Jeanne
Amélie Thil naît à Calais le 18 décembre 1887. Son père est officier
d’artillerie et, selon certaines sources, elle l’aurait suivi ses affectations
successives à Saint-Omer, Vannes, Nice et Nîmes ; selon d’autres articles,
elle aurait passé son enfance à Calais.
Au début du XXe siècle, elle est étudiante à l’école des Beaux-Arts de Paris où elle est l’élève de Ferdinand Humbert (1842-1934), tout en suivant parallèlement les cours de l’école des Arts Décoratifs. Le 23 juillet 1906, le journal La Liberté fait paraître un encart où elle est citée dans la liste des récipiendaires d’un prix de fin d’étude. Et, aux Beaux-Arts, elle remporte deux fois le prix Chenavard, ce qui lui permet de faire prendre en charge par l’école les frais d’exécution de ses tableaux.
Elle a également été l’élève de Charles Fouqueray mais il ne figure sur aucune liste des enseignants des Beaux-Arts. Il a été nommé peintre officiel de la Marine en 1908, ce qui explique peut-être le choix de Jeanne de rejoindre son atelier. Il est clair, en tout cas, qu’il aura sur elle plus d’influence qu’Humbert. En 1914, il expose au Salon une toile qui sera achetée par l’Etat en 1920. On peut en apprécier son audace coloriste et son goût pour les compositions complexes !
Jeanne expose pour la première fois au Salon des artistes français
en 1911, des Bateaux dans le port de Vannes, puis l’année suivante, Tramp-Steamers
et Chalands au port d’Austerlitz, des thèmes qui donnent une idée de ce
qu’elle a derrière la tête. Dès le second Salon, elle est citée dans la
presse :
« Une artiste qui s'est révélée tout à coup cette année, c'est Mlle Jeanne Thil, ses Chalands au pont d’Austerlitz avec le quai dans le lointain tout éclatant de lumière, sont de facture très large et de solide assise ; il en est de même de ses Tramp Steamers, vibrants de vie et de couleur. » (R. Le Cholleux, « Société des Artistes français », La Revue septentrionale : organe des Rosati et des sociétés savantes, artistiques et littéraires du Nord de la France, 1er juin 1912, p.171)
Et, comme le révèle la Chronique des arts et de la curiosité (29 juin 1912, p.192), elle reçoit le « Prix Brizard de 3.000 fr, pour son tableau exposé au Salon des Artistes français : Tramp Steamers », décerné par l’Académie des Beaux-Arts. L’année suivante, elle participe au Salon avec un Port en Provence.
Pendant la guerre, Jeanne ne tricotte pas pour les soldats, elle dessine ce qu'elle voit…
Elle dessine aussi les soldats et, dès la fin de la guerre, elle fait éditer un album de lithographies tirées de ses aquarelles, instantanés de la vie des combattants blessés où déjà apparaît son intérêt pour les groupes de personnages, présentés en plusieurs plans. (Cliquer sur les images pour les mieux les voir)
Elle assure son indépendance financière en devenant professeur de dessin de la ville de Paris, métier qu’elle exercera jusqu’en 1948, notamment au Vésinet. Dès 1917, elle obtient du ministère de l’Instruction publique sa première bourse de voyage, destination l’Espagne. Jeanne sillonne principalement le sud du pays, Séville, Cordoue, Grenade puis Ségovie. Elle revient avec une vingtaine de toiles et l’une d’entre elle est achetée par l’Etat en 1918. Il s’agit d’un Marché de Ségovie, qui a été mis en dépôt à la préfecture de Savoie en 1920.
La
ville de Paris lui achète un dessin en 1919 :
Elle
présente deux autres toiles au Salon en 1920, Sur les rives du Guadalhorce et
Vaqueros de ganaderia à Cordoue, deux scènes andalouses qui font l’objet
d’acquisition publique, la première par le musée des beaux-arts et de la
dentelle de Calais…
…
la seconde est achetée par l’Etat et déposée la même année au musée de Calais,
alors installé Places d’Armes, dans l’ancien beffroi. Les deux toiles ont été
détruites lors d’un bombardement, en mai 1940.
