dimanche 2 juin 2024

Jeanne Thil (1887-1968)

 

Photographe inconnu
Jeanne Thil vers 1935
Source : La Voix du Nord


Jeanne Amélie Thil naît à Calais le 18 décembre 1887. Son père est officier d’artillerie et, selon certaines sources, elle l’aurait suivi ses affectations successives à Saint-Omer, Vannes, Nice et Nîmes ; selon d’autres articles, elle aurait passé son enfance à Calais.

Au début du XXe siècle, elle est étudiante à l’école des Beaux-Arts de Paris où elle est l’élève de Ferdinand Humbert (1842-1934), tout en suivant parallèlement les cours de l’école des Arts Décoratifs. Le 23 juillet 1906, le journal La Liberté fait paraître un encart où elle est citée dans la liste des récipiendaires d’un prix de fin d’étude. Et, aux Beaux-Arts, elle remporte deux fois le prix Chenavard, ce qui lui permet de faire prendre en charge par l’école les frais d’exécution de ses tableaux.

Elle a également été l’élève de Charles Fouqueray mais il ne figure sur aucune liste des enseignants des Beaux-Arts. Il a été nommé peintre officiel de la Marine en 1908, ce qui explique peut-être le choix de Jeanne de rejoindre son atelier. Il est clair, en tout cas, qu’il aura sur elle plus d’influence qu’Humbert. En 1914, il expose au Salon une toile qui sera achetée par l’Etat en 1920. On peut en apprécier son audace coloriste et son goût pour les compositions complexes ! 

 

Charles Fouqueray (1869-1956)
Les marins de Barberousse et de Salah Raïs, le Sac de Lipari (1544) – 1914
Huile sur toile, 145,4 x 106,4 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Photo : RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski


Jeanne expose pour la première fois au Salon des artistes français en 1911, des Bateaux dans le port de Vannes, puis l’année suivante, Tramp-Steamers et Chalands au port d’Austerlitz, des thèmes qui donnent une idée de ce qu’elle a derrière la tête. Dès le second Salon, elle est citée dans la presse :

« Une artiste qui s'est révélée tout à coup cette année, c'est Mlle Jeanne Thil, ses Chalands au pont d’Austerlitz avec le quai dans le lointain tout éclatant de lumière, sont de facture très large et de solide assise ; il en est de même de ses Tramp Steamers, vibrants de vie et de couleur. » (R. Le Cholleux, « Société des Artistes français », La Revue septentrionale : organe des Rosati et des sociétés savantes, artistiques et littéraires du Nord de la France, 1er juin 1912, p.171)

Et, comme le révèle la Chronique des arts et de la curiosité (29 juin 1912, p.192), elle reçoit le « Prix Brizard de 3.000 fr, pour son tableau exposé au Salon des Artistes français : Tramp Steamers », décerné par l’Académie des Beaux-Arts. L’année suivante, elle participe au Salon avec un Port en Provence.

Pendant la guerre, Jeanne ne tricotte pas pour les soldats, elle dessine ce qu'elle voit… 

Réfugiés belges en route pour Calais - 1914
Reproduction imprimée d’un dessin
Archives départementales du Pas-de-Calais


Elle dessine aussi les soldats et, dès la fin de la guerre, elle fait éditer un album de lithographies tirées de ses aquarelles, instantanés de la vie des combattants blessés où déjà apparaît son intérêt pour les groupes de personnages, présentés en plusieurs plans. (Cliquer sur les images pour les mieux les voir)


Couverture d’un album de six reproductions d’aquarelles 
intitulé Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière

Arrivée à l’ambulance
Lithographie 32 x 25 cm
Album Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière

Convalescence
Lithographie 32 x 25 cm
Album Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière

Bain de soleil
Lithographie 32 x 25 cm
Album Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière

Le moral est toujours bon
Lithographie 32 x 25 cm
Album Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière

Décoration d’un grand blessé
Lithographie 32 x 25 cm
Album Aux ambulances, 1917-1918
Collection particulière


Elle assure son indépendance financière en devenant professeur de dessin de la ville de Paris, métier qu’elle exercera jusqu’en 1948, notamment au Vésinet. Dès 1917, elle obtient du ministère de l’Instruction publique sa première bourse de voyage, destination l’Espagne. Jeanne sillonne principalement le sud du pays, Séville, Cordoue, Grenade puis Ségovie. Elle revient avec une vingtaine de toiles et l’une d’entre elle est achetée par l’Etat en 1918. Il s’agit d’un Marché de Ségovie, qui a été mis en dépôt à la préfecture de Savoie en 1920.

La ville de Paris lui achète un dessin en 1919 :

 

Séville, puerta del Pardon, matinée de féria – avant 1919
Fusain et gouache sur papier, 49,7 x 45 cm
Fonds d’Art Contemporain, Paris Collections


Elle présente deux autres toiles au Salon en 1920, Sur les rives du Guadalhorce et Vaqueros de ganaderia à Cordoue, deux scènes andalouses qui font l’objet d’acquisition publique, la première par le musée des beaux-arts et de la dentelle de Calais…

 

Sur les rives du Guadalhorce – 1920
Huile sur toile, dimensions inconnues 
Musée de Calais
(Œuvre disparue en temps de guerre) 
Source Musenor


… la seconde est achetée par l’Etat et déposée la même année au musée de Calais, alors installé Places d’Armes, dans l’ancien beffroi. Les deux toiles ont été détruites lors d’un bombardement, en mai 1940.

