Serrão), grâce auquel, ses œuvres, même ni signées ni documentées, sont parfaitement reconnaissables.
Elle pratique la peinture
de chevalet et la miniature de dévotion, à l’huile sur cuivre, en petit format,
comme cette Vierge à l’enfant et saint Jean-Baptiste (1660). Gracieuses,
vivantes, un peu naïves et dans une gamme chromatique chatoyante, elles dégagent une atmosphère de bienveillance tranquille.
Je ne sais pas s'il faut prendre le chapeau plat et rayé de Marie pour une auréole mais si c'est le cas, c'est assez...imaginatif ! Et dans chaque tableau, il y a un petit détail qui émoustille. Ici, une petite nature morte à droite.
Huile sur cuivre - 35,2 x 43,1 cm
Museu da Misericórdi, Porto
Ici, le berceau à bascule qui porte la signature, le plateau coquille-Saint-Jacques plein de friandises de l'ange, l'agneau à genoux et le chat… sans parler des auréoles qui clignotent !
J’aime particulièrement
son Annonciation dont j’ai choisi un détail en guise d’autoportrait. Tiens, là aussi, Marie porte un voile noir…
Josefa a reçu de
nombreuses commandes des communautés religieuses, comme celle du couvent de
Santa Crux do Buçaco :
La chapelle centrale du couvent comprend un certain nombre d'œuvres remarquables, dédiées aux « saintes femmes ». La chapelle de Notre-Dame du Lait a été endommagée par un incendie la veille de Noël 2014 et la peinture de Josefa, représentant Marie offrant son sein à l'enfant Jésus a été détruite. On peut cependant en voir une copie in situ.
Josefa est également sollicitée
pour réaliser de grands retables, toujours visibles dans la région.
La sainte est montrée
dans le registre supérieur du retable, entourée de deux « épouses
mystiques » de Jésus-Christ, sainte Marie-Madeleine et sainte Thérèse de
Jésus. Cette association rare évoque une image matrimoniale : le
traité de mariage de Catherine de Bragance, née le 25 novembre, jour de sainte
Catherine, avec Charles II, fut signé à la Maison Blanche de Londres le 23 juin
1661, l’année où Josefa de Obidos réalisait ces tableaux. Il y avait donc un
peu de propagande dans cette commande, puisque que le mariage devait contribuer
à la légitimation monarchique de la famille de Bragance…
Huile sur toile - 218,5 × 150,5 cm
Retable de Santa Casa da Misericórdia, Peniche
Je termine sur une pépite, ce Petit Jésus pèlerin :
Œuvre
vendue aux enchères en 2018 et que le gouvernement portugais n’est pas parvenu
à acquérir…
Vive
la loi française sur la préemption des trésors nationaux, qui sont les
« biens qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national au
point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie » !
Et voici enfin quelques natures mortes qui rappellent que le Portugal avait établi au Brésil une colonie continentale dont ils voulaient développer le potentiel grâce à la production sucrière, un passé dont portent témoignage les nombreuses natures mortes portugaises qui montrent des sucreries…
Le caractère unique de l’art de Josefa était déjà apprécié à son époque, comme en témoigne son presque contemporain (né en 1692), Damiao de Froes Perym dans son Abecedario historico, e catalogo das mulheres illustres em armas, letras, acçoens heroicas e artes libera. Josefa d'Ayala figure à juste titre dans son catalogue des femmes illustres, en tant qu’artiste la plus connue du Portugal du XVIIe siècle et dont les œuvres étaient entrées dans les collections aristocratiques.
Malgré cela, sa figure a disparu de l’histoire de l’art jusqu’au siècle dernier où son rôle dans le développement de la peinture baroque du Portugal a commencé à être mis en évidence, certains auteurs la considérant aussi comme la représentante la plus brillante du naturalisme portugais.
*
En
2015, une rétrospective a été consacrée à Josefa au Musée national d’Art ancien
de Lisbonne, avec plus de 130 pièces provenant d’institutions nationales et internationales.
Elle y fut présentée comme une artiste émancipée et cultivée, dont la foi reflétait
la spiritualité de son temps et qui fut membre éminent de la scène baroque
portugaise pendant les années qui ont suivi l’indépendance de son pays.
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