dimanche 30 novembre 2025

Henriette Browne (1829-1901)

 

Victor Mottez (1809-1897)
Madame De Saux (Henriette Brown artiste peintre) – après 1855
Huile, lavis de sépia sur carton, 27,5 x 20,2 cm
Musée du Louvre, Paris

Sophie Henriette Louise de Bouteiller est née le 16 juin 1829, au domicile de ses parents, 4 rue Bergère à Paris, aujourd’hui dans le 9e arrondissement. Son père, Guillaume Louis Marie de Bouteiller (1787-1860), 41 ans, est chef de section aux contributions indirectes, sa mère, née Sophie Gersin, est âgée de 35 ans.

Guillaume de Bouteiller est également compositeur. Il est connu pour avoir, à la fin de ses études au Conservatoire de Paris, remporté un premier Grand prix de Rome en 1806 pour sa cantate Héro et Léandre et refusé ensuite de se rendre à Rome, pour choisir finalement d’entrer dans l’administration. Ce qui explique que l’un des témoins qui l’assiste, lors de la déclaration de naissance de Sophie, soit un certain Pierre Alexandre David, son chef de bureau ! (Etat civil reconstitué de Paris, n° 5Mi1 336, 16/6/1829 - 16/6/1829 – 2)

Sa famille n'émet pas d'objection à ce que Sophie s'intéresse aux disciplines artistiques d'autant que la sœur de Guillaume, Louise, était peintre. Principalement portraitiste, elle exposa au Salon de 1810 à 1824. (cliquer sur les photos pour les agrandir)

 

Louise de Bouteiller (1783-1828)
Césarine de Houdetot, baronne de Barante, lisant Paul et Virginie – 1818
Huile sur toile, 193,5 x 143 cm
National Gallery of Victoria, Melbourne


La jeune Sophie prend d’abord des cours de dessin auprès du peintre Emile Perrin, à la fin des années 1840, à une époque où ce peintre normand, récemment installé à Paris, est probablement déjà directeur de l’Opéra-Comique.

 

Emile Perrin (1814-1855)
La Mort de Malfilâtre – vers 1844
Huile sur toile, 92 x 73,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Caen

Sophie continue sa formation, à partir de 1851, dans le célèbre atelier féminin de Charles Chaplin, dont je montre ici - pour changer un peu de ses habituelles jeune filles en rose poudré - une toile exposée au Salon de 1865, auquel Sophie participera également.

 

Charles Chaplin (1825-1891)
La partie de Loto – Salon de 1865
Huile sur toile, 120,5 x 96 cm
Musée des Beaux-Arts, Rouen
Source : Base Joconde


En 1853, la jeune Sophie participe à son premier Salon et présente La Lecture de la Bible, sous le pseudonyme d’Henriette Browne. Pour ce qui est d’« Henriette », nous savons que c’est son second prénom. Quant à « Browne », il s’agirait, selon l’unique article biographique que j’ai trouvé, du nom « d’un bisaïeul, un certain général Browne, compromis au service du prétendant Charles-Édouard, et réfugié à Nantes où sa fille avait épousé un comte de Bouteiller. » (Th. Chasrel. « Mme Henriette Browne », L'Art : revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.97-103)

En furetant un peu sur les sites généalogiques de Bretagne, on trouve effectivement une Eléonore Marie Browne qui aurait épousé un Guillaume de Bouteiller au début du XVIIIe siècle. Je n’ai pas approfondi mais, quoi qu’il en soit, Sophie ayant choisi Henriette comme prénom d’artiste, nous l’appellerons ainsi désormais. 

Si sa première participation n’a laissé aucune trace dans la presse, la seconde est nettement plus remarquée, d’autant que les cinq tableaux qu’elle y montre sont vus par les visiteurs de l’Exposition universelle de 1855.

« Mlle Henriette Browne dont le nom jusqu'à ce jour nous était inconnu. Elle est élève de M. Chaplin mais ne le pastiche point ; ses cinq tableaux sont autant de petites perles ; si elle égraine de la sorte tout le collier, quelle riche moisson pour le Salon prochain. Naïveté de l'enfance, finesse du ton, harmonie générale, Mlle Browne réunit toutes ces qualités au plus haut degré. Pour elle, vouloir c'est pouvoir. » (Julien de La Rochenoire, Le salon de 1855 apprécié à sa juste valeur pour 1 franc, Martinon édit. Paris, 1855, p. 46-47)

Rochenoire n’est pas le seul à avoir remarqué les « petites perles » d’Henriette : elles ont aussi tapé dans l’œil d’Ernest Gambart, un marchand belge qui a ouvert deux ans plus tôt la French Gallery, au 121 Pall Mall (Londres) où il exposera les œuvres d’Henriette dès l’année suivante, ce qui explique qu’un certain nombre d’entre elles se trouvent en Angleterre aujourd’hui. Le même Gambart a été aussi le marchand londonien de Rosa Bonheur (voir sa notice). 

Il se trouve aussi que les organisateurs de l’Exposition universelle ont désigné comme photographe officiel, Eugène Disdéri, qui a ouvert l’année précédente l’un des plus grand studio photographique de la capitale.

Grâce à ses photographies, nous savons que l’ecclésiastique ci-dessous n’est pas – comme l’indique le musée de Manchester – un « moine des Frères de la Charité » mais bien le Frère des écoles chrétiennes exposé cette année-là par notre Henriette et dont la photo, par Disdéri, se trouve au musée d’Orsay.

 

Un Frère des écoles chrétiennes - 1855 
Huile sur toile, 116,7 x 89,5 cm
Manchester Art Gallery


C’est également grâce à lui qu’on peut identifier aujourd’hui L’Enseignement mutuel, présenté lors de la même Exposition :

 

André Adolphe Eugène Disdéri, photographe
L'enseignement mutuel, peinture de Henriette Browne - 1855
Épreuve sur papier albuminé, 29,1 x 22,4 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo : Alexis Brandt / Musée d’Orsay, RMN-Grand Palais



L’enseignement mutuel - 1855
Huile sur toile, 27,5 x 22 cm
Collection particulière (vente 2007)

Henriette reçoit sa première distinction au Salon, une médaille de 3e classe.

Pendant qu’Henriette expose ses œuvres, Sophie se marie. Le 14 juin 1855, elle épouse le diplomate Jules Henry de Saux, (1824-1879), ministre plénipotentiaire et, selon Wiki, secrétaire du comte Walewski (ce dont je n’ai trouvé confirmation nulle part), ce qui explique probablement en partie la décision de Sophie de se déguiser en Henriette pour paraître au Salon.

Voici le seul portrait que j’ai trouvé du sieur de Saux, probablement saisi lors de la même séance de pose que celui de son épouse que j’ai placé en exergue, faute d’autoportrait de l’artiste.

Victor Mottez (1809-1897)
Monsieur De Saux, ministre plénipotentiaire – sans date
Huile, lavis de sépia sur carton, 31,3 x 23,7 cm
Musée du Louvre, Paris


Au Salon suivant, celui de 1857, Henriette expose cinq toiles : Les puritaines, La leçon, Le Catéchisme, La grand’mère et un Portrait d’enfant.

Commençons par les petites scènes de genre : « Ce n’est pas, je le veux bien, de la peinture tout-à-fait sérieuse, de la grande peinture, mais c’est une peinture qui charme, qui a du sentiment et de l’expression ; il ne faut donc pas le négliger », estime Alphonse Renard (L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye, 1er août 1857, p.19-20)

« … une vieille mère lit quelque conte de fées à quatre petits enfants dont l’un s’endort sur ses genoux » précise Alphonse Renard.