Jeanne
a trouvé son style et n’hésite pas à se confronter à des formats plutôt
respectables. Selon certains articles de l’époque, elle aurait été récompensée par une
médaille d’argent mais je ne suis pas parvenue à en trouver la confirmation
dans un document officiel.
L’année suivante, elle présente au Salon un nouvel opus espagnol, Retour de marché à Ségovie qui est probablement une autre version que celle qui a été acquise par l’Etat. La toile, que La Presse du 1er mai 1921 (p.2), trouve « très mâlement peinte », suscite aussi un commentaire un peu plus réservé : « La grande toile où Mme Jeanne Thil a donné la cathédrale de Burgos pour fond à un groupe de paysans, est aussi une heureuse idée ; mais il manque entre le monument et les personnages, les liens de la forme, du clair-obscur et de la lumière. » (Henri Longxox, « le Salon des artistes français », L’Action française, 30 avril 1921, p.2). Un article de 1933 permet de s’en faire une idée :
Là-dessus,
Jeanne file en Tunisie grâce à une bourse de la Société coloniale des Artistes
français. Elle revient avec de multiples croquis qu’elle utilisera ensuite à
l’atelier. Cette gouache qui a été présentée sur le marché de l’art est
peut-être l’une d’entre elles :
Dès
1922, apparaît au Salon une huile d’inspiration tunisienne, El-Djem,
probablement encore l’amphithéâtre antique. La toile (220 x 265 cm) est à
nouveau achetée par l’Etat et déposée à la préfecture de l’Aveyron que j’ai
interrogée sans succès…
En 1923, elle expose Dans les sables de Djara et bénéficie d’une exposition à la galerie Georges Petit avec deux autres artistes féminines, Mme Limozin-Balas et Mlle Marcotte. La presse est plutôt louangeuse :
« Mlle Jeanne Thil aime la violence ou le tragique
de scènes et de visages espagnols ou tunisiens. Son tableau de "paysans à
Ségovie" rend bien le caractère fort et grand de ces figures expressives. Les
couleurs sont sombres et pourtant vibrantes, l’atmosphère est sèche et vraie.
Ses "paysans d’Avila", sont violents et passionnés, sur le "pont de Cordoue",
une voiture passe chargée d’énormes outres, conduites par un muletier résigné
et les "femmes de Burgos" juchées sur leurs ânes sont comme écrasées par le
poids de la fatalité pesant sur elles, Mais voici Séville et ses fleurs et ses
femmes aux yeux ardents, aux châles éclatants et aux déhanchements voluptueux.
Mlle Jeanne Thil a su l’évoquer
avec précision ; de son tableau se dégage comme une chaleur vibrante. Ses
scènes de Tunisie sont plus claires et plus ensoleillées. Les "caravanes" de
chameaux s’y déroulent avec lenteur et majesté, les "nomades" y paraissent muets
et farouches, Tunis y étale sa beauté rayonnante et sous "la tente, à Djara" des femmes indigènes fortes et simples travaillent avec tranquillité. » (Mathilde
Dons, « Trois femmes peintres », La Française, journal de progrès
féminin, 8 décembre 1923, p.3)
Une
petite toile pour imaginer ce que décrit la journaliste :
Certains
journaux sont un peu plus réservés : « Mme Jeanne Thil nous montre
ses souvenirs d’Espagne et de Tunisie. Elle peint avec hardiesse, elle aime les
tons violents et par masses. L’impression est juste, bien qu’un peu triste
d’aspect. » (L.M., « Femmes peintres », Le Gaulois, 19
novembre 1923, p.3)
« Mlle Jeanne Thil, dans des visions de pays ensoleillées et de foules méridionales, nuance trop peu des étincellements trop semblables. (Gustave Khan, « Expositions à la galerie Georges Petit », Le Quotidien, 1er décembre 1923, p.5)
Et d’autres, dithyrambiques : « Mlle Jeanne Thil, le plus sincère, le plus honnête des peintres, le plus sensible des poètes de la couleur que nous ayons pour le moment. (…) Inutile de vous dire que j'admire Mlle Jeanne Thil. Cette noble artiste est l'incarnation du courage. Elle a parcouru l'Afrique à la recherche des plus mystérieuses féeries de la lumière. Elle a fait des explorations fatigantes à la recherche des plus extraordinaires décompositions lumineuses. Elle a rapporté de ses voyages des notations extrêmement précieuses. Qui ne se souvient pas de son Marché au Salon de Printemps ? Eh bien il faut aller voir les dernières productions de cette étonnante jeune fille. Elle a fait encore d'énormes progrès dans l'art d'harmoniser les tons les plus difficiles. […] L'atmosphère exacte, la ressemblance des merveilles que nous devons aux séduisants tableaux de la nature, voilà tout le secret de l'art de Mlle Jeanne Thil. Sa simplicité, sa sérénité sont éminemment salutaires. » (Edouard Fonteyne, « Le carnet de l’amateur », L’Homme libre, 22 novembre 1923, p.1/2)
Puis, en 1924, Jeanne expose au Salon Un charmeur de serpents à Kairouan, qui lui vaut une médaille d’or.
