Luisa
Ignacia Roldán est née à Séville, probablement en août 1652 puisque son acte de
baptême est daté du 8 septembre de la même année. Elle était la quatrième des
neuf enfants du couple formé par Pedro Roldán et Teresa de Jesús de Mena y
Ortega.
Pedro Roldán est alors un maître sculpteur dont l’atelier est l’un des plus fameux de Séville. Comme il était d’usage à l’époque, Luisa est formée dans l’atelier de son père, avec ses frères et ses deux sœurs, María, qui deviendra également sculptrice, et Francisca, doreuse.
La première période de la vie de la jeune Luisa n’est pas documentée mais on sait que l’atelier de son père participe à la réalisation d’œuvres fameuses comme le retable de l’église du Sagrario, un édifice intégré dans l’ensemble architectural de la cathédrale de Séville (cliquer sur les images pour les agrandir).
Le
25 décembre 1671, Luisa épouse, contre l’avis de son père, un des
collaborateurs de l’atelier Roldán, Luis Antonio de los Arcos. Le jeune couple s’installe dans la maison
familiale des Navarro de los Arcos où naissent, sont baptisés et enterrés successivement
leurs quatre premiers enfants, trois filles et un garçon, tous morts en bas
âge.
En 1680, le couple s'installe dans une nouvelle maison du quartier du Tabernacle où naît en 1681 leur deuxième fils qu'ils nomment Francisco José Ignacio. Leur sixième enfant, Rosa María Josefa naît en 1684.
Il n'existe aucune preuve documentaire de la production de Luisa Roldán dans les années 1670, pour une raison simple : en tant que femme mariée, elle ne peut pas signer ses œuvres.
Pourtant, si l’Hermandad de la Exaltacion (Confrérie de l’Exaltation) signe, le 13 juin 1678, un contrat pour l’exécution d’une scène de la Crucifixion - des sculptures de procession grandeur nature, transportées dans les rues de Séville pendant la Semaine Sainte - avec deux sculpteurs, Luis Antonio de los Arcos et Cristóbal de Guadix, il semble aujourd’hui évident que Luisa a participé à la réalisation de certains personnages. On reconnaît en effet son style dans les figures des deux voleurs qui furent, selon l’Evangile, exécutés en même temps que le Christ.
En
1684, le couple réalise un Ecce Homo pour la cathédrale de Cadix,
une sculpture qui présente les caractéristiques techniques et expressives de Luisa
et à l'intérieur de laquelle se trouvait un document indiquant le participation
des deux sculpteurs à son exécution.
Dès
cette époque, Luisa exécute de petites sculptures en bois destinées à la dévotion
privée.
En
1687, le couple s’installe à Cadix, peut-être pour faciliter la prise en charge
de nouvelles commandes. Ils exécutent, notamment, les sculptures de San
Germán et San Servando de la cathédrale de Cadix, dans un
style à la fois naturaliste et expressif.
A cette époque, ils travaillent avec le frère de Luis Antonio, le peintre Tomás de los Arcos (1661-1711) qui se charge de la finition polychrome de leurs créations.
Dans
le contexte de la Contre-Réforme espagnole, le Concile de Trente avait
recommandé aux artistes de représenter les joies et les souffrances de la
Sainte Famille et des saints afin de favoriser la dévotion, en suscitant une
réaction émotionnelle du public.
Notre Dame de la Solitude, réalisée à cette époque pour le couvent des Minimes de Puerto Real (voir supra, en exergue), manifeste la prise d’indépendance de Luisa à l’égard du style paternel.
Au début de l’année 1689, Luisa s’installe en famille à Madrid. La première preuve documentaire de cette installation est l’acte de baptême de sa dernière fille, María Bernarda.
La raison de cette nouvelle installation est peut-être de répondre à une commande du roi Charles II, un Jésus de Nazareth destiné au pape Innocent XI, lequel mourut avant qu’on ait le temps de le lui envoyer.