 

Goupil et Cie, photographe
La Grand-Mère – Salon de 1857
Epreuve en noir et blanc sur papier albuminé, 33,5 x 26,1cm
Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris


« Mme Browne - pseudonyme sous lequel se cache un nom connu dans la diplomatie française - a exposé cette année deux bons tableaux ; Les Puritaines et Le Catéchisme. (…) Vous est-il arrivé d'entrer dans une église de campagne, un peu avant la Fête-Dieu, le soir, sur les sept ou huit heures. (…) Dans le fond de l’église, sur les bancs d’une petite chapelle ; vous avez vu, j’en suis sûr, huit ou dix enfants, garçonnets et fillettes, assis à la file et marmottant tant bien que mal les réponses du catéchisme aux demandes du vieux curé. Ils étaient là tous, un peu ennuyés, regrettant le jeu de la place voisine, écoutant les cris des camarades, mais sages, se tenant de leur mieux, "pour passer à la première communion " qui, bien éveillé, prêt à répondre, riant de ceux qui ne répondent pas ; qui, tout endormi, les yeux à moitié fermés par le sommeil, la tête penchée et tremblante ; qui, debout, regardant en l’air pour lire sur quelque rayon de soleil la réponse oubliée. Le prêtre résigné, calme, doux, modeste comme la lampe qui brûle devant l’autel, répétait cent fois la même question, expliquait autant de fois la même réponse, commentait sans se lasser, naïvement, avec le cœur, la parole de Dieu. Regardez un moment le petit tableau de Mme Browne, Le Catéchisme, vous retrouverez la scène au complet. Mme Browne a éprouvé les mêmes sentiments que nous, et elle les a traduits avec une délicatesse parfaite. La pensée du tableau est d’une femme ; le talent de l’exécution est d’un homme par la fermeté et la science. » (Fr. B. et Aff. S., Causeries à deux sur le Salon de 1857, imp. De Regnier, Senlis, 1857, p.70-71)

 

Le Catéchisme – 1853 (salon de 1857)
Huile sur toile, 55,6 x 47 cm
Collection particulière (vente 2015)


« Deux jeunes filles sévèrement et proprement mises, la tête couverte d'une petite coiffe bien empesée et bien blanche, lisent dans une chambrette, sérieuse comme elles, la vieille bible à tranches rouges du Presbytérianisme. Leurs têtes sont charmantes de pudeur, de recueillement, de piété. On entend les versets tomber de leurs lèvres roses, l'un après l'autre, lentement, sans précipitation, comme les gouttes d'eau tombent de la pierre ; rien ne les distrait, rien ne les trouble ; elles lisent parce qu'elles doivent lire, sans ennui, sans grand intérêt, par sagesse. » (Fr. B. et Aff. S., ibid.)

 

Les puritaines – Salon de 1857
Huile sur toile, 128 x 156 cm
Christchurch Art Gallery (Te Puna o Waiwhetū), Christchurch


Le jeune Nadar est conquis : « Mme Browne a du talent, et je suis généralement assez hostile aux femmes artistes pour que ceci ne soit pas un éloge banal de ma part. Les Puritaines est un tableau charmant. » (Nadar, Nadar jury au Salon de 1857, Librairie nouvelle Edit. Paris 1857, p.15) On en prend bonne note !

Pour Henriette, le Salon suivant est une réussite, à Paris comme un peu plus tard à Londres où les mêmes tableaux seront exposés à la French Gallery, mais Henriette, pourtant annoncée, n’est pas présente au vernissage.

« Je ne quitterai pas le salon carré sans rendre un très-sincère hommage, - et ceci n'est point de la galanterie française, - au talent solide et nerveux de l'artiste qui se cache sous le nom de Mme Henriette Browne. En l'absence de Rosa Bonheur, qui n'a pas exposé cette année, Mme Browne porte fièrement le drapeau de l'art féminin. Comme portraitiste, elle s'est placée parmi les forts. Son portrait de M. de G. est un des meilleurs parmi les portraits du Salon. » (Louis Jourdan, Les peintres français : Salon de 1859, Librairie nouvelle et A. Bourdilliat, édits. Paris, 1859, p.28)

Nous ne verrons pas cet introuvable portrait d’homme mais les autres toiles présentées ont aussi passionné le public comme la critique mais pas pour les mêmes raisons. Au Salon, la toile intitulée Sœurs de Charité est « assiégée par la foule », selon Eugène de Lépinois.

 

Les sœurs de la Charité – 1859
Huile sur toile, 167 x 130 cm
Kunsthalle, Hambourg

« Ma position est d'autant plus difficile, que je ne suis pas de l'avis du public sur les Sœurs de Charité ; c'est précisément l'œuvre qui parle à tous, et celui des tableaux de Mme Browne qui me séduit le moins. L'exécution m'en paraît trop achevée, c'est un trompe-l’œil ; le blanc domine par-dessus tout, les chairs manquent de fermeté, les accessoires sont trop bien faits, ils nuisent à l'effet moral de l'œuvre, qui manque entièrement de vigueur et de ton ; c'est peut-être le seul des tableaux de Mme Browne où, avant d'avoir vu la signature, on eût deviné une main féminine. Du reste le sujet est intéressant, attendrissant même. La composition est assez bien disposée, la peinture en est habile, et d'une artiste sûre d'elle-même, habituée à bien faire ; c'est encore trop joli, voilà le plus grand défaut de cette peinture, que l'on dirait transparente et éclairée par derrière. » (Mathilde Stevens, Impressions d'une femme au salon de 1859, A. Bourdilliat et Cie édit. Paris, 1859, p.21-23)

Je profite de ce commentaire pour souligner le nom de Mathilde Stevens, première femme à avoir publié sous son nom une critique de Salon. Bien qu’insistant sur sa propre féminité, elle s’est inspirée dans sa démarche des Ecrits sur l’art de Baudelaire et notamment de sa célèbre critique du Salon de 1846. Ce n’est pas le lieu de développer le propos et je vous renvoie à une analyse de son texte par Nelly Sanchez, « Critique d’art au féminin au XIX siècle : Mathilde Stevens », Texte et image, vol. 1, publié le 14 avril 2011 et disponible en ligne.

 

« La Pharmacie, que nous aimons beaucoup, est une petite toile, un intérieur, comme on dit, d’un effet juste et piquant, qu’animent des figures de religieuses préparant ou venant chercher des drogues. Le jour, traversant les portes vitrées du fond, rappelle la manière de Granet. » (Théophile Gautier, « Exposition de 1859 », Le Moniteur universel, 20 juillet 1859, p.3)

 

La Pharmacie, intérieur – Salon de 1859
Huile sur toile, 36 x 34 cm
Collection particulière

« La Pharmacie est un bijou, une perle fine tombée de l'écrin de Mme Browne ; le petit cadre convient mieux, nous semble-t-il, à ce talent intime, observateur et plein de sentiment. Quoi de plus simple qu'une pharmacie d'hospice ? et pourtant on reste devant la petite toile de Mme Browne, tout ému, tout impressionné, se sentant les yeux pleins de larmes devant le dévouement sans ostentation, la vie sublime et cachée, l'activité incessante des pauvres religieuses, dont le zèle ardent, bien plus que les médicaments, doit arracher le malade à la mort. Ce petit tableau seul aurait suffi pour expliquer le murmure d'admiration qui se fait autour du nom de l'artiste. » (Mathilde Stevens, ibid.)


La Toilette – vers 1859
Huile sur toile, 21,5 x 18 cm
Collection particulière (vente 2017)

« La Toilette, encore une adorable petite toile, est d'une naïveté qui fait sourire ; d'une finesse de touche, d'une intimité qui séduit et enchante. (Mathilde Stevens, Ibid.)