On
n’en connaît pas les dimensions mais cette photographie permet d’évaluer un
format proche de ceux des toiles de Cordoue. On a perdu la trace du
tableau d’origine mais Jeanne en a réalisé quelques copies, ce qui nous permet
d’en voir une, passée sur le marché de l’art en 2015 :
D’un
format beaucoup plus modeste, elle présente toutes les caractéristiques du style
de Jeanne : un charmeur qui se tient au centre de la toile, là où l’ombre
laisse place à la lumière, et dont la démonstration est accompagnée par un
groupe de musiciens assis sur la droite, pungi et tambourins. Au fond, une
foule bigarrée et compacte où dominent l’ocre, le bleu et
l’orangé, sous l’œil placide de deux chameaux.
Au second plan, sous un ciel bleu, blanc et mauve, se
déploient les bâtiments blancs de Kairouan, la « ville aux trois cent
mosquées », ancienne capitale des émirs Aghlabides.
« Si je croyais à la chance, je dirais que Mlle Jeanne Thil en a eu beaucoup depuis le début de sa carrière. Mais je ne crois point à la chance. Ou du moins j’estime que si, parfois, elle semble intervenir, il faut que son bénéficiaire y ait singulièrement aidé par un effort sans défaillance, par sa valeur aussi. Et la valeur de la jeune artiste qui vient de se voir attribuer une médaille d’or au Salon de peinture est indiscutable. Si Mlle Thil connut, comme toutes les artistes qui ne sont point favorisées par la fortune, quelques difficultés à ses débuts, elle eut, en revanche, pour l’encourager, des succès que d’autres ne connurent qu’exceptionnellement. […] En 1921, le Retour du marché à Ségovie lui valut une bourse de voyage de l’État. Grâce à cette récompense, la jeune artiste, très attirée par les paysages lumineux des régions Sud, peut parcourir le Nord-Africain et particulièrement la Tunisie. Elle nous rapporta de ce voyage de merveilleux tableaux : El Djem, acquis par l’État ; Dans les sables de Djara, actuellement visible à l’exposition tunisienne et enfin son Charmeur de serpents à Kairouan, œuvre de grande valeur qui mit l’artiste hors concours avec une médaille d’or bien méritée. » (Suzanne Balitrand, « Mlle J. Thil, Hors concours », Rubrique : « La femme du jour », Eve, le premier quotidien illustré de la femme, 29 juin 1924, p.3)
Jeanne est incontestablement devenue une peintre qui compte. Elle participe en 1925 à l’Exposition des Arts décoratifs de Paris puis elle est désignée par concours pour réaliser la décoration de la salle du conseil de l’Hôtel de Ville de Calais…
… que voici in situ :
L’année
suivante, Jeanne présente l’esquisse de son projet calaisien au Salon. On ne peut
pas dire que le peintre René-Jean ait été conquis : « La peinture
d'histoire, ne foisonne plus dans les expositions et les jeunes peintres la
dédaignent. Mais on est certain d'en rencontrer quelques tableaux aux Artistes
Français. Cette année, c'est une esquisse pour la décoration d'une salle de
l'Hôtel de Ville de Calais, et qui représente Le Dévouement des bourgeois
de Calais en une composition d'un rythme monotone groupant de nombreux
personnages où Mlle Jeanne Thil suit
nettement les traces de M. Fouqueray. » (René-Jean, « Le salon de la
société des Artistes Français », Comœdia, 3 mai 1925, p.4)
Pourtant, elle reçoit à la suite du Salon le prix James Bertrand, réservé aux seuls peintres d’histoire français (La Dépêche du 8 juin 1925, p.3)
