mercredi 20 octobre 2021

Fidelia Bridges (1834-1923)

 

Fidelia Bridges  - vers 1864
Photographie carte de visite (détail)
Archives of American Art – Washington D.C.

Fidelia Bridges est née le 19 mai 1834 à Salem, Massachusetts. Son père, capitaine de marine engagé dans le commerce avec la Chine, puis sa mère, sont morts à quelques mois d’intervalle quand elle avait 15 ans. Profondément affectée par cette tragédie familiale, Fidelia tombe gravement malade. C’est pendant la période de sa convalescence qu’elle commence à étudier le dessin et se lie d’amitié avec la sculptrice Anne Whitney (voir sa notice) qui l’accompagnera de ses conseils tout au long de sa vie. 

Eliza, sa sœur ainée institutrice, devient chef de famille mais meurt de la tuberculose en 1856, laissant à Fidelia la charge de ses frère et sœur.

Pour gagner de quoi vivre, Fidelia s’engage comme gouvernante chez l’armateur William August Brown, une famille de Salem dont elle devient très proche.

Puis, sur les conseils d’Anne Whitney, elle s’inscrit parallèlement à l’école des Beaux-Arts de Philadelphie pour suivre le cours de William Trost Richard, un peintre proche des préraphaélites. Fidelia s’initie à la peinture à l’huile et, devenue intime de la famille du peintre, peut rencontrer par son intermédiaire d’autres artistes émergents comme Oliver Ingraham Lay (1845-1890) qui l’invitera plusieurs fois dans le Connecticut et fera d’elle, vingt ans plus tard, un portrait d'une grande sensibilité :

Oliver Ingraham Lay (1845-1890)
Fidelia Bridges -1883
Huile sur toile marouflée sur bois, 98,7 x 71,4 cm
Smithsonian American Art Museum– Washington D.C.

En 1862, Fidelia ouvre son propre atelier à Philadelphie puis part rejoindre la famille Brown qui venait de s'installer à Brooklyn. Elle dispose dans leur maison d'un atelier au dernier étage. C'est là qu'elle peint ces deux aquarelles :


Rooftops, Brooklyn – vers 1867
Aquarelle et gouache sur papier, 20,3 x 21 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


Vue sur le jardin de Brooklyn – vers 1867
Aquarelle et gouache sur papier, 20,3 x 13 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York

Fidelia s’intéresse également à « l'Association pour l'avancement de la vérité dans l'art », fondée en janvier 1863 pour promouvoir les enseignements de Ruskin, à laquelle William Trost Richard a adhéré. Les membres de cette association sont également actifs au plan politique (souvenons-nous qu’entre 1861 et 1865 la guerre de Sécession fait rage), unis par un engagement patriotique et l’objectif de l’abolition de l’esclavage. Sans être membre de l’association, Fidelia en est proche, comme Anne Whitney, figure engagée de l’abolitionnisme.

Arbousier rampant – 1863
Huile sur bois, 19,7 × 30,5 cm 
National Gallery of Art Washington D.C.


Tamia au bord d’un bassin forestier1864
Huile sur carton, 21,9 x 30,8 cm
Collection particulière (vente 2016)

C’est à cette époque qu’elle se fait faire une des nouvelles « photographies - carte de visite » qui commençaient à remplacer les cartes imprimées traditionnelles.


Fidelia Bridges  - vers 1864
Carte de visite, tirage photographique, 10 x 6 cm
Archives of American Art – Washington D.C.

Elle est habillée d’un ensemble avec jupe au-dessus de la cheville dont un galon à motif renforce l’ourlet, portée sur un pantalon, à peine visible. Elle tient son matériel de dessin « de terrain » : une boîte de peinture en bois en bandoulière et un parasol pliant. Une fois ouverte, la boîte pouvait servir de chevalet. La tenue comme les accessoires font de cette carte de visite un manifeste : « je suis une femme qui peint sur le motif et qui trimbale un équipement masculin » !


Après la guerre de Sécession, elle voyage en Europe avec Anne Withney et sa compagne Adeline Manning, notamment à Rome où elle s’installe un an et produits de nombreuses œuvres à l’huile et à l’aquarelle, qui seront exposées à la National Academy of Design à son retour, en 1868.

En 1871, elle rend sa première visite à Stratford, située à l'embouchure de la rivière Housatonic et accessible de New York par chemin de fer. Sur les rivages de la Nouvelle Angleterre, elle découvre la combinaison de fleurs et d’oiseaux qui peuplent les prairies côtières et crée, au cours des cinq été suivants, le style raffiné qui sera sa signature. L’hiver, elle peint depuis sa fenêtre : 


Wistéria sur un mur – années 1870
Mine de plomb et aquarelle sur papier, 35,6 x 25,6 cm
The Brooklyn Museum, New York


Fleurs dans un pichet – 1870
Aquarelle sur papier, 34,93 × 25,08 cm
National Gallery of Art Washington D.C.