Alexandre Dumas renchérit : « La peinture de Mme Browne parle à la fois un langage limpide et modéré qui se fait comprendre de tout le monde, qui ne blesse personne, et qui attire à lui toutes les organisations calmes et douces. Aussi Mme Browne obtient-elle un succès de public. Nous donnons la préférence aux petits tableaux de Mme Browne, et surtout à l'Intérieur de la pharmacie, où des sœurs de charité préparent des médicaments. Cet intérieur est d'une grande vérité d'effet et d'observation. La Toilette représente une petite fille boutonnant avec une naïveté tout enfantine la culotte de son petit frère, plus jeune qu'elle. Il y a dans cette adorable petite toile une simplicité non cherchée admirablement exprimée. (Alexandre Dumas,  L'Art et les artistes contemporains au Salon de 1859,  A. Bourdilliat étid. Paris, 1859, p.63-66)

« Mêmes qualités charmantes dans un tout petit cadre intitulé : Une sœur. Mme Henriette Browne est un talent plein de promesses, un vrai talent, à qui il ne manque encore qu'un peu de vigueur et d'accent pour devenir la George Sand de la peinture. » (Mathilde Stevens, Ibid.)

La religieuse ci-dessous n’est pas celle qui a été présentée lors de ce même Salon mais je la place ici à titre d’illustration…

 

La religieuse – 1866
Huile sur toile, 92,4 x 73,6 cm
Sudley House, Liverpool


Après le succès de la première exposition des œuvres d’Henriette à Londres, Ernest Gambart a remué ciel et terre pour mettre la main sur Les Sœurs de la Charité, allant même jusqu’à retrouver le propriétaire de l’œuvre pour obtenir un prêt. Et il semblerait que le tableau ait fait sensation : « A l'Exposition ouverte l'année dernière à Londres dans Pall-Mall, je retrouvais les Sœurs de charité, de Mme Henriette Browne, tableau qui avait figuré, en 1859, au Salon des Champs-Élysées. Les Anglais faisaient cercle autour du cadre, l'examinant avec un calme imperturbable, l'œil dans ces grandes loupes auxquelles les amateurs d'outre-Manche ont recours pour juger à fond les toiles de conséquence. Ils déclarèrent celle-ci admirable » (Olivier Merson, La peinture en France : exposition de 1861, E. Dentu, édit. Paris, 1861, p.274)

Un succès qui tient à la fois au caractère religieux du tableau et à la personnalité de son auteur, sorte de modèle de vertu féminine. L’English Woman's Journal la décrit comme « modeste et simple en toutes choses », dépourvue de « toute prétention », une « épouse et une fille dévouées (...) occupée comme une abeille du matin au soir » (« Madame Henriette Browne », 1er avril 1860, p.88)

Dans Fine Arts Quarterly Review, Charles Kingsley la décrit comme « un cœur pur, noble, charitable et pieux » (octobre 1863, p. 306), comme si les œuvres d’Henriette constituaient « le reflet de sa propre vertu intérieure », ainsi que l’explique la chercheuse australienne Michelle Bonollo dans son article « Wonder women from France, Rosa Bonheur and Henriette Browne and their phenomenal success with the british press 1850-1862 », (Australasian Journal of  Victorian Studies, Vol 6, n°1, p.138-152., consultable en ligne)

 

En 1860, Sophie accompagne son mari à Constantinople. Elle en revient avec des œuvres inspirées par ses découvertes, notamment sa visite d’un harem, objet des fantasmes masculins de l’époque, qui s’expriment dans la vision qu’en donnent les peintres orientalistes.

Et ce qu’Henriette expose au Salon suivant en stupéfie plus d’un.

« A Constantinople, lorsque notre curiosité, lasse de courir les rues, entrait dans les maisons et s'irritait de ne pouvoir dépasser le sélamlik avec ses tasses de café et les chiboucks, nous nous sommes dit souvent "Les femmes seules devraient voyager en Turquie. Que peut voir un homme dans ces pays jaloux ? Des minarets blancs, des fontaines guillochées, des baraques roses, des cyprès noirs, des chiens galeux, des hammals chargés comme des chameaux, des caïdjis à chemise de soie, des cimetières plantés de pieux de marbre, des photographies ou des vues d'optique. Rien de plus."

Pour une femme, au contraire, l'odalik s'ouvre, le harem n'a plus de mystères ces visages, charmants sans doute, que le touriste barbu cherche en vain à deviner sous la mousseline du yachmali, elle les contemple dépouillés de leur voile, dans tout l'éclat de leur beauté le feredgé, ce domino du carnaval perpétuel de l'islam, ne dissimule plus ces corps gracieux et ces costumes splendides… Le rêve que nous faisions, Mme Henriette Browne vient de le réaliser ; elle rapporte d'Orient des nouvelles plus fraîches que celles des Mille et une Nuits, auxquelles il fallait nous en tenir. (…) Rien n'est élégant comme ces longues robes à queue de couleurs tendres, qui filent sur les formes et donnent au corps tant de grâce et de sveltesse. C'est à faire prendre les crinolines en horreur. Au bout de ces longues robes, comme des fleurs sur leurs tiges, se balancent de frais visages dont aucun teint de beauté européenne ne peut faire imaginer la nuance, car le grand air ne les a jamais effleurés. » (Théophile Gautier, Abécédaire du Salon de 1861, E. Dentu édit. Paris, 1861, p.72)

 

Une visite (Intérieur de harem, Constantinople) – 1861
Huile sur toile, 29,5 x 41 cm
Collection particulière (vente 2020)

« Une Joueuse de flûte nous initie aux divertissements du harem. Drapée de mousseline blanche, une jeune musicienne joue sur la flûte de derviche une de ces mélodies au charme étrange qui s'emparent de vous si invinciblement, et vous rappellent le souvenir d'airs entendus dans des existences antérieures ; trois femmes cadines ou odalisques l'écoutent appuyées au mur dans une attitude de rêverie extasiée. Une des compagnes de la joueuse de flûte, reconnaissable à sa guzla, agace une tortue se traînant sur un escabeau. Une troisième musicienne la regarde faire. Ces deux scènes ont un caractère d'intimité orientale qui les distingue de toutes les turqueries fantaisistes. Voilà bien de vraies dames turques. Mme Henriette Browne a trouvé, après Décamps, un moyen neuf de peindre les murailles blanches au lieu de les empâter, de les égratigner, de les trueller, elle les unit, elle les ponce, elle les stuque pour ainsi dire, laissant tout le relief aux figures l'effet qui en résulte est très-heureux. » (Théophile Gautier, ibid)

 

Joueuse de flûte (Intérieur de harem, Constantinople) – 1861
Localisation inconnue

« Trois odalisques écoutent en extase la joueuse de flûte qui se tient debout devant elles dans une pose détournée des plus gracieuses ; sa petite sœur, accroupie, a posé sa guzla pour agacer une tortue. » (Le Ménestrel, 7 juillet 1861, p.250)

Cette Joueuse de flûte aurait également charmé Ingres qui en conservait une gravure dans son atelier et se serait inspiré du dessin de la porte qui figure dans la Joueuse pour celle de son Bain turc !

 

Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867)
Le Bain turc (détail) – 1862
Musée du Louvre, Paris

Si on les compare à celles du Bain turc, justement, les femmes orientales d’Henriette n’ont rien de commun avec celles des peintres orientalistes. Elles vivent dans un décor presque austère et ne passent pas leur temps à se prélasser sur des coussins soyeux dans une attitude de sensualité lascive. Les critiques ne manquent pas de s’en plaindre ironiquement :

« Ainsi, voilà le harem. Au lieu de palais de diamants et d'Alhambras rajeunis, de vasques de marbre et de fontaines jaillissantes, de tapis somptueux et d’odalisques nues se roulant dans les perles de leur parure, sur des piles de coussins ou sur des mosaïques, nous voyons une salle austère et grave, sans ornementation, avec des colonnettes et des murs blanchis à la chaux, une natte déroulée sur les dalles, un divan régnant tout autour, et peuplée de femmes silencieuses, ennuyées, d'une grâce somnolente, chastes  dans la mousseline de leurs longues robes qui dessinent à peine leurs corps frêles et languissants. J’avoue que ces tableaux dérangent un peu nos rêves orientaux. » (Olivier Merson, La peinture en France : exposition de 1861, E. Dentu, édit. Paris, 1861, p.274-278)

 

« Les voici, ces harems aux profanes mystères !