Mais
c’est en réalisant des groupes destinés aux riches maisons madrilènes, de
petits formats en argile cuite, des « sculptures bijoux » comme elle-même les appelle, que Luisa va construire sa renommée.
Elle élabore des statuettes relativement simples, qu'elle décline en plusieurs versions :
Puis ses compositions se complexifient :
L’éducation de la Vierge est un thème iconographique, déjà
présent à la fin du Moyen Âge et qui se développe au cours de la
Contre-Réforme. Marie apprend à lire avec sa mère, assise sur un trône couronné
par trois chérubins, sous le regard d’un vieil homme qui est probablement son
père, Joachim. Elle est vêtue d’un manteau bleu soutenu par un ange, tandis que
d’autres angelots l’accompagnent de leurs chants divins…
Terre cuite polychrome, 25 x 29 cm
Museo Nacional de Escultura, Valladolid
L’iconographie de « Madeleine pénitente » connaît un grand développement avec la Contre-Réforme. Figure du repentir, Marie-Madeleine a renoncé au monde et vit en ermite dans une grotte. Devant une croix qui jaillit dans l’ombre, elle tombe en extase, ici soutenue par un ange, puis deux, dans l’autre version ci-dessous.
Terre cuite polychrome, 30,5 x 44,5 x 25 cm
The Hispanic Society of America, New York
Pour
cette scène, les chercheurs pensent que l’inspiration de Luisa vient d’un tableau de Van Dyck,
qui faisait l’objet d’un engouement particulier dans le monde artistique
hispanique, grâce à la diffusion des copies gravées.
« La
scène représentée montre le saint franciscain, Diego d'Alcalá, auquel la Vierge
à l'Enfant présente une croix, accompagnée de deux anges et assise sur des
nuages avec des chérubins. Selon la légende, le saint aurait donné du pain de
son couvent aux pauvres. Lorsqu'il fut accusé par un autre moine d'avoir volé
le pain du couvent, ses vêtements furent fouillés et le pain se transforma
miraculeusement en roses. » (Notice du musée)
Une nuit, Catherine d’Alexandrie voit le Christ en songe et
décide de lui consacrer sa vie. Mais séduit par la sagesse et la beauté de la
jeune femme, l’empereur Maxence réclame sa main à trois reprises. Catherine
refuse chaque fois, déclarant qu’elle est déjà fiancée au Christ. Cet
entêtement lui vaudra la mort. Au centre du tableau, le Christ enfant, sur les
genoux de sa mère, tend une main vers la sainte pour recevoir l’anneau d’or
qu’elle lui présente et qui symbolise leur union. Catherine est reconnaissable
à l’un ses attributs, la roue posée devant elle au premier plan, qui sera
l’instrument de son supplice.
« L'un
des antécédents des crèches qui deviendront populaires à partir du XVIIIe
siècle, ce petit groupe sculptural à l'atmosphère intime fait preuve d'une
grande maîtrise technique, qui se reflète dans une multitude de détails. Cette
scène pleine de tendresse, met en valeur la place accordée à saint Joseph, qui
n'est plus un simple spectateur, et une représentation de la Vierge en jeune
mère, à l’expression sereine et joyeuse. » (Notice du musée)
Grâce à ses réalisations, Luisa obtient la faveur de la Cour et sa reconnaissance professionnelle atteint son apogée avec sa nomination comme « Sculpteur de la Chambre » du roi Charles II, en octobre 1692.
Elle
répond alors à une commande du roi pour le monastère de l'Escorial, un Saint
Michel archange terrassant le diable, image du triomphe de l'Église
catholique sur le protestantisme…
…
dont l’iconographie est assez clairement inspirée du maître napolitain Luca
Giordano, dont l’œuvre était déjà bien connue à la cour, avant même son arrivée en Espagne, en 1692.
