Née
à Crémone dans une famille de la petite noblesse génoise, Sofonisba est l'aînée
de 6 sœurs et un frère que leur père, Amilcare, a encouragés à développer leur
sensibilité artistique avant de devenir le promoteur zélé (et probablement
intéressé) du talent de sa fille aînée.
Dès l’âge de 14 ans, Sofonisba étudie, avec sa sœur Elena, auprès du peintre maniériste Bernardino Campi (1520-1591) puis, lorsque celui-ci quitte Crémone, elle rejoint l’atelier du peintre Bernardino Gatti (1495-1576) dont elle devient l’élève.
C’est alors qu’elle étudie avec Campi, qu’elle rend hommage à son maître en exécutant le tableau ci-dessous, où l’on voit Campi peindre le portrait de Sofonisba. La composition est pour le moins originale, d’abord par son thème, qui exprime la relation d’un maître et de son élève, ensuite parce que l’élève a peint, non seulement son maître mais également son propre portrait, comme s’il était peint par le maitre lui-même, c’est-à-dire en imitant son style.
Difficile d’exprimer plus clairement qu’on a tout appris d’un professeur et qu’on lui doit ce que l’on est, c’est-à-dire d’être peintre soi-même.
Il y a aussi quelque chose d’amusant dans ce tableau, c’est le repentir de la main gauche de Sofonisba. Le bras est replié vers le haut mais la main est finalement peinte repliée vers le bas… une façon de montrer que la main du peintre est la sienne ?
C'est alors qu'elle étudie avec Campi qu'elle peint une de ses sœurs en religieuse :
Vers 1554, la jeune fille part compléter son éducation artistique à Rome. Là, elle rencontre probablement Michel-Ange, comme semblent l’indiquer deux lettres d’Amilcare qui le remercie de l’aide qu’il apporte à sa fille. Dans sa deuxième lettre du 15 mai 1558, Amilcare écrit : « Je vous assure que parmi les nombreuses obligations que j’ai envers Dieu, figure celle de savoir qu’un gentilhomme si éminent et si talentueux – plus que tout être au monde – a été assez bon pour examiner, juger et louer les peintures exécutées par ma fille, Sofonisba. »
Il semble que le maître ait été impressionné par un dessin de Sofonisba, le Bambin mordu par une écrevisse (vers 1554).
Le
peintre florentin Francesco Salviati (1510-1563) paraît avoir été également conquis
puisqu’il écrit à Campi en 1554 : « Si j’en juge d’après les travaux
qui sont devant mes yeux, merveilleusement exécutés par la belle dame peintre
de Crémone, j’imagine quel talent vous devez posséder ».
On ne sait pas exactement combien de temps Sofonisba demeura à Rome.
Elle
revint à Crémone, où elle se consacra essentiellement à des autoportraits et des portraits de sa famille. C’est
probablement à cette période qu’elle peint, à 23 ans, cette Partie d’échecs
où sont représentées trois sœurs de l’artiste, Lucia, Europa et Minerva,
sous le regard d’une servante.
Certains
articles font état du fait que Giorgio Vasari (1511-1574) aurait vu ce tableau
lors de son passage à Crémone, en 1566, alors que Sofonisba est déjà repartie
de la maison familiale. C’est peut-être ce qui lui a valu d’être citée, à
plusieurs reprises, dans son fameux ouvrage La vie des meilleurs
peintres, sculpteurs et architectes.
Il la mentionne d’abord à la fin de la biographie de Properzia de’ Rossi où il évoque quelques femmes artistes : « Soffonisba Cremonese [...] a avec plus d’étude et avec une meilleure grâce que d’autres femmes de notre temps lutté pour les choses du dessin, de sorte qu’elle ne savait même pas dessiner, colorier et dépeindre les choses naturelles et excellentement copier des choses des autres, mais par elle-même, elle a fait des choses très rares et belles de la peinture. »
Puis il parle de l’honneur fait à la jeune fille par le roi d’Espagne et termine en décrivant le dessin de Sofonisba qui était alors en sa possession, le Bambin mordu par une écrevisse.
On ne s’étonne donc pas que le poète Annibal Caro (1507-1566) ait souhaité un portrait peint par les soins de Sofonisba ; il y fait allusion dans une lettre adressée à Amilcare : « Si vous en aviez la bonté, il n’y a rien que je désirerais tant qu’un portrait de vous [par Sofonisba], afin, à l’avenir, de pouvoir montrer ensemble deux œuvres magnifiques : l’une par Sofonisba et l’autre par son maître [Campi]. »
Quand on voit le Portrait de la Famille Anguissola, on le comprend ! On comprend bien, aussi, que c’était Amilcare qui recevait les commandes pour sa fille et, probablement, la rémunération qui l'accompagnait…
On notera la position avantageuse du garçon, pourtant le plus jeune de la famille, dans le trio ainsi formé : son père le tient par l’épaule, tandis qu’il tient lui-même la main de son père. Sa sœur plus âgée est en arrière du couple principal, comme en figuration. Le bas de sa robe n’est même pas terminé…
De cette époque, date aussi le charmant autoportrait miniature, peint sur cuivre, que j’ai choisi comme « autoportrait de postérité » d’Anguissola. Le sens des initiales tracées sur la médaille centrale nous échappe aujourd’hui. Autour de la médaille, court une inscription en latin : « SOPHONISBA ANGUSSOLA VIR[GO] IPSIUS MANU EX SPECULO DEPICTAM CREMONAE » qu’on peut traduire à peu près par « Sofonisba Angussola, vierge, a peint ceci de sa main d’après un miroir à Crémone ». Ce médaillon était probablement un présent, peut-être destiné à sa famille.