Et, en 1926, elle est saluée par un très long article dans un magazine féminin qui retrace sa carrière et conclut : […] « Cette suite d’œuvres d’une artiste à la vérité remarquable, n’est qu’un long palmarès. Une seule chose lui a manqué, le prix de Rome, il convient de l’en féliciter. Elle y eut perdu la plus belle de ses qualités, sa désormais intangible personnalité faite de robustesse et d’oppositions, de heurts parfois brutaux, de touches indisciplinées répondant à une logique intérieure inébranlable, le tout placé dans des cadres, des sites qui lui eussent certainement fait défaut en Italie dont l’esprit sert admirablement et complète ses intuitions de coloriste, son étonnante visualité. Jeanne Thil est née metteur en scène. Je pense à Gémier devant ses larges toiles d’Espagne, brossées sans hésitation, avec toute la vigueur dont elle est capable. Et j’imagine ce que seraient à "l’Odéon" les décors de cette femme aux intentions si larges, mise en présence d’une gageure digne d’elle… Elle voudrait à présent s’en aller dans les Indes. Nul doute que les aperçus qu’elle en rapportera ne soient d’un sentiment impérieux et profond. De ce sentiment qui fait – et les toiles de ce peintre excellent à l’inspirer – que l’on garde en idée, longtemps et avec foi, d’un pays ou d’un groupe significatif, ce qu'en a situé et ce qu’en a vu tel tableau ou telle page écrits avec autorité par un pinceau ou une plume doués de jugement synthétique et anecdotier. Voilà pourquoi, possédant ces deux qualités au degré maximum, le Nord-Africain et surtout l’Espagne décrits et sélectionnés par cette artiste nous satisfont à ce point. Jeanne Thil fixe pour notre paresse la sobre Espagne, la claire Tunisie, bientôt l’Inde ocreuse et verte, en visions inoubliables et superbes que nous acceptons sans la velléité d’un doute, en raison même de la robuste conscience et de l’intelligence visuelle que le peintre y a mises en les définissant, et qui éclatent à travers la toiles avec une autorité jusqu’à présent peu habituelle à l’œuvre féminin. » (Roger de Neyres, « Une visite à Jeanne Thil », Minerva : le grand illustré féminin que toute femme intelligente doit lire, 24 janvier 1926, p.7)
Il ne semble pas que Jeanne soit allée « dans les Indes ». Elle participe aux deux Salons suivants avec des toiles tunisiennes : Kairouan, vers le Sud tunisien, El-Djem, Au pieds de la muraille de Sousse et Nomades, Sud tunisien que j’évoque avec quelques œuvres passées sur le marché de l’art …
…
ou acquise par la ville de Paris un peu plus tard.
En
1928, Jeanne est sollicitée par les deux architectes d’un projet de prestige
pour la ville du Touquet, Louis Debrouwer et Pierre Drobecq, auxquels est
confiée la construction de l’hôtel « Royal Picardy », anglicisation
(déjà !) du nom d’un célèbre régiment de cavalerie français. Jeanne y
réalise quatre panneaux monumentaux pour le hall d’entrée. Ces panneaux ne sont
plus visibles aujourd’hui, ils ont été détruits avec l’hôtel, en 1968.
En 1929, on voit apparaître Jeanne au salon de Dijon : « Cette lumière ardente, pleine de vibrations, se trouve encore plus accentuée dans les compositions algériennes de Mlle Jeanne Thil. Toutes les gammes des violets, des verts, des rouges et des roux, se succèdent en arpèges étourdissants. » (J.M. « Le salon dijonnais, XXIIIe exposition de la société des amis des arts », Le Bien public, 16 mai 1929, p.3). On la retrouve fréquemment dans la presse de province de l'époque, à l'occasion d'expositions de société d'amis des arts, ce qui constitue un bon indice de sa notoriété.
