Fede
Galizia appelée aussi Fede Gallizi est née à Milan en 1578. Elle est la fille
du peintre miniaturiste Nunzio Galizia (c. 1540-1610) qui s’était établi dans cette ville en 1570.
Elle paraît avoir été extrêmement douée, puisqu’elle n’a que douze ans quand elle est citée par l’ami de son père, le peintre et théoricien de l’art Giovan Paolo Lomazzo (1538-1527) dans son deuxième traité sur l’art, Idea del tempio della pittura : « … sa fille se consacre à imiter nos artistes, les plus extraordinaires »
Très jeune, elle a une réputation de portraitiste accomplie, ce qu’on peut imaginer devant le Portrait de Paolo Morigia (Fede a 18 ans) :
Le détail de la paire de lunette qu’il tient dans la main gauche permet d’observer la précision de la représentation des reflets.
Le rendu méticuleusement naturaliste des objets nous rappelle que Fede Galizia était aussi une peintre de natures mortes. Le papier sur lequel le moine est en train d'écrire est posé sur des versets de Borgogni, qui se réfèrent à la peinture et aux talents de peintre de l'artiste.
La
même année, Fede peint une Judith avec la tête d’Holopherne, un thème
apprécié des artistes qui y trouvent l’occasion de montrer leur capacité à
présenter une scène biblique et dramatique. Il semble bien toutefois qu’elle
soit la première femme à l’avoir fait, puisqu’on se souvient que Lavinia
Fontana interprète le même sujet quatre ans plus tard, dans une expression
assez proche : Judith reste impassible, presque détachée.
Judith, après avoir séduit le général assyrien Holopherne, l’assassine dans son sommeil pour sauver son peuple du tyran, pendant le siège de Béthulie. Une servante l'accompagne, portant une bassine, pour emporter la tête coupée, en guise de preuve.
La
date de l’œuvre et la signature de l’artiste se trouvent sur la lame du
poignard et le plan rapproché permet d’admirer le travail du bracelet et de la
poignée de la dague.
Fede a peint la même scène une autre fois, à une date indéterminée :
On
peut admirer aussi la précision de la collerette, les veines de la tempe, les
rides du front de son Portrait du médecin :
On sait aussi qu’elle a reçu des commandes de l’église, notamment le retable de l’Apparition du Christ à Madeleine dans le jardin d'Ortolano (1616) pour l’église Santa Maria Maddalena de Milan, église détruite en 1798, avec le couvent attenant.
J’en
ai trouvé une trace à la Bibliothèque de Brera qui précise qu’à la suite de la
destruction de l’église, le tableau a été conservé à la Gallerie dell’Accademia
puis replacé dans la Basilique de Santo Stefano Maggiore, à Milan, en 1889.
A côté des pieds du Christ se trouve un cartouche daté et signé. La structure typique de la composition du XIVe siècle est solide. L’artiste propose une variation originale de l’iconographie du Christ ressuscitant dans un jardin : il ne porte qu’un linceul, selon le modèle établi par Vincenzo Campi dans l’Apparition du Christ à Marie et Marie-Madeleine. (Notice de la bibliothèque de Brera)
C’est assez tardivement (en 1965 !) que le critique d’art italien Stefano Bottari constitue le catalogue des œuvres de Fede Galizia et il lui attribue une majorité de natures mortes, alors que sa réputation de son vivant était plutôt fondée sur les portraits et les sujets religieux. Pourtant, ce sont ces natures mortes, dont la première est datée de 1602 qui font de Fede une figure centrale de la scène artistique milanaise de l’époque.
On
en trouve des quantités sur le net, j’en ai choisi quelques-unes que je trouve
particulièrement remarquables.
Selon les experts, cette œuvre doit être située au début de sa carrière car elle est
proche, dans sa composition, d’autres exemples datant du début des années 1600.
