Issue d’une dynastie d’ambassadeurs et de militaires de la noblesse fribourgeoise, Adèle d’Affry et sa sœur Cécile sont élevées par leur mère, Lucie de Maillardoz, après la mort précoce de leur père, le comte Louis d’Affry. Elles grandissent entre Fribourg où Adèle apprend le dessin avec le portraitiste Joseph Auguste Dietrich (1821-1863), Nice et Rome où elle suit l’enseignement du sculpteur suisse Heinrich Maximilian Imhof (1795-1869).
Adèle se marie en avril 1856 avec Carlo Colonna, duc de Castiglione Aldovrandi, qui meurt en décembre de la même année. Veuve à vingt ans, elle modèle l’année suivante le buste de son mari décédé et son propre autoportrait. Bien que beaucoup moins à l’aise financièrement qu’on a pu le penser de son temps, elle part à Paris en 1859, s’installe rue Bayard et suit, déguisée en homme, les cours d’anatomie à la faculté de médecine, avec la complicité du sculpteur Auguste Clésinger. Elle s’initie à la sculpture animalière avec Antoine-Louis Barye (1795-1875) et copie des œuvres au Louvre, tout cela en chaperonnant sa sœur qui fait son entrée dans le monde ! Cette double vie, mondaine et artistique, sera la marque de son existence parisienne.
En
1861, après avoir tenté sans succès d’obtenir l’autorisation de suivre les
cours de l’Ecole impériale des Beaux-Arts, elle termine sa première œuvre, la Belle
Hélène, dont elle offrira une copie à Napoléon III.
En 1862, rentrée provisoirement à Rome, Adèle découvre Ugolin et ses fils - dernière œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux pour la villa Médicis où il est pensionnaire - qui reflète à la fois son admiration passionnée pour Michel-Ange et sa recherche de réalisme. De cette passion commune pour le maître de la Renaissance naîtra une amitié durable entre les deux sculpteurs.
Adèle,
sous le pseudonyme de Marcello, fait son entrée au Salon de Paris en 1863 avec trois
œuvres, dont Bianca Capello, maîtresse puis épouse controversée du grand-duc Francesco Ier de Medicis. C’est la première
étape d’un thème qu’Adèle souhaite explorer, celui des femmes redoutables. Le
buste sera immédiatement acheté par l’impératrice Eugénie et installé la même
année au château de Fontainebleau où on peut encore l’admirer, même s’il est
probable qu’il ne s’agisse plus du marbre d’origine.
L’influence
italienne perceptible dans l'œuvre est relevée par la critique, ainsi que la « fermeté
virile » de son auteur (!) et Adèle reçoit une mention « honorable ».
Il existe une autre version de ce buste, conservé au musée des Suisses dans le
monde. Toutefois, je suis étonnée d’avoir lu que qu'il aurait été montré
au Salon puisque le Livret précise qu’il s’agissait d’un marbre. Quoi qu’il en
soit, cette version est intéressante, en ce qu'elle accentue le caractère sulfureux de la belle Italienne…
Deux
ans plus tard, Marcello présente au Salon une Gorgone, autre exemple de sa
démarche néoclassique, qui rejoindra sans tarder Bianca à Fontainebleau.
Peu
après, Adèle reçoit commande d’un buste de l’impératrice Eugénie. Elle en fera
plusieurs versions qui ne convaincront pas outre mesure les commissions
d’acquisition. On peut en voir un exemple au musée des Beaux-Arts de Lyon et
une fort jolie tête de l'impératrice, en cire – une matière qu’Adèle affectionnait – au château
de Compiègne.
Les deux Marie-Antoinette qui figuraient au Salon de 1866 ne sont, à mon humble avis, guère convaincantes même si elles ont participé à la présentation de son travail à l’Exposition universelle de 1867, en compagnie de cinq autres œuvres, dont Ananké, la Transtévérine et Hécate, commandée par Napoléon III pour les jardins de Compiègne.
Si
Adèle ne paraît pas aux Salons de 1867 et 1868, c’est qu’elle est partie en
voyage, avec sa mère d’abord, en Europe du nord où elles assistent au
couronnement de l’impératrice Elisabeth, dont Adèle fera un petit
portrait ; ensuite en Espagne, avec les peintres Henri Regnault et Georges
Clairin, où ils se trouvent pris dans une insurrection dès leur arrivée à
Madrid. Adèle en profite pour modeler un très beau buste d’un général, dans un
style vif et inhabituel, proche de celui de son ami Carpeaux. Grâce à une
lettre de recommandation de Mérimée, elle se fait ouvrir les salles du Prado où
elle peut admirer les toiles de Velasquez.