Et son Colysée à El Djem, présenté au Salon parisien de la même année, sert de couverture à une plaquette de la Compagnie Générale Transatlantique :
« M.
Maron, directeur -de la C. F. T. a eu l'aimable attention de nous faire envoyer
une fort jolie plaquette, éditée par sa compagnie qui porte le
titre "bien connaitre la Tunisie" On y trouve d'intéressants
renseignement sur les voyages par train et auto à accomplir dans la Régence. Elle
est agrémentée de fort jolies gravures, sous une couverture due au pinceau
de Jeanne Thil qui évoque le
nomade qui se repose au pied du Colysée d'El-Djem. Elle devrait être répandue à
des milliers d'exemplaires dans les agences et les grands hôtels, car c'est de
la bonne et excellente réclame. » (Le Petite Tunisie, 20 décembre
1929, p.1)
Jeanne va régulièrement travailler pour la C.F.T. Elle réalise des affiches à partir de la fin des années 20 :
En
1930, Jeanne participe à l’Exposition coloniale d’Anvers avec un diorama
consacré à la Tunisie et illustre la réédition d’un succès de librairie qui
avait reçu le Grand prix du roman de l’Académie française en 1918, L'Histoire
de Gotton Connixloo. Son auteur, Camille Mayran, est la première femme à
avoir reçu cette distinction.
Mais
c’est surtout pour l’Exposition coloniale de Paris, de mai à novembre 1931, que
Jeanne est particulièrement sollicitée. Dès 1928, elle avait participé au
concours d’affiche, où elle obtient un rang plus qu’honorable, 6e
prix sur 233 concurrents.
Les
commentaires sur sa prestation à l’Exposition elle-même sont clairement d’un
autre âge mais il faut accepter de se replonger un moment dans cette exaltation
d’un Empire français dont la justification n’est alors guère discutée.
« Admirable et utile leçon de choses pour mieux comprendre l’effort colonial et juger de notre influence dans le Protectorat. Aux quatre angles, de grands motifs de décoration, mis au concours entre artistes français séjournant ou ayant séjourné en Tunisie, s’harmonisent avec l’œuvre architecturale de M. Valensi. Ces panneaux représentent l’exploitation des forêts et des champs d’alfa, l’élevage si florissant dans la Régence, la culture de la vigne, et sont signés Jeanne Thil. (…) une immense frise de 42 mètres de longueur se développe majestueusement, attestant par le bel ordonnancement de sa composition décorative, le talent de Mlle Jeanne Thil tout entier voué à la gloire de la plus grande France. » (Emile d’Arnaville, « La Tunisie à l’Exposition Coloniale de 1931 », Bulletin mensuel de Officie du Protectorat français, Tunisie, 1er mai 1930, p.70)
Cet article sera repris in extenso dans plusieurs publications comme Les Annales coloniales (1er juillet 1931) et la Revue du vrai et du beau, (25 juin 1931).
Cet
Elevage n’est peut-être pas le bon mais comme tous ces panneaux ont
disparu… Pour le palais de l’Afrique occidentale, elle exécute deux panneaux
intitulés Débarquement à Dakar, l’un en 1900, l’autre en 1930 (j’imagine
qu’il était question de montrer les « bienfaits de la colonisation »,
par comparaison…)
Et
elle livre aussi une immense carte pour le Pavillon de Tunisie. Le musée ne la
montre que par détails qui ne sont pas à la même échelle, il est donc impossible de la
reconstituer.
Et
elle réalise aussi deux dioramas, l’un pour le Palais de l’Afrique occidentale,
Visite du Moro-Naba à la foire du coton à Ouagadougou (le Moro-Naba était
le roi du royaume Mossi), l’autre au musée des Colonies (devenu le Musée de
l’Immigration), sur le projet de chemin de fer transsaharien.