 

Vaqueros de ganaderia à Cordoue - vers 1920
Huile sur toile, 185 x 230 cm
Musée de Calais
(Œuvre disparue en temps de guerre) 

Jeanne a trouvé son style et n’hésite pas à se confronter à des formats plutôt respectables. Selon certains articles de l’époque, elle aurait été récompensée par une médaille d’argent mais je ne suis pas parvenue à en trouver la confirmation dans un document officiel.

L’année suivante, elle présente au Salon un nouvel opus espagnol, Retour de marché à Ségovie qui est probablement une autre version que celle qui a été acquise par l’Etat. La toile, que La Presse du 1er mai 1921 (p.2), trouve « très mâlement peinte », suscite aussi un commentaire un peu plus réservé : « La grande toile où Mme Jeanne Thil a donné la cathédrale de Burgos pour fond à un groupe de paysans, est aussi une heureuse idée ; mais il manque entre le monument et les personnages, les liens de la forme, du clair-obscur et de la lumière. » (Henri Longxox, « le Salon des artistes français », L’Action française, 30 avril 1921, p.2). Un article de 1933 permet de s’en faire une idée :

 

Œuvre reproduite in Camille Mauclair, « Jeanne Thil »,
L’art et les artistes, Tome XXVI, mars-juillet 1933, p.303
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Là-dessus, Jeanne file en Tunisie grâce à une bourse de la Société coloniale des Artistes français. Elle revient avec de multiples croquis qu’elle utilisera ensuite à l’atelier. Cette gouache qui a été présentée sur le marché de l’art est peut-être l’une d’entre elles :

 

Chameaux devant l'amphithéâtre romain d'El Jem – sans date
Gouache sur papier, 33 x 55 cm
Collection particulière (vente 2015)


Dès 1922, apparaît au Salon une huile d’inspiration tunisienne, El-Djem, probablement encore l’amphithéâtre antique. La toile (220 x 265 cm) est à nouveau achetée par l’Etat et déposée à la préfecture de l’Aveyron que j’ai interrogée sans succès…

En 1923, elle expose Dans les sables de Djara et bénéficie d’une exposition à la galerie Georges Petit avec deux autres artistes féminines, Mme Limozin-Balas et Mlle Marcotte. La presse est plutôt louangeuse :

« Mlle Jeanne Thil aime la violence ou le tragique de scènes et de visages espagnols ou tunisiens. Son tableau de "paysans à Ségovie" rend bien le caractère fort et grand de ces figures expressives. Les couleurs sont sombres et pourtant vibrantes, l’atmosphère est sèche et vraie. Ses "paysans d’Avila", sont violents et passionnés, sur le "pont de Cordoue", une voiture passe chargée d’énormes outres, conduites par un muletier résigné et les "femmes de Burgos" juchées sur leurs ânes sont comme écrasées par le poids de la fatalité pesant sur elles, Mais voici Séville et ses fleurs et ses femmes aux yeux ardents, aux châles éclatants et aux déhanchements voluptueux. Mlle Jeanne Thil a su l’évoquer avec précision ; de son tableau se dégage comme une chaleur vibrante. Ses scènes de Tunisie sont plus claires et plus ensoleillées. Les "caravanes" de chameaux s’y déroulent avec lenteur et majesté, les "nomades" y paraissent muets et farouches, Tunis y étale sa beauté rayonnante et sous "la tente, à Djara" des femmes indigènes fortes et simples travaillent avec tranquillité. » (Mathilde Dons, « Trois femmes peintres », La Française, journal de progrès féminin, 8 décembre 1923, p.3)

Une petite toile pour imaginer ce que décrit la journaliste :

 

La Caravane, Tunisie – sans date
Huile sur toile, 61,5 x 100 cm
Collection particulière (vente 2022)

Certains journaux sont un peu plus réservés : « Mme Jeanne Thil nous montre ses souvenirs d’Espagne et de Tunisie. Elle peint avec hardiesse, elle aime les tons violents et par masses. L’impression est juste, bien qu’un peu triste d’aspect. » (L.M., « Femmes peintres », Le Gaulois, 19 novembre 1923, p.3)

« Mlle Jeanne Thil, dans des visions de pays ensoleillées et de foules méridionales, nuance trop peu des étincellements trop semblables. (Gustave Khan, « Expositions à la galerie Georges Petit », Le Quotidien, 1er décembre 1923, p.5)

