Marjorie
Watson-Williams est née le 14 mai 1892 à Bristol,
dans une famille aisée. Elle est la fille d’un chirurgien ORL de renom, Patrick
Watson-Williams (1863-1938) et, par sa mère, la petite-nièce du philosophe
Francis-Hebert Bradley (1846-1924) dont l’œuvre la plus ambitieuse, Appearance
and Reality, est publiée à Londres un an après sa naissance.
Après avoir fait ses premières armes à la Bristol School of Art, où elle apprend la gravure à l’eau-forte, Marjorie s’installe à Londres où « le futurisme et le ragtime dansaient ensemble, sans chaperon ». Elle s’inscrit dans la prestigieuse Slade School de Londres mais n’y reste que quelques jours, trouvant l’enseignement trop académique. Elle rejoint alors la London Scholl of Art et l’atelier du peintre, dessinateur et graveur, George Belcher, futur académicien. Belcher est aussi caricaturiste pour la revue Punch or the London Charivari. C’est avec lui qu’elle étudie l’illustration.
Elle
commence sa carrière comme illustratrice, notamment pour A Diary of the Great Warr (sic) de Saml Pepys Jr., pseudonyme de Robert Massie
Freeman. L’ouvrage, qui couvre la période de juillet 1914 à janvier 1916, sort
en 1917. Marjorie réalise seize gravures sur bois dans un style très moderne et
plein d’esprit.
A
la même époque, elle rencontre le peintre belge Léon de Smet pour lequel elle
pose.
Marjorie
expose ses gravures pour la première fois en 1921 puis elle est invitée à
rejoindre le London Group, l’année suivante.
Au
cours des cinq premières années des années 20, elle fait de fréquents séjours
en Autriche et à Paris.
Il
en reste quelques traces, comme cette huile non datée mais dont le style
pictural, comme de celui des vêtements accrochés au porte-manteau, évoque le
début des années 20.
En
1974, l’artiste elle-même a indiqué à la Tate qu’elle avait réalisé la
lithographie ci-dessous à Londres, « d’après un dessin réalisé à Paris
dans un petit hôtel donnant sur la place du Pont Neuf qui était situé entre le
quai de l'Horloge et le quai des Orfèvres. »
De
même, à propos de cette danseuse à corde, elle précisait : « A l'époque où
je réalisais La Danseuse à la Corde, je résidais à l'Hôtel du Quai
Voltaire, quai Voltaire en face du Louvre. A cette époque, j'ai exécuté de
nombreux dessins de scènes de café, de théâtre et de cirque et, comme beaucoup
d'artistes, j'ai visité le Cirque Medrano pour observer les célèbres clowns
Fratellini. »
Quant
à ces Baigneuses, qui seront exposées à la Biennale de Venise en 1924,
sous le titre de Nus, elle les aurait dessinées après un été au Cap
d’Antibes.
Grâce à Léon de Smet, elle expose à la Galerie Louis Manteau à Bruxelles en 1924.
Et,
selon un article : « Depuis 1923, elle exposait de temps à autre des
lithographies avec les Senefeld Club aux Leicester Galleries. En même
temps elle exposait à la Société des Graveurs anglais des gravures sur bois et
des pointes sèches. En 1925, elle organisait une exposition intitulée "Quelques
Artistes britanniques d'aujourd'hui" à la Galerie Lefèvre, de Londres, qui
représentait alors, comme aujourd'hui, les tendances les plus avancées de la
peinture et de la sculpture en Angleterre. » (Anonyme, Cahier d’Art,
1-4, 1er janvier 1934, p.123-124).
Dans
cette scène un peu plus tardive, qui se déroule au Prince's Theatre de Bristol
où le ténor Richard Tauber est en pleine répétition, sous la direction d’Eugene
Goossens, il semble que son style a déjà un peu évolué sous l’influence du
cubisme qu’elle a découvert à Paris.
Ce
n’est qu’en 1926 qu’elle s’installe vraiment à Paris, en partie pour fuir Léon
de Smet dont elle trouve la « persévérance amoureuse » un peu envahissante.
C’est alors qu’elle décide de prendre son nouveau nom d’artiste, « Paule
Vézelay », qu’elle signe sur ce dessin :
On trouve dans les articles plusieurs versions de sa motivation : un prénom androgyne bien adapté à la période de la garçonne, une admiration pour la basilique romane du même nom ou, plus simplement, l’envie de s’identifier aux membres de l’Ecole de Paris. Elle-même aurait expliqué son choix « pour des raisons purement esthétiques » car, comme elle l’a affirmé plus tard : « I never felt in the least bit French » (Je ne me suis jamais sentie française le moins du monde).
Ce
qui est certain, en revanche, c’est qu’elle participe au Salon d’Automne
l’année suivante puisque j’ai trouvé sa trace dans deux articles : Georges
Turpin évoque « Paule Vézelay,
amoureuse des harmonies grises et roses » (« Le Salon
d’automne », Revue littéraire, artistique, théâtrale et sportive, 1er
décembre 1927, p.12), tandis que Pierre Lahalle goûte « la franchise
de Paule Vézelay dans son jardin
du Luxembourg » (« Une visite au Salon
d’Automne », Mobilier et décoration, 1er décembre 1927, p.56)
Des « harmonies grises et roses », comme celles de l’Autoportrait que j’ai placé en exergue, de cette scène de café où l’influence du cubisme est beaucoup plus sensible et de ces Femmes démultipliées.
C’est finalement grâce à un article américain, écrit à l’occasion de sa toute première exposition dans une galerie parisienne, qu’on en apprend un peu plus sur ses occupations de l’époque (même si je reste un peu sceptique sur sa « pratique personnelle de la corde raide » !).
« Parmi les tableaux que Paule Vézelay expose actuellement à la Galerie Manteau à Paris, il y a un tableau de deux dames plantureuses en équilibre sur une corde raide dans un cirque. Leurs visages aux bonnes joues rouges arborent un large sourire engageant. L'effet est très humoristique et caractérisé ; ce n'est pas exactement de la caricature ni de la satire, et pourtant il y a assez des deux pour donner une touche personnelle d'un genre rarement rencontré dans le travail des artistes modernes.
Cet élément humoristique est présent dans de nombreuses peintures de Paule Vézelay ; c'est un trait distinctif de son art, qui mérite d'être souligné car peu d'artistes de notre époque ont un tel sens de l'humour et de la gaité ; il ne s'ensuit nullement qu'elle soit humoriste, ni, malgré son travail réussi dans l'illustration de livres, un peintre illustratif ou littéraire. La toile en question rappelle simplement qu'elle a appartenu à une troupe de cirque au début de sa carrière atypique, et que sa connaissance de la corde raide constitue en fait une pratique personnelle. Les aventures hors du commun contribuent immensément à la formation d'un tempérament artistique original.
Paule Vézelay est citoyenne de Montparnasse depuis trois ans. Elle a exposé avec succès à Londres et à Bruxelles, mais cette première exposition à Paris représente une avancée frappante dans son pouvoir d'expression. La vingtaine de compositions et de natures mortes qu'elle présente sont intensément personnelles, en termes de ligne et de couleur ; ce ne sont pas des imitations d'œuvres d'autres artistes, si célèbres soient-ils, et cela est d'autant plus remarquable que Mlle Vézelay est l'amie et l'admiratrice de grands maîtres comme Picasso et Braque, et qu'elle a connu Juan Gris dans les dernières années de sa courte vie. S'il y a une influence perceptible dans son œuvre, c'est celle de James Ensor, le vieux peintre belge, lithographe et graveur, pour lequel elle professe une admiration sans bornes. Mais il ne s'agit que d'une influence, et non d'une obsession imitative, comme cela aurait pu être si facilement le cas avec un artiste du magnétisme d'Ensor. Les visions humoristiques, grotesques et macabres du maître belge la fascinent, mais son imagination et ses souvenirs sont suffisamment vifs pour lui fournir une quantité suffisante de sujets originaux et personnels.
L'éventail de la fantaisie de Paule Vézelay ne se limite pas aux limites de la piste de cirque ou du théâtre. Elle a développé des visions fascinantes de l'un et de l'autre, comme en témoignent des toiles comme Les Danseuses à la Corde, Un Clown, Au Théâtre et La Loge, mais son talent exceptionnel trouve une expression encore plus parfaite dans des œuvres sans entrave, de temps ou de lieu, où elle est absolument libre de suivre les caprices de son imagination.
Tel est le tableau reproduit ici, montrant la figure d'une femme assise devant une fenêtre, le dos tourné à l'espace extérieur et à des rideaux aussi délicatement translucides que le ciel autour d'elle. » …
… « Dans
ses natures mortes, ce plaisir qu'elle prend à transposer ses rêves en couleurs
et en compositions est peut-être encore plus apparent et exprimé
triomphalement. » …
… « Curieusement pour une artiste qui a commencé comme illustratrice, les peintures de Paule Vézelay me semblent essentiellement musicales. Il y a un beau rythme. Sa composition et ses couleurs chantent de douces harmonies. Il s'ensuit que ses tableaux sont éminemment décoratifs, reposant et beaux à regarder dans une pièce agréable par une journée lumineuse et joyeuse. La plupart des grands peintres modernes, Matisse par exemple, n'ont pas honte d'exprimer l'idée que le but le plus élevé de la peinture doit être d'induire une sensation de plaisir chez le spectateur ; s'il en est ainsi, les tableaux de Paule Vézelay sont certainement parmi les meilleurs, car ils sont pleins d'un sentiment vif pour tout ce qui est brillant, beau et amusant dans la vie, et ont la vertu de l'exprimer et de le communiquer de la manière la plus parfaite. » (B. J. Kospoth, « Paule Vezelay's Paintings », The Chicago Tribune & the Daly News, New York, 6 mai 1928, p.5, traduction personnelle)
C’est probablement dès ses premières années parisiennes que Paule rencontre Jean Arp et sa femme, Sophie Taeuber-Arp qui viennent de terminer, avec leur ami architecte Theo Van Doesburg, la rénovation de l’aile Est du bâtiment de l’Aubette, à Strasbourg. (Voir la notice de Sophie Taeuber-Arp).
Paule ne reste pas insensible au talent de ses deux nouveaux amis. Dès cette époque, elle se tourne vers l’abstraction et n’exposera plus qu’au Salon des Surindépendants, créé en 1929. Un salon qui « a du cran, de la volonté. Ses peintres ont la foi et une sorte de mysticisme. C'est un Salon qui.ne ressemble pas aux autres, et qui, soutenu par l'esprit qui l'anime, peut faire de grandes choses. » (André Warnod, Comœdia, 6 juin 1930).
« L’esprit qui l’anime » est explicite : « Aux Surindépendants, pas de Jury, pas d'invitations, pas d'escaliers, pas de coins sombres, pas de bureau de vente (l'adresse des artistes est donnée aux amateurs qui en font la demande). Quelle que soit son œuvre, chaque artiste la déploie sur 3 m. 75 en pleine lumière, — mais il s'engage à n'exposer dans aucun autre Salon. Dans notre Association, nous admettons tous les artistes quelles que soient leurs tendances ; toutes les recherches actuelles y sont représentées et dans nos expositions les œuvres sont groupées par affinités.
Les Surindépendants invitent les
artistes, le public, les forces vivantes et jeunes à soutenir leurs efforts
pour faire échec à toutes les vétustés qu'on cache sous le nom de "Tradition",
alors que la "Tradition" est faite, à travers l'Histoire, des efforts
créateurs des non-conformistes de toutes les époques. » (Manifeste des
Surindépendants)
Paule sera fidèle à ce salon jusqu’en 1937 mais, faute de catalogue numérisé, je suis bien en mal d’indiquer ce qu’elle y a présenté, à côté des œuvres d’Hurbin, Ozenfant, Sauvage, Manès, Picabia, Severini, Metzinger, Mendès, Bauchant… et aussi Christine Boumeester, Alice Halicka, Maria-Helena Vieira da Silva, Marlowe Moss et Sophie Tauber-Arp.
Toutefois,
en se référant aux tableaux connus et datés, on peut extrapoler un peu, grâce
au « Fonds Marc Vaux », du nom du photographe, installé avenue du
Maine dans les années 20, qui a photographié les œuvres de près de 5.000
artistes habitant à Paris de 1920 à 1970. Ce fonds est aujourd’hui conservé par la
bibliothèque Kandinsky de Beaubourg. On y trouve une vingtaines d’œuvres de
Paule Vézelay, datant probablement de la fin des années 20, aux milieu des
années 30.
Bien que Paule ait soutenu plus tard avoir été abstraite dès son arrivée à Paris, on constate que ses toiles de la fin des années 20 sont encore un peu figuratives, comme ces fanions flottant sur un fond nuageux.
L’année
1929 est aussi celle où elle rencontre le peintre surréaliste André Masson
(1896-1987), avec lequel elle engage une relation amoureuse. Il a découvert
très jeune la peinture de James Ensor, il est proche de Juan Gris, de Miro, de
Max Jacob, de Robert Desnos et de Breton dont il se séparera quelques années
plus tard, le trouvant trop « moraliste ». C’est probablement grâce à
lui que Paule entre en contact avec certains d’entre eux.
On
peut sentir l’influence de Masson dans certains de ses tableaux où l’on décèle
aussi « l’éventail de fantaisie » évoqué dans l’article précité du Chicago
Tribune…
…
et, probablement aussi, une communauté d’expérimentation avec Masson et ses tableaux
de sable…
…
comme dans la toile suivante, officiellement peinte à l’huile mais dans laquelle
il y a au moins un autre matériau mélangé à la peinture et qui a l’apparence du
sable ; encore un fond nuageux où planètes, gouffres, formes élégantes
et torsadées sont en lévitation.
En mai 1930, Paule expose à la galerie Max Berger, rue Vavin. La préface de son catalogue ne passe pas inaperçue : « M. Robert Desnos a signé la préface de l'exposition Paule Vézelay. Voici un fragment de cette préface : ‘’Une des singularités de la spéculation est qu'il a fallu inventer une âme problématique et sans doute inexistante pour que l'homme puisse contempler morosement [sic] une éternité de bazar alors que cette éternité est indéniablement le propre de la matière. Il est juste de reconnaître d'ailleurs que les matérialistes dépouillèrent soigneusement la matière de cette éternité. Les uns et les autres sont des borgnes.’’ » (Le Rapin, « Petit courrier », Comœdia, 2 mai 1930, p.3)
Sans
doute y montre-t-elle ses compositions abstraites typiques de la période, des
formes biomorphiques blanches, brunes, noires et roses et des lignes courbes
noires flottant sur un fond tacheté.
Bien que l’impression de mouvement soit sensible et que la palette soit un peu organique, Paule s’est toujours défendue d’avoir voulu représenter des objets réels. Comme elle l’a écrit à la Tate : « Je suis sûre que les formes de mes œuvres non figuratives sont des formes inventées et n'ont pas leur "genèse dans des formes naturelles" » (correspondance avec la Tate Gallery, 17 mai 1975).
Mais
comme le souligne le musée, ce n’est pas l’avis de ses contemporains :
« Elle choisit et agence les formes et les harmonies comme elle dresse la
table ou arrange la cheminée : avec soin et affection. C'est pourquoi ses
images ne sont pas vraiment abstraites – l'affection va aux objets
réels. Vous ne pouvez pas voir les objets "dans l'image elle-même" ? Non. Elle a appris à Paris à ne pas commettre la vieille erreur de
confondre l'origine de ses sentiments avec l'expression finale de ceux-ci. (Humphrey
Jennings, introduction au catalogue d’exposition « Paule Vézelay : Moving
and Static Forms », St. George's Gallery, Londres 1949, p.2)
L’exploration
des formes organiques se poursuit au cours des années suivantes. Là encore, on
trouve des correspondances entre tableaux connus et œuvres photographiées par
Marc Vaux :
Elle
évolue lentement vers un art plus géométrique, tandis que sa palette se renouvelle.
Sur des fonds de couleur unie, elle installe des formes flottantes mais tridimensionnelles, dont la juxtaposition constitue « une
exploration de l'harmonie et de l'équilibre dans l'espace. » (Notice de la
Tate), notamment avec cette œuvre qui se trouve aussi dans le fonds Marc Vaux où
elle est curieusement présentée… à l’envers.
C’est
en 1933 que Paule se sépare d’André Masson et de « l’arène intense,
sexuellement exploratoire et souvent violente du surréalisme. » Il
semblerait qu’il était temps de changer d’air.
Elle
se rapproche du groupe « Abstraction-création », collectif d’artistes
destiné à promouvoir l’art abstrait, grâce à des expositions spécifiques. Dans
le premier cahier publié par le collectif en 1932, sous la direction d’Auguste
Herbin, sont présentées les œuvres de trente-six artistes (classés par ordre
alphabétique, deux photos par artistes) et un texte assez sévère du critique
Michel Seuphor, dont je reproduis un extrait comme il a été écrit, sans
majuscules :
« (…) j'entends par "surréalisme" ce vaste mouvement littéraire, qui a si tristement influencé les peintres et qui devait naître en 1924 sur les ruines éparses du dadaïsme négatif sous le titre ridicule et empanaché de "révolution surréaliste". beaucoup de bruit, quelque vaisselle cassée et retentissement mondial (dans les principales villes d'europe des écoles sous-surréalistes se fondèrent presque immédiatement), mais à la première analyse rien de stable ni de positif : d'un côté un vaste parasitage sur guillaume apollinaire (mais sans sa puissance et son indiscutable personnalité), d'un autre côté mise à profit de toutes les facilités opportunistes du moment afin de faire "public" sous un vernis d'intellectualité : freud et communisme. en somme leur principale préoccupation consiste à adorer comme une idole en le grandissant à l'homme entier "ce petit morceau de merde que chacun a dans son cœur", pour citer un des leurs et non le moins bourgeois. » (Michel Seuphor, « L’art nouveau et le surréalisme », Cahier Abstraction-Création, 1932, p.11) Les oreilles de Breton ont dû siffler un peu !
Y
figurent trois autres femmes, Sonia Delaunay, Marlow (Marjorie) Mauss et Sophie Taeuber-Arp.
Plus tard, dans son Dictionnaire de
la peinture abstraite, Michel Seuphor écrira : « peu d'artistes
illustrent aussi bien que Paule Vézelay la multiplicité de l'art. Elle a
pratiqué la peinture, la sculpture, les collages, les compositions à cordes
tendues, les dessins, la gravure. Son travail a un charme discret et une
pureté élégante. »
Paule bénéficie début 1934 d’une exposition personnelle à la galerie Jane Bucher, impliquée dans l’accompagnement des Surindépendants depuis leur création. L’exposition est bien accueillie :
« (…)
Cette longue expérience picturale, Vézelay la porte dans son œuvre. Il est
évident que celle-ci est le fruit d'une longue carrière, que les connaissances
qui s'y font jour ont été acquises et développées par une série d'expériences
et par un travail méthodique et opiniâtre. Grâce à cette expérience elle a
évité l'écueil de la plupart des membres du groupe "Abstraction-Création" avec lequel elle s'est liée depuis quelque temps, en ne donnant pas dans leur
dogmatisme qui appelle l'exécution irrévocable du sujet.
Plus près d'Arp que des promoteurs de ce groupe, Vézelay prend toujours l'objet comme moyen résumant de son imagination avec ses ressources, pour lui faire dire des choses charmantes. Toutes ses œuvres l'attestent et déposent en faveur de l'artiste qui crée son monde avec tout ce qui se voit du monde. C'est là le mérite de ses tableaux qui ne seraient rien de plus que des tableaux "abstraits" et qui auraient la destinée de la plupart de ceux-ci si les objets n'y laissaient pas leur souvenir et, par le plaisir qu'ils nous donnent, ne les tiraient pas du cercle étroit de la pure abstraction. La couleur aussi ajoute au charme de ses œuvres. L'artiste manie la couleur avec une élégance subtile et travaillée, elle sait lui donner tous les assouplissements et toutes les nuances, qui donnent à cette peinture raffinée un charme particulier. » (Anonyme, « Les expositions à Paris et ailleurs », Cahier d’Art, 1-4, 1er janvier 1934, p.123-124).
Et la revue reproduit
un dessin qui se trouve aussi dans le Fond Marc Vaux :
…
que Paule commence à sculpter en plâtre.
Certaines
de ses formes rappellent curieusement la sculpture surréaliste…
…
tandis que d’autres sont plus proches de l’inspiration abstraite de Jean Arp.
Cette œuvre-là, composée de plusieurs cônes de tailles différentes, dont l’un coupé en deux, a été exposée à Londres chez Lefevre en 1936 et à la Galerie Bucher en 1937 sous le titre Quatre objets sur une forme ovale. Une exposition qui semble avoir eu un fort retentissement sur la scène parisienne et internationale.
En 1938, Paule expose avec Arp, Sophie Taeuber, Kandinsky, Magnelli et Domela à la galerie Il Milione à Milan. Elle commence à s’intéresser aux lignes : «
après beaucoup d'études, de pratique et de réflexion, j'ai commencé à espérer
que mes lignes soient des "lignes vivantes" plutôt que des marques
minutieuses. J'étais capable de les diriger, de les créer comme et où je
le souhaitais avec une parfaite exactitude, de sorte qu'elles semblaient être
tombées à la surface sous ma main ; elles ont répondu à toutes mes
demandes » (Notice de la Tate)
Après avoir participé en 1939 à la dernière exposition du groupe Abstraction-Création, intitulée « Réalités Nouvelles » et passé l’été en Bretagne avec le couple Arp, Paule rentre à Bristol où elle va passer une partie de la guerre.
Bien
qu’elle n’ait pas été, comme d’autres artistes à la même période (voir la
notice de Laura Knight), officiellement chargée de représenter la guerre par le
War Artists Advisory Committee, Paule est autorisée à montrer les
dommages de guerre et à aller peindre dans un centre de ballons. Peut-être pour
des raisons économiques, elle utilise principalement l’aquarelle et le fusain.
La guerre terminée, l’abstraction
est rapidement relancée à Paris, à
la Galerie René Drouin où les œuvres de Sophie Taeuber, Kandinsky, Mondrian et
Klee sont réunies dans l'exposition « Art Concret ». Le terme fait référence à
la fois à un groupe de quatre artistes autour de Theo Van Doesburg dans les
années 30 et à Jean Arp qui l’a aussi adopté en 1944 pour qualifier l’art
abstrait.
Mais pour Paule, l’après-guerre est douloureux. Elle apprend que Sophie Taeuber est décédée en 1943 des suites d’une intoxication accidentelle au monoxyde de carbone, à cause d’un poêle défectueux.
Je n’ai pas trouvé quelles œuvres Paule a présentées lors de sa dernière exposition chez Jeanne Bucher en mai 1946. Probablement des œuvres récentes puisque William Einstein note que « Paule Vézelay est plus poète dans les dessins de son Angleterre natale ravagée par les bombes que dans ses abstractions influencées par Miro-Ernst. » (« Art News in Paris », New York Herald Tribune, 31 mai 1946, p.4)
Les Lettres françaises soutiennent que « Paule Vézelay hésite entre diverses tendances de l'art contemporain d'avant-garde ». (31 mai 1946) et Charles Estienne, dans Combat, souligne que ses « peintures et [ses] gouaches valent par une atmosphère à la fois romantique et quasi naïve. » (2 juin 1946, p.2)
C’est ensuite sa galeriste, Jeanne Bucher, qui est atteinte d’un cancer. Paule expose néanmoins dans une autre galerie d’avant-garde, celle de Colette Allendy. Elle publie à cette occasion une pièce en prose et en français, intitulée « Imagination, Mathématiques, Équilibre » dont je n’ai retrouvé aucune trace.
Elle
retrouve Jean Arp à Meudon-Val-Fleury, dans sa maison-atelier conçue par Sophie…
… mais il ne lui est pas possible de rester à Paris, faute d’argent. Jean Arp lui propose de l’épouser, ce qu’elle refuse pour ne pas prendre le risque de se confronter à nouveau à un artiste plus renommé qu’elle-même.
En Angleterre, la situation n’est pas plus facile. Paule tient à sa place de première artiste britannique de l’art abstrait et de présidente de la branche londonienne du « Groupe Espace » (créé en 1950 par Félix Delmarle et André Bloc au sein du salon des Réalités Nouvelles), une position que lui contestent Barbara Hepworth et surtout Henry Moore, personnalité puissante qui organise un boycott contre elle.
En
dépit de ces vicissitudes, Paule continue son exploration des lignes, qu’elle
construit dans des petites boîtes.
Elle
réalise des modèles de tissus, en particulier
pour les foulards Ascher et pour Heals of
London…
… et travaille longuement ses toiles, résolument abstraites.
« La position de chaque losange ou cercle a été établie au départ au crayon graphite, probablement à l'aide d'un gabarit. Un fond blanc cassé a été soigneusement brossé jusqu'au bord de chaque forme, en travaillant horizontalement. La peinture blanche a été appliquée en une pâte ferme autour de chaque forme, puis légèrement diluée pour le corps principal, afin qu'elle coule dans un plan plus lisse avec le moins de coups de pinceau possible. Certaines zones ont été délibérément polies. L'artiste a appliqué de la couleur dans les espaces réservés peu de temps après l'application du fond, ce qui a légèrement perturbé la peinture blanche humide du fond, créant un halo teinté autour de chaque forme.
À l’origine, certaines pastilles étaient de couleurs différentes. Le
losange central vert pâle était autrefois d'ocre jaune, tandis que le losange
au-dessus et à droite était autrefois d'une nuance de terre de
Sienne. Parallèlement à la repeinture des formes, le fond a été repeint en
blanc par l'artiste. » (Notice de la Tate)
Malgré
une exposition à la Leicester Gallery en 1954, « Lines in Space and their
Shadows », et une rétrospective à la Grovesnor Gallery en 1968, la
reconnaissance n'arrivera pas avant sa première exposition personnelle à New York en 1980.
En 1983 a lieu la première grande exposition Vézelay à la Tate Britain. C’est une découverte pour nombre de critiques d’art et les premiers articles britanniques que j’ai trouvés sur elle datent de cette époque. L’historienne de l’art Germaine Greer s’intéresse à son travail et l’interviewe pour l'émission « Women of our Century » de la B.B.C en 1984 mais l’entretien, toujours en ligne aujourd’hui, n’est accessible qu’au Royaume uni…
Depuis la mort de Paule Vézelay, intervenue le 20 mars 1984, son œuvre a été pleinement reconnu et a fait l’objet de plusieurs expositions en Angleterre au cours des années 2010. Paule est régulièrement exposée par la Tate Britain qui conserve plusieurs œuvres d’elle. Sa dernière exposition a eu lieu au Frieze Masters de Londres, dans la section Modern Women, en octobre 2023. Mais en France, où elle a pourtant passé plus de dix ans, je n'ai pas l'impression qu'elle ait bénéficié de la même attention.
Et, pour terminer, voici la seule et unique nature morte de Paule que j’ai pu trouver, Composition avec vase bleu et table.
*
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