Houris de l'Orient, source de voluptés,

Même dans le sérail vous cachez vos beautés !

Fi ! nous attendions mieux que vos mines austères. »

(Anatole Le Guillois, Diogène au Salon de 1861, revue en quatrains, Desloges édit. Paris, 1861, p.28)

On aurait pu penser qu’une femme serait sensible à cette nouvelle vision, moins érotisée, des femmes d’Orient.  Et pourtant, c’est une femme qui formule l’une des critiques les plus virulentes : « Les deux Intérieurs de harem n’indiquent point un progrès de l’artiste dont l’apparition au Salon nous révélait, il y a peu de temps, un talent tout viril. C’est de la peinture de femme, un peu creuse, un peu froide, telle enfin que, si ces Intérieurs n’étaient point à côté du portrait du baron de S*** et marqués de la même signature, ils n'éveilleraient qu’une attention secondaire. Madame Browne nous doit mieux ; on dirait qu’en faisant ces Intérieurs pris sur nature, elle était, malgré elle, influencée par l’atmosphère énervante du harem. » (Claude Vignon, « Une visite au Salon de 1861 », Le Correspondant, 25 mai 1861, p. 151) En effet, Claude Vignon est une femme : il s’agit de Marie Noémi Cadiot, sculptrice, critique d’art et… féministe déclarée.

Pour leur part, les Britanniques, restent assez circonspects devant les scènes de harems, même si la presse relève qu’elles étaient d’autant plus intéressantes qu’il eut été vain de les attendre « d’un crayon mâle ». Pour le public victorien, bien qu’a priori respectables, les femmes de harem constituent des modèles moins convenables que des religieuses ! Néanmoins, les tableaux d’Henriette continuent à connaître un succès considérable en Grande-Bretagne et à être collectionnés par les mécènes d’outre-Manche.

Un tableau remporte tous les suffrages du Salon de 1861 : « le chef-d’œuvre de Mme Browne, c'est la Femme d'Eleusis, une des meilleures toiles de l'Exposition. Ce tableau est parfait, que de grâce et d'énergie dans ce visage ! que de mélancolie et d'ardeur dans ce regard ! Comme ces narines ouvertes, comme ces lèvres épaisses et vermeilles sont voluptueuses ! Que d'abandon dans cette pose, que d'originalité charmante dans ce costume ! » (Paul Buchère, « Le Genre », Les Beaux-arts, 1er juillet 1861, p.10)

 

Une femme d’Eleusis – Salon de 1861
Huile sur toile, 147,5 x 114,5 cm
Lieu de conservation inconnu

« Madame Henriette Browne s'est placée au rang des plus grands maîtres modernes dans cette œuvre dont la description ne saurait être que très-insuffisante ; car, devant tant de perfection et d'un ordre si élevé, la critique reste muette d'admiration, ou plutôt joint au concert élogieux son hommage le plus sincère. Au reste, nous laissons au public, le grand juge, le soin de sanctionner notre opinion, persuadé de nous être renfermé dans la plus stricte équité dans nos appréciations, nous attendons son jugement avec la confiance que donne la conviction du devoir accompli. » (E. de Claireval, « Salon de 1861 », Le Papillon, 25 juin 1861, p.269)

Une femme d’Eleusis, qui vaut à Henriette sa médaille de 2e classe, est acquise par la famille impériale et, selon une étude récente, aurait été accrochée dans le bureau de l’Empereur. (Catherine Granger, « Le palais de Saint-Cloud sous le second Empire : décor intérieur », Livraisons d’histoire de l’architecture, 2001, p.54)

Henriette a exposé aussi La Consolation, dont il reste une trace dans la presse :

 

La Consolation - Salon de 1861
D’après Henriette Browne
Publié in : Gazette des Beaux-Arts, 1er juillet 1867, p.334
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

« Je retrouve Mme Browne, dans sa Consolation, charmant petit tableau, peint avec toute la délicatesse d’une femme et la vigueur d’un peintre » (Victor Cochinat. « Causerie sur le Salon », La Causerie, 16 juin 1861, p.3)

Enfin, dernier tableau exposé au Salon de 1861, le Portrait de M. le baron de S… est également salué par la critique.

« Le portrait de M. le baron de S. est d'une couleur excellente et d'une vigueur toute virile. Sans connaître le modèle, on sent sa ressemblance, on sent que ce n'est pas là une ressemblance à fleur de peau. La personne morale y est aussi bien que la personne physique. » (Théophile Gautier, Abécédaire du Salon de 1861, E. Dentu édit. Paris, 1861, p.72-77)

Il s’agit du baron Edouard de Silvestre, polytechnicien et membre de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, une organisation dont Henriette est proche via « l'Union centrale des Arts appliqués à l'Industrie » à laquelle elle apporte sa collaboration, nous y reviendrons.

 

Portrait d’Edouard de Silvestre – 1860
Huile sur toile
Collection particulière


L’année suivante, les tableaux d’Henriette sont remarqués à l’Exposition universelle de Londres et cela lui vaut un hommage assez appuyé (et un peu cocasse) : « A Londres, le public donne la palme en ce genre à Mme Henriette Browne. Sa Sœur de charité tenant sur ses genoux un enfant malade est un des grands succès de l'exposition. Le même tableau, exposé d'abord à Paris, y avait déjà fait une sensation profonde. Mais les éloges qu'il recueillit dès le premier jour n'ont trouvé jusqu'ici que peu d'écho dans la presse française. Les fameux, les capables avaient déclaré, haut de leur grandeur, que cette peinture-là manquait de solidité.

Oui, j'en conviens, cela n'est pas bâti à chaux et à sable. Mme Browne ne fait pas le mortier aussi bien que ces messieurs. Sans doute même aura-t-elle cru qu'elle pouvait s'en passer pour peindre cette frêle créature, ce pauvre enfant grelotant la fièvre, que la bonne sœur enveloppe avec tant de sollicitude dans une couverture de laine. Un pareil sujet doit-il donc se peindre de la même pâte que les travaux d'Hercule ? (…)

Les préventions de ce genre sont de toutes les époques.

Après mille projets absurdes conçus par des architectes de profession, jadis un simple médecin construisit la colonnade du Louvre. Tout le monde la tient pour un chef-d'œuvre ; mais peu importe ! Jamais les architectes n'ont pu admettre que Perrault fût un maître dans leur art.

Mme H. Browne n'a pas bâti la colonnade du Louvre ; mais, quelque [sic] soit la nature de ses œuvres, on n'est guère plus disposé à lui rendre justice. Qu'elle en prenne son parti ! Le public se chargera de l'en consoler ; il continuera à se laisser séduire par le sentiment parfait de ses compositions, par la suavité toute féminine de sa touche, par la correction de son dessin et l'harmonieuse transparence de sa couleur. » (Ferdinand de Lasteyrie, La peinture à l'Exposition universelle : étude sur l'art contemporain, Castel édit. Paris, 1863, p.153-155)

 

Au Salon de 1863, Henriette, qui est aussi une aquafortiste distinguée, expose deux gravures, d’après Alexandre Bida, La Confession et La robe de Joseph. Curieusement, alors que Bida était fort célèbre à l’époque, je n’ai pas trouvé beaucoup de dessins de sa main dans les collections publiques. Et encore moins d’œuvres interprétées par Henriette. Pour montrer la difficulté de l’exercice, voici l’un de ses dessins.