En 1932, les deux architectes du Touquet sont chargés de la construction de l’Hôtel de Ville. Jeanne est désignée par concours pour l’exécution de fresques, dans la salle des mariages…
…
et dans la salle d’honneur :
Et
la même année, au Salon, Jeanne trouve le temps d’exposer… un Montreur
d’ours (!) que La Semaine de Paris trouve « largement
peint » (5 mai 1932, p.2). Et l’on apprend qu’un de ses tableaux est
exposé au musée des beaux-arts de Nîmes : « Il faut prendre quelque
précaution pour regarder le Marché en Algérie, de Jeanne Thil, tant son rayonnement solaire est
prodigieux. Que de soleil et que de vibrations lumineuses dans la petite salle
! » (Bogomir Dalma, le musée des Beaux-Arts de Nîmes », Les
Tablettes d'Avignon et de Provence, 29 mai 1932, p.3)
En 1933, Jeanne fait l’objet d’un très long article de Camille Mauclair, écrivain et historien de l’art connu pour ses critiques virulentes contre l’art moderne, le fauvisme et le cubisme en particulier.
« C’est rapidement, en une douzaine d'années, que cette jeune artiste a su, par le seul mérite de son œuvre se placer au premier rang non seulement des femmes peintres, mais des peintres d'histoire et d'orientalisme de ce temps. [suit un résumé de sa carrière]… ce "curriculum vitae" étant établi, il convient d'examiner ce qui compte seulement : la valeur de l'œuvre. Il suffit d'un regard pour comprendre que cette jeune femme est un décorateur-né, et avec les plus beaux dons. Est-elle ce qu'on peut appeler un peintre d'histoire, pour parler d'un genre qui se meurt après avoir été glorieux, et dont bien rares sont les derniers adeptes qui ne se figent point dans l'académisme ? (…)
C'est
par les grandes oppositions des valeurs, par la distribution logique des
lumières, par l'affirmation de ce qu'il y a d'ornemental et de généralisé dans
l'individu, par la constante préoccupation de l'effet mural, c'est-à-dire par
le code immodifiable et logique des vrais décorateurs de tous temps et de
toutes conceptions, que vaut l'art de Mlle Thil. On racontait un jour à Puvis
qu'un peintre chargé de décorer un édifice avait déclaré : "Je peins chez moi,
et je me f.… de la muraille. - S'il s'en f.., riposta furieusement le maître,
la muraille le vomira !" C'est le cas de bien des gens, et ce serait celui de
tant d'extrémistes qui ne parlent que du "décoratif" et seraient bien
quinauds si on les mettait au pied des murs que leurs zélateurs s'indignent de
ne leur point voir offrir. Mlle Thil sait relier sa composition et sa gamme de
tons au mur et au local éclairé : elle a appris à éviter les vides, à répartir
les masses, à sérier les plans, à les meubler sans facticité ni surcharge. Et
son extrême intelligence, son don d'observation, ne nuisent jamais à sa
sensibilité. (…)
Il
arrive donc à Mlle Jeanne Thil de
dépasser le simple prestige décoratif, dans ces régions où le décoratif et la
vie contemplative ne font qu'un, où tout homme est une statue en marche, où la
beauté formelle est liée au moindre geste : et c'est bien pourquoi elle a la
passion des blancheurs sous l'azur. Elle est allée récemment la satisfaire en
Grèce, d'où elle a rapporté d'autres belles choses. Elle est née pour la
synthèse murale, pour les tons riches et les formes amples. En ce temps de
misérable petite "école des quatre pommes", de ruelles montmartroises
rabâchées, de nus d'ateliers anémiques et plats, de potagers banlieusards, sans
style, sans imagination, sans goût, où l'on s'épuise à trouver "des qualités
de peintre" et des mérites de palette dont la mesquinerie eût fait rire les
maîtres, ils sont de plus en plus rares, les artistes capables de se mesurer
avec une muraille, de la remplir, d'y jeter avec autant de science que
d'enthousiasme des ciels, des horizons, des cavaleries, des animaux, des
vaisseaux, des foules, dans la joie des volumes denses, des colorations
éclatantes, des magiques pénombres, de ce lyrisme enfin qui n'a rien de "littéraire" mais élève son chant au milieu de la nature elle-même. Voilà ce
qui anime cette jeune femme errant dans "l’Orient désert" qui peut nous
revivifier picturalement, bien que messieurs les mercantis ne le trouvent pas
encore très intéressant pour leur cote, et tiennent pour inaptes à l'arrivisme
ceux qui s'expatrient à la recherche de beautés non encore souillées par le
progrès. Voilà ce qui fait de Mlle Jeanne Thil une
personnalité dont je m'étonnerais que la place dans l'art décoratif de demain,
place méritée par le labeur, la méthode, le caractère, le don et le talent, ne
devînt point large et splendide. » (Camille Mauclair, « Jeanne
Thil », L’art et les artistes, 1er mars 1933, p.298 à 303)
L’article était accompagné de plusieurs reproductions d’œuvres que j’ai montrées plus haut, auxquelles s’ajoutait Le Mariage au XVe siècle et Dans le Péloponèse (sic), l’une des deux œuvres qu’elle avait présentées au Salon de 1933.
