mardi 14 septembre 2021

Josefa de Ayala de Obidos (1630-1684)

 

Annonciation (détail) - 1676


Inconnue du grand public en France, Josefa de Ayala e Cabrera est célèbre au Portugal sous le nom de Josefa de Obidos. Elle était la fille du peintre Baltazar Gomes Figueira (1604-1674) qui travaillait à Séville et fut formé au contact d’artistes comme Francisco Zurbaran, Francisco Herrera et Juan del Castillo.

Josefa revient au Portugal à l’âge de 4 ans, à Obidos, ville dont son père était originaire et dont le nom servira à la désigner ensuite.

Sa formation artistique est d’abord assurée par son père jusqu’à ses 14 ans : en 1644, Josefa entre au couvent de Santa Ana de Coimbra, au moment où son père réalise le retable du maître-autel de l’église Notre-Dame de Grâce dont dépendait le couvent. Elle y reçoit une éducation qui est probablement décisive pour sa production ultérieure, qualifiée par l’historien d’art portugais Vítor Serrão de « conception baroque de la religiosité ».  


Saint François et sainte Claire adorant l’Enfant Jésus - 1647
Huile sur cuivre - 25,5 x 34,4 cm
Collection particulière

Au cours de ses années de formation, elle s’est visiblement inspirée également des gravures présentes dans les collections de son père, selon les inventaires établis après sa mort. Elle aurait ainsi été familière des reproductions d’œuvres de Zurbaran et du Titien. Le Mariage mystique de Sainte Catherine, que Josefa a peint à 17 ans (!) est un bon exemple de cette inspiration :

 

Le mariage mystique de Sainte Catherine – 1647
Huile sur cuivre 27,2 x 36,2 cm
Collection particulière

La source d’inspiration de ce petit tableau pourrait être le mariage mystique du Titien, pour l’église Santi Giovani e Paolo de Venise, gravé une première fois par Nicolo Boldrini vers 1540, puis, à partir de cette estampe, par Cornelis Cort en 1565 mais avec une image inversée, celle dont Josefa a dû s’inspirer.  

On retrouve, en effet inversée, la position respective des trois femmes, avec Joseph, le visage appuyé sur ses bras et les mains jointes de l’ange dans la gravure de Boldrini :

Nicolò Boldrini da Tiziano Vecellio (1510-après 1566)
Le mariage mystique de sainte Catherine, d’après Titien
Gravure sur bois – 1540

On ne sait pas à quelle date Josefa ressort du couvent mais elle semble y être encore en 1653, quand elle réalise une série de gravures pour l’université de Coimbra, notamment La Sagesse qui la rend célèbre.

 

Frontispice – 1653/54
Gravure pour l'Université de Coimbra
Biblioteca national de Ajuda, Lisbonne

La Sagesse des connaissances académiques – 1653
Gravure pour l'Université de Coimbra
Biblioteca national de Ajuda, Lisbonne


Rentrée à Obidos, Josefa travaille dans l’atelier de son père. Tous deux adoptent un répertoire commun pour certains travaux, comme les natures mortes, avec des « modèles » comme les paniers de cerises, les plats de fromages, les paniers de folares (brioches de Pâques) qu’ils reproduisent dans différentes compositions qui constituent la production caractéristique de leur atelier : à partir des mêmes éléments, chacun réalise sa propre combinaison.