 

Alexandre Bida (1813-1895)
La Leçon – vers 1875/1880
Encre noire, pierre noire, gouache blanche sur carton, 25,2 x 32,8 cm
MUDO, musée de l’Oise, Beauvais


Accueil un peu mitigé de la part du public : « L’eau-forte nous a enlevé cette année Mme Henriette Browne, dont nous avons vainement cherché les tableaux si fêtés du public. De belles gravures d'après les compositions de Bida nous montrent du moins la variété et la flexibilité de son talent. » (Louis Enault, « Le Salon de 1863 », Gazette des étrangers, 13 juillet 1863, p.1)

Mais les gravures enthousiasment les spécialistes : « M. Bida doit à Mme Browne l'interprétation, la vulgarisation de deux de ses plus beaux dessins, et nous devons à M. Bida l'occasion qu'il a fournie de se produire dans la gravure à une des organisations artistiques les mieux douées et les plus complètes de ce temps-ci. » (Charles-Aimé Dauban, Le Salon de 1863, Renouard édit. Paris, 1863, p.52-53)

A la même époque, les tableaux d’Henriette sont assez régulièrement interprétés en gravure, comme l’attestent de nombreuses publicités. Ainsi, L'Écho de la Sologne du 13 septembre 1863, annonce la mise en vente de : « Intérieur d’un harem, dessin de Mettais d’après le tableau de Mme Henriette Browne ; Le tandour, dessin de Pasini d'après le tableau de Mme Henriette Browne.  Le téména, dessin de Mettais d’après le tableau de Mme Henriette Browne. »

 

Pasini, d’après Henriette Browne
Le tandour – vers 1863
(Le tandour turc est une table, couverte d’un tapis et sous laquelle
on place un réchaud rempli de braise pour se réchauffer)


Puis, au Salon de 1864, elle revient aux œuvres attendues par son public avec deux portraits, l’Enfant turc et Portrait de Mlle E.W.

« Ce sera un honneur pour M. Chaplin que d'avoir été le professeur d'une artiste d'un talent aussi vrai, aussi sérieux, aussi charmant que celui de Mme Henriette Browne. Au dernier Salon, elle était la première pour la gravure à l'eau forte, cette année elle est au premier rang des peintres de portraits. L'Enfant turque est une ravissante jeune fille qui rappelle les traits et la physionomie de cette jolie Pasqua-Maria, petit modèle italien, recherché de tous les artistes. Cette étude est parfaite de vérité, de sentiment, de modelé et de couleur. » (Louis Auvray, « Le Salon de 1864 », Revue artistique et littéraire, Tome 6, p.224)

Qui est cette Pasqua-Maria ? La base Joconde indique qu’il s’agit d’une petite Italienne, « née non loin de San Germano, est devenue, comme son père, un modèle quasi professionnel. Elle est à peine âgée de six ans quand elle pose à Paris pour les peintres Hébert, Jalabert ou Salles. » La voici :

 

Jean-François Jalabert (1819-1901)
Maria Pasqua dite Maria Abruzzeze – sans date
Huile sur toile, 150 x 102 cm
Musée des Beaux-Arts, Nimes

Elle est assez proche de cet autre petit modèle, dont la datation correspond à la période. Si c’est elle, ne me demandez pas pourquoi elle est devenue grecque mais on a déjà constaté qu’en traversant la Manche, les œuvres ont tendance à changer de nom…

 

La Captive grecque – 1863
Huile sur toile, 92 x 73 cm
The National Gallery, Londres

Les commentaires de la presse ne manquent pas d’humour et l’un d’entre eux conforte ma proposition : « Rien n'est plus fin, plus tendre, plus, élégant que son enfant turque, habillée de ces jolies étoffes dont la couleur, admirablement fausse, n’a d’analogue que dans la confiserie. La nature avait créé le vert pistache, les Orientaux et les confiseurs ont inventé le rose pistache, le violet pistache et toute une, gamme de tons pistache à la fois impossibles et charmants, comme la voix de Mlle de M. au Théâtre Lyrique.  Il faut être artiste et demi pour réunir dans un tableau harmonieux ces couleurs de convention et une vraie figure vivante. Mme Henriette Browne y a réussi au-delà de toute espérance. Elle a drapé dans du bonbon-tissu une enfant de chair et d'os. Mais cette étude, si intéressante, qu'elle soit, n'est pas encore son meilleur ouvrage. » (Edmond About, Salon de 1864, Le Petit Journal, 23 juin 1864, p.3)

Bref, c’est un succès, comme le confirme le Charivari : « Le président. - Mme Henriette Browne !... (Réclamations au banc des refusés.) Silence !... Madame, la commission à l’unanimité a décidé que vos deux tableaux de cette année méritaient une distinction particulière :  on n’unit pas impunément tant de grâce à tant de virilité. Voici des lettres-patentes qui vous confèrent le droit de signer à l’avenir vos œuvres du nom de "Henri Browne." » (« Salon de 1864, distribution des récompenses », Le Charivari, 19 juin 1864, p.2)

 

C’est encore grâce à la presse que je pense avoir trouvé le Portrait de Mme L…, présenté au Salon suivant : « La manière de peindre de Mme H. Browne n'a rien de féminin ; aussi, son Portrait de Mme L***, en costume du XVIIe siècle, est-il un des plus beaux du Salon, un des plus largement touchés. Le profil est d'un noble et sévère caractère. » (Louis Auvray, Exposition des beaux-arts : salon de 1865, A. Lévy fils édit., Paris, 1865, p. 39-40)

« Mme Henriette Browne retient le public devant son portrait de Mme L. en costume de dame de Saint-Cyr. Représentée debout, en trois quarts, avec un regard doux, fin et capable, elle manie avec grâce des deux mains un éventail fermé ; c'est un portrait d'une exécution ample et d'un grand éclat. » (Vincent de Jankovitz, Étude sur le Salon de 1865, J. Jacquin édit. Besançon, 1865, p.63)

Qu’est-ce donc qu’un costume de « dame de Saint-Cyr » ?

 

Nicolas Arnoult (vers 1650-1722)
Costume de demoiselle de Saint-Cyr portant le ruban vert – vers 1686
Estampe, 33,3 x 22 cm
Musée des Châteaux de Versailles et du Trianon, Versailles


Si ce portrait n’est pas celui de Mme L..., c’est donc celui de sa sœur, Anselma !

 

Portrait de Madame Anselma en costume d’époque Louis XIV – 1865
Huile sur toile, 129 x 95 cm
Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid


Pendant ce temps… « L’Empereur est à Plombières, les ministres sont aux eaux, la fashion est aux bains de mer, tout le monde voyage. (…) Parmi les notabilités réunies dans cette ville d’eau, je vous citerai au hasard : La famille d’Aligre ; madame Emile de Girardin ; le baron de Heeckeren, sénateur, et ses filles ; la maréchale de Saint-Arnault ; le comte Dubourg, écuyer de l’Empereur, et la comtesse Dubourg ; M. de Saux et madame de Saux (Henriette Browne), [etc.] » (Journal de Chinon, 27 juillet 1865, p.1). Visiblement, l’anonymat d’Henriette est éventé depuis longtemps.


Aucune trace du Portrait de Mme d’O… du Salon de 1866, que Gaston Bergeret a évoqué en deux mots « joli-joli ».

Il est plus précisément décrit par Jules Girardin : « La tête a un caractère de candeur sérieuse et de réserve virginale ; n'était l'avertissement du livret, on croirait voir un portrait de jeune fille. (…) Quelques violettes se trouvaient au corsage : on les y a laissées, on ne les a pas mises exprès. Les bras ont de l'abandon et de la grâce ; les mains viennent se joindre négligemment sur les genoux. Quoiqu'elles disparaissent en partie dans les plis de la soie, ce qu'on en voit est charmant : elles ont la couleur, la souplesse, et jusqu'à la moiteur de la vie. » (« Le Salon de 1866 », Revue française, 1er mai 1866, p.272)

C’est alors qu’en feuilletant le catalogue de l’Exposition universelle de l’année suivante… j’ai vu « quelques violettes sur un corsage. »

 

L'Exposition universelle de 1867 illustrée, p.196
Paris, Bureaux d'abonnements – 1867
Source : Internet Archives

Parallèlement, Sophie assure ses obligations de femme de diplomate : « Samedi soir a eu lieu le bal costumé du ministère des affaires étrangères. Il a été splendide, jamais on n'en avait vu d'aussi brillant. Mme la comtesse Drouyn de Lhuys, en costume Louis XV, bleu de ciel constellé de diamants, a fait les honneurs avec cette exquise distinction et ce charme aimable dont elle a le secret. Un magnifique cortège japonais a commencé la soirée. Les costumes les plus remarquables ont été ceux de Mme Pierre de Castellane, en sorcière, couronnée d'un corbeau ; Mme de Sault (le peintre éminent qui signe ses tableaux Henriette Browne) en Chinoise ; Mme de Montaut, en Velléda ; (etc.) » (Journal de Montpellier, 17 février 1866, p.2)

 

Au Salon de 1867 Henriette présente une Jeune fille de Rhodes et une Ecole juive à Tanger.

