Les
avis divergent sur la date de naissance de Marietta, fille du grand Jacopo
Robusti, dit Le Tintoret, mais sur son seul autoportrait connu, qui se trouve à
Florence, elle paraît avoir une vingtaine d’années.
L’élément qui permet de situer sa naissance en 1550 est un texte de Carlo Ridolfi (1560-1644), le biographe du Tintoret, qui écrit qu’en 1590, « alors qu’elle avait trente ans, une mort envieuse abrégea sa vie, privant le monde d’un si noble ornement. Son père a pleuré amèrement, considérant cela comme une perte de son être intérieur. » Certains auteurs situent cependant sa naissance trois ans plus tard.
Marietta était l'aînée des huit enfants du Tintoret et travaillait aux côtés de deux de ses frères, Domenico et Marco, en tant qu'assistants dans l'atelier très fréquenté de leur père. Elle était presque certainement la seule femme de l'atelier et aurait aidé son père pour un certain nombre de commandes publiques, y compris la décoration de l’église de la Madonna dell'Orto.
L’Autoportrait avec madrigal est, pour l’instant, le seul élément qui permettrait de reconstituer le parcours de cette peintre musicienne dont les compétences de portraitiste sont attestées par son contemporain, le poète et critique d’art Raffaello Borghini (1537-1588) qui souligne la relation étroite entre ces deux activités puisque Marietta avait la réputation de divertir ses modèles en chantant pendant les séances de pose. Selon ce même auteur, l'empereur Maximilien II possédait l'une des peintures de Marietta et – comme l'archiduc Ferdinand d'Autriche et le roi Philippe II d'Espagne – lui avait demandé de rejoindre sa cour, en tant qu’artiste. Le Tintoret aurait rejeté les avances des trois dirigeants, pour que sa fille ne soit pas « retirée de sa vue ».
La position du corps, de trois-quarts et le regard oblique plaident pour un portrait peint devant un miroir.
Marietta
tient à la main ce qu’elle considère comme les attributs de son art : une
feuille de musique dans une main et l’autre négligemment posée sur une touche
de clavecin, tandis que la couleur de sa robe et son aspect plissé forme une
continuité visuelle avec la couleur de la feuille de musique et les lignes de
la portée. La représentation de la musique, au premier plan, est précise :
la Galerie des Offices, où le tableau est conservé, indique qu’il pourrait
s’agir de la partie chantée par la jeune femme, à savoir la page 24, avec les
notes et le texte du Cantus du madrigal de Philippe Verdelot Madonna
per voi ardo dans le Primo Libro dei Madrigali,
imprimé à Venise en 1533.
Le musée du Prado indique, pour sa part, qu’il y existerait deux dessins de sa main dans la collection Rasini, à Milan et qu’elle serait également l’auteur d’un Portrait de femme conservé dans la collection Contini de Florence.
Le musée du Prado lui attribue un Portrait de dame vénitienne, et précise que, comme pour son frère, « il manque un point de départ sur lequel s’appuyer pour reconstituer son œuvre », mais qu’elle était connue comme une « buona ritrattista » (une bonne portraitiste), à Venise comme ailleurs.
Le
Prado signale également un autoportrait probable au Kunsthistorisches Museum de
Vienne.
Le seul portrait que j’ai trouvé dans les collections en ligne de ce musée est attribué au Tintoret lui-même et serait un portrait de Marietta. Toutefois, la notice m’a plongée dans le plus grand étonnement : soit la datation du portrait est erronée, soit ce n’est pas un portrait de Marietta, puisqu’en 1553, elle était, en toute hypothèse, un bébé de trois ans ou un nouveau-né …
« La frontalité
raide de la posture et la robe élégante, bien fermée mais chargée de bijoux,
sont en accord avec l'expression indignée, presque provocante de cette jeune
fille, comme si elle ne voulait rien révéler d'elle-même. Cela seul rend
tentant de croire qu'il s'agit d'un portrait de la fille du peintre ; les
filles d'artistes étaient souvent forcées d'être des modèles pour leurs pères. »
(Notice du musée)
Il existe aussi un portrait présumé de Marietta dans la collection de la Galleria Borghese.
Là encore, un petit mystère : la Galleria Borghese écrit, à propos de ce tableau : « En 1955, comparant l'œuvre de Borghèse à l'autoportrait supposé être un autographe de Marietta Robusti (Paris, Musée du Louvre), fille du Tintoret, Paola della Pergola attribue la toile au catalogue du peintre, jugeant qu'il s'agit d'une réplique dédicacée. - quoique moins fine - de l'image parisienne. » Puis, après analyse et comparaison avec l’œuvre des Offices, le musée conclue : « la toile est publiée ici comme une œuvre anonyme de la fin du XVIe siècle, très probablement exécutée dans le grand atelier du Tintoret. »
Question :
où est passé l’autoportrait du Louvre dont il est question ? Il ne figure
sur son site ni portrait ni autoportrait de Marietta…
Pour finir, un dessin est apparu, dans une vente Christie’s en mars 2021 à Paris, qui porte une inscription indiquant que « cette tête est de la main de madonna Marietta. » Il aurait été réalisé d’après un moulage en plâtre d'un ancien buste en marbre présumé représenter l'empereur romain Vitellius, ayant appartenu au cardinal Domenico Grimani et dont le Tintoret aurait eu un exemplaire dans son atelier.
Voilà, en résumé, on ne
sait pas grand-chose de cette artiste, à part qu’elle a existé et qu’elle est morte
à 30 ans.
Tout reste donc à faire pour rendre sa place à cette artiste qui, plus de quatre-vingts ans après sa mort, était encore considérée comme une peintre importante puisque son autoportrait a été acheté en 1675, par le cardinal Leopoldo de Medicis et placé, à ce titre, dans le Corridoio Vasariano.
La collection des ducs de Toscane et le corridor de Vasari La collection de plus de 1 600 autoportraits
amassée pendant des siècles par les ducs de Toscane, visait à conserver les
images des peintres les plus célèbres de leur temps. Être inclus dans cette
collection était donc une forme de consécration. On y trouve ceux de Raphaël et de Rubens mais aussi ceux de Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana, Marietta Robusti, Rosalba Carriera et Elisabeth Vigée Le Brun, qui offrit elle-même son autoportrait au duc de Toscane en 1790. La collection était exposée dans le Corridoio Vasariano. Construit en 1565 par l’architecte Giogio Vasari à la demande de Côme 1er de Medicis, il lui permettait de passer de sa résidence, le Palazzo Pitti, au Palazzo Vecchio, siège du gouvernement. |
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