 

Baltazar Gomes Figueira (1604-1674)
Nature morte avec boites, pot à eau et bouquet de fleurs – vers 1650
Museu National de Arte Antiga, Lisbonne

Josefa de Obidos (1630-1684)
Boîte avec pots - vers 1660
Museu National de Arte Antiga, Lisbonne


Baltazar Gomes Figueira (1604-1674)
Nature morte avec agneau et pièces de chasse - vers 1645/1655
Museu national Frey Manuel do Cenáculo, Evora


Josefa de Obidos (1630-1684)
Agneau pascal - vers 1670
Huile sur toile, 55,5 x 78,7 cm
Walters Art Museum, Baltimore, Maryland


Josefa de Obidos (1630-1684)
Agneau pascal – vers 1680
Huile sur toile, 85,5 x 105,5 cm
Museu national Frey Manuel do Cenáculo, Evora



Si cela vous rappelle quelque chose, vous avez raison :

 

Francisco de Zurbarán (1598-1664)
Agnus Dei – vers 1635/1640
Huile sur toile, 37,3 x 62 cm
Musée du Prado, Madrid

Il est peu probable que Josefa ait pu se souvenir de l’œuvre elle-même mais on suppose qu’elle a dû en voir une gravure qui appartenait peut-être à son père. En tout cas, elle traite le sujet comme Zurbarán, sur un fond noir et avec un naturalisme qui s’approche de la nature morte. 

A une époque où la nature morte se développe dans toute l’Europe, la créativité de Josefa dans ce domaine restera un des atouts de sa notoriété future.


Obidos, proche de Lisbonne, est à cette époque, une ville de villégiature pour la noblesse. Il s’y installe une petite cour artistique et littéraire qui soutient la cause du duc Jean de Bragance contre la domination espagnole. Le duc, devenu Jean IV du Portugal, luttait encore pour faire reconnaître l’autonomie de son pays, ce qu’il n’obtiendra qu’en 1668.

Il semble que Josefa ait été une portraitiste très sollicitée par ces aristocrates. Cyrillo Volkmar Machado (1748-1823), premier historien de l’art portugais, qui la considère comme un des peintres portugais les plus importants du XVIIe, appréciait non seulement ses « tableaux d’histoire » mais il indique aussi, dans sa « Collection de Mémoires » de 1823, qu’elle « peignait bien les portraits. »

 Elle serait l’auteur de ce portrait de la princesse du Portugal :

 

Isabel Luisa Josefa de Braganza – vers 1680
Museu Nacional dos Coches, Lisbonne

Josefa développe une expression artistique particulière, le « style Joséphique » (selon l’expression de Vítor Serrão), grâce auquel, ses œuvres, même ni signées ni documentées, sont parfaitement reconnaissables.


Saint Bernard – 1660
Huile sur cuivre - 19,8 x 14,7 cm
Collection particulière


Elle pratique la peinture de chevalet et la miniature de dévotion, à l’huile sur cuivre, en petit format, comme cette Vierge à l’enfant et saint Jean-Baptiste (1660). Gracieuses, vivantes, un peu naïves et dans une gamme chromatique chatoyante, elles dégagent une atmosphère de bienveillance tranquille. 

 

La Vierge à l’enfant et saint Jean-Baptiste, vers 1660
Huile sur cuivre 16,3 x 20,5 cm
Collection particulière


Vierge et enfant
Huile sur cuivre, 15,7 x 12,2 cm
Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

La lecture du destin du Christ enfant – 1667
Huile sur cuivre 23 x 29 cm
Institute of Art, Detroit

Je ne sais pas s'il faut prendre le chapeau plat et rayé de Marie pour une auréole mais si c'est le cas, c'est assez...imaginatif ! Et dans chaque tableau, il y a un petit détail qui émoustille. Ici, une petite nature morte à droite.


La sainte Famille avec saint Jean Baptiste, sainte Elisabeth et des anges - 1679
Huile sur cuivre - 35,2 x 43,1 cm
Museu da Misericórdi, Porto

Ici, le berceau à bascule qui porte la signature, le plateau coquille-Saint-Jacques plein de friandises de l'ange, l'agneau à genoux et le chat… sans parler des auréoles qui clignotent !