« La peinture de Mme Henriette Browne a toujours un charme de coloris qui attire et séduit, soit que l'artiste exerce son pinceau à des études grandes comme nature, soit qu'elle se borne à peindre un tableau de chevalet. Depuis son voyage en Orient, Mme Browne (Pseudonyme de madame Jules de Saulx) affectionne les types et les scènes de ces contrées lointaines. Sa Jeune fille de Rhodes est une grande étude, largement touchée et solide ton, le modelé des chairs est ferme et vrai. » (Louis Auvray, Exposition des beaux-arts : salon de 1867, Vve J. Renouard édit. Paris, 1867, p.30)

Le portrait ci-dessous a été exposé au musée Thyssen-Bornemisza en 2023, dans l’exposition « Femmes Maitres » sous le titre Paysanne d’Afrique du Nord. La robe, en effet, évoque plutôt les costumes marocains traditionnels. La coiffure, en revanche, me laisse un peu pensive.

 

Paysanne d’Afrique du Nord – 1867
Huile sur toile, 98 x 73,7 cm
Collection particulière


En ce qui concerne le second tableau : « La couleur est plus coquette dans la petite toile qui représente Une école israélite à Tanger ; l'effet général a de l'éclat, (…) toutes ces petites têtes d'enfants sont finement peintes et de caractères variés. » (Louis Auvray, Ibid.Selon Th. Chasrel, dans l’article précité, Henriette a fait  « un séjour de plusieurs semaines au Maroc » en 1866.

 

Une Ecole juive à Tanger - 1867
Fac-simile d’un dessin de Lalauze, d’après le tableau de Henriette Browne
Publié in : L'Art, revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.101
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Voici le tableau ou sa copie car la composition n’est pas exactement identique (voir le plafond).

 

Une école juive à Tanger – 1867
Huile sur toile, 61,5 x 49,5 cm
Collection particulière

Les écoles intéressent Henriette puisqu’un peu plus tard, elle peindra cette école dite « turque » mais qui pourrait tout aussi bien s’être trouvée en Egypte ou à Tanger.


Salle de classe turque – 1870
Huile sur panneau, 28 x 22,5 cm
Collection particulière (vente 2005)


Du Salon de 1868, il ne reste trace que d’une des deux toiles présentées, Le Réveil, « petit tableau très gracieux et très lumineux », selon La Presse, 12 juillet 1868.

Je pense l’avoir trouvé grâce à la description suivante mais sans certitude, bien que le tableau soit daté et signé : « Quel délicieux tableaux aussi que cet intérieur de chaumière, où plusieurs jeunes enfants restés sous la garde d'une petite fille un peu plus âgée, se dressent dans leur berceau, tendant les bras avec un sourire vers la miche de pain bis qui fera tous les frais de leur déjeuner. » (« Salon de 1868 », L'Europe artiste, 5 janvier 1868, p.2)

 

Le réveil – 1868
Huile sur toile
Collection particulière


N’ayant pas trouvé d’information officielle sur les affectations successives de son mari, il m’est difficile d’imaginer les périples de Sophie. Selon Th. Chasrel, elle passe l’hiver 1868-69 « en Egypte et en Syrie » mais aucune autre référence ne permet de le vérifier.

Toujours est-il qu’en 1869, Henriette se présente au Salon du mois de mai avec Un tribunal à Damas et des Danseuses en Nubie.

Le tribunal est à peine visible sur cette photo d’une gravure de Charles Courtry mais l'image paraît exacte si on la compare aux commentaires. 

 

Charles Courtry (1846-1897)
Un tribunal à Damas, d’après Henriette Browne
(Photo trouvée sur le Net)


« Tribunal à Damas. C'est ce dernier tableau, qui a figuré à l'exposition de 1869, dont le Musée universel donne aujourd'hui une eau-forte, due à la pointe spirituelle de M. Courtry. Tous les membres de l'assemblée sont rangés autour d'une grande salle, au milieu de laquelle chacun a laissé ses chaussures. La muraille n'a pour tout ornement que quelques papiers, sur lesquels sont écrites des sentences. Mais cette nudité, loin de faire mauvais effet, prête au tableau un grand charme pittoresque, & elle est d'ailleurs tempérée par un effet de lumière diffuse, très-bien rendu par la gravure. Les figures, quoique relativement très-petites, gagnent en importance tout ce que le fond perd en richesse de détail. Ce tableau, si différent de ceux qui avaient marqué les débuts de l'artiste, montre chez madame Henriette Browne une grande souplesse de talent. » (René Menard, « Un Tribunal à Damas », Le Musée universel, Tome 2, p.39) Hélas, la version du Musée universel numérisé dans Gallica ne comporte pas les gravures qui étaient associées aux textes…


On a plus de chance avec les Danseuses, reproduites dans la presse, d’après un dessin d’Henriette elle-même.


Danseuses en Nubie
Dessin de Mme Henriette Browne
Photogravure directe de MM. Yves et Barret
Publié in : L'Art, revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.99
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France



Danseuses en Nubie – vers 1869
Crayon et lavis, 30,3 x 41,6 cm
Collection particulière (vente 2010)


Les deux toiles exposées par Henriette au Salon suivant ont disparu. Son Portrait du père Hyacinthe (qui était le père Charles Loyson, connu pour ses prédications à Notre-Dame) a été également exposé à la Royal Academy deux ans plus tard. Il a été apprécié en France mais c’est surtout l’autre œuvre, Les Oranges, qui a retenu l’attention de la presse. Il en reste une gravure, par Edmond Hédoin.

« Les sujets les plus vulgaires peuvent être relevés par la manière dont le peintre a su les traiter. Ainsi Mlle Henriette Browne a triomphé de cet écueil. Elle a peint avec une grande séduction, une grande vérité et une touche ferme, deux petits Egyptiens occupés à dévorer des oranges. Ces moutards sont surtout charmants, parce qu’ils sont bien à ce qu’ils font et ne posent point au-delà du cadre. Ils ne se soucient de rien autre chose que de leurs oranges. » (L. Rigaud, « le Salon de 1870 », Le Nain jaune, 19 juin 1870, p.5-6)

 

Les Oranges (Souvenir d’Egypte) – Salon de 1870
Gravure d’Edmond Hédoin
L’Art, revue hebdomadaire illustrée, Tome 2, 1877, p. 102
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

« Les Oranges, de Mme Henriette Browne nous rappellent l'Egypte avec une grande vivacité d'impression et de couleur. Deux enfants sont assis au pied d'un mur, à côté d'une corbeille en sparterie pleine d'oranges. L'un, coiffé d'un bonnet conique retenu par une cordelette en poil de chameau, le torse nu, une amulette suspendue au col, les jambes croisées, se sert de son doigt comme d'une spatule pour vider une orange qu'il a pelée en partie. L'autre, un méchant bout de burnous sur l'épaule, la tête rasée, sauf une mèche qui forme crête sur le haut du crâne, se livre à la même occupation que son camarade. Ces gamins exotiques ont l'air de marchands qui mangent leur fond faute de clientèle. Mme Henriette Browne a rendu avec une grande vérité cette intense lumière d'Egypte, qui projette des ombres bleues, comme pour justifier la théorie des couleurs de Goethe. » (Théophile Gautier, « Salon de 1870 », Journal officiel de l’Empire français, 18 juillet 1870, p.1276)

 

Il n’y a pas de Salon en 1871, probablement à cause de la Commune de Paris qui se termine à la fin du mois de mai. Henriette expose à la Royal Academy de Londres Pendant la guerre, dont il reste aussi une gravure.