J’aurais pu faire un autre choix car elle a exécuté près d’une dizaine d’autoportraits. J’en reproduis deux ci-dessous, assez semblables et caractéristiques.
Le second, ci-dessous, est
important car elle se représente en train de peindre, quelques années seulement
après que Catharina van Hemessen a peint son propre autoportrait en peintre,
tableau considéré comme le premier autoportrait d’un peintre « en train de
peindre ».
Le thème du « tableau dans le tableau » est également assez original, car il existe peu de représentation d’une Madone embrassant son enfant.
Son
talent de portraitiste reconnu, elle est appelée à la cour des Gonzague de Mantoue,
puis à Parme, auprès des Farnese.
Au
cours de l’année 1558, Sofonisba se rend à Milan où elle rencontre le duc d’Albe (dont elle fait un portrait aujourd’hui disparu) qui est alors le plus proche
conseiller du roi d’Espagne. C’est certainement lui qui suggère au roi de
l’inviter à la cour, à l'occasion de son troisième mariage. Il épouse Elisabeth
de Valois, alors âgée de 14 ans, fille du roi de France Henri II et de
Catherine de Médicis.
Il existe des lettres d’Amilcare au roi d’Espagne, concernant la venue de Sofonisba à la cour : « Sainte et Royale Majesté Catholique / Le duc de Sessa et le comte Broccardo m’ont demandé de votre part de permettre à Sofonisba, ma fille aînée, d’entrer au service de Son Altesse Sérénissime la reine, votre épouse. Étant votre sujet dévoué, j’obéis volontiers. »
En 1559, Sofonisba quitte définitivement la Lombardie pour rejoindre la
cour de Philippe II où elle assure la charge de dame d'honneur d'Elisabeth de
Valois, à la fois professeur de la reine et peintre officiel de la Cour jusqu'en
1573.
Elle reçoit une rente annuelle fort honorable mais certains documents indiquent qu’elle aurait été directement perçue par son père, d’abord, et par son frère, ensuite…
De ces années datent des œuvres aujourd’hui très connues de Sofonisba, même si elles ont été assez longtemps attribuées à d’autres peintres, notamment à Alonso Sanchez Coello (vs 1531-1588).
Lorsque
la reine meurt en 1568, Sofonisba reste à la cour et s’occupe des deux filles
de la souveraine, tout en continuant d’exercer ses fonctions de peintre de cour,
même après le remariage du roi avec Anne d’Autriche.
C’est finalement le roi qui la marie, alors qu’elle a trente-huit ans, choisissant pour
elle Fabrizio de Moncada, de la famille du vice-roi de Sicile. Le roi la
dote richement, comme en témoignent des documents d’archives. Le mariage se
déroule en 1570 ou 1571. On sait avec certitude que le couple quitte l’Espagne
pour Palerme en 1578 où Fabrizio meurt l’année suivante.
Sofonisba, qui a alors quarante-sept ans, quitte la Sicile pour regagner Crémone. Sur le bateau qui la conduit à Gênes, première étape de son voyage, elle rencontre Orazio Lomelli, capitaine de navire et enfant naturel d’un noble génois. Elle l’épouse en dépit de l’opposition de tout son entourage et s’installe à Gênes, dans la maison de son mari où elle poursuit sa carrière de peintre, grâce à la rente que lui alloue Philippe II.
Elle rencontre les intellectuels
de la ville, prodigue des conseils aux artistes et exécute des portraits pour
la noblesse. Elle s’attaque aussi à la peinture religieuse, domaine que sa notoriété lui permet d’aborder désormais.
Le dernier tableau de
Sofonisba est un autoportrait, elle a 78 ans.
Le
peintre flamand Antoon Van Dyck, invité à Palerme pour faire le portrait du
vice-roi Philibert de Savoie, rencontra la vieille dame et en fit un croquis à
partir duquel il peignit deux portraits.
On
lit : « Portrait de la Signora Sofonisba Anguissola, peintre, croquée
sur le vif à Palerme, le 12 juillet 1624, à l’âge de quatre-vingt-seize ans [sic]. Elle a toujours une bonne
mémoire, l’esprit vif et m’a reçu fort aimablement. Malgré sa vue affaiblie par
l’âge, c’était un grand plaisir pour elle de se faire montrer des tableaux.
Elle devait approcher son visage tout près de la peinture, et parvenait avec effort à la distinguer en partie. Elle en était très heureuse. Lorsque je dessinai son portrait, elle me donna des indications : ne pas me placer trop près, ni trop haut, ni trop bas, afin que les ombres ne soulignent pas trop ses rides. Elle me parla aussi de sa vie et m’apprit qu’elle avait très bien su peindre la nature. Son plus grand chagrin était de ne plus pouvoir peindre à cause de sa mauvaise vue. Sa main ne tremblait pas du tout. »
Sofonisba Anguissola est morte à Palerme en novembre 1625, elle avait quatre-vingt-treize ans.
Quel
chemin a parcouru la petite fille de Crémone…
Pour raconter l’histoire de Sofonisba, je me suis fondée sur plusieurs articles, notamment celui de Michelle Bianchini « Les autoportraits de Sofonisba Anguissola, femme peintre de la Renaissance », in Revue d’études italiennes, Université de Provence, n°3, Femmes italiennes, 1999.
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