Et d’autres, dithyrambiques : « Mlle Jeanne Thil, le plus sincère, le plus honnête des peintres, le plus sensible des poètes de la couleur que nous ayons pour le moment. (…) Inutile de vous dire que j'admire Mlle Jeanne Thil. Cette noble artiste est l'incarnation du courage. Elle a parcouru l'Afrique à la recherche des plus mystérieuses féeries de la lumière. Elle a fait des explorations fatigantes à la recherche des plus extraordinaires décompositions lumineuses. Elle a rapporté de ses voyages des notations extrêmement précieuses. Qui ne se souvient pas de son Marché au Salon de Printemps ? Eh bien il faut aller voir les dernières productions de cette étonnante jeune fille. Elle a fait encore d'énormes progrès dans l'art d'harmoniser les tons les plus difficiles. […] L'atmosphère exacte, la ressemblance des merveilles que nous devons aux séduisants tableaux de la nature, voilà tout le secret de l'art de Mlle Jeanne Thil. Sa simplicité, sa sérénité sont éminemment salutaires. » (Edouard Fonteyne, « Le carnet de l’amateur », L’Homme libre, 22 novembre 1923, p.1/2)

Puis, en 1924, Jeanne expose au Salon Un charmeur de serpents à Kairouan, qui lui vaut une médaille d’or.


Jeanne Thil à côté de son tableau, au Salon des artistes français de 1924
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

On n’en connaît pas les dimensions mais cette photographie permet d’évaluer un format proche de ceux des toiles de Cordoue. On a perdu la trace du tableau d’origine mais Jeanne en a réalisé quelques copies, ce qui nous permet d’en voir une, passée sur le marché de l’art en 2015 :

 

Le charmeur de serpent à Kairouan – sans date
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Collection particulière 

D’un format beaucoup plus modeste, elle présente toutes les caractéristiques du style de Jeanne : un charmeur qui se tient au centre de la toile, là où l’ombre laisse place à la lumière, et dont la démonstration est accompagnée par un groupe de musiciens assis sur la droite, pungi et tambourins. Au fond, une foule bigarrée et compacte où dominent l’ocre, le bleu et l’orangé, sous l’œil placide de deux chameaux.  Au second plan, sous un ciel bleu, blanc et mauve, se déploient les bâtiments blancs de Kairouan, la « ville aux trois cent mosquées », ancienne capitale des émirs Aghlabides.

« Si je croyais à la chance, je dirais que Mlle Jeanne Thil en a eu beaucoup depuis le début de sa carrière. Mais je ne crois point à la chance. Ou du moins j’estime que si, parfois, elle semble intervenir, il faut que son bénéficiaire y ait singulièrement aidé par un effort sans défaillance, par sa valeur aussi. Et la valeur de la jeune artiste qui vient de se voir attribuer une médaille d’or au Salon de peinture est indiscutable. Si Mlle Thil connut, comme toutes les artistes qui ne sont point favorisées par la fortune, quelques difficultés à ses débuts, elle eut, en revanche, pour l’encourager, des succès que d’autres ne connurent qu’exceptionnellement. […] En 1921, le Retour du marché à Ségovie lui valut une bourse de voyage de l’État. Grâce à cette récompense, la jeune artiste, très attirée par les paysages lumineux des régions Sud, peut parcourir le Nord-Africain et particulièrement la Tunisie. Elle nous rapporta de ce voyage de merveilleux tableaux : El Djem, acquis par l’État ; Dans les sables de Djara, actuellement visible à l’exposition tunisienne et enfin son Charmeur de serpents à Kairouan, œuvre de grande valeur qui mit l’artiste hors concours avec une médaille d’or bien méritée. » (Suzanne Balitrand, « Mlle J. Thil, Hors concours », Rubrique : « La femme du jour », Eve, le premier quotidien illustré de la femme, 29 juin 1924, p.3)

Jeanne est incontestablement devenue une peintre qui compte. Elle participe en 1925 à l’Exposition des Arts décoratifs de Paris puis elle est désignée par concours pour réaliser la décoration de la salle du conseil de l’Hôtel de Ville de Calais…

 

Le dévouement des bourgeois de Calais en 1347 – 1924
Salle du conseil de l’Hôtel de Ville de Calais
Source : La Voix du Nord


… que voici in situ :

Salle du conseil de l’Hôtel de Ville de Calais
Source : La Voix du Nord


L’année suivante, Jeanne présente l’esquisse de son projet calaisien au Salon. On ne peut pas dire que le peintre René-Jean ait été conquis : « La peinture d'histoire, ne foisonne plus dans les expositions et les jeunes peintres la dédaignent. Mais on est certain d'en rencontrer quelques tableaux aux Artistes Français. Cette année, c'est une esquisse pour la décoration d'une salle de l'Hôtel de Ville de Calais, et qui représente Le Dévouement des bourgeois de Calais en une composition d'un rythme monotone groupant de nombreux personnages où Mlle Jeanne Thil suit nettement les traces de M. Fouqueray. » (René-Jean, « Le salon de la société des Artistes Français », Comœdia, 3 mai 1925, p.4)

Pourtant, elle reçoit à la suite du Salon le prix James Bertrand, réservé aux seuls peintres d’histoire français (La Dépêche du 8 juin 1925, p.3)