J’aime particulièrement son Annonciation dont j’ai choisi un détail en guise d’autoportrait. Tiens, là aussi, Marie porte un voile noir…

 

Annonciation - 1676
Museu national Frey Manuel do Cenáculo, Evora


Une seule œuvre de Josefa est visible en France. Elle a été acquise par le Louvre en 2016 :

Madeleine pénitente, réconfortée par les anges – 1679
Huile sur cuivre, 34 x 42 cm
Musée du Louvre, Paris

Josefa a reçu de nombreuses commandes des communautés religieuses, comme celle du couvent de Santa Crux do Buçaco :

 

Notre-Dame du lait
Chapelle du couvent de Santa Crux do Buçaco

La chapelle centrale du couvent comprend un certain nombre d'œuvres remarquables, dédiées aux « saintes femmes ». La chapelle de Notre-Dame du Lait a été endommagée par un incendie la veille de Noël 2014 et la peinture de Josefa, représentant Marie offrant son sein à l'enfant Jésus a été détruite. On peut cependant en voir une copie in situ.

Josefa est également sollicitée pour réaliser de grands retables, toujours visibles dans la région.

 

Retable de sainte Catherine- 1661
Eglise Santa Maria, Obidos

La sainte est montrée dans le registre supérieur du retable, entourée de deux « épouses mystiques » de Jésus-Christ, sainte Marie-Madeleine et sainte Thérèse de Jésus. Cette association rare évoque une image matrimoniale : le traité de mariage de Catherine de Bragance, née le 25 novembre, jour de sainte Catherine, avec Charles II, fut signé à la Maison Blanche de Londres le 23 juin 1661, l’année où Josefa de Obidos réalisait ces tableaux. Il y avait donc un peu de propagande dans cette commande, puisque que le mariage devait contribuer à la légitimation monarchique de la famille de Bragance…

 

Christ attaché à la colonne - 1679
Huile sur toile - 218,5 × 150,5 cm
Retable de Santa Casa da Misericórdia, Peniche


Je termine sur une pépite, ce Petit Jésus pèlerin : 

 

Menino Jesus Peregrino – sans date
Collection particulière

Œuvre vendue aux enchères en 2018 et que le gouvernement portugais n’est pas parvenu à acquérir…

Vive la loi française sur la préemption des trésors nationaux, qui sont les « biens qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie » !


Et voici enfin quelques natures mortes qui rappellent que le Portugal avait établi au Brésil une colonie continentale dont ils voulaient développer le potentiel grâce à la production sucrière, un passé dont portent témoignage les nombreuses natures mortes portugaises qui montrent des sucreries…

 

Nature morte aux Gâteaux – vers 1660
Museu Regional Évora

 

Nature morte avec gâteaux, fleurs, fromages et panier de fève - 1676
Huile sur toile, 85 x 169,5 cm
Musée municipal de Santarem


Nature morte aux bonbons – vers 1679
Huile sur toile
Bibliothèque municipale de Santarem

 

Le caractère unique de l’art de Josefa était déjà apprécié à son époque, comme en témoigne son presque contemporain (né en 1692), Damiao de Froes Perym dans son Abecedario historico, e catalogo das mulheres illustres em armas, letras, acçoens heroicas e artes libera. Josefa d'Ayala figure à juste titre dans son catalogue des femmes illustres, en tant qu’artiste la plus connue du Portugal du XVIIe siècle et dont les œuvres étaient entrées dans les collections aristocratiques.

Malgré cela, sa figure a disparu de l’histoire de l’art jusqu’au siècle dernier où son rôle dans le développement de la peinture baroque du Portugal a commencé à être mis en évidence, certains auteurs la considérant aussi comme la représentante la plus brillante du naturalisme portugais.

 

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En 2015, une rétrospective a été consacrée à Josefa au Musée national d’Art ancien de Lisbonne, avec plus de 130 pièces provenant d’institutions nationales et internationales. Elle y fut présentée comme une artiste émancipée et cultivée, dont la foi reflétait la spiritualité de son temps et qui fut membre éminent de la scène baroque portugaise pendant les années qui ont suivi l’indépendance de son pays.

 





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