dimanche 5 septembre 2021

Jeanne de Montbaston (vers 1330)

 


Autoportrait présumé (détail)


Jeanne de Montbaston, née vers 1330, était l’épouse d’un certain Richard, « libraire » assermenté de son état, installé rue Neuve à Paris et qui publia notamment le Roman de la Rose à la fin du XIVe siècle.

Ce poème, réflexion allégorique sur l'amour, est également un tantinet misogyne.

Un court passage pour illustrer cette affirmation : « Ceux qui n'écrivent pas avec leurs « outils » (…) sur ces belles et précieuses tablettes que la nature a fabriquées pour eux (…) devraient subir la perte de leur pénis et de leurs testicules. » On comprend que l’acte masculin d’écrire est comparé à l’acte de pénétration et que les femmes, telles des pages vierges, sont de beaux objets dont il convient de tirer parti puisqu’ainsi le veut la nature.

L’illustration ci-dessous, trouvée au feuillet 137 verso du manuscrit du Roman réalisé de 1351 à 1375, est assez explicite.


Illustration d’un manuscrit du Roman de la rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung (1351-1375)
« Comme Pygmalion eraille les images » (!) – feuillet 137 verso
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France

C’est donc avec quelques raisons que ce texte fit l’objet d’une attaque en règle par la brillante autrice médiévale Christine de Pizan, même s’il serait anachronique de parler de réponse « féministe ». Encore que, lorsque l’on lit : « Si la coustume estoit de mettre les petites filles a l'escole, et que communément on les fist apprendre les sciences comme on fait aux filz, qu'elles apprendroient aussi parfaitement et entenderoient les subtilités de toutes les arz et sciences comme ils font. » S’il ne s’agit pas de féminisme, c’est assez bien imité…

Mais revenons à Jeanne. 

Ayant prêté serment en 1353 en tant que « illuminatrix et libraria », elle réalisa les illustrations d'un assez grand nombre de manuscrits, y compris des dizaines d'exemplaires du Roman de la rose. 

On s’est même interrogé sur le point de savoir si Jeanne n’aurait pas été la seule illustratrice du couple puisque Richard n’était que « libraire », quoique propriétaire de l’atelier.

Il paraît établi, en outre, que Jeanne dirigea l’atelier après la mort de son mari. Il fallait donc qu’elle soit assez instruite et lise le latin.

Un des manuscrits du Roman considéré comme ayant été illuminé par Jeanne et conservé à la BNF, comporte la représentation des conditions dans lesquelles travaillaient les copistes : on y voit un homme et une femme à l’œuvre dans le scriptorium et quelques bifeuillets (un bifeuillet plié = deux feuillets de manuscrit) peints, en train de sécher.

Question : si Richard avait été l’illustrateur « en chef », aurait-il dessiné sa compagne sur le même plan que lui, assise sur un siège plus orné que le sien ? Je ne saurais répondre mais, en tout état de cause, les deux copistes sont au moins dans une position équivalente.

Manuscrit français n° 25526, page 160, feuillet LXXVII verso
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France


Ce manuscrit est un petit bijou documentaire sur la vie quotidienne vers 1301/1325.

On y trouve de nombreuses représentations de la vie paysanne :

Le meunier et le laboureur
Manuscrit français n° 25526 p.32 Feuillet XIII verso (détail, pied de page)
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France


La moisson et le battage du blé
Manuscrit français n° 25526 p. 267 feuillet CXXXI recto (détail, pied de page)

Des scènes de la vie quotidienne :

Une discussion entre une femme et un homme
Manuscrit français n° 25526 p. 15 Feuillet V recto (détail, pied de page)


Une femme se peignant ou tressant ses cheveux ?
Manuscrit français n° 25526 p.12 Feuillet III verso (détail)

En raison de la présence du musicien, 
on peut penser à une danse, femmes et hommes se tenant par la main.
Manuscrit français n° 25526 feuillet 220 CVII verso (détail, pied de page)

Scène de monastère, les moines en plein débat
Manuscrit français n° 25526 p.245 feuillet CXX recto (détail, pied de page)

De très nombreuses représentations d’animaux divers :

Ecureuil, chien, lièvre
Manuscrit français n° 25526 p. 18 Feuillet VI verso (détail, pied de page)

Lièvre et chien 
On remarquera que ce n'est pas le lièvre qui a l'air le plus inquiet des deux, ce qui ne doit pas nous étonner : ces petits dessins, appelés "drôleries" sont là pour amuser le lecteur, sans forcément de lien avec le sujet de l'ouvrage. On y trouve donc des scènes parodiques, comme celle-ci et d'autres bien plus étonnantes, comme on le verra plus loin !
Manuscrit français n° 25526 p.279 feuillet CXXVII recto (détail, pied de page)


Coq et rouge-gorge 
(Qui ont l'air tous deux assez ronchons)
Manuscrit français n° 25526 p.291 feuillet CXLIII recto (détail, pied de page)

Des scènes de tournoi et de guerre, visiblement contre l’ennemi « héréditaire », comme on le voit plus bas : fleurs de lys contre lion.

Manuscrit français n° 25526 p. 25 Feuillet X recto (détail, pied de page)

Un corps à corps
Manuscrit français n° 25526 p.236 feuillet CXV verso (détail)


Une bataille navale
(A gauche, les François, à droite, les Anglois…)
Manuscrit français n° 25526 p.238 feuillet CXVI verso (détail, pied de page)

Des scènes religieuses :

Les feux de l’enfer
Manuscrit français n° 25526 p.147 feuillet LXXI r (détail, pied de page)

Peut-être sainte Catherine (mais cela mérite confirmation !)
Manuscrit français n° 25526, p. 101 Feuillet XLVIII recto

Saint Georges terrassant le dragon (ce n’est pas Michel, il n’a pas d’ailes !)
Manuscrit français n° 25526 p.668 feuillet CXXI verso (détail, pied de page)

Des personnages et animaux chimériques :

Dragons à tête humaine
Manuscrit français n° 25526 p. 7 Feuillet I recto (première page de l’ouvrage)

Aigles à tête humaine
Manuscrit français n° 25526, p. 72 Feuillet XXXIII verso (détail, pied de page)

Je ne me risquerai pas à identifier ce personnage !
Manuscrit français n° 25526, p.229 CXII recto (détail, pied de page)

Et une jolie sirène, coiffant ses cheveux blonds en se regardant dans son miroir !
Manuscrit français n° 25526 p. 257, feuillet CXXVI recto (détail, pied de page)

Enfin, on y découvre une description assez originale de la vie monacale

Intrusion clandestine
Manuscrit français n° 25526 p. 217 feuillet CVI recto (détail, pied de page)

Cueillette de pénis  et enlacement
Manuscrit français n° 25526 p.218 CVI verso (détail, pied de page)

L’amour dans le foin !
Manuscrit français n° 25526 p. 228 feuillet CXI verso (détail, pied de page)



Bref, comme l’indique le titre de l’ouvrage : « Cest le romant de la Rose » … 

Jeanne, vous avez dû vous amuser !

 


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