Et, en 1926, elle est saluée par un très long article dans un magazine féminin qui retrace sa carrière et conclut : […] « Cette suite d’œuvres d’une artiste à la vérité remarquable, n’est qu’un long palmarès. Une seule chose lui a manqué, le prix de Rome, il convient de l’en féliciter. Elle y eut perdu la plus belle de ses qualités, sa désormais intangible personnalité faite de robustesse et d’oppositions, de heurts parfois brutaux, de touches indisciplinées répondant à une logique intérieure inébranlable, le tout placé dans des cadres, des sites qui lui eussent certainement fait défaut en Italie dont l’esprit sert admirablement et complète ses intuitions de coloriste, son étonnante visualité. Jeanne Thil est née metteur en scène. Je pense à Gémier devant ses larges toiles d’Espagne, brossées sans hésitation, avec toute la vigueur dont elle est capable. Et j’imagine ce que seraient à "l’Odéon" les décors de cette femme aux intentions si larges, mise en présence d’une gageure digne d’elle… Elle voudrait à présent s’en aller dans les Indes. Nul doute que les aperçus qu’elle en rapportera ne soient d’un sentiment impérieux et profond. De ce sentiment qui fait – et les toiles de ce peintre excellent à l’inspirer – que l’on garde en idée, longtemps et avec foi, d’un pays ou d’un groupe significatif, ce qu'en a situé et ce qu’en a vu tel tableau ou telle page écrits avec autorité par un pinceau ou une plume doués de jugement synthétique et anecdotier. Voilà pourquoi, possédant ces deux qualités au degré maximum, le Nord-Africain et surtout l’Espagne décrits et sélectionnés par cette artiste nous satisfont  à ce point. Jeanne Thil fixe pour notre paresse la sobre Espagne, la claire Tunisie, bientôt l’Inde ocreuse et verte, en visions inoubliables et superbes que nous acceptons sans la velléité d’un doute, en raison même de la robuste conscience et de l’intelligence visuelle que le peintre y a mises en les définissant, et qui éclatent à travers la toiles avec une autorité jusqu’à présent peu habituelle à l’œuvre féminin. » (Roger de Neyres, « Une visite à Jeanne Thil », Minerva : le grand illustré féminin que toute femme intelligente doit lire, 24 janvier 1926, p.7)

Il ne semble pas que Jeanne soit allée « dans les Indes ». Elle participe aux deux Salons suivants avec des toiles tunisiennes : Kairouan, vers le Sud tunisien, El-Djem, Au pieds de la muraille de Sousse et Nomades, Sud tunisien que j’évoque avec quelques œuvres passées sur le marché de l’art …

Une caravane devant Kairouan – fin des années 20
Huile sur toile, 154 x 184 cm
Collection particulière


Train de chameaux devant Sousse – sans date
Huile sur toile, 99 x 99 cm
Collection particulière (vente 2004)

 

… ou acquise par la ville de Paris un peu plus tard.

Tentes de nomades à Sousse – sans date
Huile sur toile, 64 x 80 cm
Fonds d'Art Contemporain, Paris Collections

En 1928, Jeanne est sollicitée par les deux architectes d’un projet de prestige pour la ville du Touquet, Louis Debrouwer et Pierre Drobecq, auxquels est confiée la construction de l’hôtel « Royal Picardy », anglicisation (déjà !) du nom d’un célèbre régiment de cavalerie français. Jeanne y réalise quatre panneaux monumentaux pour le hall d’entrée. Ces panneaux ne sont plus visibles aujourd’hui, ils ont été détruits avec l’hôtel, en 1968.

 

A gauche : Porte étendard du Royal Picardie allant prendre sa position de combat à Maastricht en 1673
A droite : Le comte de Bassompierre, commandant le Royal Picardie devant Sélestat en 1771
Panneaux décoratifs (photo : Wikipédia)


A gauche : Timbales et clairons du Royal Picardie devant Altenheim en 1675
A droite : Le chevalier de Frennel, commandant du Royal Picardie, 
salué par ses officiers en 1763
Panneaux décoratifs (photo : Wikipédia)

En 1929, on voit apparaître Jeanne au salon de Dijon : « Cette lumière ardente, pleine de vibrations, se trouve encore plus accentuée dans les compositions algériennes de Mlle Jeanne Thil. Toutes les gammes des violets, des verts, des rouges et des roux, se succèdent en arpèges étourdissants. » (J.M. « Le salon dijonnais, XXIIIe exposition de la société des amis des arts », Le Bien public, 16 mai 1929, p.3). On la retrouve fréquemment dans la presse de province de l'époque, à l'occasion d'expositions de société d'amis des arts, ce qui constitue un bon indice de sa notoriété. 

Et son Colysée à El Djem, présenté au Salon parisien de la même année, sert de couverture à une plaquette de la Compagnie Générale Transatlantique :

« M. Maron, directeur -de la C. F. T. a eu l'aimable attention de nous faire envoyer une fort jolie plaquette, éditée par sa compagnie qui porte le titre "bien connaitre la Tunisie" On y trouve d'intéressants renseignement sur les voyages par train et auto à accomplir dans la Régence. Elle est agrémentée de fort jolies gravures, sous une couverture due au pinceau de Jeanne Thil qui évoque le nomade qui se repose au pied du Colysée d'El-Djem. Elle devrait être répandue à des milliers d'exemplaires dans les agences et les grands hôtels, car c'est de la bonne et excellente réclame. » (Le Petite Tunisie, 20 décembre 1929, p.1)

Jeanne va régulièrement travailler pour la C.F.T.  Elle réalise des affiches à partir de la fin des années 20 :


Algérie, Tunisie, Maroc par la Transatlantique
Affiche en toile, 113 x 75 cm
Collection particulière (vente 2021)

 

Bordeaux- Maroc par la Compagnie Générale Transatlantique
Affiche en toile, 98,5 x 60,5 cm
Collection particulière (vente 2021)

En 1930, Jeanne participe à l’Exposition coloniale d’Anvers avec un diorama consacré à la Tunisie et illustre la réédition d’un succès de librairie qui avait reçu le Grand prix du roman de l’Académie française en 1918, L'Histoire de Gotton Connixloo. Son auteur, Camille Mayran, est la première femme à avoir reçu cette distinction.

 

Camille Mayran, L'Histoire de Gotton Connixloo
Typographies originales de Jeanne Thil
Les Cent Femmes Amies des Livres, Paris, 1930


Mais c’est surtout pour l’Exposition coloniale de Paris, de mai à novembre 1931, que Jeanne est particulièrement sollicitée. Dès 1928, elle avait participé au concours d’affiche, où elle obtient un rang plus qu’honorable, 6e prix sur 233 concurrents.

 

Reproduite in L’Affiche française, 1er juillet 1928, p. 105,
à l’occasion de la proclamation des résultats du concours d’affiches
pour l’Exposition coloniale de 1931

Les commentaires sur sa prestation à l’Exposition elle-même sont clairement d’un autre âge mais il faut accepter de se replonger un moment dans cette exaltation d’un Empire français dont la justification n’est alors guère discutée.

« Admirable et utile leçon de choses pour mieux comprendre l’effort colonial et juger de notre influence dans le Protectorat. Aux quatre angles, de grands motifs de décoration, mis au concours entre artistes français séjournant ou ayant séjourné en Tunisie, s’harmonisent avec l’œuvre architecturale de M. Valensi. Ces panneaux représentent l’exploitation des forêts et des champs d’alfa, l’élevage si florissant dans la Régence, la culture de la vigne, et sont signés Jeanne Thil. (…) une immense frise de 42 mètres de longueur se développe majestueusement, attestant par le bel ordonnancement de sa composition décorative, le talent de Mlle Jeanne Thil tout entier voué à la gloire de la plus grande France. » (Emile d’Arnaville, « La Tunisie à l’Exposition Coloniale de 1931 », Bulletin mensuel de Officie du Protectorat français, Tunisie, 1er mai 1930, p.70)

Cet article sera repris in extenso dans plusieurs publications comme Les Annales coloniales (1er juillet 1931) et la Revue du vrai et du beau, (25 juin 1931).

 

Reproduits in Camille Mauclair, « Jeanne Thil », L’art et les artistes,
Tome XXVI, mars-juillet 1933, p.299
 Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Cet Elevage n’est peut-être pas le bon mais comme tous ces panneaux ont disparu… Pour le palais de l’Afrique occidentale, elle exécute deux panneaux intitulés Débarquement à Dakar, l’un en 1900, l’autre en 1930 (j’imagine qu’il était question de montrer les « bienfaits de la colonisation », par comparaison…)

 

Reproduits in Camille Mauclair, « Jeanne Thil », L’art et les artistes,
Tome XXVI, mars-juillet 1933, p.298
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Et elle livre aussi une immense carte pour le Pavillon de Tunisie. Le musée ne la montre que par détails qui ne sont pas à la même échelle, il est donc impossible de la reconstituer.

 

Tunisie, commerce général (détails) – 1931
Huile sur toile 301 x 606  cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris

Et elle réalise aussi deux dioramas, l’un pour le Palais de l’Afrique occidentale, Visite du Moro-Naba à la foire du coton à Ouagadougou (le Moro-Naba était le roi du royaume Mossi), l’autre au musée des Colonies (devenu le Musée de l’Immigration), sur le projet de chemin de fer transsaharien.