Elle a été exposée pour la première fois en 1964. On remarquera, posée bien au
centre, la coupe en
argent qu’on retrouve dans la nature morte suivante :
Cette composition est une vanité : le Memento Mori est présent grâce au papillon qui est symbole de la brièveté de la vie et dans le fait que les cerises tombées sur l’entablement, à droite, commencent à prendre la couleur passée et la forme amollie caractéristiques des cerises trop mûres.
Curieusement, les feuilles ne sont pas vertes, peut-être pour attirer le regard sur les seules cerises.
Une « vanité » est une nature morte qui intègre, à côté d’éléments qui évoquent la richesse de la nature, des représentations symboliques de la mort. On l’appelle aussi un Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir).Une vanité évoque trois idées principales : le caractère inéluctable de la mort (représenté par un crâne, la présence de mouches ou de fruits « avancés » et/ou d’insectes évoquant la brièveté de la vie, comme les papillons) ; la fragilité des biens terrestres (évoquée par l’image du temps qui passe, comme un sablier ou une bougie qui se consume) ; la futilité des plaisirs terrestres. Les vanités existent depuis l’Antiquité, notamment en fresques, à Pompéi. |
La suivante est un peu plus tardive mais toujours composée de la même façon. Regardés de très près, les détails sont d’une extrême précision, surtout le rendu de la pomme, ouverte depuis trop longtemps et qui est en train de brunir doucement. La fleur de jasmin crée un contraste de couleur et de matière tout en gardant un caractère dépouillé et, sur l’entablement, les fruits sont habilement mis en scène pour leur conférer un caractère monumental.
Et voici presque la même représentation, mais une fleur de jasmin a remplacé la sauterelle…
A propos de fleur de jasmin, voici un autre exemple, où la matité blanche de la fleur contraste merveilleusement avec la masse sombre et luisante des prunes :
Huile sur toile 45,5 x 37cm
Enfin,
j’aime aussi beaucoup cet ensemble de fruits, en dépit de la mauvaise qualité de la reproduction. Je n’ai
pas trouvé son lieu de conservation.
Là encore, l’examen des détails prouve la précision du travail. Des natures mortes « précises mais un peu affligées » disait le critique italien Roberto Longhi…
(On remarque des visages qui apparaissent à la surface du bol, un « Bianchi di Faenza », une faïence fabriquée à Faenza, ville du nord de l’Italie très connue pour ses céramiques à la Renaissance.)
Dans ses œuvres plus tardives, comme cette très belle nature morte, acquise en 2022 par la National Gallery de Washington, Fede choisit de présenter une plus grande variété de fruits, peints de façon très détaillée, dont la composition, beaucoup moins statique que celle de ces œuvres antérieures, contredit fermement Roberto Longhi : bien loin d’être « affligée », l’œuvre célèbre avec aisance la richesse de la nature !
(N’hésitez pas à « cliquer » sur la photo pour mieux
voir les détails)
Galizia annonce les grandes peintres de natures mortes du XVIIe siècle, Clara
Peters à Anvers, Louyse Moillon à Paris et, bien sûr, Giovanna Garzoni, à
Florence et à Naples. (Vous les trouverez toutes sur ce blog !)
Compte tenu de la qualité de ses œuvres, Fede a nécessairement reçu une formation de grande qualité et travaillé dans des conditions lui permettant d’exprimer son talent. A l’époque, les peintres féminines talentueuses étaient parfaitement acceptées par la société.
C’est beaucoup plus tard que l’histoire de l’art s’est appliquée à les faire disparaître…
Soixante-trois œuvres de sa main ont été recensées, dont quarante-quatre natures mortes. Un grand nombre de ses tableaux avait d’abord été attribué au peintre Panfilo Nuvolone (1581-1651) avant que des études menées au XXe siècle la rétablissent dans ses droits d’auteur.
Le
21 juin 1630, Fede a rédigé son testament. On suppose qu’elle est morte de la
peste qui sévissait alors à Milan, à l’âge de cinquante-deux ans, dans les
jours qui ont suivi.
*
N.B : Pour voir
d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous
pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire