dimanche 26 mai 2024

Elin Danielson-Gambogi (1861-1919)

 

Autoportrait – 1900
Huile sur toile, 96 x 65,5 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Pakarinen

Elin Kleopatra Danielson est née le 3 septembre 1861 à Noormarku, un petit village de la région de Satakunta, en Finlande. Son père, Karl et sa mère, Amalia Gestin étaient d’origine suédoise leurs familles s’étant installées en Finlande plusieurs générations auparavant. Elin passe son enfance dans la ferme familiale mais, en 1872, son père se suicide en raison des difficultés financières de son exploitation. Sa mère, restée seule avec ses deux petites filles, tient cependant à ce qu’elles poursuivent de bonnes études. C’est le frère de sa mère, Mauritz Gestin, qui finance celles d’Elin lorsqu’à 15 ans, elle est admise à l'école de dessin de la Finnish Art Society d'Helsinki, où elle étudie le dessin classique, le paysage et la perspective ainsi que la peinture sur porcelaine.

 

Fritz Hjertzell, photographe
Elin Danielson adolescente
Source : Agence des musées finlandais


De 1878 à 1780, elle fréquente l’école privée du peintre Adolf von Becker, où Helene Schjerfbeck avait aussi étudié quelques années auparavant.

 

Adolf von Becker (1831-1909)
Avant la chasse – 1880
Huile sur toile, 118,5 x 89,5 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Jenni Nurminen



Après l’obtention de son diplôme d’enseignante, Elin travaille quelques temps comme peintre sur porcelaine puis devient professeur de dessin au séminaire de Jyväskylä en 1882-1883. Mais elle s’ennuie et prend conscience qu’elle souhaite approfondir sa formation de peintre. C’est une bourse du Sénat finlandais qui lui permet de se rendre à Paris, à l’automne 1883. Là, elle s’inscrit à l’Académie Colarossi où elle suit l’enseignement des peintres Gustave Courtois et Raphaël Collin, tout en étudiant la sculpture auprès d'Auguste Rodin, auquel elle est présentée par son amie sculptrice, Sigrid af Forselles.

Raphaël Collin est alors l’un des peintres naturalistes préférés des jeunes scandinaves qu’il initie au « pleinairisme », la peinture en plein air. (Cliquer sur les images pour les agrandir)

 

Raphaël Collin (1850-1916)
Floréal – 1886
Huile sur toile, 110 x 185 cm
Musée d’Orsay, Paris


Pendant l’été, Elin se rend à Concarneau et à Pont-Aven où elle rencontre Jules Bastien-Lepage qui l’encourage à alléger sa palette. Elin s’intéresse particulièrement aux femmes dans leurs activités quotidiennes, comme cette Jeune Bretonne avec sa coiffe des pays de l’Aven, qui vient de ramasser des légumes et s’interrompt pour regarder le spectateur.

 

Jeune Bretonne - 1884
Huile sur toile, 45 x 51,5 cm
Musée de Pont-Aven



Paysage de Bretagne – 1884
Huile sur toile, hauteur 45 cm
Collection Pekka Salojärvi
© Photo : Helin Pekka


Elin séjourne en Bretagne jusqu’au printemps 1885 et peint aussi cette Jeune mère, cousant en costume traditionnel devant un bouquet de fleurs posé sur un bahut qu’on distingue à peine derrière elle.


Jeune mère bretonne – 1885
Huile sur toile, 92,5 x 69 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Kirsi Halkola



Femme cousant – 1885
Huile sur toile, 68 x 53 cm
Collection particulière (vente 2018)


En 1886, Elin rentre en Finlande et, après quelques mois passés à Norrmarku, s’installe à Önningeby, sur l’île de Mariehamm, où l’artiste Victor Westerholm a réuni de jeunes artistes finlandais dans une petite colonie qui commençait à faire l’objet d’articles élogieux dans la presse. C’est l'époque où Elin noue de solides relations avec les peintres finlandais et notamment le plus célèbre d’entre eux, Akseli Gallen-Kallela, avec lequel elle entretiendra une correspondance toute sa vie.

 

Paul Aksel, photographe
Les artistes de la colonie d’Önningeby – été 1886
De gauche à droite : Hanna Rönnberg, Hilma Westerholm, Elin Danielson et Nina Ahlstedt
Assis sur une chaise : Frederik Ahlstedt, debout Victor Westerholm, au fond Alex Federley et Acke Andersson
Source : Agence des musées finlandais



Homme assis à table – 1886
Huile sur bois, 17,5 x 24 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Aaltonen



Tre barn pa en äng (Trois enfants dans un pré) – sans date
Huile sur toile, 45 x 58,5 cm
Ett Hems Museum, Turku
© Photo : Vesa Aaltonen


A partir de 1887, Elin commence à être connue pour ses portraits de femmes, représentées un peu en marge des convenances, comme cette dame qui fume en faisant des réussites.

 

Balda-tädin harrastus (Le passe-temps de tante Balda) – 1886
Huile sur toile 44 x 53 cm
Collection particulière


En 1888, grâce à une nouvelle bourse, Elin revient à Paris, élargit son cercle de connaissances, rencontre Puvis de Chavannes et Alfred Roll. La même année, elle peint le portrait de son amie Hilma Westerholm (l’épouse de Victor Westerholm), portrait qui lui vaut une médaille de bronze à l’Exposition universelle de Paris en 1889. Selon l’historienne de l’art Ritta Konttinen, la pose de la jeune femme aurait été inspirée de celle du portrait de Victoria Dubourg (voir sa notice), peint par Edgar Degas au moment de ses fiançailles avec Fantin-Latour.  Je ne sais pas, en revanche, où Elin a bien pu voir ce tableau. Quoi qu’il en soit, la critique finlandaise de l’époque a simplement relevé une pose « caractéristique d’une intimité entre la peintre et son modèle ».

 

Hilma Westerholm - 1888
Huile sur toile, 136 x 105 cm
Musée d’Art de Turku



L’hiver à Montmartre – 1892
Huile sur toile
Collection Pekka Salojärvi
© Photo : Helin Pekka


Et, à l'évidence, Elin profite de son séjour pour visiter un peu le pays.

 

Vieille Provençale – 1888/1889
Huile sur toile, 45,5 x 46 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise /Yehia Eweis


En 1990, Elin retourne en Finlande, continue à enseigner le dessin et travaille intensément à la production de paysages finlandais…

 

Nuit d’été – 1890
Huile sur toile, 24 x 39 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Aaltonen



Pont Ruissalo – 1891
Huile sur toile, 29 x 46 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Aaltonen



Kuutamo - vers 1890
Huile sur carton, 22 x 27 cm
Porin Taidemuseo, Pori

 

… et de portraits qui suscitent une certaine indignation, en raison de l’attitude jugée trop désinvolte de ses modèles !

 

Päättynyt aamiainen (Après le déjeuner) – 1890
Huile sur toile, 67 x 94 cm
Collection particulière

Le fait de fumer une cigarette, seule à table, paraît avoir été une expression féminine de l’époque pour évoquer le fait de « prendre du temps pour soi ». Quatre ans plus tard, Amélie Beaury-Saurel réalise au pastel une scène semblable, Dans le bleu (voir sa notice).

 

 

Jeune fille avec des chats dans un paysage d’été – 1892
Huile sur toile, 110 x 137 cm
 UPM-Kymmene Cultural Foundation, Helsinki


Le petit tableau ci-dessous a une histoire : il a été retrouvé par hasard dans une galerie de Livourne, après être resté en possession de l’artiste jusqu’en 1919. La signature d’Elin a été découverte lors de sa restauration, cachée par celle de son mari…

 

Omenapuun alla (Sous le pommier) – vers 1890
Huile sur toile, 35,5 x 22,5 cm
Didrichsenin Taidemuseo, Helsinki


Peut-être est-ce pour calmer la critique qu’Elin revient ensuite à des scènes plus conventionnelles, ici avec l'un de ses modèles préférés, sa jeune sœur Emilia dite Tytty (qui pose aussi dans Après le déjeuner), représentée sous la douce lueur d'une lampe. Il souligne l’intérêt d’Elin pour la lumière que l’on retrouve dans ses œuvres italiennes postérieures.

 

Uudessa Kodissa (Dans une nouvelle maison) – 1893
Huile sur toile, 83 x 60 cm
Fondation Reitz, Helsinki




Maternité – 1893
Huile sur toile, 95 x 57 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Pakarinen

De 1891 à 1895, Elin voyage, visite les grandes villes européenne Copenhague, Berlin, Saint Pétersbourg, Venise et, enfin, Florence en 1895. Rentrée en Finlande, elle peint un retable de l’église de Kimito.

 

Retable - 1895
Eglise de Kimito, Finlande


Mais sa passion pour la Toscane la conduit à demander une nouvelle bourse, qu’elle obtient en 1896, afin d’étudier les grands maîtres du Quattrocento.

Durant l’été, elle fait la connaissance d’un jeune peintre, Raffaello Gambogi, qui avait remporté l’année précédente le premier prix à l’exposition de la Société pour la Promotion des Beaux-Arts de Florence, avec Emigranti.

 

Raffaello Gambogi (1874-1943)
Emigranti – vers 1894
Huile sur toile, 146 x 196 cm
Museo Civico Giovanni Fattori, Livourne



Paysage d’Italie – 1896/1897
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Taidekoti Kirpilä, Helsinki
© Photo : Rauno Träskelin


Se reposer – 1897
Huile sur toile, 69 x 49 cm
Collection particulière


Après avoir obtenu l’autorisation du pape – car Elin est protestante – les deux jeunes gens se marient en février 1898, sans trop prévenir la famille finlandaise dont Elin craint la désapprobation : son jeune mari a treize ans de moins qu’elle. Ils s’installent à Torre del Lago, dans une petite maison avec jardin et potager dont Elin s’occupe elle-même, sans cesser de peindre, bien sûr.

 

Récolte – 1898
Huile sur toile, 97 x 68 cm
Collection particulière (vente 2023)


Le début de leur vie conjugale est marqué par un intense travail en collaboration et le succès arrive. En 1899, Elin expose L’Eté à la société des Beaux-Arts de Florence où il sera acheté par le roi Umberto 1er, puis Soirée d’hiver est acceptée à la Biennale de Venise. Je ne suis pas parvenue à retrouver ces deux tableaux…

 

Lac de Massaciuccolin – 1899
Huile sur toile, 52 x 112 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Hannu Pakarinen



Autoportrait – 1899
Huile sur toile, 47 x 37 cm
Musée d’Art de Turku


L’année suivante, elle reçoit à Florence une médaille d’argent pour l’Autoportrait que j’ai placé en exergue de cette notice puis elle participe à l’Exposition universelle de Paris. J’ai bien trouvé son nom dans la liste des récompenses où j’ai eu la surprise de la trouver classée dans les artistes russes… avant de me souvenir que la Finlande de 1900 était un Grand-Duché de l’empire russe !

 


Elle y aurait présenté une Madre et Nella Vigna qui se trouve aujourd’hui au musée de Turku…

 

Nella Vigna (Dans la vigne) – 1898
Huile sur toile, 85 x 116 cm
Musée d’Art de Turku


… lequel conserve aussi une autre œuvre de la même veine naturaliste, où une jeune italienne étend son linge au soleil, sous les figuiers. La lumière, encore.

 

Un jour ensoleillé (Le fil à linge) – 1900
Huile sur toile, 105 x 84 cm
Musée d’Art de Turku


On s’étonne de trouver aussi ce type de représentation à la palette beaucoup plus accusée, comme si Elin avait développé deux styles, le second peut-être plus adapté au goût finlandais de l’époque ?

 

Famille italienne – 1900
Huile sur toile, 88,4 x 124 cm
Musée d’art de Tampere
© Photo : Jari Kuusenaho / Musée d’art de Tempere, 2016



Bateaux italiens – vers 1900
Huile sur toile, 33 x 45 cm
Ett Hems Museum, Turku
© Photo : Vesa Aaltonen


Dans une lettre de 1901 à son ami, le peintre Victor Westerholm, Elin avoue une très grosse déprime. Son mari est tombé amoureux d’une de ses amies, la peintre finlandaise Dora Wahlroos qui séjournait chez eux.

Elin décide de rentrer en Finlande mais Gambogi refuse de signer les papiers l'autorisant à  voyager seule. Elle part donc en sa compagnie. Emportant avec eux des toiles réalisées en Italie, ils exposent ensemble à Helsinki. Au cours du voyage, Gambogi commence à présenter les premiers symptômes d’une maladie mentale.

 

Ils retournent en Italie début 1902.

Autour de Florence – 1902
Huile sur toile, 22 x 32,5 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise /Jenni Nurminen


Mais à la fin de l’année, Elin rentre seule en Finlande, sans papier, en passant par l’Angleterre et la Suède, avec probablement quelques toiles à vendre car elle était confrontée à de sérieuses difficultés financières. 

 

La Merenda (Le goûter) – 1904
Huile sur toile, 83,5 x 139,5 cm
K.H.Renlund Museum, Kokkola
© Photo : Joni Virtanen


Entre 1903 et 1913, elle fait de fréquents aller-retour entre Volterra, où Raffaello est interné, et la Finlande où elle retrouve ses amis.

 

Thé du soir – 1904
Huile sur toile, 60 x 81 cm
Collection d'art de la Fondation Signe et Ane Gyllenberg, Villa Gylenberg, Helsinki
© Photo : Hagelstam & Co.


En 1906, au cours d’un de ses voyages, elle peint ce paysage étonnant près de Varsovie. Etonnant car la touche libre et légère évoque la technique impressionniste qu’elle a approchée parfois sans jamais s’y attacher vraiment.

 

Printemps, paysage champêtre – 1906
Huile sur toile, 101 x 81 cm
Fondazione Livorno, Livourne


Et, en Finlande, elle continue à peindre des portraits. Ici, celui du mari de sa sœur Tikki :

 

Portrait de Knut Hjalmar Ahonius – 1907
Photographié par Karl Johan Schoultz
Source : Archives d'Åbo Akademi


Et celui du directeur de la filature de Pori, d’une facture conforme aux autres portraits exécutés en Finlande à l’époque et qu'il me parait inutile de montrer. J’imagine qu’elle répondait à des commandes.

 

Portrait de Carl Gustav Sundell – 1913
Huile sur toile, 107 x 87,5 cm
Fondation Abo Akademi


On peut comparer ce portrait à ce qu’elle peignait en Italie au même moment. Des œuvres exposées pour la première fois en 2002 à Livourne, toutes issues de collections particulières et qui n’ont jamais quitté l’Italie.  Elin avait bien deux styles, l’un pour gagner sa vie, l’autre pour la lumière d’Italie !

 

Piccole ricamatrici (Petites brodeuses) – 1910/1915
Huile sur toile, 40 x 51 cm
Collection particulière


Al calare del sole (Coucher de soleil) – 1910/1915
Huile sur toile, 46 x 60 cm
Collection particulière


Antignano Alto, via Fraschetti – 1917
Huile sur toile, 49 x 39 cm
Collection particulière
(j'ai copié cette photo dans un catalogue, les couleurs sont trop saturées)


Et ce sont ses œuvres italiennes qu’Elin expose, à la Biennale de Venise (un Autoportrait), à Milan, Livourne et au Promotrici à Florence où son tableau Interno (Intérieur) est acheté par la Galerie d’Art Moderne du Palais Pitti laquelle, hélas, ne le montre pas en ligne…

 

Autoportrait – 1903
Huile sur toile, 23,5 x 27,5 cm
Musée d’Art de Turku, Finlande


En 1913, Elin quitte son pays pour la dernière fois. La Grande Guerre l’empêchera d’y retourner.


Elin Danielson-Gambogi meurt d’une pneumonie le 31 décembre 1919, dans la villa Benvenutis, sa dernière maison à Antignano.

 

La villa Benvenutis – vers 1915
Huile sur toile
Collection particulière


Décédée en Italie où elle était peu connue, Elin est tombée rapidement dans l’oubli. Elle a d’abord été exposée en Finlande, dans le cadre de la « redécouverte » des œuvres féminines évoquant la condition des femmes au tournant du XXe siècle, au Musée d'art de Turku et au Musée d'art de Hämeenlinna en 1995 puis l'exposition « Elin Danielson-Gambogi : À la lumière de l'Italie » a été présentée au Musée d'art Didrichsen d’Helsinki, en janvier-juin 2017. Elle intégrait les découvertes de l’exposition italienne « Elin Danielson Gambogi. Una donna nella pittura », présentée fin 2002 au Museo Cuvico G.Fattori – Villa Mimbelli de Livourne, qui avait donné à voir ses œuvres italiennes des collections privées.

 

Elin a été inhumée au cimetière de Misericordia de Livourne, avec son mari. Leur tombe, détruite, a été remplacée par un monument érigé par le consulat de Finlande en 2004. L’année précédente, son pays natal l’avait honorée en éditant un timbre évoquant l’une de ses œuvres (à découper en quatre !).

 

 



*

 

Et voici bien sûr, une petite nature morte, la seule que j’ai trouvée…

 

Nature morte – 1890
Huile sur toile, 39,5 x 56 cm
Galerie nationale finlandaise / Ateneum Art Museum, Helsinki
© Photo : Galerie nationale finlandaise / Pirje Mykkänen


 

*

 

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