En 1932, les deux architectes du Touquet sont chargés de la construction de l’Hôtel de Ville. Jeanne est désignée par concours pour l’exécution de fresques, dans la salle des mariages…

 

Un mariage au XVe siècle – 1932
Fresque
Salle des mariages de l’Hôtel de Ville du Touquet
Source : parcours historique du site de la ville du Touquet-Paris Plage

 

… et dans la salle d’honneur :

 

Le port d'Etaples : les préparatifs de la riposte
contre l'invasion anglaise de Boulogne -1932
Fresque
Salle d'honneur de l’Hôtel de Ville du Touquet 
Source : parcours historique du site de la ville du Touquet-Paris Plage


La rencontre des rois Henri VII d'Angleterre et Charles VIII de France
dans le port d'Etaples, pour convenir de la fin de la guerre de cent ans - 1932
Fresque
Salle d'honneur de l’Hôtel de Ville du Touquet 
Source : parcours historique du site de la ville du Touquet-Paris Plage


Et la même année, au Salon, Jeanne trouve le temps d’exposer… un Montreur d’ours (!) que La Semaine de Paris trouve « largement peint » (5 mai 1932, p.2). Et l’on apprend qu’un de ses tableaux est exposé au musée des beaux-arts de Nîmes : « Il faut prendre quelque précaution pour regarder le Marché en Algérie, de Jeanne Thil, tant son rayonnement solaire est prodigieux. Que de soleil et que de vibrations lumineuses dans la petite salle ! » (Bogomir Dalma, le musée des Beaux-Arts de Nîmes », Les Tablettes d'Avignon et de Provence, 29 mai 1932, p.3)

En 1933, Jeanne fait l’objet d’un très long article de Camille Mauclair, écrivain et historien de l’art connu pour ses critiques virulentes contre l’art moderne, le fauvisme et le cubisme en particulier.

« C’est rapidement, en une douzaine d'années, que cette jeune artiste a su, par le seul mérite de son œuvre se placer au premier rang non seulement des femmes peintres, mais des peintres d'histoire et d'orientalisme de ce temps. [suit un résumé de sa carrière]… ce "curriculum vitae" étant établi, il convient d'examiner ce qui compte seulement : la valeur de l'œuvre. Il suffit d'un regard pour comprendre que cette jeune femme est un décorateur-né, et avec les plus beaux dons. Est-elle ce qu'on peut appeler un peintre d'histoire, pour parler d'un genre qui se meurt après avoir été glorieux, et dont bien rares sont les derniers adeptes qui ne se figent point dans l'académisme ? (…)

C'est par les grandes oppositions des valeurs, par la distribution logique des lumières, par l'affirmation de ce qu'il y a d'ornemental et de généralisé dans l'individu, par la constante préoccupation de l'effet mural, c'est-à-dire par le code immodifiable et logique des vrais décorateurs de tous temps et de toutes conceptions, que vaut l'art de Mlle Thil. On racontait un jour à Puvis qu'un peintre chargé de décorer un édifice avait déclaré : "Je peins chez moi, et je me f.… de la muraille. - S'il s'en f.., riposta furieusement le maître, la muraille le vomira !" C'est le cas de bien des gens, et ce serait celui de tant d'extrémistes qui ne parlent que du "décoratif" et seraient bien quinauds si on les mettait au pied des murs que leurs zélateurs s'indignent de ne leur point voir offrir. Mlle Thil sait relier sa composition et sa gamme de tons au mur et au local éclairé : elle a appris à éviter les vides, à répartir les masses, à sérier les plans, à les meubler sans facticité ni surcharge. Et son extrême intelligence, son don d'observation, ne nuisent jamais à sa sensibilité. (…)

Il arrive donc à Mlle Jeanne Thil de dépasser le simple prestige décoratif, dans ces régions où le décoratif et la vie contemplative ne font qu'un, où tout homme est une statue en marche, où la beauté formelle est liée au moindre geste : et c'est bien pourquoi elle a la passion des blancheurs sous l'azur. Elle est allée récemment la satisfaire en Grèce, d'où elle a rapporté d'autres belles choses. Elle est née pour la synthèse murale, pour les tons riches et les formes amples. En ce temps de misérable petite "école des quatre pommes", de ruelles montmartroises rabâchées, de nus d'ateliers anémiques et plats, de potagers banlieusards, sans style, sans imagination, sans goût, où l'on s'épuise à trouver "des qualités de peintre" et des mérites de palette dont la mesquinerie eût fait rire les maîtres, ils sont de plus en plus rares, les artistes capables de se mesurer avec une muraille, de la remplir, d'y jeter avec autant de science que d'enthousiasme des ciels, des horizons, des cavaleries, des animaux, des vaisseaux, des foules, dans la joie des volumes denses, des colorations éclatantes, des magiques pénombres, de ce lyrisme enfin qui n'a rien de "littéraire" mais élève son chant au milieu de la nature elle-même. Voilà ce qui anime cette jeune femme errant dans "l’Orient désert" qui peut nous revivifier picturalement, bien que messieurs les mercantis ne le trouvent pas encore très intéressant pour leur cote, et tiennent pour inaptes à l'arrivisme ceux qui s'expatrient à la recherche de beautés non encore souillées par le progrès. Voilà ce qui fait de Mlle Jeanne Thil une personnalité dont je m'étonnerais que la place dans l'art décoratif de demain, place méritée par le labeur, la méthode, le caractère, le don et le talent, ne devînt point large et splendide. » (Camille Mauclair, « Jeanne Thil », L’art et les artistes, 1er mars 1933, p.298 à 303)

L’article était accompagné de plusieurs reproductions d’œuvres que j’ai montrées plus haut, auxquelles s’ajoutait Le Mariage au XVe siècle et Dans le Péloponèse (sic), l’une des deux œuvres qu’elle avait présentées au Salon de 1933.

 

Reproduits in Camille Mauclair, « Jeanne Thil », 
L’art et les artistes, Tome XXVI, mars-juillet 1933, p.301
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


L’année suivante, l’inspiration grecque s’affirme au Salon avec Athènes : Acropole et Patras, au pied des ruines de la citadelle.

 

L’Acropole – 1934
Huile sur toile
Collection particulière
(Photo trouvée sur le Net, prise dans l’exposition du
Musée des Beaux-Arts de Calais en février 2021)


Pour illustrer cet épisode de la vie de Jeanne, j’ai trouvé deux gouaches probablement réalisées sur place, à Tessalonique, alors dénommée Salonique. L’une représente la Rotonde Saint-Georges, ancien temple du IVe siècle de notre ère, transformée en mosquée puis en église du temps de Jeanne…

 

Salonique – sans date
Gouache sur papier, 27,9 x 31,7 cm
Dahesh Museum of Art, New York


… l’autre est une fontaine que je serais bien en peine de situer.

 

Fontaine à Yéni-Koulé-Salonique
Gouache sur papier marouflé sur toile, 64,5 x 81 cm
Collection particulière (vente 2015)

En 1935, Jeanne est chargée de la décoration du Pavillon de la France d’Outremer à l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles. Elle réalise neuf toiles qui ont été conservées et permettent d’évaluer sa capacité à se confronter avec des formats hors normes. Pour une raison que j’ignore, le musée qui les conserve n’en montre que huit en ligne…

 

Tunisie – 1935
Huile sur toile, 160 x 310 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Arabe au faucon, Algérie –1935
Huile sur toile, 162 x 312 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Maroc – 1935
Huile sur toile, 164 x 300 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Afrique occidentale française – 1935
Huile sur toile, 158 x 246 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Afrique équatoriale française – 1935
Huile sur toile, 155,7 x 246 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Soudan – 1935
Huile sur toile, 153 x 242 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Antilles – 1935
Huile sur toile, 154 x 242 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


Madagascar – 1935
Huile sur toile, 153 x 242 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


L’année suivante, Jeanne est à nouveau au Salon avec un Oasis dans le sud tunisien et, en 1937, elle y expose Sud tunisien, qualifiée par Le Journal du Midi du 14 mai de « lumineuse toile orientaliste ». L’œuvre sera aussi montrée à l’Exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne qui a lieu la même année à Paris.  (p.256 du catalogue)

En 1938, petite surprise : alors que le catalogue ne mentionne qu’une seule œuvre, intitulée Pouzzoles, un autre tableau est reproduit, Corinthe

 

Reproduit dans le catalogue Explication des ouvrages de peinture
 (…) des artistes vivans, 1938, p.12
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France

… ce qui est confirmé par L’Est républicain : « Il est superflu de dire le succès du grand peintre colonial qu'est Mlle Jeanne Thil avec trois tableaux où la couleur chante un bel hymne à la nature coloniale, à ses monuments comme à ses habitants. Dessins, couleurs, constructions constituent des ensembles d'une splendeur que l'on ne cesse d'admirer. Cette artiste nous transporte au loin, par ses œuvres si évocatrices de ces pays qui sont nôtres et que nous connaissons si peu. Mlle Jeanne Thil nous fait, par ses œuvres, plus aimer encore nos belles colonies, nous lui en savons gré. » (Nehac, « Les Arts à Paris, le Salon », L’Est républicain, 5 juillet 1938, p.8)

 

Au Salon de 1939, Raymond Escholier est conquis : « L’oued Gabès inspire à Jeanne Thil une peinture grave et puissante » (« Au Grand Palais, Les imagiers de l’Empire », Le Journal, 15 mai 1939, p.2) Il y a tout lieu de supposer que cet oued est celui qui est conservé quai Branly.

 

L’oasis de Gabès – fin des années 1930, début des années 1940
Huile sur toile, 192,7 x 152,3 cm
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris


L’Etat a aussi acquis une autre toile, d’Algérie cette fois. Elle aurait été déposée au musée des années 30 de Boulogne-Billancourt.

 

Algérienne, Oasis – 1939
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Centre national des Arts Plastiques - FNAC 16331
© Photo : Philipe Fuzeau


C’est l’année où Jeanne doit travailler ardemment à une commande reçue l’année précédente, pour l’Université de Lille. Elle livrera l’année suivante sa Fresque des Doyens, laquelle a bien failli finir comme le Royal Picardy mais a été sauvée in extremis à l’occasion de l’installation de Sciences Po dans le locaux en question.

Aujourd’hui, on peut donc la voir, salle 36 ! (rappel  : vous pouvez l'agrandir en cliquant)

 

Fresque des Doyens – 1939/1940
Huile sur toile marouflée, 470 x 830 cm
Sciences Po, Lille
Source : Centre national des Arts Plastiques


Comme toujours, la fin de carrière des artistes est moins documentée. On sait toutefois que Jeanne a participé à plusieurs décorations de paquebots, toujours pour la Compagnie Générale Transatlantique. Elle avait déjà été sollicitée dans les années 20, puis au début des années 30. En 1947, elle participe à la décoration du paquebot « Liberté » et le Centre national des Arts Plastiques en conserve quelques traces.