Peu
après l’exécution du Saint Michel, Luisa demande à Charles II de lui
accorder un salaire, sa nomination comme sculpteur de chambre n’étant
accompagnée d’aucune rémunération.
Dans un document autographe retrouvé en 2012, Luisa établit la liste de ses mérites en citant deux sculptures (qu’elle considère sans doute comme les plus représentatives de son art), « l’image de l’ange » et « l’enfant nazaréen ». La première est identifiée au Saint Michel ci-dessus, l’autre à L’Enfant de douleur, une sculpture que la reine laissera en héritage à sa nièce, Isabelle Farnèse qui l’offrit ensuite à la congrégation de San Fermín de los Navarros où elle se trouve encore. Les chercheurs en déduisent que cette sculpture raffinée et propre à susciter la compassion a été réalisée pour la reine mais son attribution à Luisa est restée controversée (j’ai trouvé des articles récents qui l’attribuent à Alonso Cano).
A
la même période, elle réalise le San Ginés de la Jara, presque grandeur
nature, qui montre sa capacité à transmettre l'émotion contenue d’un saint
vieillissant.
« Vêtu
d'une robe richement brodée, les joues roses, les yeux brillants et les bras
tendus, Ginés de la Jara interpelle les fidèles qui se tiennent devant lui. Ses
gestes et sa bouche ouverte suggèrent qu'il prêche. Selon la légende, après que
saint Ginés fut décapité dans le sud de la France, il ramassa sa tête et la
jeta dans le Rhône. Transportée par la mer jusqu'à la côte du sud-est de
l'Espagne, elle fut récupérée et conservée comme une relique. Les objets de
culte de taille réelle comprenaient souvent des yeux en verre et étaient
souvent fabriqués en bois pouvant être peint afin d'obtenir des résultats plus
réalistes. Renforçant l'expérience émotionnelle des fidèles, ce réalisme
exacerbé caractérisait l'art baroque espagnol à une époque où l'Église catholique
cherchait à rendre le christianisme plus accessible aux croyants. (…) La figure
a été polychromée par son beau-frère, Tomás de los Arcos, qui a utilisé la
technique espagnole de l'estofado pour reproduire les
vêtements ecclésiastiques brodés. Dans ce procédé, la zone du vêtement a d'abord été recouverte de feuilles d'or et peinte de peinture brune,
puis incisée au stylet pour révéler l'or en dessous. » (Notice du musée)
Luisa
élabore également des reliefs, notamment sur le thème très apprécié de la
« Vierge du lait ». En voici deux, très semblables, le premier étant
peut-être le modèle préparatoire du second.
Terre cuite polychrome, 26,50 x 19 x 3,5 cm
Museo Bellas Artes, Séville
Bois polychrome, 35 x 25 cm
Cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle
Un
thème qu’elle conjugue avec un autre de ses thèmes favoris, Jésus et
Jean-Baptiste enfants, ce dernier toujours vêtu de la même tunique.
Terre cuite polychrome, 41,5 x 33 x 25,5 cm
« La
Vierge, assise sur un bloc de pierre, allaite l'Enfant tandis que saint
Jean-Baptiste à ses pieds l'observe accompagné d'un agneau. Le groupe présente
les caractéristiques habituelles de la production de Luisa Roldán, reproduisant
des éléments présents dans d'autres de ses œuvres, que ce soit les types
humains ou la manière de disposer le tissu du manteau et de la tunique de la
Vierge. » (Notice du musée)
Lorsque
Philippe V arrive en Espagne en 1701, Luisa lui offre deux œuvres – une Naissance et
une Mise au tombeau du Christ – et lui envoie plusieurs lettres dans
lesquelles elle souligne qu'elle « sait exécuter dans la pierre, le bois,
l'argile, le bronze, l'argent et tout autre matériau » et demande le
renouvellement de sa charge de « Sculpteur de Chambre », ce que le
monarque lui accorde le 21 octobre 1701.