 

Pendant la guerre
d’après le tableau de Mme Henriette Browne
Publié in : L'Art, revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.100
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Pour les mêmes raisons, l’Exposition universelle de Londres faillit s’ouvrir sans que la France soit représentée à l’exposition des Beaux-Arts. Tous les tableaux retenus restaient coincés en France, en raison des troubles de la Commune. Mais Edmond du Sommerard, directeur du musée de Cluny, qui avait été nommé commissaire de ladite exposition, eut l’idée de faire appel aux collectionneurs anglais. Ceux-ci répondirent favorablement et près de 2.000 tableaux purent être exposés. Ce n’est qu’au mois de juillet que les tableaux français sont finalement arrivés… Henriette expose L’école juive et Alsace, abondamment gravée par la suite.

 

L’Alsace – vers 1871
Gravure sur acier, image 17,8 x 26,7 cm
Collection particulière (vente 2025)


Le deux toiles qu’elle expose en 1973 sont diversement appréciées.

« Tandis que nombre de tableaux d'histoire se réduisent à la moindre mesure possible, nous trouvons, parmi les grandes toiles restant encore, beaucoup d’œuvres qui sont de véritables tableaux de genre, agrandies, hors de tout propos. Mme Browne, qui a commencé à donner dans cette fausse voie avec son Enfant malade, continue avec le tableau : Ça ne sera rien !  Une petite fille s’est cogné le front : sa mère lui bande la tête et la console. Voyez-vous ceci traité en grandeur naturelle ? C’est dommage ; car l'œuvre présente de grandes qualités. La grande sincérité des types les signale comme des portraits. » (Jules Guillemot, « Salon de 1873 », Le Journal de Paris, 7 juin 1873, p.3)

Je pense l’avoir trouvée mais sans ses dimensions ni son lieu de conservation.

 

Ça ne sera rien ! – 1873 (?)
Huile sur toile
Localisation inconnue

« Ça ne sera rien ! exposé par Mme Henriette Browne, est un sujet tout à fait intime. Une fillette s’est un peu blessée en jouant ; la maman, après l’avoir naturellement grondée, lui met un bandeau au front et lui fait tremper la main dans un vase plein d’eau. Ce tableau n’est pas complètement réussi : la tête de la mère manque un peu d’expression, et le modelé n’est pas sans quelque mollesse ; les blancs des robes sont froids, et l’ensemble est tant soi peu lourd, pourtant la tête de l’enfant est fort bien exécutée, grassement et largement et la coloration un est très-bonne. Cette petite tête, encadrée toute seule, n'attirerait absolument que des éloges à l’auteur. » (Charles Garnier, « Salon de 1873 », Le Moniteur universel, 7 juin 1873, p.1)

 

En revanche, l’autre toile, Le Médaillon suscite un commentaire louangeur du même :

« Ce n’est pourtant qu'un buste de femme, mais qu’il est charmant ! La couleur est vraie, harmonieuse et puissante, le dessin est ferme et précis, sans sécheresse, et les mains sont parfaites. C’est surtout dans les mains qu’il faut juger l’artiste, car c’est là la pierre de touche des peintres, et il faut avouer qu’en général les femmes qui tiennent un pinceau laissent bien à désirer sur ce point. Les mains pourtant ont leur physionomie tout comme la figure ; mais il faut savoir la saisir et ne pas mettra des mains de modèles au bout des bras d’une patricienne. Mme Henriette Browne a vaincu la difficulté ; elle a fait œuvre d’artiste complète dans ce tableau, enlevé avec maestria, et qui montre qu'elle n'est pas de la famille de ces gens du monde qui s’imaginent être peintres parce qu’ils font de la peinture. Au surplus, il y a longtemps déjà que le talent de Mme Browne est reconnu de tous ; mais cela n’empêche pas de constater que, loin de rester stationnaire, ce talent se développe et s’agrandit chaque jour. » (Charles Garnier, ibid.)

 

La même année, elle participe à une œuvre collective, Les Saints Évangiles, traduction tirée des œuvres de Bossuet, une édition accompagnée de 128 grandes compositions, d'après les dessins originaux d’Alexandre Bida gravés à l’eau-forte (édité par Hachette). Elle intervient en compagnie de grands noms de la gravure, comme Bida lui-même, Félix Bracquemond et Edmond Hédouin.

D’après un article de la Revue des deux Mondes, Bida, qui connaissait déjà très bien le Moyen Orient, y serait retourné « Les Évangiles à la main, il reprit pas à pas l'itinéraire du Christ ; il alla dans la Pentapole, à Jérusalem, à Hébron, à Tabarieh, à Safeth, à Damas, vivre parmi les Juifs, qui sont restés aujourd'hui ce qu'ils étaient au temps où la bonne nouvelle leur fut inutilement annoncée. (…) Un voyage en terre-sainte est le plus éloquent commentaire des Écritures qui se puisse imaginer : le livre et le paysage s'expliquent, se complètent l'un par l'autre. (…) ce livre, pour lequel tant d'arts divers se sont fraternellement associés, vient de paraître. Il peut prendre rang à côté des chefs-d'œuvre que les âges précédens nous ont légués. » (Maxime Du Camp, Revue des deux Mondes, Deuxième période, Vol. 107, n° 3, 1er octobre 1873, pp. 635-666)

 

En voici deux illustrations mais je n’ai pas pu trouver celles qui ont été gravées par Henriette.


Jésus au Temple, parmi les docteurs

La pêche miraculeuse

Le livre eut un grand succès et on en trouve encore des exemplaires en vente aujourd’hui.

 

Au Salon suivant, Henriette expose deux portraits et Un poète, les Coptes de la Haute Egypte.  

 

Un Poète - les Coptes de la Haute Egypte – 1874
Huile sur toile, 62,2 x 72,4 cm
Collection particulière (vente 2000)

« Ce poète-là n’a pas de peine à mettre du soleil dans ses vers et, s’il traduisait les Orientales, la traduction ressemblerait à un original. Quoi de plus lumineux que cette toile, de plus vivant et de plus vrai que la façon dont les deux figures se détachent sur la blancheur du mur ? Au surplus, ce qui est bien préférable à mes éloges, c’est le suffrage de quiconque a voyagé en Orient. "Affirmez hardiment, me disait un des plus spirituels et des plus célébrés de ces Orientaux de Paris, que Mme Browne nous a apporté un morceau de la Haute-Egypte." » (A. de Pontmartin, « Salon de 1874 », L'entracte, 9 juin 1874, p.2)

Son Portrait de M. E.P. dont les initiales sont celles d’un certain M. Surville est jugé excellent. Il est resté dans les mémoires notamment à cause de l’initiative d’un peintre un peu oublié aujourd’hui, Camille Cabaillot-Lassalle, qui eut l’idée de présenter au Salon une salle de ce même Salon, en proposant aux peintres concernés de prendre le pinceau pour reproduire chacun leur propre toile. C’est ainsi qu’Henriette a peint son M. Surville en bas, à droite de la cimaise, ce qu’on peut « vérifier » avec le dessin reproduit en-dessous…

 

Camille Cabaillot-Lassalle (1839 – 1889)
Le Salon de 1874 - 1874
Huile sur toile, 100 cm x 81,5 cm 
Musée d’Orsay, Paris
© Photo : Sophie Crépy / Musée d’Orsay, RMN-Grand Palais




Portrait de M. Surville,  d’après le tableau de Mme Henriette Browne 
Dessin de Lalauze, gravure en fac-simile de Puyplat
Publié in : L'Art, revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.102
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Et l’année suivante, c’est avec une Perruche qu’Henriette revient au Salon.