L’année
suivante, l’inspiration grecque s’affirme au Salon avec Athènes :
Acropole et Patras, au pied des ruines de la citadelle.
Pour illustrer cet épisode de la vie de Jeanne, j’ai trouvé deux gouaches probablement réalisées sur place, à Tessalonique, alors dénommée Salonique. L’une représente la Rotonde Saint-Georges, ancien temple du IVe siècle de notre ère, transformée en mosquée puis en église du temps de Jeanne…
…
l’autre est une fontaine que je serais bien en peine de situer.
Gouache sur papier marouflé sur toile, 64,5 x 81 cm
En
1935, Jeanne est chargée de la décoration du Pavillon de la France d’Outremer à
l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles. Elle réalise neuf
toiles qui ont été conservées et permettent d’évaluer sa capacité à se
confronter avec des formats hors normes. Pour une raison que j’ignore, le musée
qui les conserve n’en montre que huit en ligne…
L’année suivante, Jeanne est à nouveau au Salon avec un Oasis dans le sud tunisien et, en 1937, elle y expose Sud tunisien, qualifiée par Le Journal du Midi du 14 mai de « lumineuse toile orientaliste ». L’œuvre sera aussi montrée à l’Exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne qui a lieu la même année à Paris. (p.256 du catalogue)
En
1938, petite surprise : alors que le catalogue ne mentionne qu’une seule œuvre,
intitulée Pouzzoles, un autre tableau est reproduit, Corinthe…
…
ce qui est confirmé par L’Est républicain : « Il est superflu
de dire le succès du grand peintre colonial qu'est Mlle Jeanne Thil avec
trois tableaux où la couleur chante un bel hymne à la nature coloniale, à ses
monuments comme à ses habitants. Dessins, couleurs, constructions constituent
des ensembles d'une splendeur que l'on ne cesse d'admirer. Cette artiste nous
transporte au loin, par ses œuvres si évocatrices de ces pays qui sont nôtres
et que nous connaissons si peu. Mlle Jeanne Thil nous fait, par ses
œuvres, plus aimer encore nos belles colonies, nous lui en savons gré. »
(Nehac, « Les Arts à Paris, le Salon », L’Est républicain, 5
juillet 1938, p.8)
Au
Salon de 1939, Raymond Escholier est conquis : « L’oued Gabès
inspire à Jeanne Thil une peinture grave et puissante » (« Au Grand
Palais, Les imagiers de l’Empire », Le Journal, 15 mai 1939, p.2)
Il y a tout lieu de supposer que cet oued est celui qui est conservé quai
Branly.
L’Etat
a aussi acquis une autre toile, d’Algérie cette fois. Elle aurait été déposée
au musée des années 30 de Boulogne-Billancourt.
C’est
l’année où Jeanne doit travailler ardemment à une commande reçue l’année
précédente, pour l’Université de Lille. Elle livrera l’année suivante sa Fresque
des Doyens, laquelle a bien failli finir comme le Royal Picardy mais a été
sauvée in extremis à l’occasion de l’installation de Sciences Po dans le locaux
en question.