Terre cuite polychrome, 49,5 × 66 × 43,2 cm
Metropolitan Museum of Art, New York
« Autour
des trois côtés du sarcophage, Joseph d’Arimathie, Jean l’Évangéliste, Marie
Madeleine et Nicodème déposent le Christ pour le repos, sous le regard de deux
ouvriers soutenant le couvercle du tombeau. Chaque témoin semble tourmenté par
un mélange d’émotions, parmi lesquelles l’incrédulité, l’angoisse, la sympathie
et l’amour. Nous, les spectateurs, complétons le cercle des personnes en deuil
et occupons une position privilégiée devant le corps du Christ. La ressemblance
des personnages, la manière convaincante dont ils occupent l'espace et le
raffinement exquis du modelé et des couleurs nous attirent au plus près. Pour
saisir autant de détails, le temps ralentit et la sculpture crée ses propres
conditions de contemplation, soutien religieux ou attention à une œuvre d’art
virtuose ; sa créatrice, Luisa Roldán, a voulu qu’elle fonctionne dans les
deux sens. L’intensité expressive de la sculpture est amplifiée de manière
inattendue, et non diminuée, par sa petite taille. » (Notice du musée)
Dernière
œuvre remarquable de Luisa, un ensemble de 19 sculptures représentant le
cortège des rois mages qui devaient faire partie d’un ensemble plus important,
aujourd’hui disparu.
Bois polychrome, entre 10 et 40 cm
Museo de Escultura, Valladolid
En dépit de ses réalisations nombreuses et appréciées (elle aurait, selon ses propres déclarations, sculpté quatre-vingts statues pendant les douze années de sa charge auprès des rois d'Espagne), la situation financière de Luisa reste précaire jusqu’à la fin de sa vie. Les seuls documents de l'époque qui ont été retrouvés sont une « déclaration de pauvreté » que, malade et sans ressources, elle a signée le 5 janvier 1706, et son acte de décès, daté du 10 janvier de la même année.
Ironie
du sort, le même jour, 10 janvier 1706, l'Académie de Saint-Luc de Rome la nommait
« Académicien du Mérite », échelon supérieur de reconnaissance
professionnelle internationale, distinction rarement accordée à un artiste espagnol et
presque jamais à une femme.
*
En 1724, la postérité de l’œuvre de Luisa Roldán fut entretenue par le peintre Antonio Palomino (1655-1726), qui la cite dans le troisième tome de son ouvrage El museo pictórico y escala óptica, consacré aux biographies d’artistes, comme l’un des sculpteurs talentueux de son temps, un bref récit à la première personne qui la situe à la cour d'Espagne, décrit la femme que l'auteur avait connue à Madrid et loue son Jésus de Nazareth.
En
1764, le moine Andrés Ximénez (mort en 1808), inclut une brève biographie de
Luisa Roldán dans sa Descripción del Real Monasterio de San Lorenzo del
Escorial et déclare que son San Miguel est d’une perfection qui
peut rivaliser avec les œuvres les plus célèbres de l’Antiquité.
En 1964, Béatrice Gilman Proske (1899-2002) publie un article dans lequel elle donne un aperçu de la situation de Luisa Roldán, grâce aux transcriptions de ses lettres adressées aux deux rois, suppliques dont le ton alterne entre fierté de ses réalisations et humbles demandes de rémunération.
Il faudra cependant attendre juillet 2007 pour qu'une première grande exposition consacrée à La Roldana soit organisée à l’Alcazar de Séville.
Le 28 novembre prochain, le Musée National de Sculpture de Valladolid inaugurera l’exposition « Luisa Roldán, Real Sculptor ». Aux dernières nouvelles, l’exposition intègrera le Niño del Dolor, à l’attribution encore récemment controversée.
Ne cherchez pas Luisa dans les collections nationales françaises, elle ne s'y trouve pas…
*
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