 

Halte d’une caravane à l’oasis – vers 1947
Esquisse de la décoration de l’appartement de luxe « Algérie » à bord 
du paquebot Liberté de la Compagnie Générale Transatlantique
Gouache et fusain sur papier, 29,5 x 29,5 cm
Centre national des Arts Plastiques - FNAC 24668
© Photo : Fabrice Lindor

Esquisse de la décoration d’un salon du paquebot Liberté
de la Compagnie Générale Transatlantique – vers 1947
Gouache et fusain sur papier, 29,5 x 29,4 cm
Centre national des Arts Plastiques - FNAC 24669
© Photo : Fabrice Lindor

Elle a aussi peint pour le paquebot « Ville de Tunis », une grande peinture ainsi décrite par La Liberté du Morbihan : « Un escalier arrondi en fer forgé, à la courbe gracieuse, rehausse la présence d'une grande peinture murale de Jeanne Thil. Cette vue de Tunis vaut surtout par la profondeur, le relief de premiers plans vigoureux au dessin accentué d'un trait bleu, aux tons chauds et harmonieux se détachant sur la blanche perspective des constructions. Au loin, des rochers or, une mer d’un bleu intense, un beau navire de commerce… » (« De Lorient à Marseille à bord du Ville de Tunis », 29 mars 1952, p.3)


En 1948, Jeanne est exposée à la galerie L’Art français, rue de la Paix : « Un peintre d’une originalité incontestable prépare une exposition appelée à satisfaire les amateurs : cette artiste est Jeanne Thil, dont nous avions déjà signalé les mérites lors d’une visite à son atelier, rue Lhomond, où nous avions vu des toiles saisissantes, de coloris hardi et chaud, de dessin ferme, et dans lesquelles le souci de composition s’alliait à un sens d’évocation poétique particulièrement attachant. Il se dégage de cet ensemble, qui donne maints aspects de la Tunisie et de la Grèce, une impression de grandeur et de vérité qui frappe par l’originalité de la conception et de la réalisation. On aimera l’expression de ces nomades, de ces tribus, de ces types de cavaliers arabes du Sud tunisien ; l’or des soirs sur l’Acropole, Salonique ou Corfou. L’exposition de Jeanne Thil mérite une visite approfondie, que mérite son art sincère et médité. » (Maxime Belliard, « Une exposition de Jeanne Thil », La France libre, 13 juin 1948, p.2)

Jeanne a continué à voyager et à peindre jusqu’à un âge avancé, comme en témoignent ses œuvres des années 50.

 

Berger grec au cap Sounion – années 50
Huile sur toile
Collection particulière


Et elle ne rechigne pas à célébrer le drapeau de sa Tunisie chérie, quelques années avant son indépendance (1956) !


Composition allégorique avec drapeau tunisien – 1952
Huile sur toile, 115 x 120 cm
Collection particulière 


Temple antique à Sbeïtla (Tunisie) – années 1950
Huile sur toile
Collection particulière
(Photo trouvée sur le Net, prise dans l’exposition du
Musée des Beaux-Arts de Calais en février 2021)


Corfou – vers 1959 
Huile sur toile, 80 x 105 cm
Caisse d’Épargne des Hauts-de-France, Ville de Calais

 

Jeanne bénéficiera de deux autres expositions de son vivant, l’une au musée de la France d’Outremer (actuel Musée de l’Immigration), l’autre au Musée des Beaux-Arts de Calais en 1958.

Si son atelier se trouvait, pendant des années, au 54 rue Lhomond, à Paris 14e, elle vivait au Vésinet. C’est là que Jeanne Thil est morte, le 16 mars 1968.

Depuis son décès, Jeanne a été présente dans trois expositions importantes, la première en 2018, une expositions collective, « Peintures des Lointains » au musée du quai Branly, la seconde de 2020 à 2022, « Peintures des lointains. Voyages de Jeanne Thil », au Musée des Beaux-Arts de Calais (juillet 2020 - février 2021), accueillie ensuite au musée de Tessé au Mans (décembre 2021-juin 2022). Enfin, avec une trentaine d’autres artistes féminines, elle a été présentée dans l’exposition « Artistes voyageuses, l’appel des lointains 1880-1944 » au musée de Pont-Aven de juin à novembre 2023.

La reconnaissance posthume de Jeanne Thil a probablement pâti de sa proximité avec le monde colonial. Il est certain qu’elle ne s’est pas engagée, comme une Lucie Cousturier par exemple, aux côtés des populations autochtones. Mais il paraît difficile de lui reprocher d’avoir été du même avis que la quasi-totalité de ses compatriotes de l’époque.

Acceptons donc de regarder son art comme un témoignage d’un époque heureusement révolue mais admirons la volonté, l’énergie et le talent coloriste d’une artiste qui a conduit sa carrière prolifique avec brio et détermination !

 

 

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