Aujourd’hui, on peut donc la voir, salle 36 ! (rappel : vous pouvez l'agrandir en cliquant)
Comme
toujours, la fin de carrière des artistes est moins documentée. On sait
toutefois que Jeanne a participé à plusieurs décorations de paquebots, toujours
pour la Compagnie Générale Transatlantique. Elle avait déjà été sollicitée dans
les années 20, puis au début des années 30. En 1947, elle participe à la
décoration du paquebot « Liberté » et le Centre national des Arts
Plastiques en conserve quelques traces.
Elle
a aussi peint pour le paquebot « Ville de Tunis », une grande
peinture ainsi décrite par La Liberté du Morbihan : « Un
escalier arrondi en fer forgé, à la courbe gracieuse, rehausse la présence d'une
grande peinture murale de Jeanne Thil. Cette
vue de Tunis vaut surtout par la profondeur, le relief de premiers plans
vigoureux au dessin accentué d'un trait bleu, aux tons chauds et harmonieux se
détachant sur la blanche perspective des constructions. Au loin, des rochers
or, une mer d’un bleu intense, un beau navire de commerce… » (« De
Lorient à Marseille à bord du Ville de Tunis », 29 mars 1952, p.3)
En 1948, Jeanne est exposée à la galerie L’Art français, rue de la Paix : « Un peintre d’une originalité incontestable prépare une exposition appelée à satisfaire les amateurs : cette artiste est Jeanne Thil, dont nous avions déjà signalé les mérites lors d’une visite à son atelier, rue Lhomond, où nous avions vu des toiles saisissantes, de coloris hardi et chaud, de dessin ferme, et dans lesquelles le souci de composition s’alliait à un sens d’évocation poétique particulièrement attachant. Il se dégage de cet ensemble, qui donne maints aspects de la Tunisie et de la Grèce, une impression de grandeur et de vérité qui frappe par l’originalité de la conception et de la réalisation. On aimera l’expression de ces nomades, de ces tribus, de ces types de cavaliers arabes du Sud tunisien ; l’or des soirs sur l’Acropole, Salonique ou Corfou. L’exposition de Jeanne Thil mérite une visite approfondie, que mérite son art sincère et médité. » (Maxime Belliard, « Une exposition de Jeanne Thil », La France libre, 13 juin 1948, p.2)
Jeanne
a continué à voyager et à peindre jusqu’à un âge avancé, comme en témoignent ses œuvres des années 50.
Et
elle ne rechigne pas à célébrer le drapeau de sa Tunisie chérie, quelques
années avant son indépendance (1956) !
Jeanne
bénéficiera de deux autres expositions de son vivant, l’une au musée de la France
d’Outremer (actuel Musée de l’Immigration), l’autre au Musée des Beaux-Arts de Calais
en 1958.
Si son atelier se trouvait, pendant des années, au 54 rue Lhomond, à Paris 14e, elle vivait au Vésinet. C’est là que Jeanne Thil est morte, le 16 mars 1968.
Depuis son décès, Jeanne a été présente dans trois expositions importantes, la première en 2018, une expositions collective, « Peintures des Lointains » au musée du quai Branly, la seconde de 2020 à 2022, « Peintures des lointains. Voyages de Jeanne Thil », au Musée des Beaux-Arts de Calais (juillet 2020 - février 2021), accueillie ensuite au musée de Tessé au Mans (décembre 2021-juin 2022). Enfin, avec une trentaine d’autres artistes féminines, elle a été présentée dans l’exposition « Artistes voyageuses, l’appel des lointains 1880-1944 » au musée de Pont-Aven de juin à novembre 2023.
La
reconnaissance posthume de Jeanne Thil a probablement pâti de sa proximité avec
le monde colonial. Il est
certain qu’elle ne s’est pas engagée, comme une Lucie Cousturier par exemple, aux côtés des populations autochtones. Mais il paraît difficile de lui reprocher d’avoir
été du même avis que la quasi-totalité de ses compatriotes de l’époque.
Acceptons donc de regarder son art comme un témoignage d’un époque heureusement révolue mais admirons la volonté, l’énergie et le talent coloriste d’une artiste qui a conduit sa carrière prolifique avec brio et détermination !
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