Terre cuite - 61 x 49 x 33 cm
Museum für Kunst und Geschichte, Fribourg
À
partir de 1869, Adèle décide de se former à la peinture. Elle suit des cours à
la Villa Médicis, puis part à Genève pour fréquenter l’atelier du peintre Alfred
van Muyden (1818-1898).
En son absence, le Salon de Paris ne reçoit qu’une Bacchante fatiguée, à nouveau d’inspiration néoclassique.
L’année
1870 est plus concluante : des deux œuvres présentées au Salon, l’une, le Chef
Abyssin, est remarquée par la critique et vaut une seconde mention
honorable à Adèle, ce qui la déçoit. Elle recevra cependant une médaille d’or
en 1873, à l’Exposition universelle de Vienne.
La
seconde œuvre de 1870 est La Pythie, achetée par Charles Garnier pour décorer
le bassin du grand escalier du nouvel Opéra inauguré en 1875, elle s’y trouve
encore.
Une
version en marbre blanc du buste de la Pythie est conservée au musée Carnavalet
mais je ne suis pas sûre qu’elle y soit exposée.
Marbre – 102 x 58 x 43 cm
Musée Carnavalet, Histoire de Paris
De retour à Paris, en 1872, Adèle travaille avec le peintre Léon Bonnat (1833-1922) et envoie au Salon de 1874 un premier tableau, La Conjuration de Fiesque qui est rejeté par le jury. Elle n’y paraîtra donc pas cette année-là.
Adèle aurait peint une centaine de toiles dont on peut voir quelques exemples dans les collections en ligne du musée de Fribourg. Ils ne m’ont pas beaucoup convaincue, à part ce portrait de Chef indien…
Huile sur toile - 131 x 111 cm
… et celui de Berthe Morisot, qui écrivait à son sujet « nous avions tout à nous dire et avec elle j’osais me mettre à nu » (1891). Le portrait, peint d’après nature, fut précédé d’un dessin et d’une aquarelle. Son coloris et son modelé, inspirés des maîtres du XVIIIe siècle, ont été choisis d’un commun accord entre Marcello et son modèle. La photo est prise dans une exposition, ce qui explique la présence des deux cadres au fond du tableau qui ne sont que des reflets.
Marcello reviendra au Salon deux fois, en 1875 et 76, avec des bustes en marbre, sans y montrer
ce beau portrait de Carpeaux…
Bronze, 66 x 37 x 25 cm
La
critique n’est pas avare de louanges : « […] Marcello nous donne, depuis l’Empire,
une collection d’œuvres hors ligne ; j’affirme que cette dame, sculpteur
original, au ciseau plein de poésie et d’imagination élevée, occupé
véritablement une des places les plus élevées, un des premiers rangs parmi tous
nos sculpteurs contemporains. Sa Bianca Capello ; cette année son Redemptor
Mundi, sa Phoebe, sa Belle Romaine, constituent la série non
interrompue de vrais chefs-d’œuvre portant l’empreinte d’une sincère
originalité, vraiment distinguée. » (Véron, Théodore, De l’art et des
artistes de mon temps, Paris Oudin, 1875, p.145)
Adèle retourne à Fribourg en 1876, voyageant fréquemment en Italie pour apaiser les effets de la tuberculose dont elle est atteinte. Elle fait don de ses œuvres à la ville de Fribourg et s’éteint à 43 ans, en juillet 1879.
*
En dépit des efforts de sa mère qui crée un musée Marcello dès 1881, son œuvre est rapidement tombé dans l’oubli. Pourtant, il est parfaitement représentatif d’un courant artistique de son temps, comme on le constate devant sa Pythie de l’Opéra Garnier.
Son travail a heureusement fait l’objet de plusieurs études dans les années 2000 et de trois expositions : Adèle d'Affry (1836-1879), duchesse de Castiglione Colonna, au musée d’art et d’histoire de Fribourg en 2014, Adèle d’Affry, dite Marcello au musée de Compiègne en 2015 et Marcello, femme artiste entre cour et bohème, au musée des Suisses dans le monde, en 2016.
Je
termine sur le touchant portrait que Gustave Courbet fit d’elle en 1870.
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