Tout ce qu’on sait d’Anastaise, « experte en art de peinterie », c’est Christine de Pizan (1364-1430) qui nous le raconte dans La Cité des Dames (1405, Livre I, chapitre XLI) :
« […] a propos de ce que vous dittes des femmes expertes en la science de painterie, je congnois aujourd’uy une femme que on appelle Anastaise qui tant est experte et apprise a faire vigneteurres d’enlumineure en livres et champaignes d’istoires qu’il n’est mencion d’ouvrier en la ville de Paris ou sont les souverains du monde qui point l’en passe ne qui aussi doulcettement face fleuretieure et menu ouv[r]aige que elle fait et ne de qui on ait plus chier la besoingne, tant soit le livre riche ou chier que on a d’elle qui finer en puet, et ce sçay je par experience car pour moy meesmes a ouvré aucunes choses qui sont tenues singulieres entre les vignettes des autres grans ouvriers. »
« À propos de ces
femmes maîtresses dans l’art de la peinture dont vous avez parlé, j’en connais
une aujourd’hui, nommée Anastaise, qui maîtrise si bien la réalisation des
rinceaux de vigne enluminés dans les livres et les fonds ornés des miniatures,
qu’on ne connaît à Paris, où sont les meilleurs enlumineurs du monde, aucun qui
la surpasse ni qui fasse plus délicatement qu’elle le décor floral et les
filigranes et dont le travail soit plus coûteux, quelle que soit la valeur ou
le prix du livre qu’on lui demande d’enluminer, pour qui en a les moyens. Et je
sais cela d’expérience car elle a réalisé pour moi-même des rinceaux de vigne
qui passent pour remarquables parmi ceux des meilleurs enlumineurs. »
Traduction proposée par Inès Villela-Petit, dans son étude : « À la recherche d’Anastaise », Cahiers de recherches médiévales (consultable en ligne)
Pour se faire une idée de son art, faute d’en savoir davantage, j’ai été chercher quelques pages enluminées des ouvrages de Christine de Pizan numérisés par la BNF, exécutées vers 1400. Il est donc possible qu’Anastaise soit l’auteur de l’une de ces « champaignes » c’est-à-dire les fonds des miniatures, comme on le voit dans le premier dessin ci-dessous (la miniature elle-même n’ayant pas été peinte), décoré de rinceaux dorés, ou le second, rose et remplis de rinceaux rouges dont les motifs sont différents des filigranes du manuscrits.
S’agissant
des « vignetures », c’est-à-dire ces décors de vignes qui ornent les
marges des manuscrits, petites merveilles de délicatesse et de précision, on peut
s’en faire une idée en regardant les pages de La Cité des Dames :
ou bien le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles V :
ou encore, l’Advision Christine de 1405, rehaussé d’or.
Mais
pourquoi Christine, qui tient tant à souligner le talent d’Anastaise, ne
dit-elle rien des ouvrages sur lesquels cette dernière aurait travaillé ?
C’est sans doute qu’elle, Christine, décidait de tout.
« L’expertise » d’Anastaise n’est pas de l’illustration, c’est un
décor sans lien avec le sens du texte. Elle n'intervenait que pour la
finition de l’ouvrage précieux qu’on n'aurait su proposer sans lettrines,
vignetures et autres filigranes.
A
ses propres yeux, la véritable « artiste » de ses livres, même si elle ne tenait pas le pinceau, c’était Christine elle-même !
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