« Mme Henriette Browne a saisi son modèle dans une pose d’un naturel charmant. Cette belle toile, pleine de vérité, de chaleur, de vie. » (Le Paladin, Le Don Quichotte, 24 avril 1875, p.3) Encore une toile qui fut acquise en Angleterre…

 

La Perruche – 1875
Huile sur toile, 148 x 92 cm
Musée et galerie d'art Russell-Cotes, Bournemouth
Publié in : L'Art : revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p. 98


… comme celle qu’elle présente, la même année, à la Royale Academy sous le titre The Pet Goldfinch, une métaphore de la liberté représentée par un petit chardonneret qui s’est échappé de sa cage pendant qu’une petite fille, en train de faire ses devoirs, le regarde en se disant qu’elle ferait bien la même chose que lui.

 

Le chardonneret de compagnie – vers 1874-1875
Huile sur toile, 74 x 92 cm


Selon La République française du 27 septembre 1874, Henriette avait été élue par les exposants de « L'Union centrale des Arts appliqués à l'Industrie » pour participer au jury pour les écoles, ce qu’elle avait visiblement accepté. Cet organisme, créé en 1863, visait à la création d’un musée et d’une bibliothèque, ouverts l’année suivante dans l’un des hôtels de la place Royale (aujourd’hui place des Vosges). Elle y organisait régulièrement des expositions de travaux d’élèves. Deux ans après le commencement de cette collaboration, Sophie de Saux est nommée Officier d’Académie (L'Instruction publique, 16 décembre 1876, p.804)

 

Cette année-là, elle participe aussi au Salon avec Un Bibliophile et Le Ducat.

 

Le Ducat - 1876
Huile sur toile, 116,8 x 90,2 cm
Collection particulière (vente 2015)


Pour remplacer l’introuvable Bibliophile, dans la catégorie « vieux monsieur », en voici un autre, qui n’a pas eu l’honneur du Salon.

Homme cousant – sans date
Huile sur toile, 117 x 88,5 cm
Collection particulière (vente 2020)


L’année suivante, Henriette montre au Salon un seul portrait, Mlle S…, difficile à identifier en dépit de la « grâce tout à fait charmante » qui lui est reconnue. Je place ici une jeune femme de l’époque, à titre d’illustration.

 

Portrait de femme – 1877
Huile sur toile, 116,8 x 89,6 cm
Collection particulière (vente 1995)

C’est aussi l’année où Henriette fait l’objet d’un long article qui se termine ainsi : « Ce qui plaît dans ce talent, c’est, indépendamment de l’habileté du peintre, la distinction native et la modestie de la femme, artiste pour tout le monde excepté peut-être pour elle-même, et reconnue telle par ses pairs et par ses maîtres, sans que son œuvre trahisse l’infatuation du dilettantisme arrivé. Il y a une fleur de bon ton que la meilleure éducation ne saurait produire. Il semble que cette fleur parfume cette peinture qui est femme jusqu’au bout des ongles, et reste femme du monde sans cesser d’être artiste. La touche, sans minutie précieuse, a la délicatesse et la sûreté d’un fin travail d’aiguille. L’accent est juste sans aucune trace de cette recherche de l’énergie virile qui gâte trop souvent les plus charmantes qualités. Le sentiment est discret sans perdre de son intensité à ne pas s’afficher avec éclat. La peinture de Mme Henriette Browne se tient à égale distance de la grandeur et de la mignardise, de la puissance et de l’afféterie, et trouve dans le juste milieu de sa nature des effets de goût et de charme dont une parvenue de l’art serait incapable.

L’œuvre de l’aquafortiste n’est pas moins digne d’attention que l’œuvre du peintre. On y remarque cette même simplicité dans la distinction à laquelle se reconnaît maint tableau de l’artiste, et peut-être avec une virtuosité supérieure. Les dessins de Bida n’ont pas eu de meilleur interprète que Mme Henriette Browne. (…)

La critique contemporaine se plaît aux analogies, aux points de repère. S’il nous fallait suivre cette mode, nous dirions volontiers que Mme Henriette Browne remplit dans la peinture française un rôle analogue à celui de ces aristocratiques ladies anglaises qui ne dédaignent pas d’écrire un roman, qui en écrivent même beaucoup, et produisent une œuvre considérable d’où se détache, au bout d’un certain temps, quelque page plus lumineuse qui reste et protège définitivement le nom de l’auteur. Ou bien, puisque nous avons cité, au début de cet article, les noms des chefs de file de la peinture orientaliste, nous pourrions revendiquer à côté d’eux pour elle une place que d’ailleurs ils n’hésiteront pas à lui faire. Mme Henriette Browne est leur parente, et si l’artiste avait eu le temps d’attendre pour se choisir un pseudonyme, elle aurait pu se borner à féminiser le prénom de tel ou tel de ses illustres confrères ; car sa peinture est cousine de la leur. » (Th. Chasrel. « Mme Henriette Browne », L'Art : revue hebdomadaire illustrée, janvier 1877, p.97-103)

 

Cette conclusion sonne un peu comme un au revoir et c’est effectivement ce qui se produit. Après un dernier petit tour au Salon de 1878 avec Une grand-mère, Henriette va tirer sa révérence à sa carrière de peintre. Elle n’a pourtant pas encore 50 ans.

Ce dernier tableau est connu par un dessin d’Henriette elle-même…

 

Publié in : Le Musée universel du 1er octobre 1878, p.57
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


… par une reproduction photographique…


Une grand-mère – Salon de 1878
Epreuve en noir et blanc sur papier albuminé, 16,6 x 10,8 cm
Collection Goupil et Cie
Musée d’Aquitaine, Bordeaux


… et un petit poème, dédié à Henriette par son auteur :

« "Grand'mère, tu n'es plus vaillante.
Pour l'appuyer, voici mon bras.
Je suis forte ; sois confiante…
Je te conduis où tu voudras."
Mi-rêveuse, mi-souriante,
L'Aïeule dit, hors d'embarras :

"Merci, chère aube, qui, brillante,
Dans mon soir m'accompagneras !"
Et la bonne vieille, lassée,
Tremblante, la tête baissée,
Va, se charmant du souvenir.
Œil plus haut, la jeunette songe…
Dans le passé l'une se plonge ;
L'autre s'envole en l'avenir. »

François Fertiault, Les Sonnets du Salon, A. Toupet, imp. Clermont, 1878

 

A partir de cette date, Henriette – comme Sophie – n’apparaît plus que rarement dans la presse. Elle ne cesse pourtant pas de peindre comme en atteste un petit portrait de 1884 et une mention selon laquelle elle aurait reçu une médaille d’argent à l'Exposition d'Amsterdam de 1883 mais on ne sait pas ce qu’elle y a exposé. (Courrier de l'art, 26 juillet 1883, p.356)

 

Garçonnet au chapeau rond – 1884
Huile sur toile, 55,5 x 46 cm
Collection particulière (vente 2021)


Enfin, elle fait partie du jury de peinture de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, en compagnie de Virginie Demont-Breton, vice-présidente, et de Rosa Bonheur, en 1893. (Journal des Femmes artistes, n° 37, mars 1893, p.4)


Sophie de Bouteiller, épouse de Saux, s’est éteinte en sa maison de la rue Jean-Goujon, à Paris, le 13 mars 1901. Son acte de décès porte la mention « propriétaire » mais ne fait aucune allusion à la carrière de peintre d’Henriette…

 

*

Dernière petite découverte, son tableau le plus connu, Les sœurs de la Charité, sera repris par l’administration sarroise des postes, pour une série de timbres de bienfaisance intitulée Volkshilfe, en 1951.

 

Publié in : France-Illustration, 8 décembre 1951, p.641


Ainsi qu’on l’a constaté, Henriette a été fort appréciée à son époque. Quoi qu’on puisse penser aujourd’hui de son œuvre, il me paraît justifié de garder son nom en mémoire en tant que première femme orientaliste de son temps et pour le regard sincère et bienveillant qu’elle a porté sur les modèles rencontrés au cours de ses voyages.



*


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