Dès 1873, elle devient l’une des deux femmes élue associée à la National Academy of Design et la seule femme à rejoindre le groupe de sept artistes qui allait devenir l’American Watercolor Society. Les aquarelles de Fidelia, peintes « de la vérité de la nature » lui assurent une place de choix dans le mouvement, alors en plein essor, de cette spécialité.

Une invitation à exposer trois peintures à l'Exposition du centenaire de Philadelphie en 1876 conforte sa réputation : « Ses œuvres sont comme de petits poèmes lyriques », écrit le paysagiste John Frederick Kensett (1816–1872) « et elle habite avec amour chacun de ses bourgeons, comme des fleurs sur les feuilles. »


Mésange et chardon – 1875
Aquarelle et gouache sur papier, 35,6 x 24 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


En 1879 et 1880, elle visite l’Angleterre où elle retrouve son frère, importateur de thé. Une de ses œuvres intitulée Crumbs of confort in time of need est exposée en 1880 à la Royal Academy of Art. Certains critiques soulignent qu’elle a pu être influencée par des peintures japonaises vues lors de ce voyage.  

Après sa visite en Angleterre, Fidelia retourne chez les Browns, où elle reprend son activité auprès d'eux. Elle aurait également travaillé un an comme gouvernante des trois filles de Mark Twain qui collectionnait ses œuvres.

Dans les années 1880, sa production est démultipliée sous forme de lithographies et d’illustrations d’ouvrages de poésie sur les oiseaux, notamment « Winged Flower Lovers » et « Songsters of the Branches ».

Les critiques ne seront pas toutes positives lorsque son travail tombera aux mains d’un éditeur de chromos, qui le transformera en calendrier bon marché aux couleurs criardes, ce qui nuira au reste de sa carrière. Il est vrai que certaines de ses scènes, avec fleurettes et oiseaux, sont aujourd'hui passées de mode. Pour autant, certaines n'ont pas perdu leur radicalité.

 

Arum – 1875
Aquarelle sur papier, 35,6 x 24,5 cm
The Brooklyn Museum – New York


Nid d’oiseau dans les quenouilles – 1875
Aquarelle et gouache sur papier vélin, 35,6 x 25,1 cm
The Metropolitan Museum of Art – New York


Roses roses – 1875
Aquarelle sur papier vélin, 35,56 × 25,4 cm
National Galllery of Art Washington D.C.



Asclépiades – 1876
Munson-Williams-Proctor Arts Institute, Museum of Art, Utica, New York
Œuvre montrée dans l’exposition « Les préraphaélites américains : des réalistes radicaux »,
National Gallery of Art, 2019

Pour évaluer le travail de Fidelia, il faut placer son œuvre dans le contexte de la critique préraphaélite de la société victorienne. Celle-ci passe par plusieurs voies : la « fantasy », l’historicisme et la fidélité à la nature. C’est, de surcroît, un mouvement où les femmes sont présentes mais n’exagérons rien tout de même, elles le sont souvent au titre de modèles…

Quoi qu’il en soit, si l’on compare certaines œuvres de Fidelia à celles de William Henry Hunt (1790 - 1864), aquarelliste anglais célébrissime que Ruskin qualifiait de « meilleur peintre de nature morte », on situe mieux son travail dans son contexte : voir ci-dessous une œuvre de Fidelia et une de Hunt : 


Fougères et nid de merle – 1887
Huile sur panneau, 20 x 16,8 cm
The Art Institute, Chicago, Illinois



William Henry Hunt (1790 - 1864)
Primevères et nid d’oiseau - sans date
Aquarelle sur papier, 18,4 x 27,3 cm
Tate Britain, Londres

 En 1892, elle s’installe à Canaan, dans le Connecticut, et mène une vie tranquille dans un chalet sur une colline, entourée d’oiseaux. Son ancien professeur est visiblement venu la voir !


William Trost Richards (1833-1905)
Le Jardin de Fidelia à Canaan - 1901
Aquarelle et gouache sur papier, 21 x 13,6 cm
National Academy of Design, New York


Restée célibataire, elle voyage occasionnellement, continue à exposer régulièrement et écrit à ses amis des lettres où elle analyse ses longues heures de solitude passées à peindre.


Petit oiseau et Ironweed – sans date
Huile sur carton 25,4 x 50,8 cm
Collection particulière (vente 2021)


Gloire du matin – sans date
Huile sur  toile, 22,2 x 16,5 cm
Collection particulière (vente 2021)


Ayant rencontré très jeune la « conscience de la catastrophe », elle est particulièrement sensible à la précarité de la vie naturelle. Aujourd’hui, un sanctuaire d’oiseaux à Canaan porte son nom.

Elle meurt le 14 mai 1923, quelques jours avant son quatre-vingt dixième anniversaire.




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Des expositions posthumes des œuvres de Fidelia ont eu lieu en 1984 au Whitney Museum of American Art (Art's Reflection of Nature show), au Brooklyn Museum of Art (Ruskin and the American Pre-Raphaelites) et en 2019 à la National Gallery of Art (The American Pre-Raphaelites : Radical Realists).

 


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